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INSURRECTION14

Page history last edited by PBworks 15 years, 9 months ago

INSURRECTION

 

De Sword'n'Quill (Susanne Beck)

 

SwordnQuil@aol.com

 

écrit avec T Novan et Okasha

 

 

Traduction : Kaktus et Fryda

 

Table des matières

 

 

 

 

CHAPITRE QUATORZE

 

 

 

Kirsten se retrouve immédiatement désorientée quand le vent hurlant projette la neige sur son corps et son visage, l’aveuglant complètement et frappant les portions de sa peau non protégées comme un fouet garni de clous. « Dakota ! »

 

 

 

« Je suis là ! Tout va bien ! » Koda crie pour être entendue au milieu du mugissement du vent. Elle tend le bras, attrape la main de Kirsten et tire la jeune femme contre elle tentant de l’abriter de son corps du mieux qu’elle peut. « Ne me lâchez pas ! »

 

 

 

« Je vais essayer ! »

 

 

 

Un énorme éclair déchire le ciel et le coup de tonnerre qui suit fait trembler le sol autour d’eux avec une force brutale. Les implants de Kirsten hurlent dans ses oreilles et elle lève sa main libre à son front, tentant vainement de calmer la douleur qui vrille son crâne. Il y a une odeur de caoutchouc brûlé dans l’air et elle sent un goût de métal dans sa bouche. Le tonnerre ? Au beau milieu d’une tempête de neige ? C’est impossible !

 

 

 

« Manny ! Sors-nous d’ici ! »

 

 

 

« Tu as des suggestions ? Je n’y vois plus rien, moi ! »

 

 

 

« Merde ! » Dakota tourne la tête de côté. « Kirsten, vous pouvez bouger ? »

 

 

 

« Oui, ça va ! »

 

 

 

« Venez avec moi, alors ! Manny, ne t’éloigne pas ! »

 

 

 

« Ne t’inquiète pas, je te colle, cousine ! »

 

 

 

 

D’un pas sûr et déterminé, Dakota emmène son petit groupe en avant, s’efforçant d’y voir à travers la neige qui fouette son visage. Mais c’est absolument inutile et la seule chose à laquelle elle peut se fier, c’est son instinct aiguisé et la connaissance qu’elle a de cette région.

 

 

 

Quand un autre éclair déchire le ciel, c’est ce même instinct qui la fait pousser Kirsten sur le côté afin de la protéger de son corps une seconde avant que les branches enflammées d’un gigantesque arbre ne s’abattent sur ses épaules.

 

 

 

« Bon Dieu ! » crie Kirsten. « C’était quoi ? »

 

 

 

« Un arbre ! Venez ! Ne restez pas là ! »

 

 

 

« Un arbre ? Mais nous sommes au milieu d’une forêt d’arbres !! Nous allons finir par en heurter un ! »

 

 

 

« Nous aurons le nez en sang, voilà tout ! Venez maintenant ! »

 

 

 

Rester là n’est pas vraiment une option et Kirsten se sent tirée en avant avec force. Son esprit se révolte contre ce traitement mais pas son corps qui bouge contre sa volonté.

 

 

 

Dakota a une chanson sur le bout des lèvres, destinée à la Mère de toute chose. Elle utilise cet instinct aveugle qui les guide hors du danger de la forêt alors que les éclairs et le tonnerre continuent de batailler autour d’eux.

 

 

 

Ils aperçoivent une lueur et un son sourd retentit non loin, qui n’a rien à voir avec le tonnerre. « Les mines. » lance Koda, se déplaçant toujours avec une précision presque surnaturelle entre les troncs épais des arbres.

 

 

 

 

« Crevez tous, bande de saloperies ! » crie Manny, toujours collé à sa droite.

 

 

 

Une deuxième, une troisième et une quatrième explosion retentissent. Avec un gémissement, Kirsten tombe à genoux, les mains serrées autour de son crâne, alors que les cris des droïdes agonisants, ressemblant étrangement à des sons humains, transpercent ses implants, ôtant toute force de son corps et son esprit.

 

 

 

Koda s’arrête immédiatement et s’accroupit, tout juste capable d’entrevoir la douleur sur le visage de la jeune femme, pourtant à quelques centimètres d’elle. Elle saisit les épaules de Kirsten et s’empêche de toutes ses forces de ne pas la secouer. « Qu’y a-t-il ? »

 

 

 

Les lèvres de Kirsten se sont crispées dans une grimace d’agonie absolue et Dakota devine immédiatement le problème. « Débranchez-les ! » hurle-t-elle. « Débranchez-les ! »

 

 

 

Si Kirsten peut l’entendre, elle n’en montre aucun signe. Un gémissement continu s’échappe de ses lèvres et son corps se balance dans un mouvement de réconfort aussi vieux que le temps. Dakota décolle les mains de Kirsten de son crâne et tout en priant pour qu’elle ne se trompe pas, cherche les minuscules bosses derrière les oreilles de la scientifique. Puis elle presse dessus. Le soulagement la submerge lorsqu’elle voit le corps de Kirsten se détendre presque immédiatement, puis s’affaisser sans forces contre elle. Koda pose sa paume chaude sous le menton de Kirsten, lui relevant la tête pour rencontrer son regard. Sa bouche forme un seul mot : « Mieux ? »

 

 

 

Après un moment, Kirsten hoche la tête. « Oui. Merci. »

 

 

 

Koda ne peut s’empêcher de lui sourire et Kirsten lui répond de la même façon, ce qui rend ce sourire encore plus précieux parce que si discret, comme un cadeau tant désiré et à peine entr’aperçu.

