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A WARRIOR BY ANY OTHER NAME1

Page history last edited by Fausta88 14 years, 9 months ago

Un guerrier quel que soit son nom

 

A Warrior by any other name

 

par Melissa Good

 

 

Traductrices : Katell et Fryda.

 

*************

AVERTISSEMENT : l'histoire qui suit contient un niveau léger de violence. Ne lisez pas plus loin si cela vous gêne.

***********

 

Partie 1A

 

****

Tout ce qu'il connaissait à présent n'était que ténèbres. Très faiblement, dans une toute petite portion de ce qui restait de sa conscience, il se souvint de la lumière. La lumière qui s'associait à un nom qu'il ne prononcerait plus jamais, une voix qu'il n'entendrait plus jamais, et à des yeux dans lesquels il ne se perdrait plus jamais. Une partie de sa vie, son âme, envolée à tout jamais… Tout autour de lui n'étaientt que peur, haine et colère. Il sentait la douleur lancinante des pierres qu'on lui jetait, et des bâtons dont on piquait ses flancs meurtris, mais il gardait les yeux fermés face aux hurlements de la foule. Cela n'avait pas beaucoup d'importance, de toute façon. Il n'en avait plus pour très longtemps. Il sentit sa force vitale être aspirée, l'entraînant encore plus loin dans les ténèbres et si loin du soleil brûlant et des rues poussiéreuses de ce petit village. Les cris haineux s'estompèrent, sauf un seul : celui des battements vigoureux des sabots d'un cheval, et puis même cela lui échappa.

 

En cette fin de matinée ensoleillée, deux femmes et un cheval marchaient tranquillement sur un chemin de terre.

"Xena." Gabrielle leva la tête vers son amie. "Quand repassera-t-on par Athènes ?" demanda le barde avec une indifférence bien étudiée, tout en examinant la coiffe ornementale qui couvrait l'extrémité de son bâton, dans le but d'éviter le regard et le sourcil levé qu'elle savait porter sur elle.

 

La grande guerrière regarda sa compagne de route avec un léger amusement. "Eh bien, j'y pensais justement", finit-elle par répondre. "Pourquoi ? Tu as oublié quelque chose là-bas ou…" Elle se glissa devant Gabrielle et la regarda droit dans les yeux, surprenant le barde. "Ou… tu veux y aller pour une autre raison ?"

 

Gabrielle ouvrit la bouche pour sortir quelque brillante excuse, mais se rendit compte qu'elle ne pouvait pas le faire ; pas avec le regard bleu glacé de Xena planté sur le sien. Elle soupira intérieurement. Il est pratiquement impossible de mentir à Xena. Elle avait toujours l'impression que la guerrière pouvait lire ses pensées avec autant de facilité qu'elle éprouvait à faire tout le reste. Sans recours, Gabrielle lui tira la langue, ce qui lui valut un sourire de Xena, d'habitude si austère.

 

"J'ai réussi à la faire taire", ricana Xena. Puis elle retourna d'un mouvement souple aux côtés d'Argo. "Ok, c'est ton secret. " Elle inspecta la campagne, remarquant ce qui ressemblait aux alentours d'un village tout proche. "On pourrait s'arrêter là-bas et manger un morceau, si tu veux."

 

Gabrielle soupira doucement de soulagement. Elle s'était fait prendre… mais Xena n'avait pas insisté, ce qui voulait dire qu'elle pensait probablement que ce que lui cachait Gabrielle était inoffensif. "Excellente idée", commenta-t-elle, se tournant pour jeter un coup d'œil vers son amie. "Tu es de bonne humeur aujourd'hui." Ce qui n'était pas aussi inhabituel que par le passé, pensa Gabrielle, amusée. Elle ne savait pas trop quand cela avait changé… enfin, si, elle savait, mais préférait ne pas y penser.

 

Xena but quelques gorgées d'une outre pendue à la selle d'Argo puis la passa à Gabrielle. "Eh oui, qui l'eut cru ? On dirait bien que oui" répondit-elle. Elle tendit le bras et serra l'outre un bon coup au moment où Gabrielle l'approchait de son visage.

"Aaahhh !!!!" cria Gabrielle, alors que l'eau lui explosait à la figure. Se balançant furieusement, elle lança l'eau restant dans l'outre aussi loin d'elle qu'elle le put, tout en essuyant les yeux de sa main libre. Elle entendit le jet d'eau toucher quelque chose, mais, d'après la réaction, elle sut qu'il s'agissait d'Argo. Elle jeta un œil à la jument qui, à ne pas s'y tromper, portait une trace plus sombre au milieu des jambes, là où l'eau l'avait atteinte. Xena, tout à fait au sec, se tenait de l'autre côté de la jument, et riait.

 

"Tu ne perds rien pour attendre…" grommela Gabrielle, écartant les cheveux mouillés de ses yeux. "C'était vraiment sournois". Ricanant toujours, Xena fourragea dans un sac et s'avança jusqu'à l'endroit où Gabrielle s'égouttait, puis lui tendit un linge plié.

"Tiens", dit-elle. "Je ne pensais pas qu'il y aurait autant d'eau." Soupirant, Gabrielle prit le linge et s'essuya le visage. Elle était sur le point de faire une remarque acerbe lorsque l'attitude de Xena changea brusquement. Elle se raidit, et se dressa, cherchant l'horizon des yeux, ses traits soudainement sombres.

 

Cette transformation soudaine ne manquait jamais d'intriguer Gabrielle. Cette dualité faisait de son amie une personne taquine et joueuse et une combattante redoutable. Une femme faite de profondes contradictions dont les mains savaient doucement panser Argo ou prendre une vie avec autant de précision et de grâce. Plus complexe qu'aucune personne que Gabrielle ait jamais connue et une source intarissable de fascination pour le barde.

