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INSURRECTION13

Page history last edited by PBworks 15 years, 10 months ago

INSURRECTION

 

De Sword'n'Quill (Susanne Beck)

 

SwordnQuil@aol.com

 

écrit avec T Novan et Okasha

 

 

Traduction : Kaktus et Fryda

 

 

Table des matières

 

 

 

 

CHAPITRE TREIZE

 

 

 

Le jour est gris. Nuages gris, neige grise et visages gris des gens qui déambulent sur les sentiers et les chemins salés dégagés à la pelle. Même le pelage d’Asi paraît fatigué et triste alors qu’il suit lentement Kirsten, la tête baissée, tel un cheval qu’on ramène aux écuries.

 

 

 

Un sentiment de mélancolie presque agréable l’habite pourtant et elle hâte le pas, devançant ses pensées, simplement heureuse de vivre le moment présent. De vivre et partager l’espace avec ces hommes et ces femmes dont elle devine les histoires sur les visages.

 

 

 

Alors qu’elle s’engage sur un autre sentier, elle s’arrête face à une scène qui lui fait regretter sans doute pour la première fois de sa vie, de ne pas savoir dessiner. Face à elle se tient une femme qui n’a certainement pas plus de vingt ans mais dont la vie a marqué les traits. Devant elle se presse contre son ventre une petite fille toute sale et aussi pâle qu’un fantôme. La jeune femme enserre ses bras autour des épaules de l’enfant dans un geste de possession désespéré, comme si celle-ci était la seule chose de valeur qui lui reste dans ce monde devenu totalement fou. L’expression dans les yeux de la femme fait faire à Kirsten un bond dans le temps, quand elle-même n’était encore qu’une enfant, debout dans la Basilique St-Pierre de Rome, admirant la Pieta (NDLT : groupe en marbre, sculpté par Michel-Ange, représentant le corps de Jésus dans les bras de Marie après sa mise en croix) et se demandant comment une simple pierre pouvait produire une si profonde émotion.

 

 

 

Le petit « hello » de la fillette ramène Kirsten au présent, et elle lui répond par un sourire à la fois bienveillant et triste.

 

 

 

« Ton chien est mignon. »

 

 

 

Comme s’il était d’accord, Asi s’assied fièrement et émet un petit jappement, provoquant un rire ravi chez l’enfant. « Il s’appelle comment ? »

 

 

 

« Asimov. »

 

 

 

La fillette semble un peu confuse.

 

« Asminnoff ? »

 

 

 

« C’est presque ça. » l’encourage Kirsten. « Mais il aime qu’on l’appelle Asi. »

 

 

 

« Asi ? » La fillette regarde sa mère pour en avoir la confirmation et retourne son attention sur le chien. « Asi. »

 

 

 

Asimov aboie plus fort, ce qui fait sursauter la fillette. Sa mère resserre son étreinte, un éclair de panique se lisant sur ses traits.

 

 

 

« N’ayez pas peur. » s’empresse de les rassurer Kirsten. « Il ne vous fera aucun mal, je vous le promets. »

 

 

 

L’enfant semble convaincue. Elle tend sa petite main sale vers l’animal. « Asi ? »

 

 

 

Jamais en reste, Asimov lève sa patte gauche et adresse à la fillette un sourire canin accompagné d’un autre jappement. Kirsten rit. « Je crois qu’il t’aime bien. »

 

 

 

En réponse au regard implorant de sa fille, la jeune femme relâche son étreinte. L’enfant fait un pas en avant, précautionneusement. Asi garde son calme, la patte toujours levée. L’enfant la prend doucement entre ses deux mains et se met à rire quand le chien lui donne un généreux coup de langue sur le visage. Elle recule et s’essuie des deux mains. « Il est drôle. Tout mouillé. » Puis elle s’adresse à nouveau à Kirsten. « Tu t’appelles comment ? »

 

 

 

« Kirsten. » répond-elle, ne pouvant s’empêcher de lui sourire avec douceur. « Et toi ? »

 

 

 

« Lisa. » répond l’enfant, d’un air timide. « Dis, Asimov peut être mon ami ? »

 

 

 

« Oh ma chérie, bien sûr qu’il le peut ! Nous nous promenons tous les jours. Si ta maman est d’accord, tu pourras venir avec nous quand on se verra, d’accord ? »

 

 

 

L’expression de la mère est peinée quand sa fille lui lance un regard interrogateur. « On en parlera ce soir, ma puce. Maintenant, nous devons aller manger. »

 

 

 

Après un moment, Lisa acquiesce. « D’accord. » répond-elle doucement. Elle s’avance à nouveau vers Asi et passe ses petits bras autour de son cou, le serrant avec toutes ses maigres forces. « Au revoir, le chien. » murmure-t-elle dans son pelage. « Au revoir. »

 

 

 

Des larmes piquent les yeux de Kirsten et une autre partie de son âme, qu’elle pensait être depuis longtemps desséchée, revient à la vie, et avec elle, le regain de sa détermination à redonner à cette enfant, ainsi qu’à tous ses semblables, un monde meilleur où grandir.

 

 

 

Avant qu’elle ne tourne sur le sentier pour rejoindre la maison, elle aperçoit Lisa à nouveau dans les bras de sa mère, mais cette fois elle voit briller dans leurs yeux une lueur de ce qu’elle peut nommer de l’espoir.

 

 

 

Pour l’instant, c’est déjà pas mal.

 

 

 

Elle arrive devant sa maison temporaire et y trouve une note accrochée sur la porte. Tracés d’une écriture fine, les mots lui sautent aux yeux, provoquant en elle, tour à tour, de la détermination, de la colère, puis les deux en même temps.

