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Bound5B

Page history last edited by Fausta88 14 years, 9 months ago

Unies/ Bound

 

par Melissa Good

 

Traduction : Katell et Fryda

 

 

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Partie 5B

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Chapitre 42

 

La hutte de la guérisseuse était silencieuse, le lourd toit en chaume absorbant la pluie et le silence à l'intérieur surtout entrecoupé par le grattement d'une plume sur le parchemin, alors qu'Elaini, assise à la table, mettait à jour son journal médical.

 

Gratte, gratte. Une pause. Gratte. Une pause plus longue, lorsque Elaini leva la tête et que ses yeux étudièrent son seul patient, paisiblement endormi sur sa paillasse.

 

Par les bottes d'Arès, soupira intérieurement Elaini, posant son menton sur sa main, abandonnant momentanément sa prétendue activité. Il fait plus clair ici. Elle s'en était convaincue. Mieux valait mettre les dossiers à jour dans la salle principale que dans sa chambre. Pas vrai ?

 

Elle inspira, sarcastique. Arrête un peu, tu veux. Tu voulais être ici… près de lui. Alors elle étudia son profil, s'autorisant à s'y attarder un peu. Il est si mignon… avait-elle dit à Gabrielle, mais ce n'était pas entièrement vrai.

 

Son visage était trop puissant pour être vraiment mignon, la mâchoire trop décidée, et les yeux trop profonds et trop perçants. Même dans son sommeil, ses traits montraient une légère tension, témoignant de la vivacité de ses sens. Elaini sentit ses yeux l'avaler tout entier, et elle sut qu'elle était rapidement submergée par un flot insensé de… elle ne savait pas bien quoi.

 

Je suis amoureuse de lui. Dans tout ce silence, la pensée lui sembla dramatique, et elle leva les yeux au ciel. Oh, bon sang.

 

Elle entendit des bruits de pas sous le porche et se retourna pour voir qui pouvait bien se promener dehors par un temps pareil. Fourrure claire, yeux sombres, visage couvert de cicatrices et corps puissant et nerveux. " Warrin ", fit Elaini avec compassion. " Tu es venu voir ton neveu ? Il va se remettre. "

 

" Pas quand j'en aurai terminé avec lui ", fit Warrin sèchement en passant près d'elle avant de se diriger droit vers la paillasse. Ses pas lourds réveillèrent Jessan et le jeune être de la forêt tourna la tête vers lui avec un petit sourire.

 

" Oncle War… " Mais il n'alla pas plus loin. Warrin lui saisit la fourrure de la poitrine et serra les poings. " Hé ! "

 

" Qu'est-ce qui s'est passé exactement ? " grogna Warrin. " Ça risque de nous coûter très cher. Alors, parle. "

 

Jessan inspira profondément et resta silencieux un bon moment. Il vit Elaini qui se tenait debout, quelques pas derrière eux, surveillant ce qui se passait, et il laissa échapper un petit sourire. " Eh bien… " Je ne peux pas lui raconter ce qui s'est vraiment passé… " J'étais en train de courir… et… " Il haussa les épaules. " Je n'ai pas fait attention et j'ai pris un virage sans vérifier ce qui m'attendait derrière. Ils étaient là, et ils m'ont sauté dessus. "

 

" Pas fait attention… " grommela Warrin. " Continue. "

 

" C'était surtout pour m'énerver qu'autre chose ", remarque Jessan d'une voix calme. " Et puis ils ont commencé à devenir un peu plus violents et puis tout d'un coup… " Il esquissa un sourire. " Il s'est mis à pleuvoir des pierres. "

 

" Des pierres ? " fit Elaini, par-dessus l'épaule de Warrin.

 

" Ouais ", confirma Jessan. " Des pierres. En plein dans la figure, en plus. " Il sourit un peu. " Ils se sont enfuis, et puis Xena a bondi des bois, pour voir ce qui se passait. "

 

" Bondi ? " fit Elaini avec un petit sourire.

 

" Ben, ouais ", répondit Jessan en haussant les épaules. " Elle était détendue et sautillait un peu, comme quand elle est vraiment de bonne humeur. "

 

Ils le regardèrent tous les deux sans rien dire.

 

Warrin secoua la tête. " Et après ? "

 

" Après, ils sont revenus ", répliqua Jessan, sérieusement cette fois. Ses yeux dorés s'assombrirent. " Pas d'avertissement, pas de trêve… ils nous ont foncé dessus. " Ils passa rapidement sa langue sur ses lèvres et Elaini lui passa une outre remplie d'eau sans rien dire. " Merci… " Leurs yeux se croisèrent puis se quittèrent aussitôt. " Et puis… l'un d'entre eux m'a sauté dessus et on s'est battu… et… " Son visage devint féroce. " L'autre a eu la malchance de s'en prendre à Xena. "

 

Devrais-je leur dire que c'est comme ça que je me suis fait casser les côtes ? Trop occupé à la regarder se battre pour voir arriver ce dernier coup de pied… " Elle a sauté au-dessus de lui et lui a brisé le cou d'un seul coup de pied. "

 

Warrin grogna. " Hmm ", fit-il, les yeux baissés vers le sol. " Sécan va la vouloir. " Ses yeux croisèrent ceux de Jessan. " Combat ou pas combat, il va la vouloir. Celui qu'elle a tué… c'était Elusha, tu le savais ? "

 

Le neveu de Sécan qui, puisque le leader n'avait pas de fils, avait été choisi pour lui succéder. " Bon sang ", jura Jessan, avec une grimace de douleur, se tenant le côté. " Non… je ne l'avais jamais vu avant. "

 

" Il va raser ce village ", fit Warrin d'une voix dénuée d'émotion. " A moins qu'on ne lui donne ce qu'il veut. "

 

" Il ne l'aura jamais ", répliqua calmement Jessan. " Mon père ne le permettra pas, Warrin. Elle lui a sauvé la vie. " Sans parler du fait qu'ELLE ne le permettra pas non plus…

 

" Vraiment ? " fit doucement Warrin, plissant les yeux. " Tu as peut-être raison. " Et il se leva, ne laissant paraître aucune expression sur son visage. " Peut-être. " Et il se retourna et sortit, ses griffes grattant sur le parquet, avant de se glisser dehors, sous la pluie battante.

 

Elaini et Jessan se regardèrent à la dérobée pendant un moment, puis Elaini céda à ses instincts et s'agenouilla près de la paillasse, arrangeant les couvertures avec des mouvements précis. " Il avait l'air… " dit-elle en levant les yeux vers lui. " En colère. "

 

" Ouais ", marmonna Jessan tout en se posant des questions. " Il va probablement essayer de convaincre mon père de livrer Xena à Sécan. " Il était conscient de leur proximité et de la douceur pâle de la fourrure d'Elaini. Et de son parfum épicé si charmant. Oh, là… pensa-t-il, surpris. Qu'est-ce qui se passe là ? C'est Elaini, non ? " Et ça ne risque pas d'arriver ", assura-t-il.

 

" Non ? " fit Elaini, incapable de résister à l'envie de tendre la main et de toucher son front, sur lequel un coup avait laissé un gros hématome. " Tu as pris un sale coup ", observa-t-elle d'un air professionnel.

 

" Je sais ", fit Jessan en fermant les yeux, absorbant le contact. Oh, Arès… ce n'est pas possible… " 'Suis un peu fatigué… " marmonna-t-il, parce qu'il avait besoin de réfléchir.

 

" Tu as raison ", fit doucement Elaini en retirant sa main. Elle se leva. " Je suis sûre que Lestan prendra la bonne décision. " Elle retourna s'asseoir à la table et reprit sa plume.

 

Et utilisa l'instrument pointu pour dessiner distraitement de petites fleurs sur le parchemin tout en regardant par la fenêtre, vers un avenir invisible.

 

 

 

Chapitre 43

 

Gabrielle ouvrit les yeux à contrecœur et inspira profondément, appréciant le mélange d'air lourd de pluie, de fumée de bois dans la cheminée et du parfum familier de sa compagne. Un coup d'œil lui révéla que la dite compagne était encore profondément endormie et Gabrielle prit soin de ne faire aucun mouvement qui aurait pu la réveiller.

 

Elle en a besoin. Le barde savait que c'était la vérité. Même si elle ne l'admettra jamais, ni à moi ni à elle-même. Elle fit une pause, écoutant le souffle régulier de Xena. Même si j'ai réussi à la faire rester tranquille plus longtemps que d'habitude cette fois. Elle pencha doucement la tête et étudia sa compagne, satisfaite de voir que son teint était redevenu normal et qu'elle semblait détendue, son corps libéré de la douleur. Tu vas aller bien, espèce de folle de guerrière, pensa-t-elle avec affection. Dieux, ce que tu me fais peur parfois… mais… je crois que tu t'es fait peur aussi cette fois-ci.