 

 

 

Le temps s’arrête un instant, alors qu’autour d’elles résonnent les explosions des mines. Relâchant presque à contrecoeur le menton de Kirsten, Dakota remet son gant et fixe intensément la jeune femme, une question précise dans ses yeux. Kirsten hoche la tête et avec un profond soupir, Koda se redresse, relevant l’autre jeune femme et la soutenant jusqu’à ce qu’elle soit sur ses pieds.

 

 

 

Kirsten s’apprête à rebrancher ses implants mais est stoppée par Koda qui saisit sa main et l’accroche fermement à son biceps. Comprenant le message silencieux, Kirsten hoche à nouveau la tête et se met en marche avec ses compagnons. Aveugle et maintenant sourde, elle n’a pas d’autre choix que de faire confiance à la femme Lakota qui a, pour la seconde fois aujourd’hui, sauvé si ce n’est sa vie, sa santé d’esprit.

 

 

 

La confiance est quelque chose qu’elle n’a jamais été vraiment capable de donner à personne. Mais avec cette femme, elle renonce sans une seconde d’hésitation à maintenir les chaînes qui entravent son âme. Il y a quelque chose de libérateur dans cet acte simple mais profond et elle se sent changée d’une façon qu’elle n’aurait jamais pu prévoir.

 

 

 

*************

 

 

 

Quand les explosions commencent, Tacoma branche immédiatement sa radio, puis grimace quand les parasites retentissent dans son oreille. Sans se décourager, il insiste, tentant d’entendre la voix de sa sœur au travers des interférences. « Tanski, réponds-moi. Si tu m’entends, réponds. »

 

 

 

Alors que les explosions continuent de déchirer la nuit, Tacoma regarde en direction de la Colonel, ses yeux écarquillés. Elle lève une main. « Laissez-moi essayer. »

 

 

 

 

Retirant les écouteurs, Tacoma tend la radio à Allen.

 

« Allen à Rivers. Allen à Rivers. Vous me recevez ? Terminé. » Seules des parasites lui répondent et elle essaie à nouveau. « Allen à Rivers. Dakota, Manny, bon Dieu, si vous me recevez, répondez. »

 

 

 

Rien.

 

 

 

Elle jette un bref regard par-dessus son épaule. « Mendoza, vous avez leur position ? »

 

 

 

Le jeune caporal la regarde avec un air coupable. « Non, M’dame. Rien d’autre que des interférences. »

 

 

 

« Merde. » Allen a prononcé le mot tout bas, mais l’ouie aiguisée de Tacoma l’a capté et il échange avec la Colonel un bref regard d’inquiétude. « Allen à Rivers. Dakota, vous me recevez ? »

 

 

 

Un autre moment de silence.

 

 

 

Tacoma change son arme d’épaule et réajuste sa veste.

 

 

 

« Que faites-vous ? » demande Allen en fronçant les sourcils.

 

 

 

« Je vais les chercher. Maintenant. »

 

 

 

« Attendez. » Elle ne renonce pas, même face au regard fier de l’homme debout devant d’elle. Ravalant sa fierté de Colonel, elle adoucit délibérément son regard et sa voix. « Attendez, s’il vous plaît. Vous ne savez même pas où ils se trouvent. »

 

 

 

« C’est ma tanski. Ma sœur. Je n’ai pas besoin de carte. J’ai juste besoin de ceci. » Il frappe son cœur de son poing. « Je les trouverai. »

 

 

 

Des parasites encore. Puis…

 

« … ta he…. rea…u. »

 

 

 

« Dakota ! Dakota, vous me recevez ? Revenez. » Elle sait que dans sa voix pointe une évidente note de désespoir mais elle ne parvient pas à l’effacer.

 

 

 

Tacoma se fige, se retourne et regarde la Colonel qui hoche la tête et lui fait signe tout en tentant de comprendre les paroles de Koda au travers des parasites.

 

 

 

« … recevez… Colonel….t…. »

 

 

 

« Dakota, écoutez-moi. On entend des explosions qui proviennent de votre dernière position. Tout le monde est ok ? »

 

 

 

« … bien… mines… nous… »

 

 

 

Allen écarquille les yeux. « Quoi ? Je n’ai pas bien compris. Vous avez dit ‘mines’ ? »

 

 

 

Les parasites s’atténuent miraculeusement pendant un moment. « J’ai dit ‘mines’, Colonel. Des mines anti-tanks. »

 

 

 

« Mais où ? Comment ? »

 

 

 

« Elles viennent de l’équipement d’un sergent de la base. Maintenant, si vous voulez bien m’excuser… »

 

 

 

« Attendez une minute ! » crie Maggie alors que Tacoma masque son sourire derrière une toux feinte. « Vous avez pris des mines anti-tank depuis la base ? Vous savez à quel point c’est dangereux ? Vous auriez pu être tués ! »

 

 

 

La réponse de Dakota est succincte. « Je sais, mais nous sommes en vie et elles ont fonctionné. Avec tout mon respect, Colonel, » Dakota accentue sur le grade de Maggie, « Vous me crierez dessus plus tard. Nous sommes au milieu d’une tempête de neige ici et il faut que je nous mette en sécurité. Terminé. »

 

 

 

Allen fixe la radio, maintenant muette, puis regarde Tacoma, dont les yeux noirs brillent de malice.

 

 

 

« Vous trouvez ça drôle, Sergent ? » lance-t-elle.

 

 

 

Tacoma retrouve son sérieux. « Avec tout mon respect, Colonel, c’est de Dakota que nous parlons. Personne ne lui donne d’ordres. » Un nouveau sourire éclaire ses traits. « A moins qu’elle ne le veuille, bien entendu. »

 

 

 

Allen ne répond pas.