 

 

 

« Pas cette fois. » prononce-t-elle en arrachant le papier de la porte avant de le froisser dans son poing serré. « Pas cette fois. Viens, Asi. Nous avons une réunion à rejoindre. »

 

 

 

**********

 

 

 

La pièce est aussi grise qu’un jour de Novembre. Les murs gris sont ornés d’une large bande de PVC blanc en guise de plinthe. Une moquette, grise elle aussi, mais décorée avec les logos de l’Armée des Etats-Unis, recouvre le sol. Les rideaux sont gris. Contre le mur sont accrochés des cadres contenant des photos d’avions de guerre basés à Ellsworth. Le ciel bleu turquoise derrière les Tomcats et les SuperHornets est la seule tache de couleur présente dans la pièce. Sur une table, dans un coin, se trouve un sapin d’appartement dans un pot enveloppé dans de l’aluminium, dont les branches jaunies sont décorées de petites lumières et de boules multicolores. Il paraît triste dans la lumière pâle qui pénètre difficilement à travers les lourds rideaux. La longue table de conférence est en métal du même gris que le reste. Et les chaises recouvertes de tissu synthétique, ressemblent au rembourrage que l’on utilise dans les cercueils, pense Koda.

 

 

 

Maggie l’énonce à haute voix. « Que quelqu’un me donne une pilule du bonheur. Cet endroit déprimerait Shirley Temple. »

 

 

 

« Je ne sais pas pour Shirley Temple, mais moi, ça me déprime. » Tacoma étouffe un ricanement, un peu comme un gros chat plein de mépris. « C’est les droïdes qui ont fait la déco ? »

 

 

 

Maggie secoue la tête. « C’est Hart qui s’est débarrassé des décorateurs, il y a des années de ça. Ils étaient trop créatifs pour lui. »

 

 

 

« Ça pourrait être pire », fait Koda. « On pourrait avoir du lambris partout avec des têtes de cerfs empaillées sur les murs. »

 

 

 

Tacoma ôte sa veste et la dépose sur le dossier d’une chaise. Il porte maintenant son uniforme de l’armée, dont la poche gauche arbore fièrement les médailles. Koda les connaît toutes : celle d’Afghanistan, reconnaissable à son croissant d’argent ; la médaille d’honneur de la légion du royaume de Jordanie ; la médaille saluant son Action pour les Droits Humanitaires ; celle du Mérite au combat ; l’Etoile de Bronze et l’Etoile d’Argent. Et la dernière, qu’elle déteste, pourpre et blanche, qui signifie blessé au combat. Tacoma a été porté disparu dans les montagnes du Panjir pendant plus de deux semaines et personne, que ce soit ses supérieurs ou sa famille n’était en mesure de savoir s’il était en vie ou non. Ni elle, ni son père, malgré leurs pouvoirs spéciaux, n’ont été capables de le trouver dans le monde spirituel. Elle rencontre le regard de Tacoma au moment où elle s’assied en face de lui et pense à leur père, vétéran du Vietnam, qui appelle l’uniforme garni de médailles de son fils sa « ceinture de scalps.

 

« Hé ! » Tacoma touche son bras gentiment et la ramène au présent.

 

 

 

« Salut. Tu n’as pas coupé tes cheveux. »

 

 

 

« Je ne suis pas prêt à le faire. » Il sourit à Maggie, qui s’assied près de lui. « Vous pourrez vous y faire, mon Colonel ? »

 

 

 

Maggie lui sourit : « Ça fait une moyenne. Vous en avez assez pour Manny, vous et moi ensemble. Mais par contre, je peux vous dire que ça ne va pas plaire à Hart. »

 

 

 

« Quelqu’un parle de moi ? » Manny apparaît à l’entrée de la pièce, accompagné de deux hommes. Le premier porte l’uniforme des Marines, l’autre une chemise et un jean. Manny s’installe sur la chaise près de Koda et jette un regard autour de lui. « Pas de café ? »

 

 

 

 

« Ça vient. » dit un nouvel arrivant, un jeune homme blond portant l’insigne de Caporal. « Quoi de neuf, Lieutenant ? »

 

 

 

Manny hausse les épaules et regarde Allen. « Colonel ? »

 

 

 

« Quelque chose en rapport avec une mission de reconnaissance, si j’ai bien compris. »

 

 

 

Le Caporal est suivi par un autre homme vêtu en civil, puis par deux femmes plus âgées. Koda fait le tour du groupe, ne reconnaissant pas chaque individu mais notant que chacun d’eux porte les marques indélébiles d’une vie menée pour la plupart du temps au grand air. « Chacun d’entre vous est un habitant de la région, n’est-ce pas ? »

 

 

 

Tous acquiescent d’un signe de tête. Ils sont du coin et cette région leur est familière.

 

 

 

« Nous avons besoin d’éclaireurs. » continue-t-elle. « Pour la reconnaissance au sol. »

 

 

 

« Vous m’avez devancé, Dr Rivers. »

 

Hart se tient debout à l’entrée de la pièce, faisant signe à ses officiers qui se sont levés pour le saluer de se rasseoir. « Nous avons besoin de gens qui connaissent cette région pour partir en reconnaissance. Je vais vous faire un rapport puis je demanderai des volontaires. » Il se dirige vers le bout de la table, très raide, suivi par un soldat poussant un chariot avec les cafés et un autre apportant un projecteur et un ordinateur portable. Le Général leur désigne les tasses. « Servez-vous. Nous avons même pensé à réquisitionner des donuts. »

 

 

 

Ils doivent provenir de sa cachette privée, observe ironiquement Koda tout en remplissant sa tasse. Elle cherche le regard de Tacoma et elle sent qu’il pense exactement pareil. Il lui fait un clin d’œil, en saisissant un beignet à la cannelle sur le plateau et en dépose un devant elle. Il a fichtrement besoin de nous.

 

 

 

Une fois que chacun est servi, Hart commence. « Comme vous le savez, nous avons eu de la chance à Ellsworth, puisque nous avons pu repousser l’attaque initiale des androïdes, qu’ils soient civils ou militaires. Bien entendu, nous avons subi des dommages considérables, mais beaucoup de nos officiers ont survécu et nous sommes toujours opérationnels, même à un niveau plus réduit. Nous avons aussi le soutien de la population civile de la région. »

 

 

 

Hart s’arrête et sourit à Koda ainsi qu’aux autres propriétaires de ranch présents. Quand son regard se pose sur Tacoma, son sourire se fige un instant, puis renaît délibérément. Koda sent une légère pression contre son pied et regarde l’air soudain suspicieux de son frère.