 

Gabrielle jeta un œil vers la fenêtre et fut soulagée de voir la pluie se calmer. Elle bâilla tranquillement et était sur le point de se blottir à nouveau contre sa compagne lorsque son univers éclata en un mouvement violent.

 

Elle ne vit jamais Xena bouger, mais se retrouva plaquée au sol, une main protectrice contre son dos, et puis la guerrière explosa dans les airs, une main puissante se refermant vivement sur quelque chose puis le relâchant, avant de replonger sur le corps de Gabrielle, dégainant sa dague de son armure et fendant l'air sur les côtés.

 

Elle attrapa un autre objet invisible, puis roula, cassant son mouvement, et se lança en avant vers la porte, avant de s'arrêter dans l'entrée et de regarder, une main négligemment appuyée sur l'encadrement.

 

Silence. Gabrielle resta là où elle était et attendit qu'on l'autorise à bouger, ce que Xena fit en posant une main chaude contre son dos et en chuchotant un mot. Elle roula doucement sur le dos et regarda sa compagne, remarquant que toute trace de sommeil avait disparu de son corps, comme si elle avait été éveillée depuis des heures. Par Arès, comment fait-elle ça ?

 

" Ouais ", fit le barde en inspirant avec précaution tout en s'asseyant. Elle regarda Xena. " Je dirais que tes réflexes vont plutôt bien, mon amour. " Elle essaya de sourire et attendit que son cœur reprenne son rythme régulier. " C'était… " Extraordinaire, incroyable, impossible. Toujours en train de chercher des mots pour la décrire, hein ? " C'était quoi, au fait ? "

 

Le visage de Xena devint immobile, ce qui était toujours mauvais signe. " Quelqu'un voulait nous faire dormir pour de bon ", répondit doucement la guerrière. Elle leva la main et laissa tomber son contenu devant Gabrielle : une petite fléchette dont l'extrémité était d'un rouge écarlate qui ne laissait présager rien de bon.

 

Elles échangèrent un regard.

 

" Eh ben… nous voilà avec un mystère sur les bras ", fit Gabrielle en ramassant la fléchette avec précaution, la regardant de plus près.

 

" Non ", répliqua Xena avec un mouvement nerveux. " Je sais qui c'était. "

 

Les yeux vert brume de Gabrielle observèrent les siens avec une précision infaillible. " Warrin ? " fit-elle doucement.

 

Xena hocha la tête.

 

" Pourquoi ? " demanda le barde. " Je veux dire… c'est vrai qu'il était furieux en quittant le conseil, mais quel intérêt aurait-il à… Xena, je ne comprends pas. "

 

La guerrière s'assit en tailleur sur l'épais tapis à ses côtés et posa ses deux coudes sur ses genoux, avant de se pencher en avant pour jouer un peu avec la fourrure du tapis. " Je crois que je sais pourquoi ", répondit-elle doucement. " Il pense que s'il peut nous livrer… ou tout au moins moi… " Ses lèvres se tordirent un peu. " … à Sécan, il aura un peu de manœuvre pour parvenir à un accord avec lui. " Xena haussa les épaules. " Ce n'est pas un mauvais plan… ça aurait même pu marcher. "

 

Gabrielle la regarda, affligée. " Comment peux-tu dire une chose pareille si calmement ? "

 

Xena sourit un peu. " Il essaie de protéger les gens qu'il aime, Gabrielle. " Elle croisa le regard du barde. " J'aurais peut-être fait la même chose, pour toi. "

 

" Non, tu ne l'aurais pas fait ", répondit tranquillement le barde. " Parce que je ne voudrais pas que ma vie soit achetée à un tel prix, et tu le sais bien. "

 

Et Xena le savait bien, et espérait, priait pour n'avoir jamais à prendre cette décision… parce que ne rien faire voudrait dire perdre Gabrielle dans cette vie. Et faire quelque chose voudrait dire la perdre pour bien plus longtemps. " Oui, je sais ", affirma-t-elle. " On devrait se préparer pour le dîner. Je veux passer chez la guérisseuse et voir Jess sur le chemin. "

 

Gabrielle l'observa un moment. Est-ce que je laisse tomber le sujet ? Elle regarda les yeux bleus qui l'observaient et sourit intérieurement. C'était le regard qui lui criait 'laisse tomber, ok ?'. Ok, pour cette fois. " Ça me va. " Elle se leva et partit en direction de leurs affaires.

 

" Whoa ! " Un cri soudain, lorsque Arès vint se coller dans le passage et elle tomba. " Hadès ", marmonna-t-elle en fermant les yeux. " Ça va faire mal. "

 

Mais on l'attrapa avant qu'elle ne touche le sol et elle se retrouva dans les bras de Xena plutôt que sur le plancher. Elle lança un regard soupçonneux vers Arès. " Tu lui as appris à faire ça ? " accusa-t-elle la guerrière.

 

" Evidemment ", fit Xena avec un sourire penaud. " Il a un bon timing, hein ? " Elle remarqua que Gabrielle ne faisait aucun effort pour échapper à son étreinte. " C'est confortable ? "

 

" Mmm, hmmm ", fit le barde en riant. " Je me sens… très protégée. " Et sa bouche se tordit un peu alors qu'elle repensait à la dernière fois où elle avait prononcé ces mots.

 

 

Une clairière au cœur de la jungle, éclairée par la lune, tout près du temple caché où ils avaient trouvé l'ambroisie, et d'où elle était sortie de l'ombre, et sa vie avait à nouveau changé, mais cette fois en mieux. Après être sortie du temple, elle avait passé un peu de temps à essayer de se convaincre qu'elle ne rêvait pas.

Que la personne assise près d'elle sur ce rocher, baignée par la lumière argent, n'était pas un fantôme, ni une apparition tout droit sortie de son imagination éreintée, mais qu'elle était bien réelle, et vivante, et qu'elle l'avait serrée contre elle après le départ d'Autolycus et après que les Amazones aient commencé à préparer le campement pour la nuit. Elles avaient dîné et Xena avait fait quelques commentaires amusants, qui avaient surpris les Amazones et ravi Gabrielle. Et puis le feu était devenu braises, et les Amazones, épuisées, avaient établi un tour de garde avant que le reste d'entre elles ne s'installent pour prendre un peu de repos bien mérité. Gabrielle s'était alors retrouvée assise sur son sac de couchage, devant une Xena silencieuse et pensive.

Qui était assise sur son propre sac de couchage, tout près, appuyée contre un rocher, ses deux bras entourant ses genoux. Les yeux bleus l'avaient étudiée un bon moment avant que la guerrière ne penche un peu la tête sur le côté et ne parle doucement. " Ça va ? "

" Moi ? " avait fait le barde, " Ce n'est pas moi qui suis… " Et elle avait découvert qu'elle ne pouvait pas prononcer le mot, qu'elle ne pouvait même pas le penser. " Ouais ", avait-elle finalement soupiré. " Ça va aller. Je n'ai pas passé… une très bonne semaine. " Elle avait levé les yeux et observé le visage silencieux de Xena. " Et toi, ça va ? Tu veux… de l'eau, ou autre chose ? "

La guerrière avait sourit un peu tristement. " Je crois que je suis un peu fatiguée. " Elle inspira. " Ça fait drôle. "

" Quoi donc ? " avait demandé Gabrielle, voulant par-dessus tout entendre sa voix.

