Un petit mot de la traductrice : j’avais commencé à traduire cette excellente histoire pour moi-même, puis je me suis dit que ce serait vraiment dommage de ne pas en faire profiter les francophones. Ce récit compte plus de 60 chapitres ( ! ) mais, promis j’irai jusqu’au bout. Merci à Katell qui m’aide pour les quelques passages obscurs où mon pauvre anglais est insuffisant. Pour le reste, la traduction n’engage que moi, je ne garantis pas une précision mot à mot, mais le sens y est, promis :O)
Bonne lecture !
Kaktus
INSURRECTION
SwordnQuil@aol.com
Traduction : Kaktus / Fryda
Avertissements : Oui, comme toujours, cette histoire est une uber. Les deux personnages principaux présentent une ressemblance marquée avec les deux actrices que nous connaissons tous/toutes (du moins je l’espère) et aimons (ou en tout cas apprécions). Mais ressemblance mise à part, ce ne sont pas elles. Honnêtement.
Violence et langage grossier : Yep, il y en a. Un bon paquet du mot de cinq lettres que votre mère vous avait demandé de ne pas prononcer, sous peine d’avoir la bouche frottée avec du savon. Et de la violence. Oh que oui ! C’est un hommage à Stephen King, et ses histoires ne sont pas vraiment des promenades dans un parc. D’ordinaire.
Maintext : Cette histoire parle de femmes et d’amour. Et de femmes amoureuses aussi. Il y aura donc un contenu érotique. Si vous n’aimez pas ce genre d’histoire, vous êtes encore libre de cliquer sur le bouton « back ».
Genre : Cette histoire est un feuilleton du même style que « La ligne verte ». C’est une uber post apocalyptique, mélange de science-fiction et d’horreur. Si vous préférez le présent ou les histoires passées, ceci n’est peut-être pas une histoire pour vous. Sinon, lisez-la.
Feedback : Comme d’habitude, il est le bienvenu. Sentez-vous libre de nous communiquer votre avis, positif, négatif ou indifférent (dans ce cas, vous ne voudrez probablement pas envoyer quoi que ce soit, mais bon…) à swordnquil@aol.com et je transmettrai à mes co-bardes.
Remerciements : A tous les vrais fans du Xenaverse. Sans vous, nous n’aurions pas un endroit où exprimer nos idées. Vous êtes supers ! Merci à toutes/tous !
CHAPITRE 1
“C’est la fin du monde tel que nous l’avons connu, et je me sens bien. »
REM
1.
Le pub est faiblement éclairé et confortable ; il sent légèrement la fumée d’un feu de bois bien d’actualité. Même s’il reste encore six semaines avant Noël, l’endroit est néanmoins décoré de guirlandes et de rameaux de sapin, tandis que des lumières se poursuivent entre elles gaiement autour des murs et sur les poutres dans une course sans fin.
En raison de la tempête soufflant à l’extérieur, l’endroit est presque vide. Deux couples bougent lentement sur la petite piste de danse alors que Randy Travis chantonne sa rengaine à travers le juke box. (NDLT :Randy Travis est une grande star de la musique country aux Etats-Unis)
Plus loin, là où le vieux bar usé rejoint le mur, est assis le barman, un homme bourru à la barbe épaisse. Il feuillette un vieil exemplaire de « Détective Thrillers ». Son large pouce caresse sans s’en rendre compte la poitrine dénudée de la pin-up sur la couverture écornée du magazine.
Presque en face de lui, un vieux bonhomme édenté, plongé dans son verre, relève la tête et fixe le barman d’un regard chassieux.
« Allume le poste, Harry » baragouine-t-il, « je veux voir le match. »
Le barman lève les yeux au ciel et abaisse son magasine juste assez pour jeter un regard mauvais au vieil homme. « C’est mercredi, espèce d’idiot. Tu sais très bien qu’il n’y a pas de match. »
« Allume quand même. Ce damné juke box m’esquinte les oreilles. »
En soupirant, Harry jette son magazine sur le bar et se redresse, essuyant ses mains sur son jean. Il lève un bras pour atteindre le bouton du vieux poste de télévision installé sur une étagère au-dessus d’une rangée de verres à vin qui n’ont jamais été utilisés.
L’écran s’éclaire petit à petit, en crépitant, montrant d’abord de la neige statique, avec des images double qui défilent, incompréhensibles à l’œil nu. Avec un juron, Harry manipule le bouton des chaînes, n’obtenant rien d’autre que de la neige statique, encore et encore.
« Foutu appareil ! » D’un poing trapu, le barman frappe le côté du poste. L’image tremblote, puis se réduit à la taille d’un point, avant de disparaître complètement. « Merde ! Clut ! Tu m’as fait bousiller ma télé ! »
« J’ai rien fait, Harry. Donne-moi un autre verre, je vais pas traîner ici, tu sais. »
« M’emmerde pas, papy. Je vais te le donner. »
Harry se retourne et regarde de l’autre côté du bar, où est assise une personne solitaire, tenant une bouteille de bière presque vide en main.
« Et toi, Koda ? Tu en veux une autre ? »
La personne relève la tête, révélant le visage d’une étonnante jeune femme, dont les longs cheveux noirs retombent sur sa veste de toile au niveau des épaules. Son sourire éblouit le barman alors qu’elle secoue lentement la tête. « Non merci Harry. Celle-ci fera l’affaire. »
Le barman grogne et se retourne, plus pour calmer les battements de son cœur qu’autre chose. Il se demande pourquoi il pose la même question semaine après semaine, puisqu’il sait qu’il obtiendra la même réponse. Dakota Rivers est réglée comme une horloge, elle vient chaque mercredi soir, qu’il pleuve ou qu’il vente, et reste assez de temps pour boire une bière et laisser un pourboire avant de repartir chez elle.
Une femme solitaire et calme qui n’a jamais beaucoup entretenu la conversation, mais les rares nuits où l’alcool et la testostérone se mélangent piètrement, elle a toujours été là avec un bras solide et un regard acéré qui étouffent la plupart des bagarres dans l’œuf.