 

 

 

« Lumière, s’il vous plaît. »

 

 

 

Une fois la pièce plongée dans le noir, le Général allume le projecteur et ajuste la netteté. Les images qui défilent ensuite contre le mur sont grisâtres mais claires.

 

 

 

Des camions transportant des troupes, se déplaçant le long de routes étroites, généralement 3 ou 4 par convois.

 

 

 

Des colonnes de soldats androïdes perchés sur des tanks, avançant lentement mais inexorablement sur les autoroutes. Des androïdes jamais fatigués, qui continuent d’avancer.

 

 

 

Des véhicules blindés, prêts à attaquer.

 

 

 

Des hommes, par petits groupes d’une douzaine, avançant sur les routes et les sentiers, portant des casques, des sacs militaires et des armes. Entourés chaque fois par un ou deux droïdes.

 

 

 

A la dernière image, Koda entend les respirations qui se relâchent. En face d’elle, le visage de Maggie est empreint de colère et de dégoût. Près d’elle, elle voit Manny crisper les poings sur le bord de la table. La femme assise à deux sièges d’elle, dont la peau a pris la teinte cuivrée de quelqu’un qui a passé des années dans le vent des Hautes Plaines, a les traits aussi durs que la terre ; pourtant elle semble prise de nausée dans la lumière vacillante. Koda elle-même sent son estomac se retourner.

 

 

 

« En fait, » dit le Général Hart en coupant le projecteur, alors que les lumières se rallument « il n’y a pas seulement des droïdes en mouvement, mais aussi des humains qui collaborent avec eux. Le Colonel Allen et le Dr Rivers l’avaient déjà constaté, mais ils n’étaient pas en aussi grand nombre. » Il appuie sur un autre bouton et une carte du Sud Dakota ainsi que du Wyoming et du Colorado apparaît sur le mur. « Ces photos ont été prises par le Colonel Allen et son escadron ces derniers jours. Elles montrent un nombre inquiétant de petites troupes marchant dans notre direction. Elles semblent arriver de Warren Space Wing dans le Wyoming et de la Base aérienne de Peterson dans le Colorado. A première vue, elles se sont données rendez-vous en un certain point pour ensuite conjuguer leurs forces en vue de nous attaquer. »

 

 

 

« Mon Général. »

 

 

 

Tacoma attend le hochement de tête de Hart avant de continuer.

 

«Nous pouvons donc présumer qu’il n’y a plus de résistance à Warren et à Peterson ? »

 

 

 

« Ou même entre les deux ? » rajoute Koda.

 

 

 

 

 

« Sergent, Docteur – je n’ai pas de raison de croire le contraire. » Pendant un instant, le visage habituellement vermeil de Hart devient aussi gris que la pâle lueur qui filtre à travers les fenêtres. « Nous n’avons plus d’espoir de trouver encore des militaires dans ces deux endroits. Pas plus que des civils d’ailleurs. Ce que nous savons maintenant, c’est qu’il va falloir faire face à l’ennemi. »

 

 

 

« Nous sommes plus nombreux. » observe Manny.

 

 

 

« Et mise à part la couverture aérienne, ils ont probablement plus d’armes » ajoute Maggie.

 

 

 

« C’est correct. »

 

 

 

« Mais ils ne sont pas plus malins. » répond Tacoma, avec un sourire.

 

 

 

« Correct aussi, Sergent. » Le sourire de Hart est un peu moins crispé cette fois-ci. « Chaque personne dans cette pièce a une connaissance très sûre des environs de Ellsworth. Certains d’entre vous, comme Mr Marshak – il désigne l’homme vêtu de la chemise de flanelle – ou Mesdames Tilbury-Laduque – les deux femmes plus âgées– ont vécu et travaillé dans cette région depuis des décennies. D’autres, comme le Marine Guell et le Caporal Mainz, ont l’habitude de camper ou chasser dans les environs. Nous avons besoin de vous tous, si vous êtes volontaires, pour être des éclaireurs. Vous devrez vous déplacer dans la région à la recherche de ces groupes armés afin de découvrir leurs positions et si possible, leurs plans. »

 

 

 

« Mais pourquoi ne les bombardez-vous pas tout simplement ? » demande l’une des deux femmes. Son visage élancé est déterminé sous ses cheveux gris et sa question n’a clairement rien à voir avec de la couardise. « Il me semble qu’une des ressources les plus rares ici, ce sont les humains, alors pourquoi risquer leur vie ? »

 

 

 

« Puis-je ? » Maggie regarde en direction de Hart.

 

 

 

Le Général hoche la tête et elle continue. « Nous avons assez d’essence et de munitions pour réduire ces salauds en miettes, M’dame. Et nous le ferons s’il le faut. Mais les officiers de cette base ont jugé qu’il valait mieux conserver ces ressources pour la défense des civils. Il y a un nombre surprenant de survivants encore dispersés dans tout le pays qui ne sont pas équipés pour repousser une attaque de droïdes militaires. Nous devons sauvegarder nos défenses aériennes pour eux aussi longtemps que nous le pourrons. »

 

 

 

« La femme hoche la tête. « Je comprends. Ok, je marche avec vous. »

 

 

 

« Moi aussi, » ajoute l’autre femme. Koda sent un souvenir bref et poignant monter en elle, quand la main de Mme Tilbury-Laduque vient entourer les doigts de sa partenaire. La douleur n’est pas aussi vive qu’elle l’a été toutefois, et elle baisse les yeux sur sa propre main où se trouve une bande de peau blanche à peine perceptible à la naissance du quatrième doigt de sa main gauche.