" De respirer ", avait répondu Xena. " De parler, de bouger… " Elle but une gorgée de l'infusion que contenait sa tasse. " Ça m'a manqué, de ne pas pouvoir… sentir les choses… " Ses yeux croisèrent ceux de Gabrielle. " Ça m'a manqué de ne pas pouvoir te parler. "

Et cela avait frappé Gabrielle en pleine figure, lorsqu'elle avait réalisé que les choses changeaient entre elles. Ce qui avait commencé dans cette clairière avec Autolycus et ne s'était pas terminé lorsqu'elle avait abandonné de son plein gré le contrôle de son corps à la demande de la guerrière. Lorsqu'elle avait demandé si elle voulait bien. Gabrielle faillit en rire. Quelle question ! Cela avait été… fantastique. Elle n'avait ressenti aucune peur, même lorsque Velasca l'avait presque fait tomber dans les flammes, aucune peur, seulement une accélération féroce du sang qui l'avait envahie comme un vin fort. Et elle s'était sentie protégée, comme si on l'avait enveloppée dans une couverture chaude, comprenant que cette chaleur provenait sans aucun doute de Xena. " Ça m'a aussi manqué de ne pas pouvoir te parler ", répondit-elle d'une petite voix, mais elle sourit ensuite, sarcastique. " Même si je te parlais quand même. " Un petit haussement d'épaules dépréciateur. " Tu me connais. "

" Je sais ", avait répondu Xena. " Je t'ai entendue. "

Alors, elles s'étaient regardées, pendant un long moment, jusqu'à ce que Xena se penche en avant et tapote le genou du barde, souriant. " Ça aussi, ça m'a manqué. "

Et Gabrielle avait saisi sa main et enroulé ses doigts autour de ceux de Xena, et serré doucement. " A moi aussi. " Elle entendit sa voix se briser et baissa les yeux vers leurs mains jointes. Elle déglutit. Pas question que je m'effondre maintenant, avait-elle pensé. Pas après tout ça. Et elle avait inspiré profondément et s'était forcé à sourire et à lever les yeux.

Le regard de Xena s'était fixé sur le sien et elle y avait vu une chaleur rare et douce qui l'avait traversée comme une vague délicate. " Tu as besoin de repos, mon barde ", avait dit Xena et ses lèvres avaient esquissé un sourire devant le regard timidement étonné de Gabrielle.

" Ouais… " avait finalement réussi à dire Gabrielle, et elle avait serré cette main chaude dans la sienne puis s'était allongée en face de Xena, la guerrière l'imitant ; celle-ci fut la dernière chose qu'elle vit avant de succomber aux besoins de son corps éreinté, ça et deux yeux bleus qui… la surveillaient en silence.

Et les cauchemars l'avaient assaillie cette nuit-là… la même scène maudite surgit dans les profondeurs de son esprit, mais cette fois… cette fois, une main la secoua et elle se réveilla en sursaut, le cœur battant la chamade, pour voir l'inquiétude placardée sur un visage qu'elle n'avait vu qu'immobile et froid dans ces cauchemars pendant trop longtemps. Avant qu'elle n'ait pu s'en empêcher, elle avait tendu une main tremblante et touché le visage de Xena, juste pour se prouver qu'elle était bien réelle, et elle avait craqué.

Elle s'était effondrée en mille morceaux, et la seule chose qui l'avait retenue était deux bras qui s'étaient enroulés autour d'elle et l'avaient protégée tandis qu'elle libérait la douleur qu'elle avait accumulée depuis qu'elle avait quitté Nicklios. " Oh, dieux… " balbutia-t-elle, en essayant de reprendre son souffle. " Tu es là… ce n'est pas un rêve. Tu es vraiment là… tu es vraiment là. " Elle avait senti la chaleur de son corps sous les mains tremblantes et entendu le battement de cœur régulier et puissant de la guerrière sous son oreille pressée contre sa poitrine.

" Je serai toujours là, Gabrielle ", avait dit Xena doucement pour la rassurer, et ces mots devinrent une planche de salut qui sauva son âme des eaux sombres dans lesquelles elle se noyait. " Je te le promets. "

Et sur cela, l'épuisement des jours passés l'avait rattrapée, et elle ne se souvenait même pas de s'être endormie, se réveillant un peu confuse le jour suivant, alors que le soleil filtrait à travers les arbres, dessinant des tâches de lumière et d'ombres sur le sol couvert de feuilles, et elle prit conscience d'une présence chaude et silencieuse à ses côtés, ainsi que d'un bras tranquillement enroulé autour de ses épaules.

Elle avait levé les yeux et vu Xena, le visage détendu mais alerte, regarder la forêt alentour, et elle s'était dit que c'était sans doute l'une des plus belles choses qu'elle ait jamais vues. " Salut ", avait-elle dit en tendant la main comme pour être sûre qu'elle était bien là. " Il est tard. "

Xena avait baissé les yeux vers elle et lui avait souri, puis lui avait tapoté l'épaule. " Tu avais l'air fatigué. "

" Tu es réveillée depuis longtemps ? " avait demandé le barde en bâillant, appuyant sa tête sur sa main.

La guerrière avait acquiescé. " Je voulais voir le soleil se lever ", avait-elle expliqué calmement, puis elle s'était arrêtée. " J'avais besoin de réfléchir. " Et puis une tristesse un peu voilée et hésitante avait envahi son regard. " Alors… qu'est-ce que ça fait d'être la reine des Amazones ? "

Gabrielle avait levé les yeux vers elle, étudié le regard d'intérêt amical qu'on lui offrait et senti le soupçon de… regret ? Peur ? Elle ne put deviner ce qui se cachait exactement derrière le demi-sourire et les yeux bleu clair, mais cela toucha son cœur d'une façon inattendue.

Alors elle avait haussé les épaules, et étudié ces yeux attentivement en donnant sa réponse, sa décision ayant été prise à la minute où elle avait ouvert les yeux dans ce passage des rêves brumeux et avait vu Xena debout, devant elle. " 'Sais pas. Tu devrais demander à Ephiny… " Et Xena avait simplement levé un sourcil, mais Gabrielle avait vu la tension dans ses épaules disparaître et une douce chaleur remplacer les ombres. " C'était… un refuge, et j'aurais fait de mon mieux, mais… " Elle soupira.

" Tu es sûre ? " avait demandé Xena nonchalamment, mais elle n'avait pu masquer le sourire qui se dessinait sur ses lèvres. Alors elle avait regardé pendant une minute vers l'endroit où les Amazones avaient passé la nuit, le temps de se reprendre, avant de poser de nouveau son regard sur Gabrielle.

Et le barde avait levé la main et l'avait posée sur celle, immobile, sur son épaule et, avec une inspiration profonde et heureuse, avait répondu : " Oui, j'en suis sûre. J'aime bien les Amazones… mais… " Elle avait hésité, puis avait continué tant qu'elle en avait le courage. " Elles n'auraient jamais pu combler… ce grande vide que tu avais laissé. "

" Gabrielle… " La voix de Xena était si douce.

" Je sais ", avait soupiré le barde en secouant la tête. " C'était un peu idiot de dire ça. Ecoute, je suis désolée. C'est juste que… je suis contente que tu sois revenue, ok ? " Elle sourit à la guerrière. " Après tout, le monde a besoin de toi. " Ouais… presque autant que j'ai besoin de toi.

Dans la clairière à proximité, elle pouvait entendre les Amazones se déplacer dans le campement et le vent fouetter les arbres, le craquement du feu, le martèlement de la forgeronne qui effectuait ses réparations… mais la chaleur d'une main qui avait saisi sa mâchoire et des yeux bleus qui avaient capturé les siens avec une intensité incomparable avaient soudain fait bondir ses sens. " Gabrielle ", avait dit Xena, lentement et clairement. " Je me fiche pas mal du monde. "

Et après un long moment de compréhension totalement immobile, tout ce qu'elle avait pu articuler était : " Oh. " Mais, à partir de cet instant, elle avait commencé, tout doucement, prudemment, à imaginer… de nouvelles possibilités.

 

 

 

 

" Hé ! " fit Xena en la poussant un peu du doigt. " En voilà un sourire intéressant… à quoi penses-tu ? "

 

Le sourire de Gabrielle s'agrandit encore. " A toi. "

 

La guerrière rit doucement, puis se leva, relâchant Gabrielle une fois debout. " Je suis flattée. "

 

Elles se chamaillèrent tout en s'habillant, et furent ravies de voir que la pluie avait enfin cessé. " Tu vas parler de Warrin à Lestan ? " demanda Gabrielle alors qu'elle se battait avec les lacets sur le devant de sa tunique.

 

" Attends ", fit Xena en souriant et elle se chargea de nouer les lacets. " Probablement. Il devrait savoir ce qui s'est passé. "

 

Elles marchèrent sous les rayons hésitants du soleil qui traversaient avec peine les nuages, et allèrent jusqu'à la hutte de la guérisseuse, juste au moment où Elaini ouvrait la porte pour sortir.

 

" Bonjour ", fit la guérisseuse, ouvrant la porte et leur faisant signe d'entrer. " Entrez… il faut que j'aille chercher quelques provisions. " Elle les dépassa et descendit les marches, ignorant les sourires échangés entre guerrière et barde.

 

" Salut, Jess ", fit Xena en entrant avec Gabrielle. Elles avancèrent jusqu'à la paillasse où l'être de la forêt était étendu.