C’est peut-être pour cette raison qu’il lui pose la question, ou peut-être est-ce juste pour voir un de ses rares sourires. Un sourire qui lui remue les entrailles, comme si un papillon était prisonnier dans son estomac, luttant pour s’échapper.
Avec un long soupir, il se baisse pour saisir en bas du bar une bouteille de « Wild Turkey », la boisson favorite du vieux Clut. Au moment où il ôte le bouchon, la télévision revient à la vie avec une explosion statique qui lui rajoute quelques cheveux gris.
« Qu’est-ce que c’est que ce truc ? »
La neige envahit l’écran pendant un moment, puis soudain révèle le visage d’un adolescent.
« C’est le gosse de Cal Martin, non ? » demande Harry à personne en particulier. « Qu’est-ce qu’il fiche à la télé ? »
Le visage du garçon est en sang et tuméfié, et les quelques portions intactes sont blanches comme de la craie. Ses yeux exorbités reflètent un état proche de la folie.
« Fuyez ! » crie-t-il vers la caméra, le corps tremblant sous une tension extrême. « Fuyez ! Ils tuent tout le monde ! Ils… Oh, mon Dieu…FUYEZ ! »
Il regarde alors derrière la caméra et ses yeux s’écarquillent encore plus. Ses lèvres forment un rictus d’horreur et un hurlement s’échappe du plus profond de son être. Il se retourne et parvient à faire quelques pas trébuchants avant qu’un bras ne surgisse de derrière la caméra et le saisisse brutalement par ses longs cheveux gras.
Le cri persiste avant de s’interrompre brutalement quand un deuxième bras rejoint le premier pour lui briser la nuque. Le son est puissant, comme un coup de fusil et semble retentir en écho dans le silence soudain du bar.
« Jé-sus Christ » souffle Harry quand le corps sans vie du garçon est jeté sur le sol.
Les bras se retirent puis réapparaissent, cette fois attachés au corps d’un homme grand, aux larges épaules. L’homme se retourne, faisant face à la caméra et il sourit. L’image se fond à nouveau en neige statique, effaçant tout sauf la fine bande d’argent au-dessus de la pomme d’Adam du tueur souriant.
Le silence est brisé à nouveau, cette fois par le bruit de la bouteille de whisky qui a échappé des mains inertes de Harry et s’est écrasée sur le sol. Le liquide qui s’en écoule fait entendre un son de mousse, puis c’est à nouveau le silence.
Dakota réagit la première et s’avance vers le bar pour se tenir face à face avec le barman étourdi. « Harry ? »
N’obtenant aucune réponse, elle essaie à nouveau. « Harry ? »
Il se retourne finalement vers elle et son expression est terriblement proche de celle du garçon qui vient de mourir. « C’était un … ? »
« Oui. »
« Mais comment… ? »
Dakota secoue la tête. « Je ne sais pas. Mais je vais essayer de trouver. »
« Qu’est-ce que tu vas faire ? »
Dakota prend une profonde inspiration avant de parler. « En premier lieu, je vais voir si ma famille va bien. »
Les yeux de Harry s’agrandissent. « Ta famille ? Ils en ont… ? »
« Non, mais plusieurs de leurs voisins oui, et si ce que ce gosse a dit est vrai… »
« Mon Dieu. »
Les mains de Dakota saisissent les coudes de Harry, l’empêchant de tomber. « Harry, écoute-moi. Nous ne sommes pas sûrs de ce qui se passe en ce moment, et même si ça paraît très mauvais, tu ne peux pas céder à la panique, ok ? Tu dois garder la tête froide. Perdre la tête ou tomber dans les pommes n’aidera personne, encore moins toi-même. »
Fixant ses yeux brillants, Dakota n’est pas sûre d’avoir touché l’homme, mais elle se sent un peu mieux quand le corps sous ses mains se durcit. Elle le lâche, avec précaution, prête à le ressaisir s’il manque à nouveau de s’évanouir.
« Ça va ? »
Harry grogne. « Non, mais je suppose que je n’ai pas le choix, hein ? » Il la regarde d’un air suppliant qui lui provoque une boule à l’estomac. « Qu’est-ce qu’il faut que je fasse, Koda ? Qu’est-ce qu’il faut qu’on fasse ? Si ce qu’il a dit est vrai…. »
Dakota regarde par-dessus son épaule. Le pub est vide maintenant, à l’exception de Clut, effondré sur le sol, ivre ou alors juste choqué, elle n’en sait rien et ne s’en préoccupe pas vraiment. « Tu as un lit de camp là derrière, non ? »
« Oui, mais que… ? »
« Ecoute, c’est l’endroit le plus sûr où tu peux être pour le moment. Il n’y a pas de fenêtres et les portes sont solides. Enferme-toi, et ne laisse entrer personne que tu ne connaisses pas personnellement, d’accord ? Dès que je me suis assurée que ma famille va bien, j’essaie de revenir ici avec des informations. » Elle soupire. « Je sais que ce n’est pas beaucoup mais c’est tout ce que je peux faire pour le moment. »
Harry opine lentement de la tête. « Ok, Koda, je peux le faire. »
Dakota lui sourit légèrement. « Bien. Je serai de retour aussi vite que possible. Enferme-toi dès que je suis partie et n’ouvre à personne, peu importe ce qu’ils pourront dire, à moins que tu ne les connaisses, d’accord ? »
« Oui, d’accord. »
« Reste calme. Je serai bientôt de retour. »
Sortant dans la tempête, Dakota attend jusqu’à ce qu’elle entende la porte se refermer et le loquet se verrouiller, puis elle se dirige vers son véhicule.
C’est la dernière fois qu’elle verra Harry en vie.
2.
Déambulant dans sa maison, Kirsten jette rapidement autant de choses qu’elle peut dans un sac marin. Son ordinateur et d’autres appareils sont déjà dans le coffre de sa 4X4.
Et tout ce qui lui reste à faire maintenant, c’est de ramasser quelques vêtements étalés un peu partout dans la maison.
Elle entend le bruit des sirènes qui retentissent dehors comme si toute la ville allait s’écrouler autour d’elle. Elle sait qu’il faut qu’elle s’en aille rapidement. En saisissant son lourd manteau accroché près de la porte, elle se blâme de n’avoir pas tout préparé depuis longtemps. Elle avait un mauvais pressentiment depuis des mois, et maintenant elle sait qu’elle avait raison.