 

 

 

Cette douleur est devenue presque comme le fantôme d’un membre amputé. Elle a connu cela chez les quelques amis de Tacoma qui sont revenus de la guerre avec un membre en moins et qui n’ont pas pu ou pas voulu porter de prothèses. Elle l’a constaté aussi chez ses propres patients, des vaches dont les muscles de la hanche tressaillaient, afin de mouvoir une jambe qui n’était plus là où un renard tentant de mordre une queue gangrenée qu’elle avait dû amputer. Elle regarde Maggie, attentive maintenant aux propos d’un autre intervenant, ses traits animés d’un désir de vivre si évident que Koda ne peut l’imaginer blessée ou malade. Et c’est une chose dangereuse, se dit-elle, que de ne pas pouvoir voir cela dans un compagnon de bataille, et encore moins, quelqu’un qui est aussi votre ami.

 

 

 

« Je suis partant. » dit Manny, fixant Maggie.

 

 

 

« Moi aussi. » ajoute la Colonel. « J’aimerais disposer de la même troupe qui m’accompagne depuis l’insurrection, mon Général. Ils ne sont pas tous de cette région, mais ils ont de l’expérience en ce qui concerne les combats rapprochés et la libération de civils. Nous pourrons certainement découvrir d’autres caches de prisonniers en route. »

 

 

 

« Tout ce que vous voudrez, Colonel. » Hart semble soulagé et sourit d’un air faux. « Cette opération est entre vos mains. Et qu’en est-il du reste d’entre vous ? Vous serez avec le Colonel Allen, Sergent Rivers ? »

 

 

 

« Bien entendu. » Tacoma sourit. « Quelqu’un capable de mater cet énergumène » - il désigne son cousin – « a tout mon respect. »

 

 

 

« Docteur ? »

 

 

 

Koda acquiesce d’un signe de tête et les autres font de même. Elle sent son esprit glisser de manière étrange, comme si le temps avait soudainement calé et s’était replié sur lui-même.

 

Les voici éclaireurs pour l’armée des Etats-Unis, celle qui a contribué à leur destruction ultime et transformé les Grandes Plaines en paysage stérile en les vidant non seulement de ses bisons mais des nations indiennes qui y vivaient.

 

 

 

Elle sent ses poings se crisper de la même manière que ceux de Manny.

 

Pas à nouveau. Ce sera différent cette fois-ci.

 

Cette pensée amène la certitude inébranlable que le monde a irrévocablement changé. Peu importe ce qu’elle fera, elle, mais aussi Manny, et Tacoma, ce qui naîtra sera différent.

 

Lakota oyate.

 

 

 

Une nation Lakota, mais pas seulement une nation de Lakota. C’est le temps du Bison Blanc, prédit par Wowoka l’indien Paiute, le temps de l’accomplissement de la prophétie. (NDLT : Amérindien de la tribu des Paiutes. Vers 1889, Wovoka eut une expérience spirituelle lui annonçant la venue d'un messie qui allait rendre aux Indiens leurs terres et leurs guerriers disparus. Il recommanda alors des danses et des chansons rituelles pour se préparer à cette arrivée. Connu sous le nom de «danse des Fantômes», ce rituel, qui se répandit dans la plupart des tribus indiennes, depuis les Grandes Plaines jusqu'aux Rocheuses, comportait de nombreux éléments empruntés à la théologie chrétienne, que Wovoka connaissait.)

 

Elle cligne des yeux pour s’éclaircir les idées et voit que Manny la fixe étrangement. Le Général a repris son briefing et parle de problèmes de communication. « Koda ? » La voix de son cousin est très douce. « Ça va ? »

 

« Oui, ça va. Merci. »

 

Son regard est interrogateur. Tacoma, de l’autre côté de la table, la regarde intensément. « Je vais bien. » répète-t-elle. « On en parlera plus tard. »

 

Sans avertissement, la porte s’ouvre soudain. Kirsten apparaît dans l’embrasure, Asimov à ses côtés. Son visage est blême de rage et son regard plus glacial que le cœur d’un blizzard. Elle ne dit rien. Les conversations s’éteignent dans la pièce et tous les yeux convergent vers elle.

 

Après un moment d’embarras, Hart rompt le silence. « Dr King, vous cherchez quelqu’un ? Ma secrétaire pourra vous aider, si c’est cela. »

 

Mais Kirsten ne dit rien. Koda peut sentir la colère sourdre en elle, presque palpable. Et un pouvoir qu’elle n’a jamais vu chez Kirsten avant, quelque chose de similaire à la force qu’elle a sentie chez Maggie. Pendant un instant, elle est absurdement soulagée par le fait que Kirsten ne porte pas d’arme. Il y a une autorité en elle que Koda n’a jamais vue avant, même pas quand elle a giflé Hart après le bombardement de Minot.

 

Ithanchan winan. Cette pensée lui vient spontanément. Cette femme est une vraie chef.

 

Koda pousse sa chaise en arrière pour se lever mais Tacoma est plus rapide qu’elle. Il est déjà debout, droit comme un i et salue la femme qui se tient à la porte.

 

Manny fait de même, puis Allen. « Madame la secrétaire. » La salue-t-elle, de manière significative.

 

Le Marine et le Caporal se lèvent aussi, suivis par les civils. Koda sent son cœur s’emballer. Finalement, Hart fait ce qu’on attend de lui. Il s’avance et salue. « A votre service, Madame. »

 

Kirsten les regarde tous un moment de plus. Puis elle leur adresse un bref geste de la main. « Repos. »

 

Hart lui présente sa propre chaise au bout de la table et Kirsten traverse la pièce, Asi la suivant avec la dignité d’un loup, ignorant pour une fois ses nouveaux amis. Koda se souvient de sa première rencontre avec le grand chien dans la clairière enneigée. Sa position solennelle lui fait soudain penser à une image vieille de plusieurs milliers d’années, représentant le dieu chacal étendu sur le banc d’un mastaba devant le sanctuaire du Pharaon. Anubis, gardien du Roi.