 

" Hé ", fit doucement Jessan en leur souriant de toutes ses dents. " Comment ça va ? " demanda-t-il à Xena.

 

" Très bien ", répondit la guerrière avec une pointe de finalité, ce qui n'empêcha pas Jessan de jeter un coup d'œil vers Gabrielle pour obtenir confirmation, ce qu'il reçut sous forme d'un léger hochement de tête. " Comment vont les côtes ? "

 

Le grand être de la forêt soupira. " Elles ont pris un sale coup. " Il baissa ses yeux dorés. " Mais pas autant que ma fierté. " Il inspira doucement. " Je te dois des excuses, Xena. "

 

Xena haussa les sourcils et échangea un regard confus avec Gabrielle. " Pourquoi ? "

 

" Je t'ai mise en danger ", répondit doucement Jessan.

 

La guerrière éclata de rire. " Je t'en prie, Jessan… je n'ai besoin de personne pour ça. "

 

" C'est le moins qu'on puisse dire ", marmonna Gabrielle en évitant la tape joueuse que lui lança Xena.

 

" Non. " L'être de la forêt secoua la tête. " J'ai permis à mes instincts de s'éroder, à tel point que je me suis mis dans une situation dont je ne pouvais pas me sortir. Et cela t'a mise en danger, et nous… nous ne faisons pas cela à la légère, avec les personnes qui sont unies comme vous deux, Xena. "

 

Super, soupira Xena intérieurement. Juste ce dont j'avais besoin. " Ecoute ", dit-elle fermement, en saisissant la fourrure de sa poitrine et en le fixant d'un air furieux. " Personne ne me met ni me sort de quoi que ce soit, ok ? " Elle sentit la présence encourageante de Gabrielle et une main douce se posa sur son dos. " Nous connaissons les risques. "

 

" Vraiment ? " demanda Jessan doucement.

 

" Oui, vraiment ", répondit Gabrielle en posant la main sur son bras. " Mais quel genre de personnes serions-nous si nous ne venions pas en aide à quelqu'un sous le prétexte que nous avons peur ? " Ses yeux croisèrent ceux de Jessan. " La vie est un risque perpétuel. "

 

Jessan les observa un long moment en silence. Elles comprennent vraiment. Arès… leur lien est si fort… je n'ai même pas besoin d'utiliser ma Vue pour le sentir. Il regarda Gabrielle s'approcher et poser son menton sur l'épaule de Xena dans un geste nonchalant, et il leur sourit. " Je vous envie ", fit-il en soupirant. " J'aimerais… bref… " Il se força à sourire. " Merci du coup de main. "

 

" Pas de problème ", répondit Xena en souriant, puis ses yeux brillèrent de malice. " Et puis… ça te donnera l'occasion de… débattre… de choses et d'autres avec Elaini. " Elle jeta un coup d'œil vers le barde. " Pas vrai ? "

 

" Tout à fait ", répondit Gabrielle en hochant solennellement la tête. " Super occasion. "

 

Elles le regardèrent. Il leur rendit leur regard, puis une rougeur envahit son museau et il soupira.

Xena sourit. Ça fait plaisir d'être de l'autre côté pour une fois. " Tu rougis ", commenta-t-elle, et il rougit encore plus. " Ahhh… allez, Jess. Elle est gentille. "

 

Jessan la regarda. Dis-moi, Xena… est-ce que c'est comme ça, quand on tombe amoureux ? Je ne m'en souviens pas… ça fait si longtemps. Est-ce que c'est comme si on se noyait ? Comme de se tenir debout sous une chute d'eau ? Comme le soleil du matin ? Dis-moi. Comment était-ce pour toi ? " Je sais ", dit-il doucement, et il sentit ses lèvres esquisser un sourire involontaire. " Vous feriez mieux d'y aller. Maman a horreur de dîner tard. "

 

Xena se mit à rire. " On repassera tout à l'heure ", promit-elle, puis elle se pencha vers lui. " Profites-en, Jessan. "

 

Leurs yeux se croisèrent et il comprit ce qu'elle voulait dire. " J'ai peur ", dit-il doucement, en fixant ses yeux avec intensité.

 

Et elle hocha la tête. " Moi aussi, j'avais peur. " Une main sur son épaule et un regard si intense qu'il le brûla presque. " Fais-le quand même. "

 

" Je ne crois pas que je pourrais l'empêcher ", répondit-il, presque dans un murmure.

 

" N'essaie pas ", répliqua Xena, consciente de la présence immobile et silencieuse près de son épaule. " Crois-moi. "

 

" Je te crois ", affirma Jessan. Puis il inspira et entendit la porte extérieure s'ouvrir. " Merci. "

 

Xena acquiesça puis se releva. " Pas de problème. "

 

Elles passèrent près d'Elaini dans la grande salle, alors que la guérisseuse rangeait des fournitures sur un plateau. Elle leva les yeux en les entendant arriver, et fit un clin d'œil à Gabrielle. " Tu avais raison à propos des étincelles ", dit-elle avec un petit sourire.

 

Le barde sourit. " N'hésite pas ", conseilla-t-elle, puis elle se pencha en avant et chuchota quelque chose à l'oreille de la guérisseuse, quelque chose qui la fit glousser. " Essaie. Fais-moi confiance. "

" Ok ", acquiesça Elaini, puis elle leur fit un petit signe de tête et partit vers l'autre pièce, un plateau dans les mains.

 

" C'était quoi, ça ? " demanda Xena alors qu'elles descendaient les marches du porche et prenaient le chemin du chalet de Lestant et Wennid.

 

" Comment entretenir et nourrir correctement les guerriers, volume 1 ", répondit Gabrielle innocemment, en jetant un coup d'œil malicieux à sa compagne.

 

Xena ricana. " Oh… alors c'est tellement dur de nous supporter qu'ils ont écrit un bouquin là-dessus ? "

 

" Et pas qu'un seul. Il y a toute une aile consacrée à cela à l'Académie ", affirma le barde. " Les détails… comment choisir le bon cuir, comment polir l'armure, tout ce que tu veux. "

 

Elles marchèrent en silence pendant un moment, puis : " Tu as l'air d'avoir tout bien retenu ", Xena remarqua avec un sourire lent.

 

" J'ai eu des cours particuliers ", répondit aussitôt le barde. " Avec le meilleur prof. "

 

Xena rit doucement, puis sentit ses sens l'alerter, et elle se rapprocha du barde, glissant un bras protecteur autour de ses épaules. " Ne t'arrête pas ", murmura-t-elle en sentant Gabrielle se raidir sous son bras. " On nous regarde. "

 

" Tu crois que c'est Warrin ? " demanda le barde très doucement.

 

Xena haussa les épaules et continua à marcher, repérant exactement où se trouvait l'observateur, juste un peu à gauche du porche de Lestan. Instinctivement, elle bougea un peu pour que son corps vienne protéger celui de Gabrielle. Alors qu'elles approchaient, tous ses instincts défensifs furent mis en alerte ; elle sentit ses cheveux se dresser sur sa nuque et toute la tension passer dans ses muscles.

 

Encore plus près, et elle put alors entendre les sons que faisait l'espion… le souffle et le léger grattement, lorsque la branche de l'arbre derrière lequel il se cachait se prit dans sa fourrure et la déchira un peu. " Une arbalète ", dit-elle calmement à Gabrielle qui se contenta de hocher la tête et laissa ses yeux se poser sur la maison du chef du village.

 

Elle entendit le mécanisme se mettre en place avec un petit clic, et l'espion poser une flèche sur l'arme avec un frottement de bois contre bois.

 

Un silence, durant lequel Xena pouvait imaginer le tireur viser. Un mètre quatre-vingt, et en tunique claire, en plus. Quelle cible je fais, pensa-t-elle distraitement, alors qu'elle se préparait à agir instinctivement. Ses yeux se posèrent rapidement sur le visage de Gabrielle. Elle ne s'inquiète même pas… dieux… elle me fait aussi confiance que ça ? Et moi ?

 

Le grattement de la corde tendue sur l'arbalète. Un petit clic lorsque le mécanisme s'enclencha. Elle sentit ses épaules se raidir ainsi que les muscles plus petits de ses avant-bras et de ses poignets. Et si je manquais ? La pensée se rua dans son esprit. Alors je me retrouverais avec une flèche dans le corps, répondit son esprit pratique, mais elle se sentit un tantinet mal à l'aise. Et depuis quand tu te mets à douter de tes compétences en la matière ? C'est très dangereux ça, Xena.