 

Xena tourna un visage tendu vers Gabrielle et elle montra d'un geste le village tout proche. "Quelqu'un est en train de se faire rouer de coups." Elle sauta sur Argo, et baissa la tête vers le barde. "Tu viens ?" demanda-t-elle en offrant son bras. "Oh", bredouilla Gabrielle, surprise. "Tu veux dire que tu ne vas pas me demander de rester ici ?" C'était inhabituel. Et plutôt agréable. Xena leva un sourcil et regarda à nouveau vers le village. "Seulement si tu veux."

 

Gabrielle n'avait pas besoin qu'on le lui dise deux fois, même si cela voulait dire chevaucher Argo. Elle attrapa le bras de Xena et, avant qu'elle n'ait eu le temps de sauter, elle était hissée au niveau de la selle et déposée sur la croupe d'Argo. Elle s'installa rapidement, balançant son bâton vers le bas pour ne pas gêner ni Xena, ni Argo. "Quelques fois j'oublie", marmonna-t-elle "à quel point tu es forte." Pour toute réponse, elle sentit plus qu'elle n'entendit le doux ricanement de Xena, alors qu'elle entourait de son bras la taille de la guerrière.

 

La douleur commençait à s'estomper, à son grand soulagement. Il savait qu'il n'en avait plus pour très longtemps. Les sons devinrent plus clairs ; les bruits de sabots s'étaient transformés en puissant galop. Il adorait les chevaux. Son cher Eris lui manquait tant… Dans son esprit embrumé, il pensa qu'il aimerait que sa dernière vision soit celle de cet animal qui venait vers lui au galop, mais ouvrir les yeux lui demandait trop d'effort… Il les entrouvrit pourtant, à peine, et l'intensité du soleil le força presque à les refermer aussitôt. Mais le cheval… Déterminé, il ouvrit encore un peu plus son œil valide, faisant appel à toute sa volonté pour voir nettement, juste encore une fois. Près de lui se tenaient ses bourreaux. Des villageois, des gamins, des femmes, pierre à la main, ou un bâton, l'un d'eux tenait même une pique. Leurs visages haineux et effrayés formaient un solide mur de bruit devant lui. Il ne pouvait lever la tête pour voir par-dessus eux… il ne pouvait… Ah. Enfin.

 

La jument… magnifique. Encore plus belle que son Eris, il devait bien l'admettre. Une superbe couleur dorée, avec une crinière couleur de blé volant dans le vent. Où courait-elle ainsi ? Elle avait l'air de venir droit sur lui… Oh, cela valait vraiment la peine d'ouvrir les yeux pour la voir, oh oui. Le soleil couchant changea de couleur, rendant encore plus lumineux le cheval doré, et mettant le feu à l'armure de sa cavalière.

 

Les villageois n'avaient pas entendu les bruits des sabots. Comment pouvaient-ils être sourds à ce point ? Il ne comprenait pas. Ils continuaient à lui lancer des pierres, l'homme à la pique lui donna un grand coup dans les côtes, avec assez de force pour les briser. Il ne sentit rien… Il ne voyait que le cheval, s'approchant toujours, et à présent, il pouvait voir le visage souriant de sa cavalière. Et il sut qu'il passerait les derniers instants de sa vie dans un état de surprise ravie. Une femme… une guerrière… et aussi belle que sa monture, sauf que ses cheveux étaient aussi noirs que sa jument était blonde. Ohh… Il regrettait de ne pas pouvoir la connaître ! Sa dernière vision fut celle du soleil se reflétant sur l'épée qu'elle tenait à la main alors qu'elle rompait le cercle de villageois stupéfaits et terrifiés devant lui. Et puis… Il n'y eut plus que les ténèbres.

 

Gabrielle tenait bon, tout en essayant de voir à qui cette foule s'attaquait. Tout ce qu'elle pouvait voir était l'échafaud, ainsi que les mains et les bras puissants du prisonnier.

Xena libéra un peu l'épée de son fourreau et, penchée en avant, pressa encore Argo. Alors qu'elles s'approchaient, elle dégaina l'épée et sourit. Oh, elle ne les tuerait pas tous. Il suffirait de leur faire assez peur pour qu'ils y pensent à deux fois la prochaine fois qu'ils auraient envie de battre quelqu'un. "Tiens bon !" cria-t-elle à Gabrielle qui répondit en resserrant encore un peu plus son étreinte autour de Xena et en se glissant un peu plus en avant sur la croupe de la jument.

 

Avec un cri sauvage, elle fit franchir à Argo le cercle des villageois stupéfaits, en donnant des coups de pieds à quelques-uns des plus gros. Gabrielle balança son bâton avec précision autour d'elle, faisant tomber deux femmes brandissant des branchages épineux et un jeune homme trapu tenant deux pierres dans ses mains.

"Joli", commenta Xena, frappant la poignée de son épée sur la tête de quelqu'un, et se servant d'une jambe bien musclée pour en envoyer un autre voler à l'autre bout du village.

"Merci", répliqua Gabrielle, frappant un grand berger en plein dans la poitrine. Les villageois se dispersèrent, courant dans toutes les directions. Gabrielle en profita pour se laisser glisser de la croupe d'Argo et avancer jusqu'à l'échafaud. Derrière elle, Xena venait aussi de descendre de cheval et finissait de décourager les derniers des bourreaux, avant de rejoindre son amie au bord de l'échafaud et de regarder ce qu'elle venait de sauver.

 

L'homme suspendu à la plate-forme en bois était immense ; au moins une tête de plus que Xena, et vraiment impressionnant. Son corps était entièrement recouvert d'une épaisse fourrure de poils dorés. Tout comme sa tête, de laquelle tombaient des poils qui descendaient le long de son cou et formait une sorte de crinière. Son visage, battu et défiguré, un œil fermé et couvert de sang, avait des proportions étranges : une mâchoire énorme, et des dents en rond, avec un nez plat, lui aussi recouvert de poils. Son œil valide était fermé et, d'après le relâchement de son corps, et la tension portée sur les cordes qui le retenaient, Gabrielle devina qu'il était inconscient. Ou mort. Non, en s'approchant, elle vit les très faibles mouvements de sa large poitrine couverte de fourrure.

