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Au nom de Dieu

Page history last edited by Fausta88 14 years, 8 months ago

FANS FICTIONS FRANCOPHONES

Entre elles

 

Au nom de Dieu…

 

Auteur : Minuit

 

Contes_de_minuit@yahoo.fr

 

 

Résumé : La rencontre d’une bande d’amis sur Internet conduit au tournage d’une parodie de série télé. Parmi eux, deux jeunes femmes, dont l’une est mère d’un petit garçon de deux ans. L’amour naît, passionnel, mais la société, la peur et la religion ne tardent pas à se mettre entre elles…

 

Note de l’auteur : C’est juste une histoire qui s’est déroulée, il y a environ quatre ans. Tout y est vrai. Le départ est un peu lent, mais j’ai tenu à replacer les choses dans leur contexte. On ne peut, dans cette histoire, lire qu’un seul point de vue, l’auteur n’ayant pas eu la chance de savoir ce que pensait la "jolie rousse"… Les noms des protagonistes de l’histoire ont été changés mais tous existent. J’ai dû mélanger l’ordre chronologique, mais dans l’ensemble, les choses se sont déroulées de cette façon.

Note 2 : Les personnages de Stargate SG1 sont la propriété de leurs auteurs, et je ne fais que les citer, parce que la série est le point de départ de la rencontre de toutes les personnes de cette histoire, sans en retirer de profit.

 

Avertissement : C’est une histoire d’amour entre deux femmes. S’il y en a que cela dérange, qu’ils passent leur chemin. Fanatisme religieux, violence verbale

 

Chapitre 1

L’automne ne comptait pas parmi les saisons préférées de la jeune femme brune qui marchait à une allure assez vive sous un vent froid de fin novembre. Elle resserra l’emprise qu’elle exerçait sur l’écharpe qui lui protégeait les cheveux et le cou. La nuit était déjà tombée, ce qui n’était pas pour la rassurer, dans ce quartier de banlieue ; elle habitait un immeuble résidentiel situé en plein cœur d’une cité réputée pour être assez chaude. Elle n’avait pas vraiment choisi, se rappela t-elle : avant d’emménager, elle avait vécu près de cinq mois chez un couple d’amis et ses nerfs commençaient à craquer, aussi, dès qu’elle avait vu l’appartement, elle avait aussitôt acheté, sans regarder le quartier. Elle regrettait, à présent. Un dernier virage, avant la ligne droite qui la mettrait face à sa porte d’entrée. Il était presque impossible de se garer plus près. Chaque soir, c’était la même chose : les meilleures places étaient prises, elle se retrouvait de l’autre côté des immeubles, dans une rue mal éclairée. Elle était toujours la dernière à quitter le bureau. Après trois quarts d’heure d’embouteillage monstrueux, elle retrouvait ce qu’elle était bien obligée d’appeler son chez elle.

 

Bien entendu, l’appartement était sombre. Vide. Comme chaque soir, depuis six mois. S’enfermant à double tour, Anne alluma la lumière et jeta sa veste sur le porte-manteau. Par habitude, elle alluma la télévision ; pour le bruit de fond. Six mois, déjà, songea t-elle en se déshabillant dans la salle de bains. Son reflet dans le miroir lui montra que ces six mois ne l’avaient pas arrangée : des cernes, sous les yeux presque noirs, un teint qui avait perdu son éclat… Elle ne dormait plus depuis des mois, croulant sous les problèmes d’argent, les souvenirs et surtout, l’amertume d’avoir été trompée à ce point. Et quand elle s’endormait, les cauchemars étaient pires que de rester éveillée ; la chanson de Barbara, intitulée Les Insomnies, elle la fredonnait souvent, ces temps-là : "J’aime mieux vivre en enfer que de dormir en paradis" … Elle sortait d’une période où elle avait été manipulée de droite à gauche. Deux camps s’étaient formés, à l’époque. Elle recevait des appels de gens qu’elle ne connaissait même pas, qui lui proposaient leurs services pour donner une leçon à ce salaud. Elle refusait encore à présent de le nommer par son prénom… Il s’était fait plus d’ennemis que la jeune femme ne l’aurait pensé. Jean-Pierre, (cet adorable garçon qu’elle avait rencontré grâce à lui) avait son numéro, et il avait dû subir aussi les arnaques de son ex ami et il n’avait pas l’intention d’en rester là. Il l’avait contactée, il avait mis d’autres personnes en relation avec elle. Un complot se préparait. Elle refusait, pourtant, de se livrer à ce jeu là. Un jour, elle en a eu tellement marre, qu’elle n’avait plus donné de nouvelles à personne. Au bout de quelques jours, il était venu à la maison. Il avait l’air hagard d’une personne qui avait passé une nuit blanche. Il lui avait avoué qu’il avait reçu un coup de fil paniqué de la mère de la jeune femme, qui était furieuse ; elle lui avait dit que personne ne savait où se trouvait sa fille, ce qu’elle était devenue… Alors, il était venu aux nouvelles, en ayant presque la certitude qu’il allait la trouver morte. Elle était blessée dans son amour-propre, mais vivre sans lui, elle pouvait. Même quand il vivait avec elle, ils étaient souvent loin l’un de l’autre, par la pensée. Elle lui avait alors raconté ce que qu’elle avait appris de ses amis, de leurs intentions, sans rien lui cacher du mépris qu’elle éprouvait pour lui. Il était déçu de voir qu’elle ne le croyait pas. Il affirmait qu’ils étaient dans le même camp et qu’il ne comprenait pas qu’elle ne lui fasse pas confiance. Elle avait eu droit au discours qui lui rappelait qu’il avait été mon meilleur ami, avant de devenir son associé… Toujours est-il qu’elle avait refusé de le croire. Elle lui avait répliqué que si elle ne trempait pas dans les magouilles des autres, elle n’étais pas aveugle néanmoins et qu’elle savait qu’il l’avait volée ; toutes ses économies étaient passées dans cette affaire qu’il avait fait paraître florissante. Son arnaque, il l’avait masquée sous un cambriolage. Elle ne l’avait plus jamais revu. Les dernières nouvelles qu’elle avait eues, c’était au mois de juillet, il l’avait appelée pour lui annoncer qu’il avait le Sida. Elle avait été atterrée, désemparée… sur le moment. Le lendemain, elle avait réalisé que c’était certainement une histoire de plus qu’il avait inventée….

 

"Il faut laisser cette histoire derrière moi, murmura t-elle. Je n’y peux plus rien, de toutes façons…"

 

Passant dans la cuisine, elle se fit un plat de pâtes, avant de se mettre devant son ordinateur portable. Elle se connecta sur MSN, sûre d’y rencontrer quelqu’un. Depuis quelques temps, elle avait fait la connaissance d’un groupe de personnes amusantes qui partageait la même passion qu’elle pour une série télévisée. Depuis, ils se rencontraient chaque soir sur Internet. Elle ne se trompait pas, ils étaient déjà quelques uns à êtres connectés. Bientôt, viendraient les autres…

 

L’écran de l’ordinateur était sûr : là, elle ne risquait plus de se brûler les ailes. Elle nouait quelques relations qui n’étaient que superficielles. Elle ne faisait plus confiance, ni en amitié, ni en amour. Elle eut un sourire ironique : non, elle avait toujours ses deux meilleures amies : Catherine et Emmanuelle. Elles se connaissaient depuis l’enfance et elles restaient plus soudées que des sœurs. Mais l’une vivait une histoire d’amour compliquée combinée avec son métier prenant d’hôtesse de l’air, ayant peu de temps à lui consacrer et l’autre était religieuse dans un couvent à l’autre bout du monde. Bientôt, elle se laissa emporter par les conversations qu’elle avait intégrées.

 

"Nous organisons un repas, samedi prochain, lut-elle. Comme nous habitons tous la région parisienne, il serait amusant qu’on se rencontre. Qu’en penses-tu ?"

 

Ce qu’elle en pensait : alerte rouge, ces gens vont envahir ton espace privé. Tu n’as pas à te lier avec eux plus que tu ne l’es… Ses peurs lui dictaient cette conduite. Mais elle se sentait désespérément seule. Elle accepta en se traitant de folle. Jamais elle ne pourrait tenir une soirée avec de parfaits inconnus ; déjà qu’elle avait du mal, en ce moment à parler avec ceux qu’elle connaissait bien !

 

Elle avala son repas en se demandant si elle avait bien fait. Sa vie n’était-elle pas assez compliquée comme ça ? Elle coupa court à ses réflexions en se disant que cette soirée ne l’engageait à rien et lui permettrait juste de sortir un peu de chez elle.

 

 

 

*****************************

 

Chapitre 2

 

 

 

Le samedi arriva plus vite qu’Anne ne l’aurait voulu. Elle avait encore passé une nuit blanche et le miroir lui confirma qu’elle avait une tête à faire peur. Elle fit une sieste, l’après-midi, afin d’essayer de réparer les dégâts, mais ce n’était pas qu’une nuit d’insomnie qu’elle avait à rattraper ! Après tout, peu lui importait, elle ne devait rien à personne. Ces gens la prendraient comme elle était ou pas du tout. Le maquillage l’aiderait peut-être à dissimuler un peu la fatigue qu’elle accusait.

 

La veille, elle avait choisi la tenue qu’elle porterait : un vestige de la Grande Epoque du luxe, comme elle appelait les deux années où elle accompagnait celui qui l’avait ruinée aux soirées données par leurs richissimes clients. Il s’agissait d’un haut à manches longues en voile noir, passé sur un fourreau noir signé Versace, qui restait malgré tout très simple. Anne adorait ce genre de mélange des genres : prêt à porter et couture. Personne, de toute façon, ne remarquerait quoique se soit. Elle soupira en se voyant : son reflet la désespérait de jour en jour. Elle avait grossi : les nerfs l’avait toujours conduite à manger. "On dirait Morticia Addams, songea t-elle en voyant la pâleur de son teint presque trop blanc." Elle prit son manteau et l’écharpe rouge qui devait être leur signe de reconnaissance et sortit dans la nuit…

 

Paris était une ville qu’Anne avait adorée autrefois. Elle y avait passé d’inoubliables moments. Cette nuit là, elle avait encore au cœur ce pincement d’excitation qu’elle éprouvait à chaque fois qu’elle y entrait. Seule, se dit-elle. Finie, les soirées folles dans un monde totalement superficiel où l’argent coulait à flots. Après tout, cela valait mieux. Ce soir-là, elle tournait définitivement une page de sa vie et elle en était consciente. Elle reprendrait sa vie en main. Elle le décida en entrant dans le quartier de l’Opéra Garnier. Elle aimait bien, mais ce n’était pas l’endroit de Paris qu’elle préférait. Les places de parkings sont extrêmement rares, un samedi soir, dans un tel lieu. Elle avait eu le temps de tourner trois fois autour du pâté de maison avant d’aviser un parking souterrain, ce qui lui avait laissé le temps de repérer le groupe qui attendait devant le restaurant. Au fond, elle s’étonnait encore de se trouver là, prête à rencontrer de parfaits étrangers. Cela ne lui ressemblait tout simplement pas.