 

Les plumes dans le vent, un son de déchirement léger alors que la flèche traversait le feuillage, puis son bras droit se leva presque paresseusement, les longs doigts se refermèrent sur le bois doux et poli. Pas de marque. Un bruit dans les buissons et des voix qui criaient lui indiquèrent que l'archer venait d'être découvert. Elle vit bientôt un groupe d'êtres de la forêt apparaître, trois d'entre eux poursuivant le quatrième.

 

" On dirait que j'ai oublié de raconter les histoires où tu attrapes les flèches en plein vol ", remarqua Gabrielle d'un air désabusé en frottant doucement le dos de sa compagne. " Belle prise. "

 

Xena examina pensivement la flèche, la faisant tourner entre ses doigts avec un petit sourire. On dirait que ce talent est toujours intact… c'est… plutôt bien. Et elle sentit un léger picotement en se sentant un peu plus sûre d'elle. " Merci ", remarqua-t-elle en lançant en l'air la flèche à plusieurs reprises. " Allons voir qui était notre ami. "

 

 

 

Chapitre 44

 

" Ceci n'est pas une négociation, Lestie ", remarqua le grand visiteur à la fourrure argentée, sur un ton amusé. " En fait, je ne sais vraiment pas pourquoi Sécan m'a envoyé ici, plutôt que de venir lui-même et de raser cet endroit. " Kelten se retourna et lança à Lestan un regard d'ennui. " Donne-lui ce qu'il veut, et on n'en parle plus, d'accord ? "

 

Lestan renversa légèrement la tête en arrière et regarda le plafond. " Je te l'ai dit deux fois déjà, Kelten. Elle ne m'appartient pas. "

 

Le grand être de la forêt vint se placer derrière lui et baissa la voix, prenant un ton menaçant. " Mais qu'est-ce qui te prend… je savais que tu t'étais ramolli, mais protéger une humaine ? Lestan, ils ont massacré la moitié de ton clan d'origine, et ils auraient fait la même chose avec celui-ci… comment peux-tu amener des humains ici ? " Une pause. " Et l'un d'entre nous a été tué. Cela ne veut-il rien dire à tes yeux ? "

 

Lestan inspira profondément et regarda pensivement ses mains. " Ton cher petit Elusha a décidé de sortir son épée contre une humaine désarmée. Quel honneur poursuivait-il ainsi, Kelten ? Qu'est-ce que l'humaine était censée faire ? Rester là sans rien faire et se faire égorger comme un mouton ? "

 

" Pourquoi pas ? " cracha Kelten. " Ils ne sont bons qu'à ça. " Il se retourna et marcha jusqu'à la fenêtre, posant une main sur le rebord et regarda dehors. " J'en ai assez de tes excuses, Lestan. Je la veux. Donne-moi ce que je veux, et je quitterai ce trou à rats puant. "

 

Lestan se leva et vint derrière lui, jetant un coup d'œil à travers la fenêtre. Il repéra les deux silhouettes qui s'approchaient. " Kelten, tu es un imbécile ", fit-il calmement. " Pour la dernière fois, elle ne m'appartient pas. " D'un mouvement du menton, il indiqua la fenêtre. " Regarde. "

 

Kelten regarda et observa avec intérêt les deux humains qui s'approchaient. Deux femmes, remarqua-t-il, l'une plus petite, aux cheveux de la même couleur que ses sœurs, au corps compact et à la démarche assurée. L'autre… il plissa les yeux, pensif. Grande, presque autant que l'un de son peuple, les cheveux sombres, avec les épaules et les bras d'une épéiste, et de longues jambes musclées. Et une démarche qui indiquait très clairement que ce n'était ni une paysanne ni une marchande. C'était… ses narines frémirent… une chasseresse. Et il sut pourquoi Sécan la voulait tant… parce que cette chasseresse n'avait rien à faire parmi les mollassons de Lestan.

 

" Je l'emmène avec moi, Lestan. Rends-toi service et ne t'en mêle pas ", fit Kelten en ricanant. " Et peut-être que je dirai à Sécan de laisser tranquille ton misérable trou à rats pendant un temps. " Il vit bientôt la guerrière humaine passer un bras autour de sa compagne plus petite, sans se douter que son archer se cachait juste à la sortie du village, avec pour ordre d'abattre les femelles humaines comme des cerfs dans les bois. Toutefois, les flèches étaient couvertes de poison pour les immobiliser, et l'archer était assez doué pour viser des organes non vitaux. C'est ça… encouragea-t-il en pensée. Plus près, encore un peu, espèce d'aveugles…

 

Et il vit, avec un choc, la femme aux cheveux noirs, dans un mouvement si rapide que ses yeux eurent du mal à le suivre, saisir la flèche en plein vol et la lancer dans les airs. Par la barbe d'Arès. Il souffla. C'est impossible.

 

" Attention à ce que tu souhaites ", fit Lestan d'une voix traînante, tout près de lui. " Tu pourrais bien le retrouver sous ton toit. " Il regarda la sentinelle traîner l'archer de sa cachette et venir dans leur direction. " Fiche le camp ", ordonna-t-il d'une voix calme. " Et dis à Sécan que je le rencontrerai à l'endroit et l'heure convenus. "

 

Kelten arracha son regard de l'humaine avec difficulté. " Pas sans cette humaine ", dit-il simplement. " Je pensais pouvoir t'éviter des problèmes, l'endormir ici et l'emmener, mais tant pis. On peut faire ça de la manière forte. " Il avança jusqu'à la porte puis passa sous le porche, où la sentinelle amenait l'archer qui était toujours sous le choc. Imbécile. Il soupira intérieurement, puis s'immobilisa alors que les deux humaines montaient les marches et s'approchaient assez près pour qu'il les attaque.

Des yeux plus bleus que le ciel soutinrent son regard pendant un moment si long qu'il en oublia de respirer. Il vit son visage se tendre, et la tenue de ses épaules changer un peu, alors qu'elle l'évaluait ; elle vint se placer entre lui et l'autre humaine plus petite avec un instinct si fluide qu'il pensa qu'elle n'en était même pas consciente.

 

" Nous avons une dette de sang envers toi ", dit-il en observant son visage. Un sourcil se leva, et la lèvre sur le même côté du visage esquissa un sourire.

 

" Et comment donc ? " répliqua la femme d'une voix si basse qu'elle lui chatouilla les oreilles. " Je lui ai brisé la nuque. Pas de sang. "

 

Kelten sentit son sang bouillir. " Tu trouves cela amusant, humaine ? " Sa fourrure frissonna et il montra le bout de ses canines dans un sourire féroce.

 

Elle lui sourit aussitôt et s'avança vers lui. " Non. Ce que je trouve amusant, c'est que vous envoyiez vos guerriers armés contre des villageois désarmés, et que vous vous mettiez en colère lorsque l'un d'entre eux se fait tuer… " Son sourire devint lui aussi féroce, et ses yeux étincelèrent. " … parce qu'il a choisi la mauvaise victime. "

 

Le silence s'installa autour d'eux. On n'entendait que le froissement des feuilles et le craquement léger du plancher, alors que même les êtres de la forêt retenaient leur souffle et attendaient la suite des événements. Ils attendaient qu'il décide, qu'il suive les exigences de son honneur et qu'il la déchiquette de ses crocs et de ses griffes, de ses bras si longs et si puissants. Ou bien qu'il suive l'avertissement glacial que ses instincts lui hurlaient ; que cette humaine était bien plus que ce à quoi il s'attendait. Que s'il décidait d'attaquer, il devait être prêt à… perdre ? Non, pensa-t-il, froidement et rationnellement. Il était ce qu'il était, et elle n'était qu'une humaine.

 

Le bras de Kelten jaillit plus vite que l'éclair, toutes griffes dehors, dans un coup qui visait la gorge. Un seul coup… c'était tout ce qu'il fallait. Sécan avait dit qu'il la voulait vivante… mais tant pis. Il se tendit pour l'attaque, sentant déjà la sensation viscérale de ses griffes acérées déchirant sa chair tendre.

 

Mais on lui saisit le bras. Et on le stoppa, ce qui le déséquilibra. Puis une main vint s'enrouler autour de son poing couvert de fourrure et il se retrouva poussé en arrière, et alla s'écraser contre le pilier en bois du porche qui trembla sous le coup. Un coup dont la force le choqua et le rendit immobile.