 

 

 

*********

 

 

 

Dakota continue d’avancer, tout en rangeant la radio. Manny, qui a entendu toute la conversation, tourne la tête dans sa direction, même si la neige est encore trop dense pour qu’il la voit clairement, bien qu’elle se trouve à moins d’un mètre d’elle. « Oohhh, elle ne va pas aimer ça, cousine. »

 

 

 

« Qu’elle me vire si ça lui chante. » grommelle Koda, tentant vainement de percer la blancheur qui les entoure. « Tout ce que je veux, c’est que cette foutue tempête s’arrête. »

 

 

 

Et comme si elle n’attendait que ces mots, la neige s’arrête soudain de tomber. Pas graduellement. Elle stoppe complètement, disparaissant comme si elle n’avait jamais été là.

 

 

 

Manny se fige et cligne des yeux. La fin abrupte de la tempête leur permet de voir qu’ils sont parvenus à moins de dix mètres de leur véhicule, enfoui dans une cinquantaine de centimètres de neige fraîche. « Sainte Mère. » souffle-t-il avant de se retourner vers sa cousine, les yeux écarquillés. « Je ne peux pas croire que tu l’as fait. Je savais que tu étais à moitié Hupaki glake.(NDLT : Chauve-souris) Bon sang, je le savais ! »

 

 

 

Koda lève les yeux au ciel. « Penses-tu, c’est toi qui a les oreilles adéquates. »

 

 

 

En rougissant légèrement, Manny se touche instinctivement les appendices en question. « C’est pas juste. »

 

 

 

« Garde ça pour Makha Ina. Pour l’instant, je veux juste rentrer. Tu conduis. »

 

 

 

« Ça marche, cousine. »

 

 

 

Elle regarde Kirsten qui la fixe avec une étrange expression sur le visage. « Quoi ? Qu’y a-t-il ? »

 

 

 

Kirsten remet en marche ses implants, retire son écouteur et se rapproche de Koda. « Vous saignez. »

 

 

 

Koda abaisse son regard et note pour la première fois la tache rouge qui couvre le côté gauche de sa poitrine. Sa veste est déchirée et du sang frais suinte à travers le trou. « Oh, c’est juste une égratignure. »

 

 

 

« Comment est-ce arrivé ? »

 

 

 

« L’arbre qui est tombé, je pense. »

 

 

 

Leurs yeux se rencontrent. « Celui qui m’aurait heurtée si vous ne vous étiez pas mise entre lui et moi. Pourquoi avez-vous fait ça ? »

 

 

 

Koda hausse les épaules. « Parce que je le pouvais. » C’est une réponse simple et la vérité qui transparaît dans ces mots laisse Kirsten muette, juste capable de regarder Koda avec émerveillement.

 

 

 

Manny vient mettre fin à ce moment entre elles avec un coup de klaxon. « Allez, on y va ! »

 

 

 

Alors que Koda se dirige vers le véhicule, plus de sang s’échappe de sa blessure, trempant sa veste. Kirsten la stoppe en lui saisissant le poignet.

 

 

 

« C’est plus qu’une égratignure. Asseyez-vous à l’arrière avec moi. Je vais voir ce que je peux faire pendant que nous rentrons à la base. »

 

 

 

« Ça ira. » objecte Koda. « Ça peut attendre. »

 

 

 

« S’il vous plaît. »

 

 

 

Un simple mot, prononcé si doucement, laisse entrevoir un côté de la jeune scientifique que Dakota avait soupçonné, mais qu’elle n’avait pas encore vu. Jusqu’à maintenant. Elle sourit d’un sourire que Kirsten trouve très séduisant. « Ok. »

 

 

 

**********

 

 

 

« Bon sang, Manny ! » lance Koda alors que le véhicule s’enfonce dans une ornière, secouant ses occupants, particulièrement ceux qui sont installés sur le siège arrière, comme des poupées de chiffon. « On n’est pas sur un tracteur, tu sais. »

 

 

 

« Désolée, cousine. Les routes sont pourries par ici. Je fais de mon mieux. »

 

 

 

« Je sais. Mais essaie de conduire plus doucement. »

 

 

 

« Ok. »

 

 

 

Kirsten retire la lourde caisse de premiers secours de sous le siège de la jeep militaire. Elle l’ouvre et fouille à l’intérieur. Ses mains saisissent une paire de ciseaux et elle regarde Dakota. « Si vous pouviez ouvrir votre veste, je vais couper votre chemise là où est la plaie. »

 

 

 

Hochant la tête, Koda abaisse la fermeture éclair jusqu’à son nombril.

 

 

 

Kirsten détourne rapidement son regard de la vision imprévue des seins fermes de Dakota, clairement dessinés sous le mince tissu. Elle sent son visage qui rougit et suppose que Koda doit carrément sentir la chaleur qui s’en dégage. « Je… euh… »

 

 

 

« Pas de problème. » énonce doucement Koda en souriant. « Comme je vous l’ai dit, ça peut attendre. »

 

 

 

« Non. » Kirsten s’éclaircit la gorge. « Non. Je peux… » Renonçant à parler, et suivant le proverbe, elle ‘saisit le taureau par les cornes’, découpant le col … jusqu’au milieu de la poitrine. Elle écarte le tissu imbibé de sang et expose la profonde coupure qui continue de saigner faiblement. Elle relève les yeux et rencontre ceux de Koda. « C’est… euh… »

 

 

 

« Sur mon sein. Je sais. » Elle sourit à nouveau. « Si vous me donnez une compresse, j’épongerai le sang et je la maintiendrai en place jusqu’à ce que nous soyons à la base. »

 

 

 

« Je le ferai. » répond fermement Kirsten, tentant désespérément de retrouver une attitude professionnelle, alors que celle-ci semble avoir disparu en même temps que son sens commun. Mon Dieu, on dirait une écolière. Contrôle-toi, Kirsten. Tu lui as proposé ton aide. Alors aide-la. Tu penseras à ses seins plus tard.