 

La voiture garée, elle se dirigea vers le lieu de rendez-vous, devant un grill-restaurant à deux pas de l’Opéra, pas très sûre de ce qu’elle faisait. "Je ne ressemble plus à rien, physiquement. Je suis usée, ne cessait-elle de se répéter." Malgré ce qu’elle voulait se persuader, elle avait peur que son apparence physique ne lui soit défavorable auprès des autres : elle avait longtemps vécu dans un milieu où cela avait son importance. Ne se raillait-elle pas souvent autrefois, quand il la sortait dans ces soirées mondaines en se disant qu’elle n’était qu’un élément décoratif, même s’il lui répétait parfois qu’il valait mieux être intelligente que belle, lui montrant ainsi qu’elle ne lui plaisait pas, physiquement ? Ce fut avec son bagage de fatigue, de timidité et son armure de princesse hautaine, qu’elle alla vers ces inconnus.

 

Ils étaient en cercle et attendaient visiblement encore du monde. On lui demanda si elle était bien Anne, et elle répondit que c’était bien elle. "On est plus originaux, sur le Net, ironisa t-elle in petto." Une bise à tout le monde. Enfin, quatre, c’est la tradition, par ici, si bien que souvent, quand elle rentrait chez elle, dans son île, elle était perdue, sur le nombre, et c’était la même chose au retour. Ils attendaient encore deux autres filles, Nan et Lucie. Quand tout le monde fut arrivé, ils entrèrent enfin dans ce restaurant. Elle avait trop froid et se rendait compte qu’elle avait fait une erreur en venant. Elle se sentait totalement incapable de faire face à ces gens. Elle était vraiment paniquée.

 

Elle n’avait pas eu le temps d’examiner tout le monde. Une fois assise, en bout de table (toujours se garder une sortie de secours !), elle se mit en devoir de regarder ceux qui l’entouraient. Ses plus proches voisins : à sa gauche, un dénommé Cédric ; la trentaine, d’une banalité déconcertante, un rien antipathique. Rien à voir avec celui qui discutait sur Internet. A droite, Lise, seize ans, une fille qui ne semblait pas timide du tout. En face, Phil ; rien d’extraordinaire non plus et pourtant, elle s’entendait plutôt bien avec eux, sur le Net. Ses voisines : Sandra, presque vingt sept ans, avec qui, sur MSN, Anne avait bien accroché, et qui semblait aussi naturelle qu’elle l’était derrière son écran, ce qui rassura la jeune Créole. L’autre, c’était Ophélie, dix-sept ans bientôt ; une très jolie fille, qui n’arrêtait pas de sourire, visiblement heureuse d’être là. Et les autres : Lucie, Audrey, Nan, Hervé… Anne eut tôt fait de le juger : c’était le genre, monsieur je crois que je suis un tombeur… Lucie en avait d’ailleurs l’air d’être tout à fait persuadée qu’il était un être à part. Nan, elle, jolie fille, ne lui était pas non plus très sympathique et elle se demandait ce que diable elle faisait là. Audrey… Malgré l’air qu’elle se donnait, Anne voyait en elle une timide. C’était le genre de fille qui donnait l’impression que rien ne pouvait l’atteindre, et par là même, Anne demandait de quoi elle avait peur, au fond.

 

Si elle avait l’impression qu’Audrey cachait une quelconque peur, Anne était elle même terrorisée. L’ambiance était pourtant cordiale. "Allons, c’est que je n’ai plus l’habitude de voir du monde…et que je n’ai jamais fréquenté des gens comme eux, d’ailleurs…" Ils étaient chahuteurs, c’était le moins que l’on pouvait dire. Les plus jeunes venaient de commencer une bataille de boulettes de papiers à travers la table… Anne n’attendait que le moment où les serveurs allaient les mettre à la porte… ce qui n’arriva pas, en dépit de l’entrée de quelques uns des plus âgés dans le jeu. Elle n’arrivait, quant à elle, à décrocher un seul mot. Juste un sourire poli, de temps en temps, et parfois, elle ne pouvait retenir un de ces regards hautains qui faisaient dire à sa sœur qu’elle donnait l’impression de se prendre pour une déesse qui fait l’honneur à des mortels de les honorer de sa présence. Elle n’y pouvait rien, c’était une défense qui était devenue, au fil du temps, presque automatique. "Défense contre quoi, Anne ?… La vie, je pense. Je ne l’ai jamais aimée."

 

La conversation tournait, bien entendu, autour de la série télé, Stargate, mais il n’y avait pas que ça. Elle commençait à se détendre un peu, maintenant, mais elle était toujours incapable de parler, se sentant étrangère parmi eux : elle avait grandi dans un milieu très bourgeois où elle avait appris à être posée et réservée, et le milieu qu’elle fréquentait quelques mois plus tôt encore ne l’avait pas non plus préparée à cette sorte de personnes.

 

Le repas se passa dans cette ambiance survoltée, où Anne essayait de ne pas s’enfuir par la première porte de secours qui se serait présentée. Elle remercia les dieux de la présence de Sandra à ses côtés : leurs contacts sur MSN s’étaient toujours bien passés et la jeune blonde essayait de la mettre à l’aise.

 

Ils quittèrent le restaurant pour un bar, situé à quelques pas du quartier Drouot. Pour Anne, ce fut un nouveau coup au cœur. C’était terrible, de ne pas pouvoir s’empêcher de revoir ces lieux sans se sentir mal… Là-bas, à quelques pas, elle venait chaque semaine ou presque pour les ventes aux enchères, trouver les objets rares qui allaient approvisionner ce magasin d’antiquités sensé lui donner un salaire plus que raisonnable ; de la poudre aux yeux… Chassant les souvenirs, elle s’assit à cette table de bar, écoutant les autres discuter encore bruyamment. Elle avait besoin de s’échapper : en plus du bruit de ses compagnons, le bar était bondé et Anne avait toujours ressenti de l’angoisse à se trouver au milieu d’une foule stagnante. L’occasion se présenta, quand Ophélie annonça qu’il était temps qu’elle rejoigne ses parents. Sandra propose de l’accompagner au lieu de rendez-vous, et Anne en profita pour se joindre à elles. L’air frais lui fit du bien !

 

Ophélie était ce qu’on pouvait appeler un joyeux luron. Anne n’avait eu aucun mal, au cours de la soirée, à se la représenter en un petit lutin, sorti d’on ne savait quelle contrée magique, pour rendre les gens heureux ; elle avait été amusée par la réaction de l’adolescente à chaque fois qu’elle était photographiée : celle-ci se mettait à sourire de toutes ses dents, comme par réflexe... Sandra était différente, Anne sentait qu’elle pourrait vraiment s’entendre avec elle. Une fois le lutin livré à ses parents, elles reprirent la route, et Sandra fit son possible pour essayer de faire parler sa silencieuse compagne qui essayait de répondre de son mieux tout en se sentant pitoyable d’en être à ne plus savoir discuter : le résultat de six mois de réclusion.

 

"J’espère qu’on ne t’a pas trop effrayée, disait Sandra.

 

- Non, ce n’est pas ça… Je n’ai pas l’habitude, c’est tout."

 

A quoi bon tout expliquer ? Elle n’arrivait pas elle-même à mettre ses idées en place. Bizarrement, elle fut aussi contente de retrouver le groupe. A croire qu’elle se commençait à se plaire, avec eux. Danger, lui criait son côté négatif. "On verra bien… répliqua t-elle".

 

Au cours de cette fin de soirée, elle se surprit à examiner avec plus d’attention la jolie rousse aux yeux verts qui s’était présentée sous le nom d’Audrey. Elle avait déjà lu des écrits de cette jeune femme. En effet, la plupart d’entre eux étaient des auteurs de ce qu’on appelait fan fictions, des récits où ils mettaient en scène les héros de leur série favorite. Elle avait aimé le style de la jeune femme. Sans la connaître encore alors, elle avait comme ressenti quelque chose, une connexion avec elle, lorsqu’elle la lisait. Elle comprit que dans l’une de ses fans fictions, Audrey s’était en fin de compte décrite, en racontant l’histoire d’un jeune sergent de l’armée de terre française qui était en mission au Stargate Command. Anne se souvint mot à mot de cette phrase, issue de l’histoire écrite par Audrey : "Oh, aurais-je oublié de me présenter ? Je suis le Sergent Catherine Robert plus communément appelée Pit depuis que quelqu’un a lancé l’idée que le Pit-Bull et moi devions avoir des gènes en commun." La jeune brune sourit en se disant qu’elle ne devait pas avoir menti sur ce coup-là : elle devinait que cette jeune femme, véritablement sergent dans l’armée de terre, serait prête à mordre à la moindre occasion. Et Anne adorait ce genre de caractère ; c’était en partie ce qui lui plu dans la fan fiction d’Audrey et la raison pour laquelle cette jeune femme avait été la seule à qui elle avait écrit un feedback de félicitations. Sur Internet, elles s’étaient déjà parlées plusieurs fois. Mais ce soir-là, rien. "J’aimerai pourtant qu’on soient amies."

 

La soirée tirant à sa fin, Anne regagna sa Fiat dans la parking souterrain. En démarrant, elle eut son premier sourire joyeux depuis un semestre : malgré son mutisme assez handicapant, elle avait eu envie de revoir les autres. La différence d’âge, et probablement de milieu, qui l’avaient effrayée au départ, ne semblaient plus avoir autant d’importance.

 

"Quelques-uns d’entre eux sont probablement de la race de Joseph, se dit-elle en faisant référence à la vieille expression de sa mère, empruntée à un auteur canadien du siècle dernier pour parler de gens avec qui elle avait des atomes crochus."

 

Oui, elle pressentait en certains d’entre eux l’essence précieuse des âmes sœurs. Ce terme, pour elle, n’avait jamais désigné deux personnes faites pour vivre un amour, mais bien des personnes – et pas une – unies par un idéal commun et une amitié indéfectible.

 

Dès le lendemain matin, elle eut un appel de sa mère. Celle-ci voulait tout savoir. A vingt quatre ans, Anne restait à ses yeux sa "petite fille" et elle s’était inquiétée de la savoir partie rencontrer des inconnus qu’un hasard nommé Internet avait mis sur sa route. D’un autre côté, comme elle l’expliqua à Anne, elle était de rassurée de voir qu’elle se remettait à sortir.