En ouvrant précautionneusement la porte, elle jette un œil à l’extérieur pour être sûre qu’il n’y ait personne dans les alentours. Satisfaite, elle se précipite vers son véhicule. Au moment où elle introduit la clef dans la serrure, elle entend un coup de feu.
« Oh merde ! » Elle sent l’adrénaline monter et s’efforce d’ouvrir la voiture avant de se projeter à l’intérieur. « Il faut que je file d’ici. »
Elle reste immobile, à moitié couchée sous le tableau de bord et regarde passer deux voitures de police, feux allumés et sirènes hurlantes. Prenant une profonde inspiration, Kirsten met en marche son 4X4 et quitte sa place de parking, sachant qu’elle ne reverra jamais cet endroit et cette maison.
Elle sait que cette image restera imprimée dans son esprit jusqu’à la fin de ses jours.
Conduisant lentement à travers les rues, elle essaie de paraître aussi normale que possible. Comme si tout pouvait être encore normal. La dernière chose qu’elle souhaite, c’est attirer l’attention sur elle. S’éloigner de la ville est le seul espoir qui lui reste et elle le sait.
Tournant à gauche dans une rue moins usitée, bordée par de petits commerces, elle espère que cela l’éloignera des quartiers résidentiels et peut-être de ses poursuivants.
Elle entend toujours les sirènes et des détonations sourdes. Son pied appuie sur l’accélérateur quand elle réalise que ce sont probablement des coups de feu.
Un grognement se fait entendre sur le siège arrière et un grand berger allemand relève la tête et vient la poser sur l’appui-tête du siège de Kirsten.
« Doucement Asimov. Ça va aller, mon chien. On va s’en sortir. »
Le chien passe sur le siège passager et prend place à côté de son humain favori. Kirsten tend le bras et lui gratte la tête. Ce simple geste lui fait plus de bien que n’importe quoi d’autre depuis des semaines.
Des mois, tu veux dire, Kirsten. Tu savais que ça allait arriver. Tu le savais depuis longtemps. Peut-être depuis le début.
« On va s’en sortir, mon chien. Je te le promets. »
Elle ne sait pas si la promesse est pour elle ou pour lui, mais le son de sa propre voix la calme.
Elle regarde autour d’elle avec attention, et constate que les rues sont maintenant désertes. Une communauté prospère devenue une ville fantôme en quelques heures.
Jésus, pardonne aux pécheurs maintenant et à l’heure de leur mort. Amen.
Elle n’est pas une personne très religieuse, et est plutôt d’accord avec l’adage « la religion est l’opium du peuple ». Pourtant le catéchisme de l’école primaire lui revient en mémoire en ce moment étrange, mais elle ne peut perdre du temps à y réfléchir maintenant.
Asimov laisse échapper un soupir et se couche sur le siège, apparemment peu dérangé par la nervosité de sa maîtresse.
Alors qu’elle tourne à nouveau, accélérant devant un complexe d’appartements spacieux, Asimov relève la tête et se met à gronder. Elle le voit se dresser près de la vitre et se mettre à aboyer comme un fou.
Soudain le 4X4 est heurté par quelque chose et Kirsten se recule instinctivement quand un homme en sang s’effondre sur son capot. Il est encore en vie, paniqué et à première vue il tente de fuir.
« Aidez-moi ! » crie-t-il en frappant sur le pare-brise avec sa main. « Pour l’amour de Dieu, s’il vous plait aidez-moi ! »
Kirsten freine brutalement, faisant glisser l’homme sur le côté, mais il s’accroche à l’essuie glace. Les aboiements d’Asimov augmentent encore et elle sait ce qui lui reste à faire. Fixant l’homme droit dans les yeux, elle murmure : « Je suis désolée. »
Elle passe rapidement la marche arrière. La force de l’accélération jette l’homme sur le sol. Elle appuie sur les gaz et passe à côté de lui. Puis, regardant dans son rétroviseur, elle voit trois d’entre eux qui se dirigent vers l’homme, l’un pointant un fusil sur sa tête. La détonation semble la suivre comme si sa culpabilité était diffusée en son Dolby, alors qu’elle accélère en direction de l’autoroute qui la conduira hors de cette folie.
3.
Le véhicule de Dakota, un bon vieux pick-up qui l’accompagne depuis qu’elle a appris à conduire, avance avec assurance à bonne vitesse sur la route enneigée. Le son des chaînes qui s’incrustent sur la glace se fait entendre même à travers les fortes bourrasques de vent.
Dans cette partie du Dakota sud, où les distances entre voisins se mesurent la plupart du temps en kilomètres plutôt qu’en mètres, elle sait que dans l’idéal, il lui faudrait une demi-heure pour arriver chez ses parents. Avec le blizzard, elle estime le temps minimum à 45 minutes.
Elle fixe le micro usé de la CB sur son tableau de bord et n’entend qu’un grésillement pareil à celui de la télévision tout à l’heure. C’est la seule réponse qu’elle obtient à ses appels répétés. Ses parents possèdent une puissante radio chez eux et son jeune frère Washington est un mordu de la CB, et n’est jamais très loin du poste.
« Espèce de salopards, si vous avez touché à ma famille, je vous écartèlerai à mains nues. »
C’est une menace impuissante, mais une partie d’elle-même se sent mieux, après l’avoir énoncée. Sans se soucier de mettre son clignotant, elle tourne sur la gauche en direction de la route qui conduit chez ses parents, souhaitant que l’espoir soit encore de son côté
4.
Après avoir conduit plus de deux heures, Kirsten estime finalement qu’elle peut ralentir et prendre le temps de respirer. Elle a quitté l’autoroute pour une route d’état, peu fréquentée et même complètement déserte par endroits. Elle arrête sa voiture un peu plus loin sur le côté et prend une profonde inspiration qu’elle relâche ensuite lentement.
Asimov s’assied sur son arrière-train et la regarde, la langue pendante et les oreilles dressées.