 

 

 

Et c’est ce qu’elle fera. Elle en est sûre.

 

 

 

Forçant ses mains à rester fermes, elle ôte le bouchon d’un flacon de désinfectant et en humecte une gaze. Elle commence à tamponner la plaie, mais sa tâche est rendue difficile par les mouvements du véhicule. Manny conduit comme s’il montait un animal dans un rodéo et ça n’aide pas.

 

 

 

Finalement, Kirsten parvient à nettoyer la plus grande partie du sang. Elle ouvre une boîte de compresse, en prend une qu’elle replie plusieurs fois avant de l’appliquer sur la plaie. Le véhicule choisit ce moment pour s’enfoncer dans une ornière et, par pur instinct, Kirsten pose sa main libre sur le sein de Koda afin de maintenir la pression sur la blessure.

 

 

 

« Je suppose que cela signifie que nous sommes mariées maintenant. »

 

 

 

L’amusement dans la voix basse fait réaliser à Kirsten la position de ses mains et elle fixe Koda avec une expression proche de l’horreur peinte sur ses traits.

 

 

 

Dakota ne peut empêcher de laisser échapper un petit rire. « Du calme. » la tranquilise-t-elle. « Vous faites du bon travail. »

 

 

 

La rougeur sur le visage de Kirsten s’accentue encore.

 

 

 

Koda lève les yeux au ciel. « Respirez. » lui ordonne-t-elle gentiment. « Que penseront les gens si mon infirmière tombe dans les pommes ? »

 

 

 

Le véhicule passe dans une nouvelle ornière et Kirsten perd l’équilibre et tombe en avant, piquant du nez sur la poitrine de Dakota. Les bras de celle-ci l’entourent instinctivement pour la protéger des autres secousses alors que le véhicule continue d’avancer sur la route cahoteuse.

 

 

 

« Est-ce que ça pourrait être pire comme situation ? » se lamente une voix provenant d’entre ses seins.

 

 

 

Koda rit. « On pourrait être à pied. »

 

 

 

**********

 

 

 

Vêtue d’une chemise propre prêtée par l’hôpital de la base, Koda se déplace silencieusement dans l’obscurité de la maison. Sa tête est un peu embrumée par le tord-boyaux que son frère et son cousin lui ont fait boire pour fêter l’événement. Elle ne sait pas lequel exactement mais leur compagnie et leur chaleur étaient suffisantes pour qu’elle les accompagne. Sa plaie est recousue et soigneusement bandée.

 

 

 

La lueur du feu éclaire une partie de la cuisine et la salle à manger. La queue d’Asi frappe contre le sol mais il ne relève pas sa tête, posée sur la cuisse de Kirsten. La jeune femme est allongée sur le divan, la tête reposant sur son bras, alors qu’un épais –et sans doute très ennuyeux- livre sur la robotique est ouvert sur sa poitrine. Ses lunettes sont posées de travers sur son nez et sa respiration lente prouve qu’elle est profondément endormie.

 

 

 

Dakota vient s’agenouiller près d’elle et pose une main sur le poil chaud d’Asimov, le caressant doucement tout en regardant les ombres causées par le feu jouer dans la chevelure dorée de Kirsten. Une de ses mèches barre le coin d’un œil qui tressaute sous des cils plus sombres et épais. Le visage qu’elle contemple respire l’innocence épargnée par les ravages de la guerre et du temps. C’est un visage imprégné de gentillesse et de bonté naturelle que la jeune scientifique tente si fort de dissimuler.

 

 

 

Avec une infinie tendresse, elle écarte la mèche de cheveux, souriant quand le nez de Kirsten se fronce brièvement, avant que son visage ne retrouve la paix du sommeil.

 

 

 

Koda se retourne en entendant des bruits de pas. Maggie se tient derrière elle, vêtue de sa robe de chambre usée. Son visage est grave.

 

 

 

« Elle est entrée à l’intérieur, n’est-ce pas ? »

 

 

 

Bien que les mots aient une légère note d’accusation, le ton de la voix est doux, presque chaleureux. Koda choisit de garder le silence, sachant bien que son visage montre une vérité que les mots ne peuvent exprimer.

 

 

 

« Je pense que oui. » murmure Maggie se déplaçant vers le pied du divan pour contempler la fragile jeune femme qui y est étendue. « De telles étincelles ne brillent pas pour rien. »

 

 

 

« Des étincelles ? »

 

 

 

Le sourire de Maggie est amer. « Oui. » Elle déglutit et une brève pointe de tristesse se lit sur ses traits avant de disparaître.

 

 

 

« Maggie, je… »

 

 

 

Allen lève une main. « Ne le dis pas, Koda. Ne dis pas que tu es désolée. »

 

 

 

Se relevant avec grâce, Dakota saisit la main de Maggie et la pose doucement sur sa poitrine. « Non. » Elle fixe la Colonel dans les yeux. « Je ne le suis pas. »

 

 

 

Le sourire est triste mais bref. Maggie pose sa main libre contre la joue chaude de Dakota. « Viens. » dit-elle doucement. « Allons nous coucher. »

 

 

 

*****

 

 

 

La salle de conférence du Général est toujours aussi grise, mais au moins cette fois-ci, le café arrive rapidement. Kirsten est contente de voir la vapeur qui s’échappe de la tasse devant elle, prouvant qu’en plus il est chaud. Son soudain statut de possible Commandant en chef ne pourra sans doute pas faire avancer un sous-marin, mais il a un effet très positif sur les gens chargés de préparer le café de la base.