 

 

Chapitre 3

 

 

 

Anne n’avait pas eu une seule minute à elle, ce jour-là : elle recevait chez elle le groupe. Un mois et demi s’était écoulé depuis leur première rencontre. Les autres avaient eu le temps de se revoir plus d’une fois, depuis novembre, mais la jeune brune avait été passer les fêtes dans sa famille, à l’île de la Réunion. Le mois qu’elle avait passé sur son île n’avait pas été de tout repos. Elle avait eu ce besoin de se replonger dans l’univers familial, de renouer avec ses racines. Revoir le soleil et l’Océan Indien lui avait permis de se régénérer.

 

Elle avait vingt ans, quand elle avait quitté l’île. Depuis qu’elle avait eu dix huit ans, elle ne rêvait de que partir. L’occasion s’était présentée, lorsque son meilleur ami – ce faux jeton – l’avait appelée un soir, lui disant qu’il était temps qu’elle le rejoigne enfin. Elle souhaitait connaître autre chose, vivre autrement, loin de tout ce qu’elle savait. Elle pensait que c’était pour elle le seul moyen de découvrir qui elle était. D’une certaine façon, elle y était parvenue. Mais cette dernière année, si riche en épreuves l’avait épuisée tant au point de vue moral que physique. D’ailleurs, en sortant de son avion, quand elle avait revu ses parents, son père lui avait la remarque : "Tu ressembles à une vieille fille malade !" Elle avait soupiré : ça faisait plaisir ! Mais elle eut l’honnêteté de reconnaître que c’était vrai. "Je suis une vieille fille, papa, et je suis malade, avait-elle répliqué." Du coup, dès le lendemain, sa mère l’avait envoyée chez le coiffeur, certaine que dans son état d’abattement elle n’opposerait aucune résistance : elle en était revenue avec les cheveux coupés très courts. Cela ne lui était jamais arrivé. Elle avait l’impression d’être déguisée en petit garçon.

 

Elle avait profité de son séjour sur l’île pour donner une représentation d’une pièce de théâtre en créole qu’elle avait écrite ; cette pièce était une parodie de la société créole des années 50, qui n’avait pas tellement évoluée depuis, d’ailleurs. Elle avait utilisé et accentué au maximum les traits de caractères du peuple dont elle était issue et la caricature avait séduit le public. Les répétitions avaient commencées bien avant son arrivée. Elle y tenait le rôle d’une jeune fille de l’époque, riche et naïve, que convoitait un coureur de dot. La petite troupe était composée des membres d’un groupe paroissial, Jeunesse Espérance, fondée par son frère et sa sœur. Elle était la plus âgée de tous mais s’entendait très bien avec eux. Sauf un. Un dénommé Julien, qu’elle avait, comme les autres, connu quand il était encore en maternelle. C’était le genre de gamin qu’aucun parent ne souhaiterait avoir. Un jour, deux ans plus tôt, son frère avait invité toute une bande de copains pour une piscine party. Ils étaient restés seuls à la maison. Anne était arrivée au moment où Julien, sur le toit de la maison, s’apprêtait à plonger. Il fut ramené chez lui par la peau des fesses… Au bout de la seconde répétition, Anne l’avait renvoyé de la troupe, sans lui demander son avis, avec interdiction de pointer le bout de son nez devant elle tout le long de son séjour.

 

Dans le même temps, lors d’un concours de circonstances, elle avait été engagée pour jouer le roi Hérode dans une Nativité de la télévision locale. En fait, elle avait été invitée par sa marraine à venir photographier les répétitions : la plupart des membres de sa famille paternelle faisait partie du spectacle, soit pour les danses, soit comme acteurs, soit à la technique. L’homme qui jouait Hérode les avait lâchés une semaine avant la première. Le metteur en scène s’arrachait les cheveux.

 

"Anne peut le remplacer au pied levé, déclara Reine-May, sa marraine. Elle est douée, vous savez.

 

Alors, le metteur en scène avait levé sur elle un regard plein d’espoir de chien battu.

 

- Vous pourriez ?

 

- Montrez-moi le texte. Je vais voir si je peux le mémoriser assez vite."

 

De fait, pendant les répétitions des premières scènes, elle l’avait appris. Son amour inné pour la comédie la poussait en avant, dans ce genre de circonstances. Stargate, une fois de plus, l’influença : elle joua Hérode en copiant son personnage sur celui d’Apophis.

 

Les deux pièces avaient été un véritable succès, chacune à leur échelle.

 

Elle avait continué à rencontrer les autres sur MSN ; elle était encore à la Réunion, quand elle avait décidé de les inviter chez elle le vendredi suivant son retour en Métropole. Et la date était arrivée plus vite qu’elle ne l’aurait pensé. Elle cuisina le poisson qu’elle avait elle-même pêché, une dorade coryphène, à bord du Calliopée, le bateau de sa famille. La pêche au gros était un de ses hobbies. Elle se souvenait, en même temps des informations qu’elle avait eues, grâce à cette invitation, concernant Audrey, cette jeune rousse qui l’avait tant intriguée lors de leur première rencontre. Elle avait été surprise en découvrant que la jeune femme était la mère d’une enfant de trois ans. Le personnage de maman ne lui allait pas du tout ; il ne collait pas à l’image qu’elle avait donnée d’elle-même lors de la première soirée. Quand Anne avait lancé son invitation, Audrey l’avait d’abord déclinée : elle ne savait pas quoi faire de son fils. Le premier choc passé, elle lui dit de l’emmener, simplement et qu’il pourrait dormir sur le lit.

 

Ses nouveaux amis furent ponctuels et arrivèrent tous en même temps. Sandra portait une table, et elle avait chargé Cédric et Phil des deux bancs : Anne lui avait demandé ce service, sa table n’étant pas assez grande. Audrey lui présenta son fils : un très beau petit garçon brun aux joues rouges. Il s’appelait François. Anne se demandait où était son père mais se garda bien de poser la question.

 

"Entrez tous. J’ai presque fini, à la cuisine. Mettez-vous à l’aise.

 

- Tu as besoin d’un coup de main ? proposa Sandra.

 

- Si tu veux bien servir à boire aux autres, se serait gentil. Il me reste juste quelques petites choses à finir.

 

- En tout cas, ça sent bon, dit Lucie de sa voix cassée au timbre particulier. Au fait, Nan n’a pas pu venir, elle est malade. Elle s’excuse."

 

Anne eut un imperceptible plissement des lèvres et une fugitive lueur froide s’alluma dans ses yeux, signe qu’elle était contrariée. Non pas que l’absence de Nan lui importait réellement, c’était juste le principe : il coûtait quoi de prévenir elle-même et à l’avance qu’elle avait un empêchement ? Lise l’avait bien fait, elle !

 

De la longue cuisine où elle finissait les fritures qui constitueraient l’entrée, elle entendait les autres ; ils étaient vraiment turbulents, se dit-elle. Elle se rappela leur première soirée ensemble. François, qui au début était timide, commençait à se familiariser et Anne l’entendait rire lui aussi. Elle arriva dans le salon, les bras chargés des plats de samoussas, ces petits triangles fourrés et frits dont les Indiens Malabars avaient ramenée la recette au temps de l’esclavage dans son île natale, ainsi que les bouchées chinoises frites.

 

Les plaisanteries, au cours du repas furent nombreuses. Sandra avait un don inné pour sortir des phrases à double sens sans jamais s’en rendre compte. Anne fut secrètement contente de voir qu’Audrey avait le même sens de l’humour qu’elle. Cette fille l’attirait, sans qu’elle comprenne d’où cela venait. "Si je croyais aux vies antérieures, je dirais qu’on se connaissait autrefois, pensa t-elle." Ou alors, c’était juste le paradoxe qu’elle semblait représenter qui était tellement attractif. Toujours était-il que la jeune brune maudissait sa timidité qui était un barrage pour qu’elle se lie davantage à la jolie rousse et qu’elle s’en fasse une véritable amie. Elle l’aida à trouver la chambre pour coucher son fils, à la fin du repas. Pendant qu’Audrey passait quelques temps avec François pour l’endormir, Anne revint auprès des autres.

 

"Tu as lu qu’une convention Stargate serait bientôt organisée en France, Anne ? demanda Ophélie.

 

- Non, mais je serais contente d’y assister.

 

- Moi aussi, approuva Lucie. Dommage que Richard Dean Anderson ne vienne pas. Il est trop bon, ce mec !"

 

Un éclat de rire suivit la déclaration convaincue de la jeune fille. Nul n’ignorait l’adoration quasi fanatique qu’elle vouait à l’acteur.

 

"A ce propos, rappela Phil, ça va bientôt commencer : si on allumait ?"

 

En effet, ce soir-là, la télévision repassait le pilote de leur série.

 

"Et vous évitez de faire du bruit, s’il vous plait, dit sèchement Audrey en revenant dans la pièce. Mon fils vient de s’endormir et celui qui le réveille va s’en occuper, je vous préviens."

 

L’autorité de la jeune rousse semblait devoir accompagner même ses plaisanteries. Sandra, qui la connaissait mieux que les autres, la surnommait parfois la Barbare. Connaissant l’épisode qui passait par cœur et désespérant de toute façon entendre quelque chose à part les commentaires des filles sur la plastique de Richard Dean Anderson, ceux des hommes sur celle d’Amanda Tapping, Anne se mit à réfléchir : elle venait de franchir une étape. Elle réapprenait à se conduire en société, bien qu’elle n’ait pas l’habitude de ce genre de personnes. Elle se surprit à se sentir bien.

 

 

 

********************************

 

 

 

 

Chapitre 4

 

 

 

Depuis que l’Autre Escroc l’avait ruinée, elle avait été contrainte de travailler comme hôtesse d’accueil au service formation d’une grande société d’informatique américaine qui avait une succursale à la Défense. L’avantage était que lorsque ça circulait bien, c’était proche de son domicile et qu’elle n’y avait pas grand-chose à faire. L’inconvénient était qu’il était rare que ça roule bien et qu’elle n’avait pas grand-chose à faire. Sans compter qu’elle avait des journées de dix heures, sans pause repas… Elle s’y ennuyait mortellement, malgré la gentillesse du personnel avec lequel elle travaillait : Marie-Dominique, sa chef de service, Amélie, l’assistante, William, le professeur d’anglais, et deux consultantes, Justine et Mathilde. Passaient aussi tous les stagiaires et leurs formateurs, ce qui permettait d’avoir tout de même à certaines heures de la journée un peu d’animation. Parce qu’en général, le silence qui régnait dans son grand bureau vide était impressionnant. Ce poste lui avait donné le temps d’écrire la plupart de ses fan fictions, ainsi qu’un roman sur le pharaon Akhenaton et la reine Néfertiti, intitulé Akhet-Aton ou un Rêve Egyptien qu’elle avait publié sur un site canadien, lequel était une véritable mine d’or pour les fans de Stargate.