« Tu as besoin d’une pause, hein ? » Elle opine de la tête et le tapote. « Ok, mais fais vite. »
Sortant de la voiture, elle en fait le tour et peut voir des taches de sang sur la carrosserie. Elle sent son estomac se retourner et saisit la poignée de la porte passager pour faire sortir le chien.
Asimov cherche rapidement la meilleure place pour faire ce qu’il a à faire. Kirsten s’appuie contre le 4X4 et prend une nouvelle bouffée d’air. Elle regarde le ciel où le scintillement familier des étoiles lui procure un faux sentiment de sécurité.
« Mon Dieu, » soupire-t-elle en se retournant vers Asimov qui est revenu près d’elle et attend patiemment. « On est juste toi et moi, et je pense que ça va être comme ça pendant un petit moment. On va se faire discrets pendant que j’essaierai de trouver comment remédier à cette affreuse pagaille. »
Soudain, toute l’adrénaline qui l’a habitée pendant qu’elle fuyait la ville est balayée comme de l’eau dans un siphon. C’est un total épuisement qui la remplace et elle baille de toutes ses mâchoires.
Asimov la regarde et gémit.
« Ce soir, mon chien, on va dormir dans la voiture. Demain, on se met en route pour l’usine afin de tenter d’avoir des réponses. Qu’en dis-tu ? »
Le chien lui répond d’un bref jappement accompagné d’un frétillement de la queue et elle le caresse derrière les oreilles.
Ils se lovent tous deux sur le siège arrière du 4X4. Kirsten pose sa tête sur le coussin qu’elle possède depuis l’école primaire et Asimov se presse contre elle de tout son long en émettant des grognements ravis alors que ses yeux se ferment rapidement.
Avant de se sentir complètement en sécurité, Kirsten sort son revolver du sac marin. Elle sait que cela ne les stoppera probablement pas mais elle sait aussi que si elle tire au bon endroit, cela les ralentira un peu.
« Dormir. Il faut que je dorme. Tout ira mieux demain matin. »
5.
Dakota laisse le moteur tourner et les phares allumés avant de sauter de son véhicule et de s’avancer vers la porte d’entrée.
Ce sont ses phares qui vont lui sauver la vie en lui permettant de voir le fusil pointer d’une des fenêtres du deuxième étage, juste avant qu’une balle ne traverse l’air à l’endroit où elle se tenait une seconde auparavant.
« Qui est là ? » prononce d’une voix tremblante et terrifiée un jeune garçon vraisemblablement en train de muer.
« Bon sang, Phoenix, c’est toi p’tite tête ? »
« Koda ? »
« Oui, c’est moi. Maintenant, pose cette arme avant de m’avoir fait sauter la cervelle ! »
« Désolé. »
Dakota fait seulement deux pas en direction du porche avant que la porte ne s’ouvre pour laisser apparaître sa mère, une petite femme robuste, qui se lance vers elle, les bras grands ouverts.
« Dakota ! Ma fille, tu es là ! J’étais si inquiète ! »
La jeune femme prend sa mère dans ses bras et l’étreint en retour, ses doigts engourdis par le froid caressant tendrement la tresse noire mêlée de gris dans son dos. « Je suis là, mère. Tout va bien, je suis là. »
Après un moment, elle se recule et pose ses mains sur les épaules de sa mère. « Entrons. Il gèle dehors. »
« Mais ta voiture… »
« On s’en occupera plus tard. Il faut qu’on parle. »
En pénétrant dans la maison, elle se sent immédiatement réconfortée par les sons et les odeurs de cet endroit qu’elle a peu fréquenté ces cinq dernières années. Ses frères et sœurs, sept en tout, se précipitent sur elle, pour l’étreindre et l’embrasser, tout en parlant tous à la fois. Finalement, Dakota lève ses bras et leur fait signe de se calmer.
« Un à la fois. Un à la fois. »
Ils la regardent avec des visages où brille l’espoir. Bien qu’étant née en troisième position, elle a toujours été leur roc et l’amour qu’ils lui portent est sans limites. En retour, elle leur est complètement dévouée, telle une mère ourse protégeant ses nouveaux-nés.
Jetant un regard dans la pièce, elle remarque que deux personnes sont manifestement absentes. « Où est père ? Et Tacoma ? »
« Ils sont au ranch de Gregory. Kimberly a téléphoné. Elle demandait de l’aide en hurlant. Je n’ai rien compris et elle a raccroché avant que je sache ce qui n’allait pas. Ton père et ton frère se sont rendus là-bas. »
Dakota frémit. « Il y a combien de temps ? »
Sa mère regarde l’horloge. « Pas plus de 10 ou 15 minutes. Avec la tempête, ils viennent probablement juste d’arriver là-bas. » Elle saisit le bras de sa fille d’une main ferme. « Dakota, que se passe-t-il ? »
Ce n’est pas une question et chacun en est conscient.
« J’aimerais pouvoir te le dire, mère, mais je ne sais pas. Quelque chose est arrivé, quelque chose d’énorme, je pense, mais j’ai besoin de plus d’informations pour le comprendre. »
« Je n’accepte pas cela, Dakota. » réplique sa mère, un lueur dans ses yeux noirs que Dakota connaît bien.
Elle sourit doucement, et pose sa main sur celle de sa mère. « Il le faudra bien, mère, pour le moment. Il faut que j’aie chercher Père et Tacoma. »
« Ils sont en danger ? »
Dakota envisage de mentir, mais au dernier moment ne le fait pas. « Je ne sais pas. » dit-elle calmement.
Sa mère lâche immédiatement son bras et recule d’un pas. « Alors vas-y. Fais ce qu’il faut et ramène-les sains et saufs. »
« Je ferai de mon mieux. »
En souriant, sa mère saisit sa nuque et dépose un baiser sur son front avant de la relâcher. « Je le sais. »
Se retournant pour partir, Dakota est surprise par un petit missile – son jeune frère en fait - qui se jette dans ses bras. « Je viens avec toi, Koda ! Je peux, dis ? »
Elle serre son petit frère de dix ans contre elle, respirant son odeur. « Tu ne peux pas, Wash. Pas cette fois. »
« Mais j’aimerais venir. S’il te plaît !! » Il la regarde avec ses grands yeux noirs suppliants.