 

"Qu'est-ce que c'est ?" Gabrielle se tourna vers Xena, perplexe. "Est-ce un homme ou… ?" Pour une fois, la guerrière ne connaissait pas la réponse.

"C'est toi la spécialiste en histoire, ô barde." Xena secoua la tête. "Je n'en ai aucune idée. Mais on ferait mieux de le sortir de là, ou tu n'auras jamais l'occasion de lui poser la question."

 

Les villageois avaient à présent compris que Xena n'allait pas les tuer, et commençaient à s'approcher de nouveau. Mais pas trop non plus. Le chef du village s'éclaircit la gorge, nerveux. "Ah.. est-il… euh… est-ce un de tes amis, guerrière ?" Il s'avança un peu pour les voir de plus près toutes les deux. Gabrielle vint droit sur lui, lui tendant la main. "Bonjour. Je m'appelle Gabrielle." Le villageois recula un peu, surpris, regardant son bâton avec inquiétude. "Oh, ne vous inquiétez pas", dit-elle en souriant. "Je ne frappe les gens que lorsqu'ils s'en prennent à d'autres." Elle tendit à nouveau la main et, cette fois, le chef du village la serra dans la sienne avec précaution. Alors c'est à ça qu'ils ressemblent quand ils vous craignent, pensa Gabrielle, amusée. Intéressant, tout en faisant la conversation avec le villageois pour éloigner son attention de ce que Xena était en train de faire sur l'échafaud. "Pourquoi le battiez-vous ?", demanda-t-elle, regardant l'homme droit dans les yeux. "Qu'a-t-il fait à ce village ?" Elle se dressa et dessina de son corps un cercle gracieux. "Tout a l'air intact." Elle se tourna et posa sur lui ses yeux verts embués.

 

"Eh bien…" l'homme commença, lançant des regards nerveux en direction de Xena, qui venait de couper les liens du prisonnier et était en train de descendre doucement son corps sur le plancher de l'échafaud. "En fait, il ne nous a rien fait, à proprement parler, mais…" Il se tourna et fit un geste vers l'imposant prisonnier. "Regarde-le. Comment pouvons-nous laisser une telle chose vivre près de notre village, de nos femmes, de nos enfants, qui seraient sans défense contre lui ? C'est un combattant sauvage et redoutable."

 

"Vous savez ", commença Gabrielle sur le ton de la conversation, tout en s'agenouillant pour que sa tête se trouve au même niveau que le chef du village, qui se tenait par terre. "Vous devriez vraiment avoir plus de foi dans vos femmes. Les femmes ne sont pas toujours sans défense." Elle lui sourit gentiment. "Et vous a-t-il menacés, ou vous avez simplement supposé qu'il allait venir dans le village et vous manger pour son dîner ?" Il eut l'élégance de rougir devant le sarcasme. Elle soutint son regard encore un moment, puis tourna la tête vers Xena et le prisonnier. Le chef du village les regarda d'un air interrogateur. "Ohh... euh... oh… ça ne serait pas… Xena, par hasard ? " Il jeta un coup d'œil à Gabrielle, qui lui tapota la joue et acquiesça. "C'est ça."

 

Xena étudiait l'énigme qu'elle avait sous les yeux, n'ayant pas la moindre idée de ce qu'il pouvait bien être. Jamais au cours de ses longs voyages elle n'avait vu pareille chose : un croisement entre un homme, un chat sauvage, plus qu'autre chose…Etait-il à moitié sphinx ? Elle regarda par delà Gabrielle qui occupait le chef du village afin qu'elle puisse réfléchir et considérer la situation. Un sourire vint brièvement caresser son visage, puis elle tourna à nouveau son attention vers le prisonnier.

 

Sa large poitrine se levait et retombait faiblement et Xena pensa qu'il était probablement en train de mourir. Elle se pencha sur lui pour regarder de plus près les blessures qu'il portait à la tête ; elles saignaient beaucoup, mais n'étaient pas très profondes, à part celle qui était près de son orbite. Son visage se tendit instinctivement en voyant la souffrance qu'il avait endurée. Enfin, il ne mourrait peut-être pas, mais il faudrait l'emmener hors de ce village, et vite. Même Xena, qui n'était d'habitude pas affectée par les atmosphères, sentait la peur et la haine que ces gens ressentaient pour cette créature, cet homme, peu importe. Et probablement pour moi aussi, corrigea-t-elle, sardoniquement. Au moins, on a ça en commun.

 

Elle se redressa et se leva d'un seul mouvement souple, puis s'avança jusqu'à l'endroit où se trouvaient le chef du village et le barde. Gabrielle s'était tournée vers elle pour la regarder s'approcher, et leurs yeux se croisèrent, se comprenant en un seul bref échange muet. "Bon", dit Xena, saisissant le chef du village par sa chemise, et le soulevant complètement, jusqu'à ce qu'il la regarde droit dans les yeux. L'homme parut choqué. "Je crois bien que je vais me porter caution pour notre ami poilu. Ça ne te dérange pas, hein ?" Xena n'était que menace, ce qu'elle savait très bien faire. Gabrielle était en secret convaincue que Xena s'entraînait pendant des heures devant l'eau des lacs ou devant des miroirs, à peaufiner ce REGARD qui terrifiait tout le monde. "Je crois bien qu'on va trouver deux trois bonnes âmes pour m'aider à le charger sur mon cheval. Et je ne vais pas m'énerver..." Elle s'interrompit pour lui sourire. "Et je vais même vous en débarrasser."

 

Le villageois avala sa salive avec difficulté. Il jeta un coup d'œil à Gabrielle, qui était appuyée nonchalamment sur son bâton et acquiesçait. "Il vaut mieux faire ce qu'elle demande. Elle n'aime vraiment pas que les gens la fichent en rogne." Elle fit une pause pour l'effet dramatique. "Ils ne vivent pas très longtemps en général."