 

Ce lundi matin de sa reprise, lui vint une idée qu’elle jugea un peu puérile, mais elle ne la repoussa pas. Elle tapa quelques pages sur son ordinateur, puis les envoya à Sandra via Internet.

 

Le soir, en rentrant chez elle, elle se connecta à MSN. Elle ne s’était pas attendu à ce débordement d’enthousiasme de la part de la blonde. Les documents qu’elle lui avait envoyés n’étaient que l’ébauche d’une JEV fiction (du nom dont le nouveau groupe d’amis avait été baptisé : les JEV : Jeunes et Vieux – Fans de Stargate) où elle mettait les différents membres du groupe qui se préparait à aller à la Convention Stargate et qui semblaient persuadés qu’ils avaient affaire à un véritable projet de voyage dans les étoiles. Anne avait parsemé les pages de son humour un peu acerbe…

 

"On devrait en faire un film, écrivit Sandra à la brune.

 

- Rien que ça ? railla Anne.

 

- Bien sûr ! Tu verras qu’en travaillant tout ça bien comme il faut, on pourra en faire quelque chose de bien pour un film. Et après, on persuade les autres de le tourner !

 

- Et tu crois qu’ils vont accepter ?

 

- Ne sois pas défaitiste, veux-tu ? On peut essayer…

 

- Lise va poser un problème. Elle voulait qu’on filme sa fan fiction.

 

- Oui, mais ce qu’on tient là est cent fois mieux, Anne !"

 

Anne rit et accepta qu’elles se rencontrent le lendemain pour en discuter. Sandra viendrait, pour dîner.

 

La journée de travail passa relativement vite : Anne s’habituait à ces longues heures à ne rien faire de concret, tout en détestant cela. D’une nature plutôt créatrice, elle ne supportait pas d’en être réduite à rôle de pot de fleurs.

 

Le soir, Sandra arriva à l’heure prévue. Elle sembla choquée par ce qu’elle vit : l’appartement de la jeune brune n’était pas éclairé par la lampe halogène qui avait servi la dernière fois, mais par des bougies, disposées un peu partout dans la pièce. Elle se demanda où elle était tombée et si elle avait bien cerné, finalement, celle qui la recevait. Inconsciente que l’on puisse s’étonner de cet éclairage qui lui était familier, Anne proposa à Sandra de s’asseoir et elles commencèrent à travailler. Le projet prenait forme. A part quelques plaisanteries, elles ne gardèrent finalement presque rien de ce qui avait été au début. La pizza chèvre qu’elles commandèrent fut avalée en peu de temps. Elles écrivirent les idées qui leur venaient au fur et mesure, se promettant de tout mettre en forme plus tard. Et les idées ne manquaient pas.

 

"C’est ce qui risque de devenir notre problème, souligna Anne."

 

Elles décidèrent de se voir au moins deux soirs par semaine, pour l’écriture du scénario, et de ne rien en dire aux autres pour le moment.

 

Le rythme de vie de la jeune Créole changea sans qu’elle s’en rende compte. Sortir de chez elle une fois par semaine lui faisait du bien ; elle se rendait alors à Taverny, à quelques kilomètres de là, où habitait Sandra et elles passaient des soirées à rire en imaginant les scènes. En fait, elles refusaient de tomber dans le panneau d’une parodie aberrante et s’inspirait de l’humour de la série elle-même pour écrire. Elles ne voulaient pas non plus tomber dans le piège des fan fictions à l’eau de rose et se contentèrent du même genre de subtilités des vrais scénaristes de la série pour aborder certains sujets.

 

Quand c’était la jeune blonde qui venait, c’était la même chose. Anne n’avait jamais mangé autant de pizzas de sa vie. C’était ce qu’il y avait de plus rapide ; de plus, les autres l’avaient averti qu’il valait mieux éviter la cuisine de Sandra, capable de concocter un flan anti-gravité ou de la purée croquante. Les deux amies s’entendaient bien et s’amusaient vraiment ensemble : Sandra avait toujours besoin d’imager ce qu’elle pensait et la brunette perdit presque une des lithographies qui ornaient son salon, Les Maries au tombeau, dont le cadre se tordit, quand Sandra mima une scène telle qu’elle la voyait…

 

"Tu vois, quand la Nox se met à poursuivre Daniel, dit-elle en montrant ce qu’elle voulait, il faudrait que Sam se plaque contre le mur ainsi, pour éviter de se faire bousculer… Oups, pardon !

 

- Il n’y a pas de mal…"

 

Les bases de l’histoire du futur film étaient posées : c’était une histoire complètement farfelue, où les JEV découvraient l’existence du projet Stargate et décidaient de se rendre sur place pour enquêter sur ce qu’ils pensent être un complot du gouvernement américain contre les pauvres habitants de la Terre. Ils réussissent à infiltrer la base, sous différentes couvertures. Certains d’entre eux partent en mission sur Lotécia, une planète habitée par des descendants des Gaulois ; pendant ce temps, la base est confrontée à un virus inconnu qui a endormi tout le monde… sauf les JEV et SG1, immunisés par un produit créé par Anne, Audrey et Sandra mais qui ne faisait que retarder les effets du virus, pas le détruire. Les JEV et SG1, aidés par une Nox, retournent sur Lotécia, chercher l’antidote au virus, mais se trouvent en plein milieu d’une guerre entre le Goa’uld Mars et ses ennemis de toujours, Lotus et Nénuphar…

 

 

 

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Chapitre 5

 

 

 

Un autre rendez-vous avec les JEV eut lieu, quelques semaines après leur rencontre chez Anne. Elle faillit de ne pas y aller : un gros rhume l’avait alitée. Elle passa la journée à lire, regardant la pluie tomber à verse à travers sa fenêtre. Elle ne pensait pas trop à ses nouveaux amis, car bien que n’en ayant jamais fait, elle n’était pas intéressée par le bowling qui était au programme de cette nouvelle rencontre. Elle savait aussi que de nouvelles personnes devaient venir et elle se disait qu’elle avait fait assez de nouvelles rencontres, ces derniers mois.

 

Il était dix-huit heures quand son téléphone sonna. C’était Phil.

 

"Anne, on voudrait savoir si tu es vraiment décidée à ne pas venir.

 

- Je suis malade, comme je l’ai dit à Sandra. Vu le temps, je n’ai pas envie de sortir.

 

- Allez, viens, l’ambiance est sympa, on attend que toi. Les autres insistent…

 

- Bon… Vous êtes où ?

 

- A l’Hypo de Montparnasse. Tu nous retrouves là, ok ?"

 

Elle se leva à contrecœur et s’habilla pour sortir. La pluie tombait vraiment fort. Heureusement, la circulation était assez fluide et elle mit peu de temps à rejoindre le restaurant. Elle y entra et demanda la table de ses amis à un serveur qui la dirigea vers eux.

 

"Anne ! Ben tu te fais désirer, dis-donc !"

 

C’était Lise, que la jeune Créole n’avait pas vue depuis son retour. A vrai dire, Anne ne la reconnut qu’au son de cette voix quelque peu haut perchée et à son accent parisien très marqué : Lise s’était teint les cheveux en clair, ce qui la changeait radicalement. Anne alla s’asseoir près de Sandra, certaine, là, d’être en territoire connu.

 

Des nouveaux fans lui furent présentés : Raphaël, un jeune blond aux yeux bleus de dix-neuf ans, arrivant de Dijon, Evelyne, blonde rieuse qui venait de Lille et Christophe, qui habitait Sartrouville ; Anne avait déjà eu quelques contacts via Internet avec eux. Phil, lui, sortait à présent avec une jeune femme qui écrivait aussi des fans fictions de Stargate, Tam. Ils ne se décollaient pas l’un de l’autre. Sandra avec ramené sa sœur, Aurore, quatorze ans. Elles se ressemblaient vraiment beaucoup, physiquement et pourtant, on les sentait complètement différentes, même si une grande complicité semblait les lier. Autant Sandra avait un style plutôt décontracté et classique, autant Aurore faisait aussi penser à un jeune garçon, avec ses cheveux coupés très courts, en épis sur le haut de la tête, et son T-shirt noir d’Iron Maden.

 

Les tables n’étant pas assez longues pour recevoir tout ce petit monde, le groupe était séparé en deux. Sur celle de la jeune brune, se trouvaient donc Sandra, Aurore, Evelyne, Lise et Raphaël. Les autres étaient sur une autre table, un peu plus loin.

 

"Où sont tous les autres ? demanda Anne à Sandra.

 

- Lucie et Hervé sont sensés venir, ils vont au ciné avec les autres, après. Mais je ne sais pas pourquoi ils sont aussi en retard. Cet après-midi, nous avons rencontré Prudence, mais elle ne pouvait pas venir ce soir, à cause de ses parents. Pareil pour Ophélie.

 

- Ah… Et Audrey ? s’enquit Anne en espérant avoir un air détaché.

 

- Je pensais que tu savais… Audrey n’a pas pu venir à cause de son bouchon qui n’a pas de baby-sitter, mais on doit aller chez elle pour la fin de la soirée – enfin, ceux qui vont pas au ciné, c’est à dire, Evelyne, Aurore, toi et moi. Au fait, continua t-elle de façon à ce que les autres entendent, j’ai parlé du film. Ils ne seraient pas contre d’essayer.

 

Anne regarda instinctivement Lise, qui avait ce projet de filmer une de ses histoires… L’adolescente lui sourit :

 

- Pas de problème pour moi, répliqua t-elle. On tourne le vôtre, ça nous fera la main pour le mien.

 

- On a encore du monde à convaincre, sourit Sandra."

 

Tous convinrent que c’était une expérience qui pouvait s’avérer intéressante. Anne se trouvait assise en face d’Evelyne et elles finirent par passer une soirée dans des crises de fou rire : Evelyne, elle aussi, captait le double sens des phrase de Sandra… Pour Anne, il s’agissait surtout d’un rire nerveux, qui masquait son malaise d’être autour d’étrangers.

 

Lucie et Hervé arrivèrent presque à la fin du repas. La jeune fille s’excusa pour le retard, et raconta que son frère, qui avait fait une fugue la veille et qu’on venait tout juste de retrouver, en était responsable. Une fois qu’ils eurent mangé, le groupe qui se rendait au cinéma sortit du restaurant, réduisant considérablement ceux qui restaient là. Contrairement à l’attente de celles qui se rendaient chez Audrey, Phil et Tam avaient décliné, eux aussi, la soirée au cinéma. Ils vinrent s’asseoir à la table des filles.