« Washington. »
Le jeune garçon tressaille dans les bras de sa sœur au son de la voix de leur mère.
« Wash, j’ai besoin de toi ici pour surveiller la CB. Tu es le seul capable de faire marcher cette sat… hem… satanée machine, non ? »
A contrecoeur, Washington acquiesce.
« Et si j’ai besoin d’aide avec Père et Tacoma, qui crois-tu que je vais appeler ? »
« Moi ? »
« Toi, bien entendu. Tu es le seul sur qui je peux compter pour ça, et tu le sais. »
Le garçon sourit, et gonfle sa maigre poitrine avec fierté. « Je ne te laisserai pas tomber, Koda. »
En souriant, Dakota relâche son frère et lui donne une tape sur le derrière, ce qui provoque un cri indigné. « A bientôt, tout le monde ! »
Dakota s’en va sur un dernier signe de main souriant.
6.
Les rayons du soleil matinal traversent la vitre arrière du 4X4 et tombent sur les yeux ensommeillés de Kirsten en train de s’éveiller. En baillant, elle se retourne et sent sa nuque endolorie la tirailler. « Rien à voir avec mon matelas à eau, c’est certain. » Elle baisse la tête vers son compagnon à poils. « Tu vas bien Asi ? »
Les crocs d’Asimov miroitent dans la lumière alors qu’il lui répond d’un bâillement satisfait.
En s’asseyant, elle saisit un atlas sur une pile d’affaires entassées derrière elle et l’ouvre à la bonne page. « Ok, mon chien, » commente-t-elle pour un Asimov pas du tout intéressé, « Nous sommes ici… » Elle tourne rapidement les pages, puis stoppe à nouveau. « Et voilà l’endroit où nous devons aller. A peu près à 3000 kilomètres d’ici. Bon sang, ça va être plus difficile que prévu. »
Laissant échapper un soupir, elle passe une main dans ses cheveux emmêlés. « Bon, maman m’a toujours dit de voir les choses du bon côté, non ? Peut-être que ça ira mieux quand nous roulerons vers l’est. »
Elle sait bien qu’elle se monte la tête. Ils sont partout, et personne n’est en sécurité. Même pas ses parents, qui elle le sait, au plus profond d’elle-même, sont morts. Ils possédaient trois de ces monstres dans leur maison et n’ont jamais compris que Kirsten leur demande de s’en séparer. Elle n’a jamais pu leur faire comprendre ce qu’elle savait. Il n’y avait aucune façon pour que quiconque la croie.
Elle se rappelle de sa mère en train d’inspecter les roses du jardin et son père qui taillait les haies. Elle a eu, tout bien considéré, les conditions idéales pour grandir. Elle était fille unique avec des parents intelligents et aisés qui l’ont encouragée et lui ont donné tout le support dont elle avait besoin pour faire son chemin dans la vie, quel qu’il soit.
Elle réalise que par la suite, il lui faudra aller jusqu’en Georgie pour savoir s’ils sont encore en vie, mais la sonnerie incessante du téléphone quand elle les a appelés lui a déjà donné toutes les réponses dont elle avait besoin.
Jetant l’atlas de côté, elle se glisse sur le siège du conducteur et regarde vers Asimov. « Tu ne veux pas conduire, n’est-ce pas ? »
Le chien se tortille sur son siège puis repose sa tête sur ses pattes avant de se rendormir.
« Je pense que non. »
Elle met son véhicule en marche et reprend la route.
7.
Elle connaît bien la route entre les deux ranchs et en peu de temps, Dakota immobilise son véhicule derrière un haut tas de neige, moteur et phares éteints. Elle voit le corps massif de son père appuyé contre un autre tas de neige, il est en train de scruter le vallon où se trouve le ranch.
Elle hulule deux fois, utilisant le signal qu’elle a appris avec le même homme qui est appuyé contre ce tas de neige. Il lève rapidement une main et elle se glisse vers lui, faisant attention de garder sa tête baissée. En quelques secondes, elle se retrouve en sécurité derrière son père, dont la taille rappelle la sienne, puisqu’il mesure un peu plus d’1m80 sans ses chaussures.
Son frère aîné, Tacoma, est appuyé de l’autre côté. Il a la même taille que son père, mais présente en plus un respectable tour de poitrine sculpté grâce à la natation, et qui fait fureur dans les quelques night-clubs des environs. Les femmes se battent pour attirer son attention. Malheureusement pour lui, il est aussi gay qu’on puisse l’être.
Il fait donc mine de ne pas les voir. C’est une grande source de taquinerie dans la famille Rivers.
« Salut. » Murmure Dakota. Ils lui répondent avec des hochements de tête silencieux. Tous les deux sont armés. Son père porte une Winchester et son frère un fusil de chasse.
Sentant le froid mordant malgré ses nombreuses couches de vêtement, elle lève la tête juste assez pour regarder par-dessus le tas de neige. Ce qu’elle voit la fige d’effroi.
Ian MacGregor, un cordial et rude écossais, est étendu mort sur le porche de sa maison, le regard fixé vers une éternité qu’il est seul à voir. Ses deux fils adultes, tout aussi costauds que leur père, reposent morts aussi, de chaque côté de lui, formant une macabre trinité.
Dakota les connaît tous depuis qu’elle est née et les voir sans vie la remue au plus profond d’elle-même. Son visage se tord en une grimace irrépressible.
La porte de la maison a volé en éclats et en tendant l’oreille, elle peut entendre des cris faibles lui parvenir parmi les bourrasques du vent.
« Combien ? » demande-t-elle à son père.
« Je ne sais pas. » répond-il en déplaçant son corps imposant sur le côté. « C’était comme ça quand on est arrivé. »
Une ombre passe devant la porte et un instant plus tard, un homme grand, aux larges épaules, sort dans le froid, tenant deux jeunes filles par leurs longs cheveux noirs. Elles hurlent et font de leur mieux pour se libérer mais c’est à peine si l’homme semble conscient de leur présence. Leurs coups de pieds et de poings n’ont absolument aucun effet sur lui.