 

"D… D… D'accord", répondit-il enfin, et il soupira lorsque Xena le reposa par terre et relâcha sa chemise. "Vous allez le regretter. C'est une bête sauvage." Il leva la tête et vit le regard glacé de Xena. "Ou peut-être que c'est lui qui va le regretter."

 

Il courut chercher des villageois costauds pour aider à soulever la créature. Xena leva un sourcil à l'attention de Gabrielle. "Vivent pas très longtemps ?" Elle rit doucement en secouant son bras ; avoir tenu cet homme si longtemps avait vraiment été douloureux. "Tu dis de ces trucs, parfois."

 

Le barde sourit, et s'appuya sur son bâton. "Et qui va s'occuper d'entretenir ta réputation, si je ne le fais pas, hein ?" Elle se pencha en avant et appuya son front contre celui de Xena, la regardant droit dans les yeux. "En plus, c'est vrai qu'ils ne vivent pas très longtemps, en règle générale. Ou bien ils perdent des bouts. Des bouts importants."

Xena prit un air renfrogné, puis poussa Gabrielle vers Argo. "Allez, il faut préparer Argo à transporter notre ami."

 

Argo n'était pas très contente de devoir transporter cette cargaison à l'odeur étrange. Elle n'arrêtait pas d'allonger le cou pour sentir de plus près ce qu'on lui avait mis sur le dos, puis s'ébrouait. Xena garda la bride bien serrée dans sa main, et la fit avancer. La créature était toujours inconsciente, respirant à peine. Elles avaient pansé ses pires blessures avant de le charger sur la jument, mais certaines d'entre elles se rouvraient à cause des mouvements d'Argo. Xena étudia la campagne environnante et repéra un petit bosquet près d'une rivière ; ils pourraient s'y arrêter pour la nuit. D'un geste, elle le montra à Gabrielle et s'y dirigea, conduisant une réticente Argo.

 

"Xena." Le barde se tourna vers elle. "Pourquoi l'a-t-on emmené ? Je veux dire… je sais qu'ils étaient en train de le tuer… mais tu as dit qu'il était probablement en train de mourir…" Elle fronça les sourcils. "On aurait pu rester là-bas et les forcer à s'occuper de lui, je veux dire…" Elle s'interrompit en voyant l'expression sur le visage de Xena. "Qu'est-ce qu'il y a ?" Les yeux bleus semblaient perdus ailleurs, comme si elle voyait quelque chose que Gabrielle ne pouvait pas voir. Elle tourna de nouveau son attention vers son amie.

 

"Tu veux la vérité ?" dit-elle, tendant la main et écartant doucement les cheveux des yeux de Gabrielle. "Je ne sais pas. Parfois, Gabrielle… parfois, tu fais quelque chose simplement parce que tu sens que c'est ce qu'il faut faire, même si ça n'a pas beaucoup de sens quand tu y réfléchis bien." Elle avança et commença à décharger Argo, pour qu'elles puissent, d'une façon ou d'une autre, la débarrasser de sa cargaison.

"Oh", murmura Gabrielle pour elle-même, réfléchissant à ces mots pendant quelques instants. Puis elle étala par terre les couvertures qu'elles avaient obtenues des villageois et avança, incertaine, vers Argo. "Il pèse son poids", commenta-t-elle. "Comment va-t-on le descendre ?"

 

Xena se tenait près du cheval, étudiant le fardeau d'Argo pensivement. Enfin, elle prit doucement les deux bras de la créature et les croisa par-dessus ses épaules. "Recule, Argo." La jument, à contrecœur, commença à reculer, secouant la tête en guise de protestation. "Recule !" répéta Xena, grinçant des dents sous le poids de la forme inconsciente qui reposait à présent sur ses épaules musclées. Elle se pencha en avant pour équilibrer la charge et s'éloigna d'Argo, s'approchant des couvertures. Gabrielle s'écarta de son chemin, et se contenta de débarrasser le sol de toute pierre ou branche sur lesquelles Xena risquait de trébucher. Une fois au-dessus des couvertures, Xena posa lentement un genou à terre et fit rouler son fardeau de ses épaules jusque sur le sol.

 

Gabrielle s'agenouilla près de lui et arrangea ses membres pour qu'il soit plus confortable. Elle jeta un coup d'œil à Xena qui reprenait son souffle, avant d'ouvrir la trousse à herbes médicinales sur la couverture près de lui. "Je vais aller chercher de l'eau, et faire du feu." Un regard bleu se leva brièvement pour croiser le sien. "Bonne idée, Gabrielle. Merci." Le barde se leva et fit le tour des couvertures, se dirigeant vers leurs provisions.

 

Il fallut longtemps à Xena pour nettoyer et panser toutes les blessures de la créature, puisqu'elle dût couper des morceaux de son épaisse fourrure couverte de sang. La fourrure était assez grossière, mais pas autant que celle d'un chien. Elle ressemblait davantage à des cheveux humains très épais, pensa Xena. Elle observa son patient. "Il porte des vêtements." Elle fit un geste pour montrer les restes de pantalon qu'il portait sur ses membres inférieurs. "Et il porte des bijoux", fit-elle remarquer en montrant du doigt le petit bracelet presque caché par la fourrure de son bras.

 

Gabrielle regarda, fascinée, comme elle l'était toujours lorsqu'elle apprenait quelque chose de nouveau. "Alors tu penses que c'est un homme." Elle observa sa forme massive qui, même dans cette condition, reflétait une force physique impressionnante. "Tu crois que le chef du village avait raison ? S'il se remet, il essaiera de nous attaquer, ou eux ?" Elle pencha la tête sur le côté et regarda Xena d'un air interrogateur. "Il aurait l'air plutôt dangereux s'il était en pleine forme."

"Moi aussi", commenta Xena sèchement. "Je suppose que c'est une question de point de vue." Elle jeta un regard à la créature qui choisit ce moment précis pour ouvrir son œil valide et les regarder.