 

"Si vous n’allez pas au ciné, vous passez la soirée où, après ? s’enquit Phil.

 

- Euh… on va voir quelqu’un, tenta d’éluder Sandra."

 

Elle avait raconté à Anne que le grand brun avait passé ses vacances à faire enrager Audrey en débarquant chez elle plus souvent que de raison.

 

"C’est Audrey que vous allez voir ?

 

- Oui…"

 

Sandra se faisait toute petite, voyant ce qui allait suivre. Elle savait que la jeune rousse n’apprécierait pas du tout…

 

"Bon, dans ce cas, on vous accompagne, Tam et moi, je n’ai aucune envie d’aller voir ce film."

 

La pluie au-dehors n’avait guère cessé, au contraire. En quittant le restaurant, Anne, Sandra, Evelyne et Aurore furent accueillies par un véritable déluge. Elles se dépêchèrent d’atteindre la Tour du Maine où les voitures étaient stationnées. Anne paya et attendit que Sandra fasse de même.

 

"Mais c’est quoi ce bazar ? entendirent les trois autres alors que la jeune femme blonde s’énervait contre l’automate.

 

- Que se passe t-il, San ? voulut savoir Aurore.

 

- Cette saleté de machine a avalé mon ticket ! J’y crois pas ! Elle m’a fait payer onze euros et elle refuse de me rendre mon ticket.

 

- Appelle le gardien du parking, suggéra Evelyne."

 

Il n’y avait que cela à faire. Sandra suggéra à Anne et Evelyne de partir toujours, de peur que le temps imparti pour que la Fiat puisse quitter le parking ne se termine avant qu’elle-même ne puisse s’en aller. Dans l’ascenseur, Anne et Evelyne éclatèrent de rire, se disant que c’était forcé que ce genre de chose arrive à Sandra. Anne sortit donc sa voiture et les deux jeunes femmes attendirent la Clio blanche dans la rue de l’Arrivée.

 

"Elle en met du temps, quand même, dit Evelyne au bout d’une quinzaine de minutes. Je vais appeler."

 

Elle sortit son portable de son sac et composa le numéro de Sandra.

 

"- Sandra, c’est Evelyne. Tu en es où ? … Ok… Nous sommes euh…

 

- Rue de l’Arrivée, dis-je à Evelyne.

 

- Rue de l’Arrivée … Ah, c’est pas la bonne sortie… Bon… Elle te dit de prendre la rue du Départ, Anne… Ok, elle démarre… A tout de suite…"

 

Evelyne raccrocha. Elle se tourna vers Anne en souriant malicieusement.

 

"Le ticket était trop mouillé, c’est pour ça que la machine l’a avalé.

 

- Je vois… Dis-moi, au cas où nous perdrions Sandra sur la route, tu sais comment te rendre chez Audrey ?"

 

Anne savait que Evelyne y avait passé l’après-midi. Elle avait ressenti une sorte de pincement au cœur en l’apprenant, d’ailleurs : non seulement la rieuse blonde qui était auprès d’elle avait passé une partie de l’après-midi là-bas, après le bowling, mais aussi Aurore et Sandra.

 

"Une fois que nous serons à proximité, je pourrais te dire comment y aller, mais d’ici, je ne sais pas du tout. C’est à Bourg-la-Reine, c’est tout ce que je sais."

 

Anne repéra la Clio de Sandra à la sortie du parking, dans la rue opposée à celle qu’elle avait prise. Elle suivit le véhicule sur toute l’avenue du Maine, puis, elles passèrent la place d’Alésia et se retrouvèrent à la Porte d’Orléans. La circulation était fluide et la pluie avait cessé. Les deux voitures traversèrent en un temps record les villes de Montrouge, Bagneux et Cachan. A l’entrée de Bourg-la-Reine, Sandra indiqua une place à Anne afin qu’elle y gare sa voiture. La nuit était fraîche, agréable…

 

Quand elle ouvrit la porte, Audrey avait visiblement l’air en colère.

 

"Je suis vraiment désolée, Audrey, s’excusa Sandra. J’ai essayé de mon mieux de cacher à Phil que nous avions rendez-vous chez toi, mais il a compris tout seul.

 

- Ouais, ouais… Entrez et ne faites pas de bruits : François dort."

 

En traversant le long couloir qui longeait les pièces de l’appartement, Anne eut la sensation que la jeune rousse n’avait pas compris qu’elle serait là, elle aussi. En effet, le regard surpris d’Audrey l’avait toisée, quand elle était apparue derrière Evelyne. L’appartement de la militaire sembla vide à Anne. C’était comme si Audrey refusait qu’on la découvre à travers l’endroit où elle habitait ; ou comme si elle ne voulait pas laisser sa marque quelque part de peur de s’y attacher. Les murs étaient recouverts d’un affreux papier peint rose et vert. Trois photos de François bébé y étaient accrochées, ainsi qu’un grand éventail. Rien d’autre de personnel. Audrey avait une assez belle collection de cassettes vidéo. Une table, quelques chaises, un canapé, une table basse et la télévision composaient tout le mobilier de ce salon.

 

Phil et Tam arrivèrent peu après.

 

Evelyne et Anne passèrent la soirée à rire des blagues de Sandra. Audrey, s’étant détendue, se joignait à elles. Finalement, la jeune femme rousse semblait s’être calmée et avoir pris la situation du bon côté. Mais, Anne, elle éprouvait une sorte de malaise qu’elle cachait dans ses rires : elle n’aimait pas la situation : elle avait l’impression de s’être imposée à Audrey.

 

 

 

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Chapitre 6

 

 

 

La semaine passa comme la précédente. Sandra et Anne continuaient de se voir, après le travail pour l’écriture du scénario. Autour de leur éternelle pizza au chèvre, Sandra proposa qu’elles passent le week-end toutes les trois : elle, Anne et Audrey. Bien qu’appréhendant de passer autant de temps avec la militaire, Anne accepta. Elles s’entendaient bien, toutes les trois. C’était comme si elles se complétaient. Jamais la Créole n’avait ressenti ça ; Catherine et Emmanuelle, ses deux meilleures amies, faisaient partie des meubles : elles s’étaient connues au berceau et avaient l’habitude les unes des autres. Bien entendu, une amitié que rien ne remplacerait les unissait, mais avec Audrey et Sandra, Anne sentait qu’elle évoluait vers un autre stade de l’amitié : celui qu’elle avait toujours refusé, une amitié qui naîtrait non pas de l’enfance et de l’habitude, mais de l’estime et la complicité. Elle l’avait repoussée autrefois, car elle refusait de tirer un trait sur le monde merveilleux de l’enfance, où elle se sentait encore protégée ; laisser entrer des inconnus dans son univers intime, c’était prendre le risque de se faire avoir. Bizarrement, elle était prête à prendre ce risque, cette fois. Et la tentation qu’elle avait eue, à la Réunion, de rentrer définitivement sur l’île commençait à disparaître.

 

Sandra, pour prouver qu’elle ne plaisantait pas, pour le projet du film, avait acheté une caméra. Elle avait passé des heures à filmer Bonnie, son chat – on aurait plutôt dit un tigre nain du Bengale, selon Audrey – et s’amusait à présent à braquer l’objectif sur ses deux visiteuses, lesquelles étaient prises dans une bataille de polochons qui se termina rapidement en une partie de chatouilles. Hélas pour Audrey, Anne n’y était pas sensible. Aussi se donnait-elle à cœur joie sur son amie.

 

"C’est sur le boss qu’on devrait s’acharner, Anne : elle n’arrête pas de nous filmer."

 

Le boss, ainsi qu’elles avaient surnommé Sandra dut se rendre à l’évidence : les deux jeunes femmes, sans égard pour la précieuse caméra, se dirigeaient vers elle, prête à lui faire subir le supplice des chatouilles. Les éclats de rire et les protestations véhémentes volaient de partout. Elles se calmèrent quand François se réveilla de sa sieste et qu’elles l’emmenèrent se promener. Le soir, ils dînèrent au restaurant, dans une ville voisine. C’était la première fois que François goûtait la cuisine chinoise, et visiblement, il appréciait beaucoup. Les trois jeunes femmes adoraient s’occuper de lui…

 

A peine rentrés à Taverny, Audrey coucha un François épuisé. Alors que Sandra regardait quel film elle pouvait leur passer, pour finir la soirée, Anne s’étendit sur le canapé, peu habituée, elle aussi, à ce genre de journée.

 

"Il dort, dit Audrey en revenant dans la salle."

 

A la grande surprise d’Anne, la jeune militaire se coucha contre elle, appuyant son dos contre la poitrine de la jeune femme. Ce fut sans doute pour la Créole le meilleur moment de cette journée. Elle ferma les yeux, appréciant l’instant d’intimité, un grand sourire sur les lèvres.

 

"Bon, vous voulez regarder quoi, les filles ? demanda Sandra, qui avait déjà énuméré un bon nombre de films qu’Anne n’avait entendu que superficiellement.

 

- Je ne sais pas, murmura t-elle.

 

- Bon, je crois savoir que nous aimons toutes les trois Harrison Ford. Un Indiana Jones, ça vous dit ?"

 

Anne s’en fichait royalement : elle ne souhaitait qu’une chose : qu’Audrey ne bouge pas…

 

 

 

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Chapitre 7

 

 

 

Au cours de la semaine qui suivit, Anne avait eu la chance de communiquer plus souvent avec la jeune rousse qui l’intriguait tant. Non pas qu’Audrey lui apprenait des choses essentielles sur elle, mais au moins, elles avaient des conversations, via la messagerie instantanée, qui n’étaient plus aussi superficielles qu’autrefois.

 

Le printemps avançait à pas timides sur la capitale. Même dans la tour où elle passait ses journées, Anne pouvait sentir la différence. Son cœur semblait s’alléger du poids si lourd des derniers mois. Rien ne semblait plus avoir d’importance, que le temps présent et ce dernier semblait inviter à toutes les folies. La jeune femme avait réappris à rire. Son sommeil ne s’était certes pas amélioré, mais elle se sentait mieux. Son salaire apportait peu à peu de quoi rembourser les dettes qu’elle avait contractées. Et elle avait des amis.

 

Le dimanche, les JEV avaient rendez-vous devant une crêperie de Montparnasse, qui semblait être devenu leur quartier de prédilection.

 

Sandra vint chercher Anne à la maison. Comme c’est presque le même trajet, Anne avait décidé de ne pas prendre la voiture et avait demandé à son amie si elle voulait bien l’emmener. Aurore était présente elle aussi. Elles écoutèrent de la musique sur la route.