Il se tourne et fait face à la maison, comme s’il attendait que quelque chose se passe à l’intérieur.
Dakota laisse échapper une expiration qui ressemble à un grognement. Elle tend la main vers son père qui lui donne son arme. Puis elle se tourne vers son frère. « Tu es toujours capable d’atteindre les couilles d’un moucheron à plus de 100 mètres ? »
« Tu parles que oui. » répond Tacoma sans l’ombre d’une quelconque fierté dans sa voix.
« Prouve-le moi alors. »
Elle échange la Winchester contre le fusil de chasse. Bien qu’il sache que son père entretient ses armes, il contrôle attentivement le fusil, une habitude qu’il a gardée depuis sa période à l’armée, ce qui lui paraît très loin. Satisfait, il hoche la tête en direction de sa sœur, les sourcils levés.
« Ok, quand je dirai ‘go’, je veux que tu tires et le touches. L’épaule, le bras, c’est égal. Mais ne blesse pas les filles. »
« Mais… »
« Ecoute-moi Tac, parce que nous n’avons pas beaucoup de temps. Attire juste son attention. Fais-le se retourner, peut-être relâcher un peu sa prise, d’accord ? »
« Si tu le dis, Kod. »
« Fais-le. »
Tacoma regarde vers son père qui acquiesce. Il hoche la tête en retour.
« Ok, je suis prêt. »
Otant ses gants, Dakota plie ses doigts puis les pose sur sa propre arme. « Ok. Prêt ? Go ! »
Tacoma se redresse en position de parfait tireur d’élite et appuie sur la gâchette.
Le son du fusil est presque insignifiant, mais la balle atteint son but, et l’homme vacille. Les deux jeunes filles trébuchent, toujours retenues par leurs cheveux. Elles hurlent de douleur.
Dakota saute sur ses pieds, son arme prête à tirer. « Lâche-les, salopard ! »
Le dernier mot reste suspendu dans l’air, avant d’être effacé une seconde plus tard par la détonation du fusil de chasse. La moitié du visage de l’homme disparaît et il s’effondre dans la neige.
« Katie ! Kelly ! Courez ! »
Elles essaient mais elles sont toujours retenues par la poigne de l’homme. Hurlant de terreur, elles trouvent finalement la force de lui échapper, laissant entre ses doigts des mèches de cheveux roux et blonds.
« COUREZ ! »
Dakota se lance en avant, l’arme brandie. S’enfonçant dans la neige jusqu’aux cuisses à chaque pas, son allure est très ralentie. Tout semble exceptionnellement brillant et clair alors qu’elle s’avance, gardant un œil avisé sur l’étranger à terre.
Mais ce n’est pas vraiment un étranger.
Un instant plus tard, un deuxième homme bondit à l’extérieur. Il est armé d’un Uzi (NDLT : mitraillette légère), avec lequel il fait feu immédiatement, arrosant tous les environs. Dakota plonge dans la neige un instant trop tard. Elle sent une cuisante douleur sur son côté. Elle ne sait pas si elle est gravement touchée, mais son corps étourdi se fige pendant un bref instant et elle laisse tomber son arme.
« Merde ! »
« Dakota ! »
Elle entend les cris de son père et de son frère, puis le son enragé du fusil de Tacoma est noyé par le bruit de l’Uzi qui fait feu, encore et encore.
« Restez à couvert ! »
Elle pense qu’elle a crié, mais c’était seulement un hoquet. Elle lutte pour bouger, mais la neige l’a enveloppée et son corps ne semble pas vouloir lui obéir. Ses longs doigts rougis par le froid de la neige et du vent âpre, tentent désespérément d’atteindre le fusil qu’elle a lâché.
« DAKOTA ! »
Des séries de coups de feu s’échangent par-dessus sa tête. On se croirait en zone de guerre, et dans un certain sens, c’est exactement ça, se dit-elle. Elle sait que son frère et sont père sont immobilisés par le tir de l’Uzi. S’avancer vers elle serait un suicide. Mais elle sait aussi que ni l’un ni l’autre n’hésiteront à le faire si c’est pour lui sauver la vie. Et elle ferait de même, sans aucune hésitation.
Mon Dieu, faites qu’il ne leur arrive rien. Je vous en prie. Si je dois mourir, ok. Mais pas eux, d’accord ?
Enfin ! La chance pousse sa main sur son fusil, et avec peine, elle le sort de la neige et le ramène contre sa poitrine. Elle n’arrive pas vraiment à le sentir tant ses mains sont raidies mais ses doigts trouvent la gâchette par pur instinct, et elle attend, les yeux grands ouverts face à son destin, quel qu’il soit.
Elle entend des bruits de pas et sait qu’ils arrivent depuis la mauvaise direction. Elle tend son corps meurtri et du sang s’échappe de sa blessure, teintant la neige de rouge.
Quelqu’un veut un cornet glacé ?
Son humour noir tombe à point nommé, comme toujours.
Un visage et la pointe d’un Uzi entrent simultanément dans son champ de vision. Le visage est totalement vide d’émotion, on ne peut rien lire dans ces yeux brillants et inhumains.
Elle le voit hésiter et c’est tout ce dont elle a besoin. Redressant son fusil de chasse, elle presse sur la gâchette. « Bouffe ta merde, salopard ! »
La force de la déflagration l’envoie valser, et elle parvient à forcer son corps à s’asseoir, puis à se lever. Elle titube pendant un instant puis avance fermement vers le corps étalé dans la neige. Elle sent approcher son frère et son père, mais c’est quelque chose qu’elle doit faire elle-même.
Avec le sourire carnassier d’un loup, elle pointe le fusil vers la forme allongée. « Crève, misérable tas de merde ! »
Une balle et le visage est totalement détruit. Elle recharge et place l’arme contre l’épaule. Une autre détonation et le bras est désintégré et détaché de l’épaule. Une troisième balle arrache le second bras.
Satisfaite, elle relâche sa tension, mais fixe toujours le visage désintégré dans la neige.
Une main chaude l’attrape par l’épaule et elle se retourne vers le regard inquiet de son père.