 

" Ecoute-moi bien. " La voix de Xena laissa transparaître sa colère. " Je ne suis pas d'humeur à nettoyer le plancher avec toi. Alors tu retournes auprès de ton chef et tu lui dis de ma part que si ses petits garçons ne peuvent pas se défendre tous seuls, ce n'est pas mon problème. " Elle se pencha en avant, en plein devant sa figure, le provoquant. " Compris ?? "

 

Pas de réponse, mais il ne bougea pas non plus. " Oh, et encore une chose… " continua Xena en agrippant un peu mieux sa fourrure et en le poussant violemment contre le pilier. " Si on me tire encore dessus, l'envie me prendra peut-être de te dépecer et de me faire une nouvelle carpette. COMPRIS ? "

 

Kelten sentit sa volonté s'effondrer en regardant ces yeux-là, et il comprit en un seul moment qu'il était en train de jouer avec un feu qui risquait de le réduire en cendres.

 

" Compris ", fit-il doucement et il se remit à respirer lorsqu'elle le relâcha, puis recula, sans pour autant le lâcher des yeux. Il baissa les siens, puis regarda autour de lui, absorbant l'attention silencieuse concentrée uniquement sur elle, depuis les hommes de Lestan, jusqu'à son archer. Et l'autre humaine qui, seule, souriait doucement, et dont le regard contenait une gamme incroyable d'émotions différentes. Puis ses yeux verts croisèrent les siens et la puissance qu'il y lut lui coupa le souffle.

 

" Si j'étais toi… " dit la plus jeune femme, presque sur le ton de la conversation. " … je m'en irais. Et tu sais, il faudrait peut-être songer à contrôler ton tempérament. "

 

Ceci valut un petit ricanement de la grande guerrière qui se détendit un peu et lança à sa compagne un regard amusé. " Gabrielle… " La voix basse détacha les syllabes avec l'affection douce d'une amante, et Kelten comprit que c'était exactement ce qu'elles étaient. Et puis sa Vue lui montra qu'elles étaient même plus que cela. Et il décida qu'il devait regagner son village pour avouer sa défaite et raconter son histoire aux siens, ce qui devrait se compenser joliment. Elle était le seul élément qui inquiétait Sécan, et il savait à présent que son chef n'avait plus rien à craindre.

 

" Très bien. " Il renifla, essayant de regagner son attitude féroce. " A bientôt, Lestan, lorsque tout cela n'aura plus… aucune importance. " Il fit un geste dédaigneux de la main. " Si tu peux réunir assez de guerriers, bien entendu. " Il se retourna et descendit les marches, attrapant au passage l'équipement de son archer et l'homme lui-même. Le villageois qui le tenait ne le lâcha pas si facilement et regarda Lestan pour savoir quoi faire.

 

Le grand chef pencha la tête puis acquiesça rapidement. " Vas-y. " Une pause. " Et Kelten ? " A présent, son sourire découvrait ses canines. " Nous serons là. "

 

Ils restèrent là un moment, à regarder les deux visiteurs disparaître dans la forêt. Le silence régna un instant, jusqu'à ce que Lestan ne soupire, et que la porte ne s'ouvre pour révéler le visage tendu de Wennid. " Ah, mon amour ", dit-il en tendant son bras vers elle. " Tout va bien. " Il se tourna vers Xena et ricana. " Eh bien… "

 

Xena haussa les épaules et ignora le petit coup que lui donna Gabrielle qui s'était rapprochée et s'appuyait à présent contre le pilier, un sourire sur les lèvres. " On intimide facilement les jeunes ", fit la guerrière nonchalamment. " Tu peux me dire qui c'était ? "

 

Wennid vint se blottir contre Lestan et frotta doucement son ventre de la main. " Je crois qu'avant de venir ici, il s'appelait Kelten ", dit-elle, d'un ton pensif, en pinçant un peu Lestan.

 

" Avant ? " fit Gabrielle. Elle se redressa et pencha la tête sur le côté, étonnée.

 

" Maintenant, il s'appelle 'Tas de boue' ", remarqua Wennid, ce qui lui valut quelques ricanements de la part des autres êtres de la forêt, dont l'attention était tout entière fixée sur la grande femme aux cheveux sombres qui se tenait tranquillement parmi eux. " Une carpette ? " fit la mère de Jessan, ne pouvant retenir un rire.

 

" Ouais… " admit Xena, avec un coup d'œil espiègle à l'attention de Gabrielle. " J'essaie de ne pas utiliser deux fois la même menace. C'est devenu un jeu. Gabrielle compte les points. "

 

Cette fois-ci, ils éclatèrent de rire et, la tension dissipée, ils commencèrent à se disperser.

 

Xena inspira profondément et secoua la tête en pensée. Bon sang… admit-elle à contrecœur. C'était plutôt impressionnant, hein ? Peut-être que Gabrielle a raison… et que c'est juste dans ma tête. Elle leva les yeux et trouva le regard du barde fixé sur elle. " Hé. "

 

" Hé, toi-même ", répondit Gabrielle en se glissant plus près. Elle posa sa main sur le bras de Xena. " Est-ce que je t'ai déjà dit à quel point tu me fais me sentir coupable ? "

 

" Hein ? " fit la guerrière, étonnée, en fronçant les sourcils.

 

" Mmm ", confirma le barde, glissant son bras sous le sien et la tirant doucement vers la porte où Wennid les attendait. " J'adore te regarder faire ça. Et je sais que le doux et pacifique barde que je suis ne devrait y trouver aucun plaisir. "

 

" Je vois ", murmura Xena alors qu'elles entraient dans le chalet du chef du village. Mais la confiance qu'elle lut dans les yeux du barde fit renaître une lueur en elle à laquelle elle ne s'attendait pas. Et elle sentit les mauvais souvenirs s'estomper encore un peu plus. " Il faudra que je m'en souvienne ", ajouta-t-elle doucement, puis elle sourit au barde, qui lui répondit de la même manière.

 

Lestan ne se lança pas dans une conversation sérieuse pendant pratiquement tout le dîner, qui consista en d'énormes portions de viande et de pain, avec quelques légumes par égard pour les invités ; Wennid y avait prêté attention. Xena fut touchée et amusée, bien que la viande lui suffise ; celle-ci fournissait à son corps encore convalescent toute l'énergie dont il avait besoin. Gabrielle, par contre, avala les légumes avec plaisir, ainsi que le reste, et persista à déposer un légume sur deux sur l'assiette de sa compagne, et à lui flanquer de petits coups jusqu'à ce qu'elle les avale en guise de défense.

 

" Alors ", fit Lestan en soupirant alors qu'ils terminaient le repas et s'installaient avec des tasses fumantes de cidre chaud et une assiette de gâteaux aux noix qu'avait préparés Wennid. " Vous voyez que nous ne sommes pas si différents de votre peuple, après tout, hein ? " Ses yeux croisèrent ceux de Xena un peu tristement. " Bien qu'on essaie de faire croire le contraire. "

 

La guerrière s'appuya contre le dossier de sa chaise, les bras croisés sur la poitrine, et leva un sourcil, pensivement. " Les gens sont comme ils sont, Lestan. " Elle échangea un coup d'œil avec Gabrielle. " Mais ils ont l'air beaucoup plus violents que votre clan… pourquoi ? "

 

Wennid répondit, en posant son menton sur ses mains. " Lorsque nous avons combiné nos villages… " Elle s'interrompit pour sourire à son compagnon. " Le mien était très pacifique. Celui de Lestan ressemblait davantage à celui de Sécan. Nous avons décidé d'essayer de fusionner deux philosophies, et c'est à quoi nous sommes parvenus. " Elle haussa les épaules. " Certains disent que nous ne sommes ni l'un, ni l'autre, et que nous avons donc perdu la force qui faisait notre identité. Je crois que nous avons pris le meilleur des deux extrêmes et que nous avons choisi le juste milieu. "

 

Gabrielle acquiesça et posa les avant-bras sur la table en grignotant un gâteau. " Alors… votre village n'est pas représentatif de votre peuple. "

 

Lestan secoua la tête. " Pas vraiment. "

 

" Alors… que cherche Sécan ? " demanda le barde. " Que veut-il prouver ? S'il te bat, prendra-t-il possession de ce village ? " Elle se tourna vers eux. " Je ne comprends pas ce qu'il gagne dans tout cela. "

 

Xena lui sourit doucement, ce qui voulait dire, Gabrielle le savait, qu'elle avait posé une bonne question.

 

" Je ne sais pas ", soupira Wennid. " Parfois je me dis qu'il le fait simplement pour le plaisir, parce qu'il aime se battre et tuer. "

 

Un silence tomba sur la pièce, et le parfum du cidre chaud remplit l'espace comme la brume du matin.

 

" Ça peut être une raison suffisante ", dit finalement Xena en regardant ses mains.