 

Kirsten s’installe calmement sur sa chaise, Asimov toujours à ses côtés. « Merci, Général Hart. » dit-elle. « S’il vous plaît, commencez la réunion. »

 

Koda regarde Tacoma qui lutte courageusement pour ne pas sourire, abandonne et le masque derrière un toussotement, tout en se détournant du Général vaincu. L’étincelle dans son regard est contagieuse et se répand tout au long de la table comme un soleil de Février se réverbérant dans un torrent. Le Général est visiblement soulagé quand il est finalement capable d’ordonner l’extinction des lumières pour relancer la vidéo. En la voyant une seconde fois, Koda mémorise le terrain ; la silhouette des collines, les angles formés par la lune, la ligne des arbres dénudés, le cours d’un ruisseau, les contours sombres des champs qui apparaissent là où la neige commence à fondre.

 

La vidéo terminée, la Colonel donne les informations que ne révèle pas le film et Kirsten écoute sans faire de commentaires. Quand Maggie se tait, elle prend la parole. « Général, vous estimez que cette base est la seule installation défensive encore opérationnelle dans cette région ? »

 

« Oui, Madame. » Il désigne la carte. « Si Ellsworth tombe, les droïdes n’auront pas seulement accès à tout notre armement mais seront aussi capables d’empêcher toute résistance de la population civile survivante. Jusqu’à présent, ils ne possèdent pas de force aérienne, soit parce que les autres bases ont détruit volontairement leurs avions, soit parce que, comme le Colonel Allen et son escadron, ils étaient en vol lors de l’insurrection, soit parce que beaucoup d’avions ont été détruits pendant les combats. Mais peut-être que c’est aussi parce qu’ils n’ont pas de pilotes humains. A ma connaissance, aucun droïde militaire ne peut voler. Nous ne pouvons nous permettre de leur abandonner cette base, ainsi que la population civile qui se trouve ici. »

 

« Je suis d’accord. » Kirtsen regarde autour de la table tous les volontaires qui sont devenus soudainement les siens, ses yeux s’attardant une fraction de seconde sur le visage de Koda. A nouveau, une douleur sourde déchire son cœur, accompagnée d’un sentiment d’irrévocabilité. Ce n’est pas seulement le monde qui a changé, réalise-t-elle. C’est mon monde et il a changé pour toujours.

 

« Colonel. »

 

« Madame. »

 

 

 

« Organisez vos groupes d’éclaireurs. Et incluez-moi dans l’un d’entre eux. »

 

Tout le monde s’écrie. Koda est prête à s’exclamer avec les autres, mais elle serre les dents, étouffant des mots qu’elle sait inutiles.

 

« Dr King… »

 

« Madame la Secrétaire… »

 

« Madame, je vous demande pardon, mais vous ne pouvez pas faire cela. Vous êtes trop précieuse. » La voix de Hart domine celles des autres. « Vous êtes notre seul espoir de détruire ces foutus… euh, pardon, Madame, ces droïdes. Je ne peux permettre cela, vous ne pouvez pas prendre ce risque. »

 

« Ce n’est pas à vous de le permettre ou non, Général. » réplique Koda doucement mais fermement. « Le Dr King a parcouru, seule, tout le trajet depuis Washington jusqu’à Minot pour obtenir le code de destruction des droïdes. Elle a infiltré la Base et s’est faite passer pour une droïde elle-même » Elle hésite un instant, tentant de peser ses mots, mais elle ne possède pas la vertu de la diplomatie. « Sans la destruction de Minot, elle aurait réussi sa mission et nous ne serions pas en train de nous préparer à une nouvelle attaque. »

 

Pour la première fois depuis son entrée dans la pièce, Kirsten sourit doucement. Un sourire qui surprend Koda entre deux respirations et arrête presque son cœur. Elle peut compter sur une seule main – peut-être un seul doigt – les fois où elle a vu cette expression sur le visage de l’autre jeune femme.

 

« Pas tout à fait seule. » Kirsten effleure doucement les oreilles d’Asi. « Pouvez-vous comprendre les transmissions entre droïdes, Général ? » Comme il ne répond pas, elle continue. « « Je le peux. Nous ne pouvons pas nous permettre que je reste ici. »

 

Un silence inconfortable règne dans la pièce. « J’irai. » répète Kirsten. « Est-ce que je suis assez claire ? »

 

« Oh, M’dame, vous l’êtes. » réplique Manny dans un souffle joyeux. « Sans vous offenser, Dieu s’est trompé. Vous auriez dû naître Lakota. »

 

*********

 

Un bourdonnement grésille dans les écouteurs de Dakota. « … Tshunka…20… retour ? »

 

Elle tapote les écouteurs qui laissent passer une autre salve de parasites. « Tacoma, c’est toi ? »

 

« Han… 20 ? Le GPS… merde… peux pas… »

 

Koda fronce les sourcils. D’habitude, les radios fonctionnent bien. Elle jette un regard vers Manny qui secoue la tête.

 

« Peut-être que les têtes de métal bousillent le signal ? » s’interroge-t-il.

 

« J’en doute. » répond Kirsten. « Ils possèdent des technologies avancées, mais ils ont besoin eux aussi du GPS pour trouver une position. Le problème vient certainement des satellites. Plus personne ne les surveille et leur orbite a dû commencer à dévier. Bientôt, nos appareils de communication pourront juste servir de presse-papiers. »

 

« Génial. » grommelle Manny.

 

Une autre salve de parasites. « …. Tshunka…20… »

 

« Attends une minute, tu veux, thiblo ? On y travaille. »

 

 

 

 

Retirant les écouteurs de ses oreilles, Koda regarde autour d’elle, tentant de préciser leur position en s’aidant du paysage. L’obscurité, et le fait qu’ils ont parcouru un grand nombre de kilomètres dans cette même obscurité, la plupart d’entre eux à pied, ou plutôt en raquettes (et elle a tenté d’apprendre à Kirsten, une vraie citadine avec une aversion certaine pour la neige et tout ce qui y est associé, comment avancer avec des raquettes) lui rend cette tâche difficile.

 

« Dites-lui que nous sommes à mi-chemin entre le gros rocher et l’arbre qui ressemble au Bossu de Notre Dame. »

 

Koda reste bouche bée et tourne la tête vers Kirsten dont les traits sont extrêmement sérieux.