 

"Quand j’entends ces paroles, disait Sandra, ça me donne tout un tas d’idées pour des montages vidéo. Vous imaginez les images qu’on peut coller à It’s rainning men ?

 

- J’ai peur de comprendre, répondit Anne en riant. Mais dis toujours.

 

- Au refrain, montrer une image de Jack, Teal’c et Daniel, jaillissant de la Porte des Etoiles et tombant sur la rampe d’accès, précisa Sandra. Enfin, c’est juste une partie de mes idées…"

 

L’image amusa Anne et elle écouta distraitement la jeune blonde lui parler de ce qu’elle imaginait, pour le concours de montage vidéo de la convention. Son esprit était plutôt concentré sur une jolie rousse qu’elle allait revoir dans quelques minutes…

 

Il faisait beau, presque chaud. Bien entendu, les embouteillages, sur le périph ne purent être évités. Elles arrivèrent presque en dernier devant la crêperie de la rue d’Odessa où elles avaient rendez-vous avec les autres. Il y avait là deux autres qu’elles ne connaissaient pas. Le trio Lucie/Hervé/Nan ne devait pas venir. Evelyne non plus : elle habitait à Lille, ce n’était pas pratique pour elle de venir à chaque fois.

 

Au sujet du projet de film, les autres étaient partants. Bien sûr, il y avait ceux que cela intéressait vraiment, et ceux qui ne voulaient pas du tout en entendre parler. Et aussi ceux qui trouvaient que l’idée d’une parodie n’était pas excellente, et qu’il aurait fallu écrire un scénario plus sérieux. "Mais bien sûr, pensa Anne, il est évident que nous avons tous les moyens techniques pour faire un film de sciences-fiction sérieux."

 

Christophe, qui s’intéressait depuis longtemps au montage vidéo voyait là une excellente occasion de s’essayer à un vrai projet de film. Mais Anne voyait, sans rien dire, que de se voir dans le rôle de Teal’c ne le motivait pas vraiment ; de son côté, elle se demandait quel genre de maquillage allait devoir être utilisé pour faire de lui un Jaffa noir…

 

L’après-midi se passa au parc Montsouris. En face de ce parc, il existait un réseau de petites rues pavées, abritant de jolies maisons souvent recouvertes de lierre qui semblaient tout droit sorties de contes de fées, avec leurs jardins fleuris de lilas. Ce fut dans l’une de ces rues pittoresques que Sandra gara sa voiture.

 

Anne se sentait peu plus à l’aise, à présent en compagnie du groupe. Avec Sandra et Audrey, elles jouaient à se chatouiller, alors que l’un des garçons les filmait. Audrey refusait de jouer dans ce film. Anne le savait, malgré les airs qu’elle se donnait, qu’elle était timide. Ses deux amies la chatouillaient, pour qu’elle change d’avis, sous l’œil ou amusé ou apitoyé des autres… Elles se moquaient bien de ce pouvait penser les autres de leur attitude puérile : elles étaient là pour s’amuser.

 

Café du parc. La promenade avait épuisé la plupart d’entre eux. Ils s’y étaient réfugiés. Sandra était en grande conversation avec Christophe, au sujet du film. Inutile de dire que le boss était ravie : quelqu’un qui l’aiderait à aller jusqu’au bout dans son projet, et qui avait l’air de vraiment s’y connaître.

 

Sans leur parler, juste en échangeant quelques regards, il semblait à Anne qu’elle arrivait à comprendre les deux autres. Toutes les trois, elles commençaient sérieusement à en avoir assez de constater que certains ne pouvaient pas se décoller deux minutes, ne serait-ce que pour participer à la conversation de tout le monde. En effet, Phil et Tam s’étaient mis carrément à une table à part. Ils n’avaient pas l’air emballés par le projet, ce qui, en soi pouvait se comprendre, mais ce qui était intolérable, était de constater qu’ils n’avaient pas l’intention de se mêler aux autres, alors qu’ils étaient venus à cette sortie.

 

 

 

Chapitre 8

 

 

 

Le premier jour de tournage devait avoir lieu le 16 mars. La veille, tout le monde s’était réuni chez Anne. Enfin, presque tout le monde : Phil et Tam avaient annoncé quinze jours avant qu’ils ne joueraient pas dans le film, ce qui avait obligé Anne et Sandra à remanier le scénario, ce qu’elles n’avaient pas fait de gaieté de cœur : les rôles avaient été créés sur mesure, pour correspondre aux personnages qu’ils interprétaient sur MSN. Mais elles avaient fini par s’en sortir. Sandra piqua une crise de nerfs, quand, en arrivant, Lucie annonça que Nan ne viendrait pas.

 

"Elle est malade, dit elle. Une gastro. C’est vraiment pas de chance, non ?"

 

Anne crut que Sandra allait tuer quelqu’un ; en l’occurrence, Lucie, la meilleure amie de Nan.

 

"Je suis désolée, ça ne se fait pas, ragea Sandra dans la cuisine. Même si j’ai enragé, pour Phil, il a eu quand même la décence de prévenir avant.

 

- C’est clair qu’on se retrouve avec un rôle de trop, du coup. Impossible de remanier le scénario maintenant. Qu’est-ce qu’on fait ?

 

- Je ne sais pas… J’ai envie de proposer à Aurore de le jouer, même s’il ne lui correspond pas. Que veux-tu qu’on fasse, maintenant ? C’est la seule solution qui nous reste.

 

- C’est aussi une chance que Lucie et Hervé continuent, malgré l’absence de Nan, remarqua Anne amèrement."

 

Fort heureusement, la jeune Aurore accepta, très contente de rendre ce service à sa sœur et de jouer dans un film.

 

Audrey, de son côté, avait finalement accepté de jouer son rôle. Anne ne voulait même pas savoir quels moyens de persuasion Sandra avait utilisés. Elle avait envoyé François chez ses parents, en Bourgogne et semblait avoir hâte de commencer. Ou d’en finir ?

 

Les révisions des textes des scènes à jouer le lendemain et la diffusion de Stargate calma les esprits. Vers onze heures et demi, Sandra partit, accompagnée de tous ceux qui devaient dormir chez elle à Taverny ; ne restaient plus chez Anne qu’Ophélie, Lucie et Hervé.

 

La jeune brune n’arrivait pas à dormir, aussi se connecta t-elle à MSN. Elle avait des contacts en ligne : Prudence, une des filles qui devaient venir le lendemain, ainsi que Lise. On frappa à sa porte.

 

"Entrez.

 

- J’ai vu que tu ne dormais pas, dit Ophélie en montrant sa jolie tête souriante. Je peux venir ?

 

- Oui. Viens.

 

- T’es sur MSN ? Je peux ?"

 

Elle prit la conversation en main, et bientôt Lucie et Hervé, qui devaient dormir sur le canapé vinrent les rejoindre. Ils passèrent une bonne partie de la nuit à discuter de choses et d’autres.

 

Anne n’y croyait pas : le téléphone n’arrêtait pas de sonner en pleine nuit. Elle avait eu du mal à comprendre d’où venait ce bruit irritant, d’ailleurs. Elle étendit la main vers le combiné et décrocha.

 

"Mmmm ?

 

- Ah ! J’en déduis que vous avez oublié de vous réveiller, dit la voix joyeuse d’une jeune fille. Ça fait une heure que j’appelle, en plus. Bon, je suis à la gare. Tu devais passer me chercher, avec les autres, pour m’emmener chez Sandra, je te rappelle."

 

Lise. Son esprit souffla à Anne que c’était Lise qui parlait. Aller chez Sandra… Le film… Oh Déesse, elle avait oublié de se réveiller ! Il était neuf heures moins trois et ils avaient rendez-vous à neuf heures.

 

"Ecoute, Lise, attends-nous à la gare. Je réveille les autres et nous faisons aussi vite que nous le pouvons."

 

Elle passa dans la chambre d’à côté, où Ophélie dormait du sommeil du juste. Doucement, elle réveilla l’adolescente et lui expliqua la situation. Sans perdre une minute, Ophélie fonça vers la salle de bains. Anne en profita pour réveiller Lucie et Hervé. En quelques minutes, ils furent prêts à partir.

 

"On pourra toujours dire que c’est ce camion poubelle qui nous a mis en retard, suggéra Ophélie, dans la voiture, alors qu’Anne était en train de s’énerver contre un pauvre camion qui l’empêchait de passer.

 

- On peut tenter le coup."

 

Donc, crochet par la gare. Lise monta dans la voiture, en se moquant d’eux. Anne fonça jusqu’à Taverny, suivie de près par la Twingo d’Hervé. Voiture dont Anne et Sandra s’étaient gaussées, quand elles l’avaient découverte : Hervé avait déclaré un jour : "Moi, je ne conduis pas, je pilote." Aussi, en voyant sa Twingo, elles n’avaient pu s’empêcher d’éclater de rire.

 

Bien entendu, personne ne voulut croire qu’ils s’étaient levés depuis huit heures du matin et qu’un camion poubelle leur a barré la route. Autant pour eux.

 

"Vous auriez dû être là, hier soir, on s’est bien amusés, dit Evelyne en riant.

 

- Que s’est-il passé ?

 

- Audrey nous courait après avec un pistolet et elle nous tirait dessus, puis, on a essayé de dormir. Mais nous étions passablement excités.

 

- Oh, oh !

 

- Tout de suite, les esprits mal tordus ! se récrie Audrey. En fait, c’est la faute d’Evelyne, tout ça.

 

- Eh ! C’est Cédric qui ronflait !

 

- Quelqu’un peut nous expliquer ?

 

- En pleine nuit, explique Audrey en faisant de son mieux pour se retenir de rire, on a entendu Evelyne se lever, et chercher la batte de base-ball. Elle a dit quelque chose comme : "Où est la batte ?" en étant penchée sur le lit où dormait Cédric. Bien sûr, ça nous a réveillés. Et puis, le lit de Cédric s’est refermé, avec lui dedans. Et puis, Sandra est venue nous engueuler, parce que nous faisions trop de bruit. On essaie de se calmer, quand on entend aussi des fous rires dans la chambre : cette fois, c’était elle et sa sœur. Bref, une nuit de folie !"