 

Wennid inspira brusquement en comprenant ce que voulait dire la guerrière. " Je peux te poser une question ? " dit-elle en se penchant un peu en avant, tout en posant ses mains sur la table.

 

Xena leva les yeux et la regarda en silence. " Bien sûr. " La main de Gabrielle se posa doucement sur son genou sous la table et fit apparaître un sourire presque invisible sur son visage. Comment fait-elle cela, je l'ignore. Elle sait toujours quand j'ai besoin de son soutien.

 

" Connais-tu un petit village appelé Reclon, dans la vallée près d'ici ? " demanda la mère de Jessan, ses yeux pâles fixés sur le visage de la guerrière qui n'était à présent plus éclairé que par les bougies et la lueur de l'âtre.

 

" Oui ", répondit Xena, ses yeux se voilant à ce souvenir. " Pas très grand, des fermiers surtout. "

 

Wennid inspira. " Je l'ai vu après qu'il ait été détruit. "

 

Xena acquiesça d'un air sombre. " Moi aussi. "

 

Gabrielle bougea un peu et jeta un coup d'œil vers le visage immobile de Xena. " Je ne… "

 

La guerrière la regarda rapidement. " Tu n'étais pas là ", dit-elle d'une voix très douce. " Tu étais chez toi. "

 

" Oh ", fit Gabrielle, pensive. Chez moi. Ça veut dire… " Quand je suis partie… "

 

Xena acquiesça. " Oui. " Elle tourna de nouveau son attention vers Wennid qui attendait en silence. " Rigus était un de mes vieux ennemis. Il a lancé son ultimatum aux villageois : ils lui donnaient tout ou il brûlait tout. "

 

" C'est ce qu'il a fait ", chuchota Wennid. " Ils ont massacré ces gens comme des animaux. " Ils. Tu savais déjà que ce n'était pas elle, n'est-ce pas ?

 

" Je les ai entendu hurler ", répondit Xena, le regard distant. " J'étais… " Elle s'interrompit et baissa les yeux vers ses mains. " Bref, j'ai entendu du bruit et j'ai chevauché jusqu'au village. Mais il était trop tard. Pour les sauver. "

 

" Mais pas trop tard pour les venger ", fit doucement l'être de la forêt, en esquissant un début de sourire.

 

La guerrière haussa les épaules. " Exact. " Et je me suis toujours demandée… si ça avait été Draco, ou l'un des seigneurs de guerre que je connaissais bien, est-ce que je l'aurais rejoint ? Elle soupira intérieurement. Je ne les ai pas entendus parce que j'étais bien trop occupée à essayer de me convaincre que j'avais vraiment de la chance d'être toute seule à nouveau. De m'être enfin débarrassée de la petite peste, pensa-t-elle, sarcastique. Ce que j'ai pu me sentir perdue, pendant ces quelques jours. " Je regrette ce qui s'est passé. "

 

Wennid l'observa, la lueur dorée des bougies se reflétant sur ses cheveux sombres et sur ses yeux pales. Elle soupira. " Je croyais que tu étais l'un d'eux, tu sais ", dit-elle dans le silence le plus complet. " Je n'ai pas compris jusqu'à récemment que j'avais en fait vu autant de pillards morts que de villageois. "

 

Gabrielle sentit la tension sous sa main et elle serra doucement le genou de Xena. Que se passait-il dans cette tête à cette époque… elle ne m'a jamais dit ce qu'elle avait fait pendant mon absence. Je me demande si elle se sentait… Elle ferma les yeux et se souvint. Je me demande si elle savait que partir était pour moi la décision la plus difficile que j'ai jamais eu à prendre… ou que plus je m'éloignais d'elle, et plus je me rapprochais de chez moi, plus mon cœur me criait que j'avais fait le mauvais choix.

 

" C'était une supposition raisonnable ", soupira Xena, mais elle ne baissa pas les yeux, cette fois. " C'était ce que j'étais. "

 

Encore un silence, entrecoupé par le crépitement des bûches dans la cheminée.

 

" Plus maintenant ", dit enfin Wennid, et elle n'eut même pas besoin de sa Vue pour parvenir à cette conclusion. Elle sourit doucement à la guerrière.

 

Xena sentit la tension croissante s'estomper, en comprenant ce que voulait dire l'être de la forêt. " Non. " Elle lui rendit son sourire. " Plus maintenant. " Est-ce que je le crois ? Est-ce que je le crois vraiment ? Xena regarda dans son cœur un très long moment. Je crois bien que je commence à le croire. " De toute façon, quelles que soient ses raisons, Sécan a l'intention d'attaquer ce village. Parle-moi de tes guerriers, Lestan. "

 

Ils parlèrent longtemps, alors que la nuit avançait et que les bougies brûlaient et disparaissaient, et Xena eut enfin une idée des forces et des faiblesses de l'armée de Lestan. Et de celle de Sécan, qui allait les faire se battre à trois contre un.

 

" Bon sang, Lestan ", soupira Xena en examinant les rapports des éclaireurs éparpillés sur la table du conseil. " Tout cela ne me dit rien qui vaille. "

 

Ils étaient seuls à présent, puisque Wennid était partie voir son fils et que Gabrielle avait choisi de l'accompagner. " Je sais ", fit l'être de la forêt en frottant son visage de sa main valide. " Je ne vois pas d'issue, Xena. " Ses yeux acajou croisèrent ceux de la guerrière et il laissa son désespoir paraître.

 

Xena se leva et étira ses muscles raidis par tant d'inactivité. " Il y a une solution ", dit-elle doucement, en posant les mains sur ses hanches, le regardant.

 

" Non ", répondit Lestan avec un sourire à peine visible. " Tu ne peux pas. Tu es liée. " Il marcha jusqu'à elle et posa sa main sur son épaule. " Ce n'est pas que je… " Il soupira. " … n'apprécie pas ton offre, Xena. " Il baissa les yeux. " Et puis, cela doit être l'un de nous, un membre de mon clan. "

 

" Tu ne peux pas y aller non plus, Lestan… tu es lié, toi aussi ", fit doucement Xena.

 

Il haussa les épaules. " Ça fait partie de mon travail. Je fais exception à la règle. Je le savais lorsqu'ils m'ont élu. " Il sourit tristement. " Mais avec ce bras… je n'ai aucune chance. Et… " Ses yeux croisèrent les siens avec honnêteté. " Même avec deux bras valides, je ne ferais pas le poids. "

 

" Et moi ? " demanda Xena en retournant son regard.

 

Silence. Ses narines frémirent lorsqu'il inspira.

 

" Si. " Il fit une grimace. " Je n'ai jamais vu un tel talent à l'épée. " Il fit une pause et l'observa. " J'aurais dit qu'il avait l'avantage grâce à sa force physique, mais après ce que tu as fait à Kelten… Xena, je ne sais pas. " Il sourit devant son petit haussement d'épaule. " Mais il refusera de t'affronter, et en plus, tu ne peux pas. Nous n'autorisons pas les guerriers liés à relever des défis. "

 

Vraiment ? pensa Xena. A moins qu'on ne soit le chef du clan, hmm ? " Alors… Son clan est beaucoup plus violent. Je suppose que c'est comme ça qu'il a été élu ? "

 

Lestan soupira, soulagé, voyant que Xena laissait apparemment tomber le sujet. Même si, au plus profond de son être, il avait ce souhait de la voir… l'affronter. " Uhm… plus ou moins. Il n'a pas été élu. Il a choisi l'autre façon d'accéder au pouvoir parmi notre peuple. " Il sourit tristement. " Il a obligé l'ancien chef à se plier à sa volonté, devant le clan tout entier, et puis il lui a tranché la tête. "

 

Xena leva les sourcils. " Sympa ", marmonna-t-elle. " Ça me rappelle les Amazones. " Elle sourit en voyant son expression étonnée. " Oui, elles se lancent des défis à mort pour le masque de la reine. "

 

Lestan cligna des yeux. " Vraiment ? " Il laissa échapper un bref rire. " En fait, Sécan n'avait pas besoin de tuer Urtus. Il lui suffisait de le forcer à abdiquer. Mais je crois qu'il voulait éliminer la concurrence. "

 

Clic. Et c'était tout ce dont l'esprit de fer d'un ancien seigneur de guerre avait besoin pour son plan. " Sympa, comme type. " Xena secoua la tête. " Enfin, je ferai de mon mieux pour apprendre à tes troupes quelques tactiques, Lestan. Mais nous n'avons pas beaucoup de temps… " Elle fit une pause et le regarda. " Est-ce qu'il annulerait son attaque si je me livrais à lui ? "

 

La question était inattendue et frappa Lestan en pleine figure, si fort qu'il répondit sans même réfléchir. " Oui. " Puis il réalisa ce qu'il venait de dire et écarquilla les yeux. " Mais pas pour très longtemps ", ajouta-t-il rapidement en voyant le regard intense dans les yeux bleus. " Et… par Arès, Xena, je m'enchaînerai à toi si tu essaies de faire quelque chose d'aussi stupide. "

 

Elle leva un sourcil. " Stupide ? Sauver des vies est stupide ? " demanda Xena d'une voix raisonnable.