 

 

 

Kirsten s’est assise à la tête de la table sans poser la question, Hart se plaçant d’office sur la suivante. Mis à part cela, l’arrangement des sièges reflète la tension qui est montée dans la pièce durant les deux heures précédentes. D’un côté, tous les militaires : des colonels, des majors et un capitaine de l’armée de l’air. Comme Hart, ils portent tous l’uniforme réglementaire, arborant leurs médailles. Tout en buvant son café, Kirsten les observe furtivement et compte seulement une paire d’ailes et aucun cœur pourpre (NDLT : médaille remise aux soldats blessés au combat).

 

En face d’eux se trouvent les éclaireurs qui reviennent juste du terrain. Tacoma et Manny portent des tenues militaires n’indiquant pas leur rang et les autres sont vêtus de jeans et de chemises. Un des Majors – Grueneman H., selon l’étiquette posée devant lui – regarde tour à tour Koda et Tacoma. Elle n’a pas besoin de ses talents de chamane pour savoir ce qu’il pense. Ils ont l’air de jumeaux mais c’est impossible. Son visage reflète aussi quelque chose ressemblant à l’air réprobateur d’un directeur de lycée quand il pose ses yeux sur les cheveux de Tacoma, attachés comme les siens sur la nuque avec un bandeau orné de perles. Définitivement non réglementaire.

 

 

 

 

 

Il faudra t’y habituer trou du cul. Si tu désires des alliés Lakota, tu acceptes les coutumes Lakota. Koda boit son café et la seconde fois où elle croise le regard de Gruenenman, elle lui adresse un clin d’œil.

 

 

 

Le Major détourne immédiatement le regard et Koda retourne son attention sur Maggie Allen. La Colonel est debout près d’une carte holographique et indique les positions ennemies. Ses contours sont ponctués de petites croix laser rouges qui forment un motif convergeant très clairement en direction d’Ellsworth. Des troupes sont en route depuis le sud de Minot et le nord de Warren. Des cercles verts représentent les forces d’Ellsworth, pour la plupart composées de troupes au sol ainsi que deux escadrons de Black Hawks et d’Apaches pour les couvrir depuis le ciel.

 

 

 

« C’est une stratégie très conservatrice, Colonel. » observe Hart. « Nous avons un escadron d’attaque opérationnel. Avec le Lieutenant Rivers et vous-même, nous possédons une bonne douzaine de pilotes. Pourquoi ne pas simplement bombarder leurs lignes ? »

 

 

 

Maggie termine de positionner les marques rouges et vertes sur la carte avant de répondre au Commandant de la base. « C’est conservateur, Général, car le but premier est de préserver nos forces. Je préfèrerais garder notre pouvoir aérien pour l’utiliser en dernier recours. »

 

 

 

« Quel genre d’avions possèdent les droïdes, Colonel ? » La voix de Kirsten est posée mais elle attire immédiatement l’attention de l’assemblée. « Si je comprends bien, ils ne possèdent ni avions de guerre ni avions de transport. De plus, s’ils en possédaient, personne ne pourrait les faire voler. » Ses yeux verts ont soudain un éclat sauvage, pareil à celui d’un chat qui chasse. « Je peux vous dire avec certitude qu’aucun droïde militaire n’a été programmé pour piloter un avion ou pour livrer combat dans un avion. Je me suis battue pour ça contre votre Commandant de l’Air Force et tout le comité des Forces armées. J’ai gagné. »

 

 

 

« Une raison supplémentaire d’en tirer avantage. » Grueneman a retrouvé la voix. « Nous pouvons compter sur un temps limité où nos satellites fonctionnent encore. Nous devrions les utiliser pendant que nous le pouvons toujours. »

 

 

 

« Et que pensez-vous de mettre à l’abri les communautés de civils ? » demande l’une des deux femmes du couple Tilbury-Laduque. « Les avions sont le seul moyen de les aider à temps si elles sont attaquées. »

 

 

 

« Si vous prenez le risque de gaspiller les munitions et l’essence, les civils seront livrés à eux-mêmes par la suite. » rajoute sa partenaire.

 

 

 

« Madame, nous sommes en guerre. » réplique Hart. « En de telles circonstances, le devoir premier des forces armées est de se préserver, ainsi que le gouvernement. »

 

 

 

« Non. » Kirsten s’est redressée, les deux mains posées à plat sur la table. Ses lèvres sont serrées et ses efforts pour garder son calme sont palpables dans le ton de sa voix. « Vous ne comprenez pas ? Il n’y a pas de gouvernement en ce moment. En elle-même, la base d’Ellsworth n’est pas viable. La population est éparpillée un peu partout, ce qui fait que seule une petite partie du spectre social peut survivre. Protéger ces diverses communautés doit être notre première priorité, pas la dernière. »

 

 

 

« Je suis d’accord avec le Dr King. » approuve calmement Maggie. « N’utilisons nos avions que si nous ne pouvons faire autrement. Les droïdes possèdent aussi des SAMs (NDLT : missiles sol-air), nous ne pouvons pas courir le risque qu’ils prennent nos avions comme cibles. »

 

 

 

 

« Entendu. » Hart se laisse retomber contre le dossier de son siège, étendant ses jambes sous la table. « Nous ferons sans les avions. »

 

 

 

Maggie se tourne à nouveau vers la carte. « Les troupes ennemies sont en mouvement ici, ici et ici. » Elle pointe les croix rouges. « D’après les communications que nous avons captées et les routes qu’ils empruntent, ils font converger leurs forces ici, dans les collines se trouvant au nord est de la base. »

 

 

 

« Ils devront traverser la Cheyenne à Elk » observe Tacoma. « Il n’y a qu’un seul pont. »

 

 

 

Maggie lui adresse un sourire entendu. « Il n’y a qu’un seul pont. Nous allons séparer nos forces. Une partie les attendra ici, sur la rive sud. Le terrain est accidenté et ses bosquets offrent un bon camouflage. L’autre partie… » Elle s’arrête, telle une enseignante attendant que ses élèves lui fournissent la réponse.