 

Gabrielle en eut le souffle coupé… "Oh, que c'est beau !" fit-elle en voyant son œil, dont la couleur était celle de l'or liquide, avec de faibles étincelles cachées au plus profond de son regard. L'œil, étonné, se posa sur son visage, puis revint sur celui de Xena. Faiblement, comme sous le poids d'un grand effort, le coin de sa bouche à la forme si étrange bougea un peu. Sa mâchoire s'ouvrit, révélant des incisives humaines combinées à des canines très pointues. L'œil doré regarda intensément le visage de Xena pour y lire une réaction, mais la guerrière maintint son attitude stoïque, puis continua à nettoyer la blessure près de son autre œil.

 

La créature bougea la langue, puis parvint à murmurer un mot. "Merci." Xena et Gabrielle échangèrent un coup d'œil.

"Bien", commenta Gabrielle. "Tu avais raison. Tu avais encore raison. Comme d'habitude." Elle secoua la tête et alla chercher un peu d'eau pour le patient. Xena sourit en la voyant s'éloigner, et elle souriait toujours lorsque ses yeux se posèrent à nouveau sur la créature. "De rien." Elle l'observa un moment. "Tu es dans un sale état." Elle leva les yeux vers Gabrielle qui revenait avec l'eau. "Je vais faire ce que je peux pour ton œil, mais il va te falloir quelques jours pour récupérer."

 

Gabrielle hésita un bon moment, puis finit par s'agenouiller et offrit l'eau à… l'homme blessé, pensa-t-elle. Ce n'était plus une créature dans son esprit. Xena le souleva pour qu'il puisse boire, et il la regarda d'un air surpris. Elle le reposa ensuite et finit de ranger la trousse à herbes. Elle leva les yeux vers lui. "Comment t'appelles-tu ?"

L'œil chercha son regard un très long moment. Puis ses lèvres bougèrent encore une fois, et il parvint à émettre un autre souffle. "Jessan." Il maintint son regard.

"Xena", dit-elle, puis elle fit un geste pour lui montrer quelque chose en face d'elle. Son œil suivit le geste et se posa sur le visage de Gabrielle. "Gabrielle."

Quelque chose, alors, un soupçon de compréhension, apparût dans son expression. Il hocha la tête et murmura doucement : "Bien ce que je pensais…" puis il s'endormit.

 

 

Xena était encore plus silencieuse qu'à l'accoutumée lorsqu'elle et Gabrielle rangèrent le camp après avoir préparé le dîner. Leur patient dormait profondément, sans ronfler, ce qui les avait surprises toutes les deux, à cause de sa dentition et de la structure de sa mâchoire. "Tu vas piquer une tête ?" demanda Gabrielle, sortant des vêtements propres d'un sac. Elle regarda Xena qui fixait le feu, absorbée. Elle était sur le point de répéter sa question, lorsque Xena soupira et lui jeta un coup d'œil.

"Ouais." Elle se frotta la nuque et s'étira. "Je vais y aller. La journée a été longue." Gabrielle vint se placer derrière elle et défit les sangles et boucles de son armure que Xena retira, ainsi que ses brassards, ses protections d'avant-bras et ses bottes.

 

"Tu crois qu'il peut rester ici tout seul quelques minutes ?" demanda Gabrielle, posant son menton sur l'épaule de Xena. "Je crois bien que j'aimerais aller me baigner aussi." Xena lui glissa un regard amusé mais indulgent.

"Oh, vraiment ?" Elle se leva, attrapa une chemise en lin propre et en lança une à Gabrielle. "Et moi qui croyais que tu avais eu assez d'eau cet après-midi."

"Hé !" s'exclama le barde. "C'est vrai ! J'avais bien dit que tu ne perdais rien pour attendre…" Elle s'avança, menaçante, vers Xena qui se tenait debout, les bras croisés sur la poitrine, et lui servait son regard qui semblait dire 'essaie un peu pour voir'. Gabrielle lui jeta un œil noir, faisant semblant d'être en colère et grommela "Tu vas voir si je t'attrape…" "Ah. C'est ça…SI tu m'attrapes." répliqua Xena, et elle partit en courant vers la rivière.

 

Etouffant un juron, Gabrielle se lança à ses trousses, sachant parfaitement qu'elle ne pourrait jamais la rattraper même si elle essayait, mais elle essaya quand même. Elle courait si vite qu'elle ne se rendit pas compte qu'elle avait atteint un bras de la rivière et elle se retrouva dans les airs au-dessus de l'eau avant d'avoir eu le temps de s'arrêter. "Oh, Hadès", grommela-t-elle, et elle ferma les yeux, se préparant au contact avec l'eau glacée, lorsqu'elle se sentit tirée en arrière et retomba sur l'herbe, au bord de la rivière. "Pfff..." souffla-t-elle bruyamment, et elle ouvrit les yeux pour voir le sourire sardonique de Xena qui était allongée dans l'herbe près d'elle.

"Gabrielle, tu ne regardes jamais où tu mets les pieds ou quoi ? Il faut toujours que tu fonces la tête la première sans regarder où tu vas !" La guerrière se tenait appuyée sur un coude, et le sourire qui se dessinait au coin de ses lèvres venait contredire toute critique implicite. "Non", souffla Gabrielle, reprenant sa respiration. "Je fonce toujours la tête la première sans regarder où je vais. Et regarde où ça m'a menée." Elle allongea la main et toucha le bout du nez de Xena, puis regarda la guerrière sourire.

"Oui, où ?" ricana doucement Xena.

 

 

La douleur était maintenant plus aiguë, remarqua Jessan. La torpeur qu'il avait d'abord ressentie commençait à s'estomper, ce qui était plutôt bon signe, pensa-t-il… Il avait dormi pendant un bon moment, et n'était pas entièrement conscient de ce qui l'entourait. Il sentit la chaleur d'un feu, à sa droite, et son œil valide l'informa qu'il y avait aussi de la lumière de ce côté-là.