 

L'être de la forêt s'assit sur la chaise près d'elle et se pencha en avant, appuyant tout son poids sur ses coudes. " Xena ", dit-il d'une voix très douce. " Je veux que tu m'écoutes, d'accord ? " Il inspira. " Je sais que personne parmi nous ne t'a parlé de cela, parce qu'il est tellement rare de trouver un humain avec notre don, on ne sait pas trop quoi te dire. "

 

Xena ne dit rien, mais se pencha elle aussi en avant, l'imitant, et attendit. Je ne sais pas si j'ai envie d'entendre ce qu'il a à me dire, pensa-t-elle. Mais je crois qu'il vaut mieux que je sache.

 

" Xena… " Lestan baissa les yeux vers ses mains liées. " Mon frère Warrin… "

 

Elle acquiesça. " Je sais… il nous en veut. Il… " Elle fronça les sourcils. " J'ai oublié de t'en parler, avec tout ce qui s'est passé. Il a essayé de nous tirer dessus avec des fléchettes avant qu'on vienne ici. Elles étaient empoisonnées, de la drogue, pour nous endormir, je crois. "

 

Lestan la regarda. " Raison de plus pour entendre ce que j'ai à dire. " Il cligna des yeux. " Wennid et moi aimons beaucoup Warrin. Il… ressemblait beaucoup à ta Gabrielle, quand il était plus jeune. Toujours à rire, et à raconter des histoires. " Il déglutit. " Il aimait tellement la vie que ça te rendait heureux rien que de le regarder. " Vois-tu où je veux en venir, mon amie ? Comprends-tu les risques ? " Lorsque sa compagne est morte, nous pensions tous qu'il en mourrait. "

 

Xena déglutit à son tour et baissa les yeux.

 

" Peut-être qu'il aurait mieux valu qu'il meurre ", continua doucement Lestan. " Je sais que j'aurais voulu mourir, si quelque chose était arrivé à ma Weni. " Il pouvait voir les ombres bouger sur son visage, lorsqu'elle serra la mâchoire. " Comprends-tu ce qui arriverait à Gabrielle, ou à toi, si votre lien était brisé ? "

 

Xena regarda le plancher en détails pendant un long moment avant de répondre. " Gabrielle a déjà affronté cela une fois, Lestan. " Elle leva les yeux et croisa les siens ; elle s'obligea à répondre simplement à la question, sans trop y réfléchir. " Cela serait… très difficile… pour elle, mais elle est très forte. Elle survivrait… et elle continuerait. "

 

Le grand être de la forêt déglutit assez fort pour qu'elle l'entende. " Et toi ? " demanda-t-il tranquillement. " Warrin n'était lié que depuis quelques mois lorsque sa compagne a été tuée, Xena. Combien de temps Gabrielle et toi avez-vous passé ensemble ? " Il hésita. " Après un certain temps… "

 

" Un peu plus de deux ans ", répliqua la guerrière. Et elle se laissa imaginer, pendant un long et douloureux moment, ce que serait sa vie sans le barde. Puis elle admit consciemment ce qu'elle savait au fond d'elle-même depuis bien longtemps déjà. " Je n'y survivrais pas. " Non… je me traînerais jusqu'à un endroit sombre, quelque part, toute seule… et j'attendrais… ça ne prendrait pas très longtemps, je n'ai pas beaucoup de réserves. Je… m'endormirais et je ne me réveillerais pas, c'est tout. Je finirais dans les flammes, et peut-être… peut-être… bon sang… peut-être que je regarderais à travers le mur de feu et je la verrais me regarder… depuis les Champs. Sa gorge se serra. Et… elle est si têtue, qu'elle trouverait bien le moyen de me retrouver, quel que soit l'endroit, juste pour pouvoir me crier dessus pour avoir fait quelque chose d'aussi stupide. Et j'adorerais ça.

 

Ils se regardèrent un moment en silence. Puis Lestan soupira. " Moi non plus. " Il sourit un peu. " Je pensais bien que tu comprendrais… mais je devais m'en assurer. Tu vois pourquoi il est hors de question que tu risques ta vie. "

 

Et elle le regarda avec, dans ses yeux bleus, une ombre qu'il ne comprit pas, et elle lui tapota la main. " C'est vrai. C'est logique, Lestan. "

 

Sauf qu'on ne peut pas vivre toute sa vie dans la peur. Elle sentit cette pensée s'installer doucement sur elle. Et à se cacher dans l'ombre lorsque des vies dépendent de ce que je suis et ce que je fais est pire que de mourir. C'est Gabrielle qui m'a appris ça. " Encore du cidre ? " dit-elle en levant un sourcil. " Je crois que j'entends Gabrielle et Wennid qui reviennent. J'espère que Jessan va mieux. "

 

Lestan la regarda, méfiant ; son calme, son sourire intéressé et sa conversation nonchalante. Elle avait l'air d'accepter ce qu'il avait dit, accepter les limitations avec lesquelles son peuple devait vivre, celles de ceux qui étaient liés. Et pourtant… Il sourit intérieurement. Elle vit par ses propres règles, et pas les nôtres. Et… je ne suis pas sûr que ces règles la laissent regarder la mort rôder sans rien faire. Un frisson d'excitation parcourut sa fourrure involontairement. " Oui, merci. Je crois que je les entends aussi. " Il lui rendit son sourire, et ils se détendirent tous les deux alors que la porte s'ouvrait et que Wennid entrait, suivie par la voix claire de Gabrielle, au milieu d'une histoire quelconque.

 

" Lestan, Jessan veut ses peintures pour faire passer le temps. Tu peux m'aider à les trouver dans cette pile de bazar qu'il appelle sa chambre ? " Wennid leva les yeux au ciel et secoua la tête. " S'il te plaît ? "

 

Lestan se leva et s'étira en riant. " Pas de problème. " Il prit le bras de Wennid et ils quittèrent la pièce par le couloir, leurs voix se dissipant bientôt en cascade dans la chambre.

 

Gabrielle referma la porte et marcha jusqu'à Xena, avant de s'asseoir sur le bord de la table de conférence. Elle soupira. " Tu as eu droit au sermon ? "

 

Xena sourit doucement. " Hm, hmm. "

 

Elles se regardèrent. " Qu'est-ce que tu en penses ? " demanda le barde en jouant distraitement avec une mèche de cheveux de Xena.

 

La guerrière examina ses doigts liés avec attention. " Je me demande si tu penses toujours que tout cela est si génial ", dit-elle avec une résignation tranquille dans la voix. " Et si ce n'est pas le cas… je suis désolée, Gabrielle. Je ne voulais pas… " Elle s'interrompit, ne finissant pas sa phrase.

 

Le barde ne répondit pas. Elle produisit un léger bruit de grattement en descendant de la table, puis elle se laissa tomber à genoux sur le plancher, posa les mains sur celles de Xena et leva les yeux vers le regard clos de sa compagne. " Je dois savoir quelque chose. Est-ce que tu changerais cela, si tu pouvais, Xena ? " Sa voix était calme et elle attendit sa réponse patiemment, observant les ombres sur le visage de la guerrière.

 

Une profonde inspiration et un léger mouvement de tête. " Non. "

 

" Tant mieux ", murmura le barde en se penchant en avant, jusqu'à ce que son front touche celui de Xena. " Parce que si tu avais dit oui, j'aurais été obligée de te faire mal. " Elle pencha la tête sur le côté et embrassa la guerrière. " Oui, je trouve que c'est génial. " Un autre baiser. " Non, je ne changerais rien non plus. " Un troisième. " Alors inutile de me poser à nouveau cette question, d'accord ? "

 

" D'accord ", répondit Xena avec un petit rire grave.

 

" Bon ", soupira Gabrielle, ravie, en frottant sa joue contre celle de la guerrière. " Comment vas-tu… " Elle se reprit : " Comment allons-nous les sortir de ce mauvais pas ? "

 

 

A suivre : sixième partie

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