« Ça va aller. Et vous deux ? »
« Sacré tir, Kod. » remarque Tacoma en souriant. Puis il remarque le sang sur son pull et son sourire disparaît. « Merde, Koda, tu es touchée. »
« Je survivrai. » répond-elle d’un ton indifférent. Maintenant que le combat est terminé, la douleur fait son apparition. « Il faut qu’on aille à l’intérieur pour voir si quelqu’un est encore en vie. »
Son père se baisse et se saisit de l’Uzi. « Ton frère et moi, on s’en charge. Toi, tu retournes à la voiture et tu nous y attends. »
Bien qu’elle ne soit plus une enfant, Dakota sait reconnaître un ordre quand elle en entend un. Elle acquiesce. « Oui, monsieur. »
Un semblant de sourire, plutôt rare, apparaît sur le visage de son père. « C’était bien joué, ma fille. Je suis fier. »
C’est étrange comme, même après toutes ces années, ces mots lui font du bien.
Cependant, alors qu’elle regarde son frère et son père pénétrer dans la maison, elle résiste à la tentation de retrouver la chaleur de sa voiture. Elle presse une main contre sa blessure pour contenir le sang et regarde à nouveau vers la forme allongée.
Le corps a des convulsions. Les jambes bougent lentement, comme celles d’un chien en train de rêver qu’il chasse les papillons.
Le féroce sourire refait son apparition, mais elle ne lève pas son arme.
Pas encore.
Pas encore.
« Je ne suis peut-être pas capable de te tuer, saloperie, mais je peux m’assurer que tu ne fasses plus de mal à quiconque. »
8.
(NDLT : Les paroles de la chanson entre parenthèses proviennent d’une comptine anglaise intitulée « London Bridge is falling down.)
(Le pont de Londres s’écroule… »
Il a beau être l’homme le plus riche du monde, Peter Westerhaus n’est pourtant pas un homme ordinaire. En tout cas, un homme ordinaire de l’ère pré-Microsoft, lorsque le moule du multimilliardaire fut changé à tout jamais.
Avec son corps maigrichon et un visage recouvert d’une bonne éruption d’acné qu’on s’attendrait plutôt à voir sur le visage d’un adolescent ; si seulement il avait trente ans de moins, Peter a autant en commun avec les barons de la pègre et les vieux magnats de l’acier qu’une poule en a avec une brosse à dents.
Mais malgré ses vêtements tachés de nourriture et son odeur aigre - il prend un bain deux fois par mois qu’il en ait besoin ou non – il aurait pu être accepté par ses pairs, si seulement il n’avait pas paru si sacrément étrange.
Excentrique. C’est ce mot-là qu’ils utilisent.
Ou est-ce le mot qu’ils avaient l’habitude d’utiliser ?
Est-ce important, Stan ?
Non, Johnny. Ça ne l’est pas. Ça ne l’est plus.
Tu as raison, Stan, vieux frère. Tu as raison.
(…s’écroule…)
Même ainsi, l’enfant prodigue qui est passé en coup de vent à Harvard à l’âge de 15 ans puis a intégré MIT (Massachusetts Institue of Technology) - où en trois mois à peine il enseignait lui-même à ses professeurs- présente peu de ressemblances avec l’homme qui dirige maintenant la plus grande société au monde.
(…s’écroule…)
Peter est assis dans son bureau mégalithique. Un bureau où s’entassent tant d’ordinateurs dernier cri que l’on se croirait dans une de ces fantastiques machines volantes futuristes plutôt que dans un endroit décoré avec les meubles design tout en bois précieux dont ses contemporains raffolent.
Contemporains ? Quels contemporains ? Ha ! Ha ! Ha !
Un large écran plat est posé sur le bureau en face de lui. Il est complètement noir à l’exception d’une bande étrange qui défile sans fin tout en bas. Du même genre que celle qui passe en continu sous les images de CNN ou de MSNBC et qui annonce les scores des matches, le marché boursier et la météo pendant qu’un correspondant dans un lointain pays annonce presque gaiement les derniers morts d’une guerre quelconque.
Je ne vais pas regarder. Je ne veux pas et tu ne peux pas me forcer.
Bien sûr que tu vas regarder, mon vieux ! Juste un petit coup d’œil ! Allez, vas-y !
Ta gueule, Johnny ! Je ne veux pas regarder.
Allez …
Non. Si je ne regarde pas, je pourrai me convaincre que ce n’est qu’un rêve. Juste un mauvais cauchemar qui va disparaître en fin de compte.
Nouveau flash d’informations pour toi, Stan. C’est la réalité. Pas de cauchemars en vue.
Peut-être… Mais je peux faire semblant, non ?
Bien sûr que tu peux faire semblant. Mais je serai toujours là quand tu reviendras de ton voyage sur l’île de la Fantaisie.
(… Le pont de Londres s’écroule…)
Tournant sur sa chaise, Peter regarde les murs vierges et sans fenêtres de son sanctuaire intérieur. Sa salle du trône si vous préférez.
Pas de blagues de toilettes, s’il te plaît Johnny.
Je n’y pensais même pas, Stanley.
Il regarde les panneaux lambrissés qui recouvrent les murs et y compte les nœuds, tandis que son cerveau commence à glisser sur la dernière pente, celle de la démence totale, celle où l’on finit par se détruire dans un pur acte d’auto-cannibalisme.
(… s’écroule…)
Son corps exécute ce que son esprit lui interdit ; son pied glisse sur le tapis et retourne sa chaise afin qu’il se retrouve face à l’écran. Ses yeux balaient la pièce de gauche à droite avant de se poser sur la bande au bas de l’écran.
Les mots sont écrits dans un langage qu’il ne peut déchiffrer. Mais les caractères qui défilent en une effroyable procession sont si étrangers pour lui ainsi que pour quiconque de la race humaine que son cerveau se contracte et se tord en tentant d’y trouver un sens.
Cela lui donne une migraine instantanée et aveuglante.
Les lettres ne sont pas le vrai problème, cependant, Stanley.
Tu as foutrement raison, Johnny.
Mais pour être honnête, je dois te dire que ce sont les mots qu’il faut comprendre. Le message.