 

Alors c'était donc Xena, pensa-t-il, son esprit embrumé. Etant ce qu'il était, il avait entendu parler de la Princesse Guerrière, ça oui. Ils gardaient un œil, le Peuple gardait un œil sur les combattants les plus extraordinaires, ceux qui risquaient de représenter un danger pour ceux de son espèce. Xena avait posé un tel danger. Son peuple avait appris à éviter ceux de son espèce ; ils étaient pleinement conscients de la vie, pensa-t-il. Il pouvait, en temps normal, sentir les êtres vivants autour de lui, l'immensité verte de la forêt, les plus petites créatures, le souffle même de la terre. Les gens comme Xena étaient des choses ignobles au milieu de cette paix. Il était d'habitude facile de les éviter ; il n'avait jamais eu à se demander si quelqu'un comme elle lui voulait du mal ou non, il n'avait qu'à Regarder, puis à disparaître dans le vert impénétrable de la forêt qu'il habitait... Mais ces villageois, à qui il n'avait rien fait, avaient fait quelque chose à sa tête et il ne pouvait plus rien ressentir. Cela lui faisait plus peur que tout ce qu'il avait connu dans sa vie. Il allait devoir prendre des décisions à propos de ces deux personnes basées sur son seul instinct, et cela ne suffisait pas. Comment pouvait-il leur faire confiance ? Faire confiance à Xena ? Impossible. Cette femme avait détruit des villages, tué des enfants innocents. Qu'allait-elle lui faire ? D'accord, elle avait pansé ses blessures. Probablement pour qu'elle puisse lui soutirer toutes les informations qu'elle pouvait avant de le tuer. Non, ça n'avait pas de sens. Peut-être voulait-elle l'exposer comme une bête de foire. Il savait que d'autres de son espèce avaient subi ce sort. Il pouvait entendre des bruits faibles de frottement, et il en conclut qu'elles devaient être tout proches. Il ferait mieux de jeter un coup d'œil et commencer à préparer son évasion. Peut-être même… une idée ! Peut-être pourrait-il même la tuer… quelle joie pour son peuple qui n'aurait plus jamais à s'inquiéter de la Princesse Guerrière ! Son père serait si fier de lui.

 

Les faibles flammes le firent d'abord cligner de l'œil et pleurer, ce qui l'empêcha de voir ce qui était autour du feu. Il patienta, et les ombres devinrent progressivement plus claires. Un campement bien agencé. Un campement de guerrier. Il se sentit tout de suite mieux. Il repéra la forme dorée de la jument pas très loin, entendit le bruit qu'elle faisait en broutant l'herbe. Du mouvement… son œil regarda sur sa gauche, et croisa le regard de Xena, qui était appuyée sur un rocher tout près et polissait son armure. Portant une chemise de lin, elle était allongée sur ce qui ressemblait à une épaisse couverture en fourrure, les jambes étendues et croisées, et avait offert son épaule comme oreiller à la jeune femme aux cheveux blonds qui dormait profondément.

 

Ils se regardèrent en silence pendant un moment, comme deux animaux puissants au cœur de la forêt, tachant de déterminer la menace posée par l'autre. Xena savait très bien de quoi il était capable ; n'importe quel idiot pouvait voir que ce n'était pas un fermier. Mais son œil était intelligent, on devinait une pensée réfléchie derrière le regard, pas la furie aveugle d'une bête. Xena avait le sentiment qu'on pouvait raisonner avec lui. Du moins l'espérait-elle. Elle n'avait pas envie de lui faire encore plus de mal.

 

Ils n'avaient jamais mentionné, pensa Jessan, amusé, qu'elle était aussi belle, pour quelqu'un de sa race. Le stratège militaire hors pair, oui, ça ils l'avaient mentionné. L'absence de pitié, la cruauté, le dédain pour la vie. Il savait tout cela. Et il avait entendu, comme tous les autres, qu'elle avait abandonné sa vie de guerrière et était partie errer dans la campagne, aidant les gens lorsqu'elle le pouvait. Mais ils ne l'avaient pas cru… quelqu'un d'aussi cruel ne pouvait pas changer si soudainement. Comment aurait-elle pu s'arrêter alors qu'elle connaissait, comme son Peuple connaissait, le frisson de la bataille, le feu incomparable qui envahit le cœur lorsqu'on s'apprête à tuer ? L'exultation sauvage du sang qui coule dans les veines comme un vin enivrant ? Le don d'Arès ! Il le connaissait. Il savait qu'elle le connaissait aussi. C'était écrit dans ses yeux, et il n'avait plus qu'à lire. Non, ils n'y avaient pas cru.

 

A présent, sa vie dépendait de lui, s'il était capable de savoir si c'était la vérité, et il n'avait que ses sens physiques et son raisonnement pour l'aider. C'était injuste. Cela aurait été si facile… il n'aurait eu qu'à fermer les yeux, en signe de son éveil, pour voir sa Conscience. A présent, tout ce qu'il pouvait faire, c'était regarder avec cette vision inadéquate, et voir une femme aux cheveux noirs, plus jeune qu'il ne l'imaginait, nettoyer son armure près d'un feu bien entretenu. Arrr. Enfin, elle était seule, à part le barde. Cette partie de l'histoire était vraie, en tous les cas. Et le reste ? Comment pourrait-il le savoir ? Le barde se tourne dans son sommeil, ah, elle ne fait pas de plaisants rêves. Il vit le regard de Xena le quitter et se poser sur Gabrielle, et à présent il pouvait lire les émotions sur son visage alors qu'elle entourait la jeune fille d'un bras et la réconfortait. Ah. Il se sentit soudainement beaucoup mieux. Pour l'instant, au moins, il était sauf.