 

Manny, aussi étonné que Koda, demande : « Vous venez de faire une blague, M’dame ? »

 

Les yeux verts étincellent et Manny déglutit avec difficulté. »

 

« Euh, je ne pensais pas à mal, M’dame. »

 

Koda se reprend et se contente de secouer la tête. Elle observe le paysage autour d’elle et une fois que leur position est claire dans son esprit, elle remet ses écouteurs et la transmet en Lakota à son frère, au milieu des parasites.

 

Satisfait de la réponse, Tacoma coupe la communication et le monde autour de Dakota retrouve sa tranquillité. Elle remarque que Kirsten regarde dans le vague, semblant perdue dans ses pensées.

 

Elle s’approche de la jeune femme et s’arrête juste devant elle, attendant patiemment.

 

Sentant la présence de Dakota, Kirsten cligne des yeux et semble revenir d’ailleurs. Elle pose un regard interrogateur sur l’autre femme.

 

 

 

« Vous entendez quelque chose ? »

 

« Juste des sons brouillés » répond Kirsten, ôtant le petit écouteur de son oreille. « Mais ils se dirigent par ici, c’est certain. » Elle regarde autour d’elle, puis à nouveau Koda. « Ce serait logique de prendre une route principale s’ils avaient des humains avec eux. Il y en a dans les alentours ? »

 

« A quelques dizaines de mètres d’ici. Une route d’état. »

 

« Aussi près ? »

 

Koda sourit, ses dents formant une tache blanche sur son visage camouflé de gris. « Nous serons loin d’ici bien avant qu’ils n’y arrivent. »

 

Kirsten hoche la tête et remet son écouteur. Koda ouvre la bouche pour dire autre chose mais la referme, ne voulant pas risquer de perdre ce nouveau lien chaleureux qui s’est installé entre elles.

 

Kirsten l’a vu. « Qu’y a-t-il ? »

 

Koda prend une inspiration, cherchant ses mots. « Je crois… qu’il faut être prudent. Je sais que ceci n’est qu’une mission de reconnaissance, mais quelque chose d’inattendu pourrait arriver, et si c’est le cas… »

 

Kirsten se hérisse. « Je vous assure que je suis parfaitement capable de… »

 

« Ce n’est pas ça. » réplique Koda en levant une main. Elle s’arrête et cherche à nouveau ses mots. « Ecoutez, si nous devons tirer sur un de ces drones et que vous êtes ‘en lui’ à ce moment-là, je ne pense pas que Manny et moi puissions vous garder en vie assez longtemps pour que les autres nous rejoignent et nous emmènent à la base. »

 

 

 

Un sourire spontané apparaît sur les lèvres de Kirtsen. Elle ressent une vague de tendresse si étrangère pour elle que pendant un instant, elle reste totalement déconcertée par la force de cette simple mais indéniable émotion. « Tout ira bien. » assure-t-elle doucement, posant brièvement sa main gantée sur le poing de Koda. « Le problème a été corrigé. Je ne serai plus piégée dans un code d’autodestruction. Je vous le promets. »

 

Koda plonge dans les yeux de Kirsten, deux étincelles de lumière dans l’obscurité. Ses souvenirs guident son esprit vers le rythme des tambours, la clarté de ‘L’Etoile-qui-n’a-pas-de-nom’ et l’attrait constant du vent séducteur.

 

« Ce n’est pas encore le moment. » murmure-t-elle.

 

Kirsten se fige, telle une statue de chair et de sang dans un monde où l’humanité a disparue. « Quoi ? »

 

Sa voix sort Koda de ses souvenirs. « Rien. C’était… »

 

Mais Kirsten ne peut continuer car une salve de données est soudainement interceptée par son implant. Elle redresse la tête, regardant toujours Dakota. « Ils se dirigent vers nous. Dix droïdes militaires, vingt autres non armés et environ 50 humains. Ils se déplacent à pieds et ils en récupèrent d’autres en chemin. Ils émettent de partout. Je peux les entendre converser avec au moins sept autres groupes comme eux dans les environs. »

 

« Ce n’est pas bon, ça. » murmure Manny, qui se met à scruter les alentours de tous les côtés.

 

« Leur armement ? » demande Koda, serrant les mains sur son arme.

 

« Je ne peux pas le dire encore. Mais ils se dirigent vers la base, c’est certain. »

 

 

 

« Et les humains ? Ils sont prisonniers ou volontaires ? »

 

« Je ne peux pas le dire non plus. » Kirsten secoue la tête. « Ils n’en parlent pas dans les échanges que j’intercepte. »

 

Manny s’avance. « Je ne pensais pas que je devrais dire ça un jour, Koda, mais je pense que nous devons les voir comme des ennemis, peu importe ce qui les pousse à collaborer. »

 

Kirtsen le fixe, l’air choqué. « C’est ça qu’ils vous apprennent dans l’armée ? »

 

« Non, M’dame. » réplique Manny, droit comme un i. « Exactement le contraire. Mais dans les circonstances actuelles, je crois qu’on ne peut prendre aucun risque, M’dame. »

 

Kirsten le congédie d’un regard et se concentre sur les échanges qu’elle capte à travers ses implants. Koda rapporte à Tacoma via la radio ce que lui a dit Kirsten. Le tout toujours en Lakota. Puis elle questionne Kirsten « D’autres infos ? »

 

« Rien de spécial. Ils avancent toujours. Si le GPS marche, je pourrai vous dire où ils se trouvent exactement. »

 

« Ça ira. » En souriant, elle soulève un sac à première vue assez lourd et le passe à ses épaules. « Manny, reste ici et garde l’œil ouvert. Je serai de retour très vite. »

 

« Attendez ! Où allez-… » Kirsten stoppe quand elle s’aperçoit qu’elle parle dans le vide, Koda a disparu. Elle se tourne vers Manny. « Où va-t-elle ? »

 

Manny grimace un sourire et hausse les épaules. « Je n’en sais rien. Mais ne vous inquiétez pas. Dakota sait ce qu’elle fait. »

 

Kirsten se frotte pensivement le menton et regarde dans la direction où Koda a disparu. « Oui. » commente-t-elle doucement, ne s’adressant pas en particulier à l’homme qui est près d’elle. « Oui, je suppose qu’elle le sait. »

 

Ce n’est pas encore le moment.