 

En imaginant la scène, Anne ne pu s’empêcher de rire à son tour ; elle n’imaginait pas que Evelyne ait pu avoir de tels instincts meurtriers. C’était bon de rire, après tout ce temps ; rire de joie, et non de ce rire nerveux qu’elle avait au début de leur rencontre. Il fallut déjà se changer. A peine avait-elle eu le temps de faire connaissance de l’autre sœur de Sandra, que sa famille appelait affectueusement Cerise ; pour la petite anecdote, c’était simplement parce qu’elle détestait les Cerises. D’autres personnes devaient les rejoindre. Quand Anne revint dans le salon, tout le monde était en train de s’amuser avec ces armes factices qui leur serviraient durant le tournage. Aurore arriva, alors qu’Anne était en train d’enregistrer des bruits sur l’ordinateur portable d’Anne, qui devaient servir plus tard dans la journée : en les lisant silencieusement avec le lecteur Windows Media, l’ordinateur devait figurer un monitoring d’hôpital.

 

Arriva ensuite le premier rôle féminin dans le film et que la Créole ne connaissait pas encore : Prudence. La ressemblance entre elle et Amanda Tapping était frappante si l’on faisait abstraction du fait que Prudence était très petite ! Le plus amusant serait qu’Evelyne, qui jouait le rôle du docteur Janet Fraiser, était beaucoup plus grande qu’elle ; sans doute avait-elle la même taille qu’Amanda, alors qu’en réalité, Teryl Rothery, qui tenait le rôle dans la série, devait être de la taille de Prudence… "La revanche de Janet, dit Evelyne en riant.

 

- Viens, je t’emmène passer ton costume, proposa Anne à la nouvelle venue tout en se demandant si elles auraient quelque chose qui ne soit pas trop grand."

 

La première scène allait être tournée. Anne ne put s’empêcher de sourire, devant l’ironie du sort : c’était Audrey qui commençait, alors qu’elle ne voulait même pas jouer. Anne resta au-dehors, avec Lucie, qui lui racontait son week-end précédent, au théâtre. Impossible de voir ce qui se passait à l’intérieur. Heureusement, ils avaient droit, juste après, à un passage de la scène sur un écran. Audrey ne s’était pas mal débrouillée du tout. Ce fut au tour d’Anne: une très longue scène, avec Sandra, Ophélie et Audrey, sensée représenter une opération chirurgicale des plus farfelues, en sachant qu’elles jouaient toutes les trois leur propre rôle, c’est à dire celui de fans (tout en étant dans l’exagération la plus totale) de la série ayant investi le SGC sous une couverture.

 

Sur le Net, Anne, Sandra et Audrey prétendaient se faire passer pour des docs qui pratiquaient l’ablation du cortex gauche à tous ceux qui avaient le malheur de se trouver coincé dans une conversation avec elles trois… Et Ophélie adorait se prêter au jeu, aussi avaient-elles décidé de tourner cette scène, pour l’avoir au moins une fois en vrai…

 

A vrai dire, tout le film jouait un peu sur leurs personnalités sur MSN… Du coup, tout le scénario était emprunt de private jokes qu’ils seraient les seuls à comprendre.

 

La matinée se passa ainsi ; entre les rires, les "c’est quoi le texte", les "Action"… Ils bouclèrent deux scènes, les deux plus grosses en intérieur. Il fallait les tourner en priorité : dans peu de temps, Sandra devait déménager pour Bourges et ces scènes devaient se tourner chez elle, question de décor.

 

Le premier repas de tournage avalé, ils prirent les voitures pour nous rendre chez Anne, où devait être tournées d’autres scènes d’intérieur. Son expérience du théâtre ne fut pas d’une grande utilité à la jeune Créole : devant la caméra, qu’elle ressentait comme une intruse, elle se sentait totalement perdue et n’arrivait pas à être naturelle. La présence de ces gens, ses amis qui étaient presque des inconnus, la bloquait aussi…

 

Anne ne pouvait se souvenir de toutes les âneries qu’ils avaient pu faire ce jour-là, elle était trop fatiguée quand la journée se termina. Mais ils avaient tous bien ri. Surtout quand Evelyne s’entraînait sur ses rollers pour l’une ses scènes, elle qui n’en avait jamais fait ! Rollers qu’Anne avait failli jeter, quelques mois plus tôt, tant ils lui rappelaient ses promenades avec celui qui l’avait volée, mais qu’elle avait fini par caler au fond de l’un de ses placards…

 

Le lendemain, Cerise avait endossé l’uniforme d’un général de l’Air Force qu’un collègue américain d’Audrey lui avait prêté ( d’ailleurs, l’armée de Terre française sponsorisait sans le savoir le film, puisque tous les uniformes utilisés venaient de l’Ecole Militaire) ; elle avait teint un bonnet de bain avec du fond de teint pour imiter le crâne chauve du Général Hammond. Elle avait même poussé le vice à se dessiner les mêmes grains de beauté qu’avait Don S. Davis… Ophélie et Lise avaient revêtu deux des robes d’Anne pour les besoins d’une scène. Avec Lucie, elles la jouèrent à la Drôles de Dames pour une séance photo, juste après les prises.

 

Le tournage avançait assez bien, pour le moment. Quelqu’un aurait dit à Anne qu’ils y seraient parvenus, elle ne l’aurait pas cru vraiment, quand elle écrivait ces scènes avec Sandra…

 

"On ne s’en est pas mal tirés, pour un premier jour, remarqua Sandra à la fin de la journée, quand la plupart des autres étaient partis.

 

- Oui, je dirais même que c’était assez sympa, approuva Anne. Fatiguant aussi…"

 

Certes, mais quelque chose en elle avait changé, sans qu’elle sache quoi. Elle ressentait beaucoup moins le besoin de rentrer à la Réunion…

 

"Qu’est-ce que j’ai pu être déstabilisée, quand Prudence est apparue dans cette robe, avoua Sandra. Derrière ma caméra, je voyais Christophe, complètement éberlué – le pauvre, pour sa première scène, on ne l’a pas gâté – et Prudence qui était provocante à souhait !

 

- Tiens, et tu es déstabilisée par une fille, toi, se moqua Audrey.

 

- J’aurais aimé te voir à ma place ! Elle semblait prête à dévorer Christophe avec gourmandise, c’était vraiment perturbant !"

 

Finalement, Christophe avait hérité du rôle phare, celui du colonel Jack O’Neill, ce qui lui allait très bien… Dans une scène, celle dont parlaient les Docs, Prudence, qui jouait le rôle du major Samantha Carter devait tenter séduire le colonel, sous les yeux de Daniel Jackson, interprété par Raphaël. Prudence, étant pratiquement aveugle sans ses lunettes, s’était accrochée à la porte pour ne pas tomber, prenant une pause très… alanguie, son regard posé sur un Christophe qu’elle ne voyait pas et qu’elle interpellait d’une voix sensuelle… Scène qui avait eu l’unanimité, ce jour-là, quand ils regardèrent les rushes.

 

Sandra devait ramener ceux qui n’avaient pas de voiture et qui ne pouvaient prendre le train, aussi partit-elle assez tôt. L’appartement d’Anne était dans un état déplorable.

 

"Ils auraient pu me donner un coup de main, quand même, protesta la jeune femme pour la forme, ravie de son week-end."

 

Son portable sonna. C’était Sandra.

 

"Tu n’es pas partie ?

 

- Ils ont un problème, dans ce quartier, non ? Je viens de trouver un sac de pierres sur le capot de ma voiture.

 

- Aïe. Pas trop de dégâts ?

 

- Non, j’étais juste surprise.

 

- Tu es immatriculée en 75. Je suppose qu’ils n’aiment pas ça, dans le coin.

 

- A plus, sourit la blonde."

 

 

 

 

 

 

Chapitre 9

 

"On ne trouvera jamais, il faut se rendre à l’évidence."

 

Audrey salua d’un petit rire la remarque d’Anne. Elles tournaient dans Bourges depuis une bonne heure. La fatigue de la route n’aidant pas – les embouteillages à la sortie de Paris, deux accidents sur l’A6 – la jeune Créole se sentait facilement irritable, mais elle tentait au mieux de le cacher : pas question de faire mauvaise impression. Pour quoi, au fait ?

 

"Tu as vu le plan qu’elle nous a donné aussi ? sourit la jeune militaire.

 

- Faudrait qu’elle nous explique ce qu’est une espèce de rond point, à vrai dire je n’ai pas compris la différence avec un vrai rond point…

 

- Je relis, décida Audrey en se retenant pour ne pas rire… "Quand vous arrivez à Bourges, vous allez tout droit, puis vous prenez un rond point, c’est tout droit encore, vous arrivez devant un portail vert, vous continuez encore tout droit, là, il y a une espèce de rond point, c’est à gauche, vous arrivez devant une grande avenue, que vous remontez, y aura une agence immobilière, et derrière un bâtiment blanc, c’est là"

 

- Bon, alors, j’aimerais savoir où était ce portail vert : dans le noir, c’est pas évident de distinguer les couleurs…

 

- Et les grandes avenues, on en a faites, depuis qu’on est là… Tiens, ce panneau indique la gare. A mon avis, tu ferais mieux d’y aller, et on l’appelle.

 

- Bonne idée…"

 

Ce week-end de Pâques, il n’y avait pas de tournage ; aussi les Docs avaient-elles décidé de se retrouver chez Sandra à Bourges, en compagnie de François, lequel s’était endormi sur son siège bébé, à l’arrière de la Fiat. Il se réveilla comme Anne éteignait le moteur, sur le parking de la gare de Bourges. Audrey se chargea d’appeler Sandra, qui déclara venir au plus vite les récupérer.

 

Etant garée sur un emplacement interdit, mais le seul qui permettait de voir la Clio de Sandra arriver, la jeune femme avait mis le signal de détresse de son véhicule. Cependant, le bruit régulier de tic-tac qu’il émettait commençait à lui porter sur les nerfs ; aussi l’éteignit-elle d’un coup de main sec.

 

"Qu’est ce qui te prend ? s’étonna Audrey.

 

- Ce bruit m’énerve, surtout quand je suis épuisée. Tu n’as jamais remarqué que je n’utilise mon clignotant que si je suis vraiment obligée parce qu’une autre voiture est à proximité ?"

 

Elle aurait dû ne rien dire : mère et fils se mirent à la taquiner en imitant ce bruit d’horloge qui l’agaçait tant. Heureusement, leur amie ne se fit pas longue, et la voiture redémarra. En peu de temps, elles furent dans le parking de la résidence où habitait Sandra. On monta rapidement enfant et bagages.

 

"Je me suis doutée que Anne allait se perdre, dit Sandra en souriant.

 

- C’est la faute de ton plan ! rétorqua Anne. Il ne veut rien dire du tout, et d’ailleurs, quand j’ai eu le mail qui le contenait, je me suis moi-même dit que j’allais me perdre !

 

- Tu te perds toujours, Anne, protesta t-elle.

 

- Anne ne se perd pas, rappela Audrey, elle visite."