 

En se réveillant le matin suivant, Jessan sut qu'il survivrait probablement à ses blessures. Les coupures guérissaient, et il ne sentait aucune fièvre les entourer. Les bleus étaient douloureux, surtout celui qu'il avait à la tête, mais il était plus alerte, et ses pensées étaient cohérentes et réfléchies. Il ouvrit son œil valide en entendant des bruits de pas près de lui, et concentra son regard trouble sur le jeune barde aux cheveux blonds qui bientôt s'agenouilla près de lui pour lui offrir l'eau dont il avait tant besoin. Les yeux de Gabrielle croisèrent sans crainte son regard, alors qu'elle l'aidait à boire.

"Bonjour", dit-elle joyeusement. "Bois tout. Tu en as besoin."

Jessan obéit, puis observa le joli visage avec intérêt. "Tu n'as pas peur", commenta-t-il, voyant le sourcil de Gabrielle se lever en entendant sa voix rauque.

"Non", répondit-elle, lui offrant encore de l'eau.

"Tu devrais", grogna Jessan, retroussant les lèvres avec effort pour montrer ses canines. "Même maintenant, je pourrais te tuer avant que Xena puisse m'arrêter."

"J'en doute", siffla une voix basse dans son oreille. Il sentit de l'acier froid contre son cou, et ne fit plus un geste. Son œil doré roula pour croiser le regard bleu de Xena à moins de vingt centimètres de son visage. Arès ! Comment a-t-elle pu s'approcher si près ! Son cœur battait la chamade, jusqu'à ce qu'il réalise que l'acier qu'il sentait n'était que le petit couteau qu'elle avait utilisé pour nettoyer ses plaies, ce qu'elle continuait maintenant à faire autour de son œil enflé.

 

Gabrielle rit doucement. "C'est pas grave. Tu ne l'aurais pas fait, de toute façon." Elle lui offrit un peu de viande grillée. "Après un moment, tu as cette espèce de…je ne sais pas… comme une intuition, sur les gens, quand ils ont l'intention de te tuer ou de te faire du mal, un truc dans ce genre. Je me suis dit que tu n'étais pas comme ça." Elle lui tendit un autre morceau de viande, puisqu'il mastiquait le premier sans rien dire et faisait de son mieux pour ne pas penser à Xena, agenouillée près de lui et tenant une lame contre sa tempe. "Et tu sais, on voit ça assez souvent, parce qu'il y a toujours des gens qui veulent nous tuer ou nous faire du mal, ou un truc dans ce genre." Elle posa une main sur son bras et captura son regard. "Je suis vraiment désolée que ces gens t'aient fait du mal." Il s'arrêta de mastiquer, et la regarda. Après toute une vie de haine venant de gens comme elle, c'en était presque trop. Elle tapota son bras, puis se leva et se dirigea vers le feu.

 

Etonné, il tourna son regard vers Xena qui finissait de panser la blessure qu'il avait à la tête. Elle lui adressa un petit sourire pour toute réponse. "Elle voit le bien partout."

Il réfléchit à ces mots. Peut-être était-ce vrai. Peut-être… "Elle l'a de toute évidence vu en toi", dit-il à haute voix, remportant une petite victoire en lisant l'expression étonnée dans le regard de Xena. Ah… il avait raison. Il se sentit mieux. "Je ne croyais pas que tu avais cessé de tuer." Il observa ses yeux, miroir de l'âme, même dans son cas. "Je le crois maintenant." Il s'appuya sur un coude, et souleva son corps douloureux afin qu'il puisse s'appuyer et lui parler. Il n'allait pas manquer une telle occasion. Il réfléchit un court instant, sachant qu'il allait lui falloir donner des informations avant de pouvoir en obtenir. Il se rendit compte, en ouvrant la bouche pour parler, qu'il avait décidé de leur faire confiance, du moins pour le moment. C'était effrayant, comme s'il venait de sauter du haut d'une falaise sans aucune garantie de survie.

 

"Je suis", commença-t-il, jetant un œil à Gabrielle qui était revenue et s'était assise auprès de Xena, "un enfant d'Arès." Cette déclaration ne tira pas de son auditoire la réaction habituelle de crainte révérencielle.

Gabrielle ricana. "Bon sang, il n'arrête pas une minute."

Xena roula les yeux au ciel. "Evidemment", grommela-t-elle. "J'aurais dû m'en douter."

Jessan les regarda l'une après l'autre, étonné. C'était vrai, alors ? "Vous parlez comme si vous connaissiez Arès", dit-il, sa voix grondante montant un peu comme pour poser une question.

Xena soupira. "Tu veux dire que tu ne le connais pas ?" Elle s'appuya contre une souche d'arbre derrière lui et étira ses longues jambes. "Quel manque de considération de sa part… ce n'est pas que ça me surprenne, remarque." Elle baissa les yeux vers lui. "J'étais autrefois parmi ses Elus." Il soutint le regard de Xena, lui demandant de lui raconter le reste de l'histoire. "Jusqu'à ce qu'un jour je décide de rompre le contrat." Involontairement, son regard se posa sur Gabrielle qui esquissa un sourire pour toute réponse. "Mais je n'ai jamais entendu parler de ton peuple. Qu'êtes-vous exactement ?"

 

Jessan demeura silencieux un long moment, pensant à ce qu'il venait d'apprendre. Elle avait défié Arès. Les rumeurs étaient fondées. "Arès décida qu'il en avait assez des mortels et qu'il voulait créer une armée de guerriers immortels qui lui seraient totalement fidèles." Il s'éclaircit un peu la gorge et Gabrielle se pencha en avant pour lui passer l'outre d'eau. "Merci", répondit-il d'un ton bourru. "Il nous créa en mélangeant le sang d'un lion à celui d'un homme et fit de deux races un seul peuple." Il but une longue gorgée d'eau. "Nous sommes plus forts que votre peuple, et aussi féroces que des lions, et nous vivons pour la bataille et la mort." Il leva son menton et leur assena son meilleur regard de guerrier redoutable.

 

Les lèvres de Xena esquissèrent un sourire. "Ah. Je vois," fit-elle sobrement. "Alors, que s'est-il passé ?"