 

***********

 

Ayant appris à se déplacer en raquettes pratiquement en même temps qu’elle apprenait à marcher, Dakota se trace facilement un chemin à travers la plaine enneigée, sans laisser de traces repérables derrière elle. Elle se dirige vers le sud, tournant le dos aux droïdes et à leurs collaborateurs humains (ou leurs prisonniers). Elle longe la route sur environ quatre kilomètres, jusqu’à ce qu’elle parvienne à l’endroit qu’elle cherche. La pleine lune fait scintiller la neige alors qu’elle inspecte les alentours. Elle connaît particulièrement bien cette portion de la route. Longue, droite et monotone, c’est exactement ce dont elle a besoin.

 

Retirant le sac de son dos, elle l’ouvre et fouille à l’intérieur, ses mains gantées saisissant délicatement une grosse boîte de métal. Elle pose le sac dans la neige puis ôte le couvercle de la boîte. Elle en sort un disque plat ressemblant à un ancien DVD. La technologie militaire a atteint les sommets de la stratosphère durant et après la dernière des Grandes Guerres, et ce qu’elle tient entre les mains en est un exemple. Une mine anti-tank, plus petite, plus légère, plus précise et beaucoup plus meurtrière que les anciennes. Placée correctement, elle permettra aux droïdes réguliers et aux humains de passer facilement, sans la déclencher.

 

Ce qui ne sera pas le cas lorsque ce sera le tour des chenilles d’un androïde militaire lourd.

 

Calmement et avec précision, Koda place toutes ses mines, une dizaine en tout, dans les ornières de glace et de neige de la route. La sueur coule sur son front et son souffle forme des petits nuages de vapeur. Elle fait son travail avec tranquillité et assurance. La nature, même au cœur de la nuit froide s’écoule autour d’elle et en elle, l’acceptant comme une des siennes, malgré son œuvre de destruction. Le vent glacial lui coupe le visage mais elle n’y prête pas attention, concentrée sur son travail et sur le flux et le reflux de la vie autour d’elle.

 

Une heure plus tard, elle se recule et, les mains sur les hanches, contemple son travail sous la lumière de la lune. Elle émet un grognement de satisfaction, puis elle referme son sac, le repasse à ses épaules et reprend le chemin par lequel elle est arrivée.

 

***********

 

Le doux hululement d’une chouette attire l’attention de Manny. Quand le son est répété, il y répond de la même façon, ce qui attire cette fois l’attention de Kirsten. Retirant l’écouteur de son oreille, elle se tourne vers Manny et sursaute lorsque l’espace devant elle est soudain rempli par la présence de Dakota. « Doux Jésus. » souffle-t-elle, posant une main sur son cœur. « Vous m’avez fichu une de ces trouilles ! »

 

« Désolée. » répond Koda d’un air contrit. Elle jette un coup d’œil vers Manny. « Tout est calme ? »

 

« Absolument calme. »

 

« Bien. » Elle revient à Kirsten. « Quelque chose d’autre à signaler du côté de nos cibles ? »

 

Kirsten se reprend et hoche la tête. « Ils se dirigent toujours vers nous. J’ai pu les localiser un peu mieux. Ils se trouvent à environ 10 kilomètres. »

 

« Et les autres groupes ? »

 

« J’en ai repéré deux autres. Plus petits que celui-ci. Peut-être vingt ou trente individus, pour la plupart des droïdes et quelques humains. »

 

 

 

« Vous les avez localisés ? »

 

« Ils sont peut-être à trente kilomètres d’ici et les deux se dirigent vers Ellsworth. Ils devraient probablement se rejoindre à environ douze kilomètres à l’est de notre position. »

 

Koda hoche la tête, son intuition satisfaite. « Je connais l’endroit. » Elle les regarde tour à tour. « Prêts à y aller ? »

 

Kirsten se redresse. « Où allons-nous ? Et d’où venez-vous ? »

 

« J’ai déposé quelques surprises pour nos amis. » répond Koda en souriant.

 

« Des surprises ? »

 

« Des mines. » L’exclamation de Kirsten est arrêtée par une main levée. « Des mines anti-tank. Les humains de leur groupe n’auront aucun problème. Ces petits cadeaux sont réservés aux droïdes militaires. »

 

Kirsten ne paraît pas convaincue.

 

« Nous devons les éliminer maintenant, pour éviter qu’ils prennent des vies innocentes, plutôt que les affronter plus tard quand nous n’aurons plus le choix. »

 

Regardant ses pieds, Kirsten hoche la tête. Les images des deux hommes qu’elle a tués passent devant ses yeux et elle serre les dents et les poings afin de les renvoyer loin de son esprit. Sentant le tourment intérieur soudain de Kirsten, Koda s’approche. « Vous allez bien ? » Le regard qu’elle croise est clair et direct, mais elle peut y voir un combat qui ressemble au sien. « Je peux faire quelque chose pour… »

 

 

 

« Non. » Kirsten l’interrompt, retrouvant son sang froid. « Ce n’est rien. » Elle carre ses épaules. « Je suis prête à vous suivre. »

 

« Allons-y alors. »

 

*********

 

« Ohhh ! Bon sang ! »

 

Koda entend le cri de douleur de Kirsten et se retourne rapidement vers elle. « Qu’est-ce qui vous arrive ? »

 

« Une crampe. » grogne Kirsten en retirant un gant avec ses dents. Elle se met à frotter son mollet glacé avec des doigts tout aussi glacés. « Fichues raquettes ! J’aurais dû les laisser aux lapins ! »

 

« Attendez ! » Donnant son arme à Manny, Koda s’agenouille et écarte doucement les doigts raidis de Kirsten. « Respirez calmement et profondément. Doucement. »

 

« Je sais comment respirer. » s’irrite Kirsten. « Je fais ça depuis que je suis bébé. »

 

« Faites-le alors. » lui ordonne Koda, posant ses mains sur le muscle noué.