 

C’était une plaisanterie entre elles : à chaque fois qu’elle avait eu à ramener en voiture les autres membres du groupe chez eux, elle arrivait à perdre son chemin. A chaque fois, elle disait que tant qu’elle était en France, elle n’était pas perdue. "Tout au plus, on pourrait dire que je visite Paris, avait-elle dit une fois à Audrey qui se moquait."

 

"Sandra, il est tard, je voudrais coucher François, déclara Audrey.

 

- Ok, tu peux préparer son lit dans le bureau, si tu veux. J’ai un petit lit, là-dedans, où tu pourras coucher aussi.

 

- Hors de question que je dorme dans la même pièce que lui ! Vous comprendrez pourquoi au réveil demain matin, assura la jeune rousse.

 

- Si tu veux. Alors, tu dormiras avec Anne, sur le clic-clac."

 

Alors que les deux autres jeunes femmes se dirigeaient vers le bureau, afin de préparer le lit parapluie de l’enfant, Anne ne put retenir un petit sourire de contentement. Aussitôt après la fermeture de son bureau, elle était passée à Bourg-la-Reine chercher Audrey et François. Le temps de charger la voiture, ils avaient pris la route, munis de suffisamment de sandwiches et d’eau pour tenir un siège. Sortir de Paris n’avait pas été une sinécure. Elle était contente de se poser enfin.

 

François couché – et bientôt endormi car la route l’avait épuisé – les trois jeunes femmes se retrouvèrent dans la salle et dînèrent. Sandra avait enregistré les épisodes qui passaient, aussi ne les regardèrent-elles pas et passèrent la soirée à discuter. Leur entente ne cessait des les surprendre : elles se connaissaient depuis si peu de temps et aucune des trois n’avait l’habitude de se livrer au premier venu.

 

Le lendemain matin, Anne et Audrey furent réveillées par une chute libre d’enfant sur elles. François, en effet, n’avait rien trouvé de mieux que se jeter sur le canapé où elles dormaient. Il s’amusa à le faire plus d’une fois. Anne détestait le matin, mais là, le réveil lui sembla encore plus dur. Alors qu’Audrey quittait le lit, pour rejoindre Sandra, qui préparait le petit déjeuner, elle resta à "comater" un peu… Quelques cafés et une bonne douche plus tard, elle accepta de se joindre à ses amies et François pour une promenade dans les marais de Bourges, situés juste derrière la résidence de Sandra.

 

"Au fait, Anne, lança Audrey tandis que Sandra et François couraient un peu en avant. Tu as failli m’éjecter du canapé, hier soir.

 

- Ah bon ? demanda Anne d’un ton qu’elle espérait innocent.

 

- Oui, tu prenais toute la place.

 

- Oh ! je suis désolée"

 

Elle était surtout affreusement gênée : depuis quelques temps, elle sentait que ses sentiments pour Audrey étaient confus. C’est la première fois qu’elle se sentait attirée comme ça par une femme. Ça avait commencé, lors d’un autre week-end chez Sandra, alors qu’elle habitait encore Taverny, où elle s’était surprise à ressentir quelque chose au creux de l’estomac, chaque fois qu’Audrey la touchait, et surtout la fois où elle s’était appuyée sur sa poitrine, pour se reposer. Mais c’est encore bien trop flou, et elle ne préférait pas trop l’analyser. C’est sans doute passager… Elle l’espérait.

 

"J’ai perdu l’habitude de dormir avec quelqu’un, expliqua t-elle en réalisant que là, au moins, elle ne mentait pas. Chaque soir, je serre contre moi un oreiller… Je sais, c’est pathétique, mais…."

 

Elle n’ajouta pas un mot, sentant qu’elle allait s’enfoncer. Cette nuit-là, elle avait été parfaitement consciente de dormir près du corps chaud de sa compagne de lit. Elle n’avait pas eu le courage de se refuser ce contact, laissant l’excuse du sommeil agir d’elle-même.

 

Au retour à l’appartement, ils déjeunèrent ; Anne et Audrey avaient pris soin d’apporter à manger : Sandra avait l’art de servir des trucs périmés, à croire que manger de la nourriture encore saine était contraire à son éthique. Et puis la cuisine n’était pas le domaine de prédilection de la jeune blonde. Selon ses amis – tant les deux autres Docs que ceux qu’elle fréquentait hors des JEV – elle avait plus d’un côté de Bridget Jones.

 

C’était aussi l’anniversaire de François. Anne l’avait complètement oublié, obnubilée par l’idée de passer un week-end presque en intimité avec la mère de ce dernier. Sandra, elle, n’avait rien oublié, et l’enfant était ravi de souffler ses bougies. Anne se rattrapa en faisant des photos du petit pendant ce moment inoubliable. Son cadeau lui plut vraiment : une voiture de police, avec gyrophares, sirènes et tout ce qui s’en suit. Inutile de rajouter que la mère de François ne trouva pas ce cadeau très amusant, vu le bruit que ça faisait. Il tint à dormir avec la voiture, durant l’heure de la sieste, que les grandes passèrent à regarder quelques films.

 

Au cours de la journée, Audrey rappela quelques fois à Anne son attitude de la nuit. La brunette s’excusa encore et promit de se surveiller la nuit qui suivait.

 

"Je ne voudrais pas que ça t’empêche de dormir, sourit Audrey."

 

Quand l’enfant fut réveillé, il joua avec les trois femmes, sur le canapé, à des "lancers d’enfant", comme il appelait le fait de se jeter sur elles de toutes ses forces. Il réussit presque à assommer Anne, qui ne se souvenait pas avoir eu aussi mal à la tête après un tel coup. Les trois femmes, alors qu’il se concentrait pendant un instant sur sa voiture de police, discutaient d’un épisode de Stargate, mal traduit, selon elles.

 

"Je vous jure, disait Sandra, dans la version anglaise, on voit trop qu’ils sont amants, lorsqu’ils sont amnésiques, sur cette planète. En français, c’est à peine si on devine qu’ils sont amoureux l’un de l’autre.

 

François leva alors la tête : - Moi, c’est Sandy, mon amoureuse !

 

Les trois femmes éclatèrent de rire. Sandra prit le petit sur ses genoux :

 

- Alors, moi je suis ton amoureuse ?

 

- Oui. Et Anne, c’est l’amoureuse de maman !

 

- La vérité sort de la bouche des enfants, s’esclaffa Sandra".

 

Anne pensait qu’elle donnerait tout au monde pour que les paroles d’François soient un reflet de la réalité… Elle croisa le regard énigmatique d’Audrey et se demanda si la jeune femme le pensait aussi. Elles se sourirent, complices.

 

Le lendemain, les cloches avaient apporté du chocolat. Et les cloches avaient vraiment sonné, pour Anne : François n’avait rien trouvé de mieux que de venir faire crier sa sirène de voiture de police dans ses oreilles, alors qu’elle dormait encore. Audrey, qui s’était réveillée plus tôt, avait donc échappé au supplice. Elle et Sandra étaient amusées par ce réveil en fanfare que le petit garçon avait imposé à la jeune Créole, tout en disant la plaindre.

 

Pendant que Sandra, aidée – hum – de François, installait un grillage sur le balcon (elle craignait que Bonnie, son chat tigre nain du Bengale ne saute du premier), Anne et Audrey, se reposaient sur le canapé, endroit où, depuis qu’elles se connaissaient, elles remarquaient qu’elles adoraient passer du temps ensemble. Elles en profitaient pour se taquiner. Anne chatouillait la jeune rousse: elle avait un avantage, ne craignant pas les chatouilles, sauf en un endroit, qu’Audrey essayait de découvrir.

 

"En fait, tout bien réfléchi, il y a deux endroits…

 

- Où ?

 

- Comme si j’allais te le dire !"

 

Relevant le défi, Audrey s’appliqua à chercher, malgré la lutte qu’avait engagé la Créole pour se défendre. Mais la militaire était obstinée et ne fut pas longue à crier victoire. Elle chatouillait Anne derrière le genou, ravie de la torture qu’elle imposait à son amie. Ce n’était certes pas un endroit courant. Cela ne l’était tellement pas, qu’Audrey était morte de rire.

 

"Et l’autre endroit ?

 

- C’est encore moins courant. Mais si je m’y attends, ça ne me fait rien.

 

- Les pieds ? Non, c’est banal, ça.

 

- Non, les pieds, j’adore ça."

 

Nouvelle crise de fou rire alors qu’Anne rougissait : elles avaient pensé à tout à fait autre chose, à ce moment là.

 

"Bon, alors, dis-moi.

 

- Derrière les oreilles.

 

- C’est pas vrai ?

 

- Si."

 

Audrey testa, mais ce n’était pas la peine, comme Anne l’avait dit, il fallait que ce soit une surprise : si elle s’y attendait, ça ne prenait pas.

 

Les trois jeunes femmes firent une sieste en même temps que le fils d’Audrey. Et Anne repensait à la nuit précédente : cette fois, elle avait tout fait pour ne pas dormir contre Audrey, mais contre le mur. C’était dingue, comme elle se sentait attirée par la chaleur de son corps, cependant. Leurs pieds, eux, s’étaient cherchés toute la nuit, comme avides d’un contact qu’elles se refusaient.

 

Anne se défendait d’y penser. Ce n’était tellement pas elle ! Et puis, elle imaginait mal Audrey ne serait-ce que songer à ce genre de relation. Oui, mais son esprit et son cœur avaient deux façons de penser tout à fait différentes. Et comme elle avait fait sa devise de la phrase de Barbara : "La raison peu m’importe et qu’elle aille aux enfers", elle savait qui finirait par gagner.

 

Lors d’une autre promenade, en ville de Bourges, Sandra leur parla d’une fan fiction qu’elle écrivait. Elle avait de bonnes idées. Il était dommage qu’elle ne publiait pas ses œuvres. Audrey en avait publié trois : une qui se termine vraiment très mal, écrite suite aux événements du 11 septembre 2001 ; elle a avait besoin d’exprimer une partie de ses sentiments sur ce qui était arrivé à ses collègues de Washington ainsi qu’à toutes les victimes de New York et leurs familles. Les deux autres étaient plus légères. Enfin, si on prend en compte que dans l’une d’elles, le personnage principal est mort, peut-être pas, en fait… Anne jugeait qu’elle en avait elle-même écrit trop, et parfois trop rapidement. Les deux seules fics qu’elle avait écrites qu’elle aimait bien étaient en général celles pour lesquelles elles eu le plus de retour : dans l’une d’elle, elle inventé une famille complètement loufoque à Jack O’Neill, et dans l’autre, elle faisait divorcer le couple fétiche des Gaters. Aujourd’hui, écrire des fics ne l’intéressait plus du tout. Mais elle pressentait que Sandra était partie avec une très bonne base.

 

 

 

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