Le grand guerrier soupira. "Aphrodite."

"Ohhh...." firent ensemble Xena et Gabrielle, ne comprenant que trop bien.

 

"Elle le surprit alors qu'il finissait sa création. Il commit l'erreur de la laisser avec nos ancêtres un très court instant." Il regarda la lumière du matin. "Elle fit de nous des mortels. Elle nous donna une âme, et la volonté de la connaître. Et… " Il s'interrompit, le chagrin lui serrant la gorge et coupant ses paroles. Il baissa les yeux, puis après un moment, releva de nouveau la tête vers leurs visages graves mais attentifs. "Et elle nous donna la capacité d'aimer." Ah...Devon, pleurait son cœur. Respirant un grand coup, il s'efforça de chasser ses souvenirs, et s'éclaircit la gorge. "Il y a six ans, pas très loin d'ici, des gens comme vous encerclèrent trois d'entre nous, et tuèrent ma Devon avec des flèches, comme des lâches." Férocement, avec défiance, il leva les yeux pour croiser leur regard, espérant, mais il ne savait pas quoi. "Elle portait notre fils." La colère avait envahi ses mots. "Nous n'avions rien fait… à votre peuple. Rien." Gabrielle le regardait, horrifiée. Elle se pencha en avant et serra son bras avec sympathie.

 

Xena secoua la tête, puis lâcha un long soupir. "Je suis désolée." Elle étudia Jessan avec attention, remarquant qu'il serrait et desserrait ses énormes poings. "C'était cruel de la part d'Aphrodite."

Jessan posa les yeux sur elle. "Cruel ? Pourquoi ?" demanda-t-il, curieux. "Plus cruel que votre peuple qui l'a abattue de sang froid ?" "Nous vivons dans un monde cruel, Jessan", répondit Xena. "Le plus grand risque que l'on prend, c'est d'aimer quelqu'un." Son visage était dénué d'expression. "Je ne vais pas me sentir responsable de tous les actes, bons ou mauvais, de mon peuple, mais je suis désolée, pour toi, et pour Devon. " Puis elle se leva tout à coup et partit rejoindre Argo.

 

"As-tu jamais regretté d'être tombé amoureux, Jessan ?" demanda doucement Gabrielle. Elle observait son visage, alors qu'il réfléchissait à sa réponse. Il n'était pas si terrifiant que ça à regarder, une fois qu'on y était habitué. Son visage, bien que meurtri, avait une certaine noblesse. Probablement un cadeau d'Aphrodite, pensa-t-elle, je suis sûre qu'Arès se moque qu'ils soient mignons. Les crocs, ça oui, c'était du pur Arès. Le nez retroussé, par contre, c'était Aphrodite à ne pas en douter.

"Non, Gabrielle, je ne l'ai jamais regretté, ni avant, ni maintenant", finit-il par répondre, bien que ses mots le surprennent lui-même. "Tu sais, Xena a raison. Nous vivons par l'épée, et nous savons que ce genre de chose peut arriver. Nous sommes ce que nous sommes, après tout." Il soupira. "Non, ça en valait vraiment la peine." Cette pensée semblait le réconforter, car il releva la tête vers elle avec une expression plus apaisée sur le visage. "Merci de me l'avoir rappelé."

Elle lui sourit, puis se leva. "Excuse-moi une minute."

 

 

Avec un soupir, il se rallongea et cligna des yeux. La conversation avait pris un tournant inattendu, pensa-t-il. Il se passe des choses qu'on ne me dit pas ici. Il étira ses jambes et ses bras douloureux. Il ferma les yeux et tenta une nouvelle fois de Regarder… non. Comme si on lui avait mis un sac sur la tête. Il soupira. Pouvait-il être certain à leur sujet ? Non… mais il ne parvenait pas à les haïr non plus, comme il se devait de haïr les gens qui avaient tué Devon. Mais ces deux-là n'étaient pas comme les villageois. Il le savait. Devait-il écouter son cœur ? Non, trop dangereux, pour lui et pour son peuple. Ils n'avaient vraiment pas besoin de Princesses Guerrières.

 

Xena s'éloigna d'eux, l'esprit troublé. Ce qu'elle avait dit à Jessan était la vérité. Gabrielle faisait encore des cauchemars à cause de sa mort ; ce que la jeune femme avait dû endurer à cause d'elle ! Quel droit avait-elle de lui imposer cela ? J'aurais dû suivre mes propres conseils, pensa-t-elle sombrement. Trop tard. Elle s'assit sur un rocher pour réfléchir et se reprendre, puis attrapa rapidement son armure lorsqu'elle entendit le barde s'approcher. Elle leva la tête vers Gabrielle qui vint s'asseoir près d'elle.

"Ça va ?" demanda doucement le barde, observant son visage.

"Ouais", répondit-elle, nettoyant son armure.

Gabrielle se pencha vers elle et lui murmura à l'oreille : "Tu mens."

Ceci lui valut un demi-sourire. "Ouais", souffla Xena. "Ça m'a rappelé que je sais ce qu'on ressent quand on meurt."

"Oh…" fit Gabrielle d'une petite voix.

Xena lui jeta un coup d'œil. "Tu regrettes d'avoir posé la question ?"

"Non", répondit le barde en souriant. "Je suis contente que tu m'aies répondu." Elle posa doucement sa tête sur l'épaule de Xena. "Alors… qu'est-ce qu'on va faire de lui ?"

"Hmm", fit la grande guerrière. "Ça dépend de ce qu'il veut faire, vraiment. Il est loin de chez lui. Je me demande comment il a atterri ici." Gabrielle haussa les épaules. "On n'a qu'à lui demander ?" Elle regarda de l'autre côté du campement. "Je l'aime bien. Je sais qu'il fait plutôt peur, et qu'il est probablement dangereux, mais il y a quelque chose de si doux en lui..."

"Ouais", répondit brièvement Xena. "Quelque chose."

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