 

Surprise par le ton inhabituellement froid de Koda, Kirsten lui obéit. Sous la pression de ses mains habiles, la crampe disparaît graduellement.

 

Mais seulement pour reprendre encore plus fort, assez pour que sa jambe cède. Sauvée in extremis d’une chute humiliante sur son arrière-train grâce à la main solide de Koda, elle se raidit, puis se relâche quand elle sent qu’on la porte à moitié en direction d’un rocher plat qui émerge de la neige quelques mètres plus loin. Avec un gémissement de douleur, elle ne proteste pas quand Koda lui retire sa botte et manipule son pied jusqu’à ce que ses orteils pointent vers sa poitrine. Cela enlève une partie de la tension qui crispe son mollet et quand Koda replace ses doigts sur le muscle, Kirsten sent que cette fois sera la bonne.

 

Quand la crampe commence à s’estomper, Kirsten se détend elle aussi, alors que le stress et les dernières heures passées sans dormir la rattrapent. Elle baisse le menton et ses yeux se posent sur la tête de Koda. La lumière de la lune donne des reflets bleutés aux cheveux si noirs de la jeune femme et Kirsten, à sa grande horreur, voit sa main quitter son genou pour aller effleurer doucement la chevelure brillante. C’est un contact bref, mais il pénètre en elle profondément, alors qu’elle est en train de débattre pour savoir s’il vaut mieux ramper et disparaître derrière le rocher ou courir aussi vite et aussi loin qu’elle peut sans s’arrêter, jusqu’à ce qu’elle arrive au moins en Mongolie.

 

Manny a vu son geste et il détourne rapidement le regard, se doutant qu’il a interrompu, sans le vouloir, un moment intime et privé.

 

Aussi vite qu’elle l’avait envahie, sa panique disparaît quand elle rencontre de saisissants yeux bleus surmontant un doux sourire. Il n’y a aucun jugement sur les traits de Koda. Seulement de la gentillesse et de la compassion. « C’est mieux ? » lui demande-t-elle d’une voix basse et douce.

 

Kirsten s’éclaircit la gorge, soudain très sèche. « Oui. » Elle déglutit. « Beaucoup mieux. Merci. »

 

« De rien. » Elle lui met une gourde entre les mains. « Tenez. Buvez ça. Vous êtes déshydratée. »

 

« Ce n’est pas la faute des raquettes alors ? »

 

« Un peu des deux, sûrement. » concède Dakota, remettant la botte au pied de Kirsten, avant de se relever. « Buvez encore. Voilà, c’est bien. Nous avons encore quelques heures de marche devant nous, vous pensez tenir le coup ? »

 

 

 

Avec un signe de tête, Kirsten lui rend la gourde et se remet sur ses jambes à nouveau fermes et solides. « Je tiendrai. Allons-y. »

 

Avec un regard amusé vers son cousin, Koda entreprend de suivre la jeune femme déterminée et totalement remise.

 

Manny lève les yeux au ciel et leur emboîte le pas.

 

***********

 

Un vent glacé souffle à travers les arbres. Leurs branches nues claquent comme les os d’une centaine de squelettes enfermés dans une centaine de placards. En les entendant, Koda, qui place la dernière mine anti-tank, relève la tête. Le ciel est couvert de nuages tumultueux et offre un visage qu’elle ne connaît que trop bien.

 

Manny suit son regard et grimace. « Merde. Pourtant la Base avait dit pas d’intempéries aujourd’hui. »

 

« Probablement ces foutus satellites. » grogne Koda, retournant à son travail.

 

« Je suppose que ce n’est pas bon signe. » remarque Kirsten, revenant sur ses pas.

 

« Cela dépend de votre définition de ‘bon’. » Pince-sans-rire, Dakota ne relève pas la tête de sa tâche minutieuse dans la neige.

 

Une étincelle d’amusement brille dans les yeux de Kirsten. « Vous préférez la version Mirriam-Webster-Turner ou vous vous contenterez de celle de l’Oxford condensé ? » (NDLT : des dictionnaires)

 

Manny tourne la tête à la façon silencieuse et ralentie des vieux films classiques et Kirsten s’en amuse. Elle ne sait pas exactement pourquoi elle prend autant de plaisir à tourner en bourrique le jeune pilote. Peut-être est-ce sa façon à elle de lui dire qu’elle souhaite être acceptée selon ses propres conditions. Pourquoi elle désire être acceptée par un homme qui lui est totalement étranger est une autre question à laquelle elle n’a pas de réponse.

 

 

 

Un daim figé sous la lumière des phares, pense-t-elle, en haussant un sourcil pour le mettre au défi de répondre. Il semble sur le point de le faire, mais son entraînement militaire et la réalisation de qui elle est exactement l’arrêtent. Sa répartie toute prête meurt sur ses lèvres et il se détourne, feignant d’étudier le ciel.

 

 

 

Parfaitement consciente du petit drame qui se joue à quelques mètres d’elle, Koda prend son temps pour placer la dernière mine. Puis elle se relève et époussette ses gants sur ses jambes. Elle adresse un regard délibérément appuyé à Kirsten avant de donner une tape dans le dos de son cousin. « Ok, pilote. C’est le moment de filer. »

 

 

 

«Et comment.» souffle Manny avant de regarder au-dessus de lui entre la cime des arbres. « Oh oh. »

 

 

 

Koda regarde elle aussi, juste à temps pour voir la bourrasque de neige arriver sur eux avec la vitesse d’un train. « Merde. » Elle regarde par-dessus son épaule. « Kirsten, attrapez mon sac. Et ne le lâchez plus quoi qu’il arrive, compris ? »

 

 

 

« Voile blanc ! » crie Manny au moment où la tempête de neige leur tombe dessus, les plongeant dans un monde de blanc presque aveuglant. (NDLT : le ‘voile blanc’ est un phénomène météorologique qui empêche toute vision.)

 

 

Table des matières

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