 

 

 

« L’autre partie » continue lentement Koda « prendra position derrière eux avant qu’ils arrivent. Ils seront bloqués entre nos deux factions et la rivière. Le docteur King peut surveiller les communications des androïdes. Manny, Tacoma et moi relayerons les informations sans craindre qu’elles soient interceptées. »

 

 

 

« Le coup classique des tenailles. » observe Grueneman.

 

 

 

« Pas seulement. » réplique Manny. « Quand ferons-nous sauter le pont ? »

 

 

 

« Quand je l’ordonnerai, Lieutenant. » répond Hart. Il adresse un petit signe de tête à Allen accompagné d’un sourire satisfait. « C’est un bon plan, Colonel, et sans utiliser notre supériorité dans les airs. »

 

 

 

Un silence gêné se fait dans la pièce. Kirsten le brise. « Vous pensez commander personnellement l’opération, Général ? »

 

 

 

« Eh bien oui. »

 

 

 

« Après votre brillant succès à Minot ? » crache-t-elle. « Général, c’est votre commandement qui nous a conduit à la situation actuelle. »

 

 

 

Koda a l’impression que la température de la pièce a baissé de dix degrés au moins. Le silence qui suit est glacial. Les muscles au coin de la bouche de Tacoma tremblent presque imperceptiblement ; Lorena Tilbury-Laduque tousse brusquement et couvre la partie inférieure de son visage avec un bandana décoloré. Les lèvres de Manny forment des paroles silencieuses « Sainte Ina Maka, mère de Dieu. »

 

 

 

Le silence se prolonge interminablement. Puis Hart relâche un long soupir et dit avec calme : « Très bien, Dr King. Laissez-moi alors vous recommander le Lieutenant Colonel Frank Maiewski. »

 

 

 

Koda constate que Maiewski est un des pilotes. Il rougit violemment.

 

 

 

« Général, merci, mais je ne crois pas que… »

 

 

 

« Le Colonel Allen a les capacités de le faire. » observe Kirsten calmement.

 

 

 

« Et l’expérience. » ajoute Manny. « Nos avons passé la première semaine après l’insurrection à combattre ces choses dans toute la région. »

 

 

 

La bouche du Général se crispe d’une manière qui fait frémir Koda et envoie un signal d’alarme le long de son épine dorsale. Un serpent en train de sourire ressemblerait à ça. Derrière elle, Tacoma l’a aussi remarqué. Il fixe Hart droit dans les yeux. Ses doigts se ferment en deux poings sur la table. Mais Hart continue simplement. « Colonel ? Vous êtes partante ? »

 

 

 

Le visage de Maggie est devenu gris, mais sa voix est ferme lorsqu’elle répond. « Je serai heureuse d’accepter les ordres que vous ou le Dr King me donnerez, Monsieur. »

 

 

 

« D’accord. Vous êtes à la tête de cette opération. Mais soyez sûre de vos cibles cette fois-ci. » Hart repousse son siège et se lève. « Une demi-heure de pause. »

 

 

 

La Colonel reste debout près de la carte pendant que les officiers et les civils se dispersent. Koda est la dernière à partir. Quand elle atteint la porte, Maggie la rappelle. « Dakota. »

 

 

 

Koda s’arrête et referme la porte. Sa voix est douce. « Qu’y a-t-il ? »

 

 

 

« Hart. » Maggie pointe son stylo vers la chaise vide du Général. « Il faut que tu saches quelque chose. »

 

 

 

Soyez sûre de vos cibles. C’était une injure. Des cibles manquées ? Avec une étrange certitude, Koda sait maintenant ce que Maggie est sur le point de lui dire. Quel salopard !

 

 

 

« Non. Il n’y a rien que je doive savoir. »

 

 

 

« Si, il le faut. Et le Dr King doit le savoir aussi. »

 

 

 

Koda parle d’une voix égale, sachant déjà ce qui va être dit. « Tu as touché une mauvaise cible. »

 

 

 

« Oh non, pas une mauvaise cible. » Maggie traverse la pièce et ouvre une paire de rideaux gris. Une lueur blafarde pénètre dans la pièce, atténuée par les nuages et la neige. « J’ai touché la seule cible qu’il ne fallait pas. »

 

 

 

« Des civils ? »

 

 

 

« Un village dans le Panjir. Des fermiers et des bergers. Des vieilles femmes. Des enfants. » Sa voix se durcit. « Une bombe de 500 kilos pile sur leurs têtes. Aucune excuse pour ce geste. »

 

 

 

Koda répond avec précaution. « Ce n’est pas la première fois qu’une telle chose arrive et ça n’est pas la dernière. »

 

 

 

« Non. Mais les autres fois, je n’étais pas responsable. Cette fois-là oui. » Maggie se tourne pour croiser son regard. « J’aurais dû quitter l’armée après ça, mais je ne l’ai pas fait. J’aimais trop cette vie – voler, le pouvoir de voler. »

 

 

 

Et tu as continué à te demander la perfection. « Maggie ? »

 

 

 

« Oui ? »

 

 

 

« Je t’ai vue au combat. J’ai confiance en toi et tes soldats aussi. »

 

 

 

« Merci. » Un petit sourire apparaît sur les lèvres de Maggie. « Tu as le talent pour être une des meilleures combattantes que j’ai jamais rencontrées. Si j’ai pu t’apprendre quelque chose, je pourrai être fière de ça. »

 

 

 

Koda ouvre la porte. « Pas seulement ça. Veux-tu que je dise à Kirsten que tu souhaites lui parler ? »

 

 

 

« S’il te plaît. »

 

 

 

Koda hoche la tête et sort dans le corridor en refermant doucement la porte derrière elle.