Sois honnête, mon ami, sois honnête.
Et tu as déjà compris le message, n’est-ce pas Stanley ? Le message est aussi clair que de l’eau de pluie, n’est-ce pas ?
(…gentille…)
Peter a fait tout ce qui était en son pouvoir pour que le message s’efface. L’épave qu’est devenue son bureau est là pour le prouver.
J’ai fait tout ce que je pouvais. Tout. Tu dois être conscient de cela, Johnny.
Oh, j’en suis conscient, Stanley. Ne jamais laisser dire que Peter Stanley Westerhaus n’a pas fait de son mieux.
Plusieurs de ses puissants ordinateurs classés top secret – et programmés illégalement – sont en morceaux sur le sol, leurs pièces fracassées le fixant de façon presque hostile, comme si elles se demandaient ce qu’elles ont fait pour mériter ça.
En fait, si on regardait sous le bureau, là où est lové le parasurtenseur, on remarquerait sans doute que la prise du moniteur n’est plus branchée. Tout comme la prise de l’ordinateur qui transmet actuellement l’ignoble message.
Et pourtant…
‘Et pourtant… ‘ On en arrive toujours au même point, Stanley. ‘Et pourtant…’ Si on écrit un jour un livre à ton sujet, vieille branche, ces mots y seront martelés, n’est-ce pas ?
(…gentille…)
C’est vrai. Tout ce que les voix lui disent dans sa tête est vrai. Tout ce qu’il a à faire pour se le prouver, c’est lever la tête vers les deux douzaines d’écran de télé qui émettent de chaque coin du globe.
Ils montrent tous la même chose, encore et encore. Des scènes d’une espèce de cauchemar post-apocalyptique qu’il a lui-même créé en disant « oui » au lieu de « non ».
Mon DIEU ! Qu’ai-je fait ?
(…dame…)
Dans un coin de son bureau silencieux retentit soudain un beep alors qu’un autre écran s’allume. Celui-là montre le couloir menant à son sanctuaire. Un couloir qui, jusqu’à maintenant, était aussi vide qu’un tombeau.
Ils viennent pour toi, mon vieux.
« Je le sais, je le sais. Putain, je le SAIS BIEN ! »
Peter ouvre son tiroir et en sort un revolver, une arme qu’il n’a jamais utilisée. Il tourne à nouveau sa chaise de façon à faire face à l’unique porte de son bureau. Le revolver repose mollement sur ses genoux.
Oh oui, ça marchera. C’est comme pisser dans un violon. Tu les as créés indestructibles, vieille branche. Une partie du plan, tu te souviens ?
« J’emmerde le plan ! »
Il ne quittera jamais son bureau en vie, il le sait. Et cette réalisation lui apporte presque du soulagement. L’ironie d’être tué par ses propres créations lui apparaît comme une juste punition, en rapport avec ce qu’il a fait.
Mais pourtant.
Oh, on y revient encore, hein ?
Ta gueule Johnny. Ferme-la !
« J’ai oublié quelque chose. Je le sais. »
Un regard rapide vers l’écran lui montre qu’il a encore un peu de temps. Pas beaucoup, mais juste assez.
Il balaye à nouveau la pièce du regard et ses yeux tombent sur son ordinateur personnel, le seul qui a été épargné par sa rage toute à l’heure. Il repose fièrement sur son autre bureau, comme s’il régnait sur ses compagnons en morceaux.
« C’est ça ! »
S’expulsant de sa chaise, il trébuche parmi les débris jusqu’à son bureau où l’attend son ordinateur en veille. Un effleurement rapide de la souris et l’e-mail qu’il a écrit un peu plus tôt réapparaît devant ses yeux. Ce n’est pas vraiment une lettre, non, mais il pense que ça expliquera le pourquoi du comment de ce qui se passe actuellement.
Avec un brusque hochement de tête, il pointe la souris sur le bouton « Envoyer à tous » mais le beep ténu des caméras de sécurité le fait sursauter. Un bref coup d’œil sur l’écran lui montre le couloir plein à craquer de ses ennemis.
En inspirant profondément, il écarte une mèche de cheveux gras couleur paille de son front et fixe à nouveau l’ordinateur. Des cercles brillants passent devant ses yeux. Ses mains moites tremblent tellement qu’il manque à nouveau le bouton « envoyer à tous ».
« Allez, allez, putain ! »
Le dernier essai est le bon. L’e-mail disparaît et est remplacé par la fenêtre « Message envoyé ».
« Oh, merci mon Dieu, merci ! »
Un relent de religion, vieille branche ? Et que fais-tu de ta nomination au sein du club des Athéistes du mois ?
Ignorant la voix, Peter retourne s’asseoir sur sa chaise. Il saisit le revolver et le fixe comme s’il allait lui pousser des ailes.
Que veux-tu faire avec ça, hein, champion ? Disparaître glorieusement en serrant les dents ou une connerie dans ce genre ?
Je n’abandonnerai pas mes hommes. Partez, je garderai Fort Alamo. Vive les USA ! Vive le MONDE !
Il les entend arriver maintenant, le bruit de leurs bottes est presque obscène alors qu’ils se rapprochent encore et encore.
(Le pont de Londres s’écroule…»
Brandissant l’arme, il la pointe vers la porte. Il est surpris et heureux de constater que sa main ne tremble plus. L’humidité soudaine entre ses jambes lui indique que sa vessie a une vision totalement différente de la situation, mais au moins, ses mains ne l’auront pas trahi.
Trahi. Drôle de mot. C’est ainsi qu’ils vont t’appeler tu sais ? Le Traître. Epitaphe appropriée, tu ne trouves pas ?
« Tout ce que je voulais, c’est être accepté. Pas populaire. Mais juste accepté. C’est pour ça que j’ai fait tout ceci. Je voulais aider. Je voulais qu’on m’aime. Ce n’est pas une si mauvaise chose, non ? »
…
Non ????
…
Laissant échapper un petit soupir, il abaisse son arme et la retourne contre sa tempe.
« Je suis désolé. Je sais que ce n’est pas assez, mais… c’est digne de ce que … je suis. »
(…gentille dame….)
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