 

 

 

**************

 

 

 

Koda se glisse doucement hors de son sac de couchage, attentive à ne pas déranger Maggie ou Kirsten, allongées sur le sol du camion, de chaque côté d’elle. Kirsten ne se réveille pas mais murmure dans son sommeil, tendant le bras vers la place vide où se trouvait Koda un moment auparavant. Asi lui manque. Cette pensée lui cause un bref pincement, pas tout à fait de culpabilité, mais plutôt de regret. Le chien a crié et s’est jeté contre la porte du chenil de la clinique quand elles l’ont laissé quelques jours plus tôt. Dissimulés derrière ses lentilles noires, les yeux de Kirtsen sont restés rouges et humides durant les douze heures qui ont suivi. « De l’allergie. » a-t-elle prétexté. Mais malgré la brise plus chaude venue du sud, il est encore trop tôt pour les effets du pollen printanier.

 

 

 

A la lueur du réchaud, Koda enfile ses vêtements. Kirsten et elle seront stationnées dans les bois derrière la ligne des combats. C’est pourquoi son uniforme blanc est maintenant zébré de vert et brun ressemblant à des branches. Elle n’en est pas encore sûre, mais même ici, dans la chaleur du camion, elle peut sentir les changements apportés par le vent qui souffle dehors, transportant avec lui le signe d’endroits éloignés où la neige a perdu du terrain.

 

Des endroits où peut-être même, les glaces ne s’emparent jamais de la terre, et où l’hiver n’apporte rien d’autre que du répit après la chaleur suffocante des mois d’été.

 

 

 

Heraklion.

 

 

 

Cette pensée surgit en elle avec l’urgence d’un vœu d’enfant. Si je survis à ceci – si quelqu’un y survit ; si l’humanité survit- alors un jour je retournerai en Crête m’étendre sur la plage d’Heraklion.

 

 

 

Elle peut les voir. Le sable blanc et les dômes byzantins vieux de mille ans qui brillent sous la clarté pure du soleil ; les ailes tout aussi blanches des goélands plongeant dans le bleu profond de l’eau qui s’étend à perte de vue.

 

 

 

 

 

 

Pour un instant, il lui semble que le temps glisse. Elle aperçoit au milieu des vagues les bras et les jambes musclés d’un corps bronzé qui capte la lumière. L’angle du soleil se déplace et soudain, la nageuse n’est plus Tali, mais une jeune femme blonde dont elle ne peut voir le visage. L’ancien monastère qui se dresse sur la falaise a maintenant retrouvé ses colonnes ciselées et un autel de marbre où brûlent de l’encens et de la myrrhe dont l’odeur piquante se mélange à l’air salé. Et le soleil se déplace à nouveau, il n’y a plus que la plage blanche et la femme aux cheveux couleur de blé qui l’appelle depuis la mer, parmi les dauphins qui bondissent sous l’infini du ciel.

 

 

 

Koda secoue la tête pour s’éclaircir les idées, et fixe les courroies qui maintiennent le holster contre son épaule. Les images dans sa tête ont l’air vraies mais elle ne peut s’y attarder maintenant pour démêler le passé du futur.

 

 

 

Avec précaution, elle se déplace entre les deux femmes afin de sortir du camion. Le plastic de la bâche claque derrière elle quand elle pose le pied sur le pare-chocs arrière et saute dans la neige. La nuit est claire. La lune éclaire les branches nues des hêtres et des sycomores et son reflet sur la neige forme des fantômes de lumière. Un vent léger transforme la respiration de Koda en étroites banderoles.

 

 

 

Dans une heure ou un peu plus, le soleil va se lever, elle le sait, et les bois et les champs de ce coin solitaire du Dakota Sud vont retentir des bruits de la bataille. Cette pensée ne l’effraie pas ; elle a passé les dernières semaines avec un revolver à la main. Elle a condamné des hommes à mourir de faim et de soif dans la prison de Mandan ; a envoyé un certain nombre d’androïdes dans les oubliettes du monde électronique ; a tué un homme de ses propres mains. Il n’y aura rien de nouveau pour elle dans la violence qui se prépare. La différence, c’est que demain, elle aura le rôle de transmettre les communications aux deux troupes afin qu’au bon moment elles puissent se refermer sur les forces ennemies.

 

 

 

Et il y a Kirsten, qui représente sa première responsabilité, Kirsten dont les compétences permettront peut-être leur survie après les événements de demain.

 

 

 

Sans bruit, deux ombres se séparent derrière la ligne des camions et se dirigent vers elle. La première, grande et tête nue, est son frère ; l’autre, plus petite et trapue, est Manny. « Hau, tanski. » la salue Tacoma.

 

 

 

« Han, thiblo. Shick’shi. »

 

 

 

Tacoma sort une petite bourse en cuir de sa veste. Il en extrait un tas d’herbes séchées attachées par un cordon rouge et une demi douzaine de sacs en peau de daim.

 

Il les dépose avec précaution sur le pare chocs du camion. « Je suis content que tu sois levée.» Un sourire éclaire son visage. « Ou tu savais déjà qu’on allait venir te voir ? »

 

 

 

Elle sourit en retour. « J’aurais dû. »

 

 

 

« D’autres choses en tête ? » Manny fait un geste de la tête en direction du camion.

 

 

 

« Han. Ce n’est pas bon que tant de monde dépende d’une seule personne. »

 

 

 

« Non. » approuve son frère. « Mais elle est la seule qui puisse stopper les droïdes. Et tu es la mieux placée pour faire qu’elle reste en vie. Ce n’est pas la question. »

 

 

 

« Ça devrait l’être. »

 

 

 

« Non, ça ne devrait pas. » Manny leur montre la portion d’autoroute où est parqué un escadron de Black Hawks et d’Apaches. « Il faut que vous sachiez que mes ordres sont de vous emmener rapidement en un lieu sûr si ça devient l’enfer ici. »

 

 

 

« Bon Dieu, Manny… »

 

 

 

« Et je ne veux entendre aucun argument de ta bouche ou de celle du Dr Glaçon, si ça doit arriver. On n’aura pas le temps…oh merde… » finit-il très doucement.

 

 

 

Kirsten, dont la silhouette est dessinée par la faible lueur du réchaud, se tient immobile à l’arrière du camion, une main écartant la bâche pour la maintenir ouverte. Il n’y a aucune chance qu’elle n’ait pas entendu les derniers mots de Manny parlant d’elle et Koda peut sentir irradier l’embarras de son cousin. Mais Kirsten garde une voix égale pour leur parler, en regardant les petits paquets sur le pare-chocs. « Je suis désolée. Je vous ai interrompus. Je vous laisse. »

 

 

 

« Non. » La voix de Tacoma est ferme. « S’il vous plaît, restez. » Il lui tend la main pour l’aider à descendre et après un moment d’hésitation, elle accepte. « Vous êtes aussi une guerrière. »

 

 

 

Kirsten reste immobile un instant puis répond doucement. « Merci. J’en suis honorée. »

 

 

 

Tacoma lui tend le paquet d’herbes séchées et tout en protégeant une allumette de ses grandes mains, y met le feu. De la fumée s’élève des herbes et Koda, en fermant les yeux, la dirige au-dessus de sa tête et ses épaules, en inhalant son parfum. Un grand calme descend en elle, une quiétude qui commence dans son cœur et ondule ensuite vers son esprit à travers son corps. Elle passe les herbes à Tacoma, qui répète le rituel avant de le tendre à Kirsten. Son visage aussi pâle que la neige, elle suit leur exemple, inclinant la tête alors que la paix initiée par ce rituel prend possession d’elle. Quand Manny a achevé la purification, Tacoma ouvre les cinq petits sacs contenant de la poudre colorée : rouge, blanc, noir, jaune et ocre. Dans le sixième se trouve un morceau de lard de bison.

 

 

 

Tacoma plonge un doigt dans la poudre et la mélange avec un peu de rouge. Avec application, il dessine un soleil lumineux sur son front et les empreintes d’un grand chat sur chacune de ses joues. Manny, lui, trace sur son visage des flèches noires aux pointes rouges.

 

 

 

Kirsten , qui les a regardé faire avec fascination, accepte un peu de graisse du paquet que lui tend Manny, accompagné d’une pointe de pigment rouge et noir. Il y a une certitude inattendue dans ses gestes et Koda retient son impulsion de lui offrir de l’aide. Avec précision, la jeune femme trace une spirale double en rouge sur chacune de ses mains et un cercle noir sur ses joues. Quand elle a terminé, elle se tourne pour donner les couleurs à Koda.

 

 

 

Les mains de Tacoma les interceptent. « Je vais le faire. »

 

 

 

Koda ouvre la bouche pour protester mais Tacoma continue, très doucement. « Non, tanski. Tshunka Wakan Winan. Laisse-moi faire. »

 

 

 

 

Elle sent une boule dans son estomac et quelque chose proche de la panique lui envoie un signal d’alarme. Le calme ressenti un moment auparavant est brisé en éclats, ses fragments tombent autour d’elle. De manière inattendue, la voilà dans un moment de crise, quelque chose pour laquelle elle n’est pas préparée, quelque chose pour laquelle il n’y a aucun moyen de se préparer. Sa bouche est sèche quand elle forme le mot tout simple qu’elle ne veut pas prononcer mais qu’elle sait devoir prononcer. « Oham. « (NDLT : d’accord. )

 

 

 

 

 

Mais aucun son ne sort de sa bouche et elle répète dans un murmure. « Ohan »

 

 

 

« Washté. » (NDLT : bien) répond Tacoma avec calme, puis il commence à mélanger les couleurs dans sa main.

 

 

 

Koda sent la pression de ses doigts pendant qu’il trace une ligne lumineuse depuis la racine de ses cheveux jusqu’au menton. Elle déglutit avec difficulté, sentant la peur qui grandit en elle, sachant ce qui va suivre. Quand son frère commence à peindre ses joues, elle attrape son poignet. « Tacoma, non ! »

 

 

 

Il ne fait aucun effort pour lui résister, mais dit avec calme. « C’est juste. »

 

 

 

La nuit commence à décliner autour d’eux et elle peut voir les yeux de son frère. Ce sont ceux d’un guerrier, mais ils brillent aussi de l’éclat du chamane. Il répète : « C’est juste. »

 

 

 

Elle se résigne à lui permettre de peindre sur son visage les symboles que Tshunka Witco of the Oglala, Crazy Horse, a vu dans sa vision. Ina Maka, prie-t-elle silencieusement, lorsqu’un poids se pose sur ses épaules, un poids que maintenant seule la mort pourra lui ôter. Mère, aide-moi à porter ce fardeau et à ne pas échouer.

 

 

 

Au-dessus d’elle dans le jour naissant, elle entend le cri d’un rapace. Au moment où le soleil pointe à l’horizon, une buse à queue rousse se pose sur la branche du sycomore au-dessus d’elle. Wiyo la regarde de ses yeux dorés avec un mélange d’amour et d’inéluctable. C’est la confirmation de son nouveau rôle.

 

 

 

Tacoma suit son regard en direction de l’oiseau. « Hoka hey. (NDLT : cri de guerre des Lakotas) C’est une bonne journée pour mourir.»

 

 

 

 

« C’est une bonne journée. » Kirsten lui fait écho. « Une bonne journée pour combattre. »

 

 

Table des matières

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