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INSURRECTION15

Page history last edited by PBworks 15 years, 10 months ago

INSURRECTION

 

De Sword'n'Quill (Susanne Beck)

 

SwordnQuil@aol.com

 

écrit avec T Novan et Okasha

 

 

Traduction : Kaktus et Fryda

 

Table des matières

 

 

 

 

CHAPITRE QUINZE

 

Le soleil matinal éclaire la vallée, dorant la nouvelle neige qui recouvre les prés au sud-est de la rivière. Sur la rive boisée, des branches de hêtre et de sycomore mélangent leurs ombres en une toile gris bleu aussi délicate que celle tissée par une araignée. Un peu partout parmi les arbres, des écorces captent la lumière et scintillent, se mélangeant aux éclairs de métal provenant de la ligne de soldats postés le long de la lisière des arbres. Koda peut distinguer les longs canons des deux tanks camouflés derrière eux mais seulement parce qu’elle sait où regarder. Sur la pente de la colline où elle se trouve, elle voit la brume coutumière de la rivière Cheyenne qui s’enroule autour des pylônes et des rails du pont tout proche, serpentant en spirales à travers les prés, se brisant comme des vagues contre le pied de Paha Sapa (NDLT : le nom lakota des Black Hills, les collines noires) au nord ouest. Tacoma et la plus grande partie de l’infanterie se dissimulent dans les replis des crêtes de basalte. La brume les camoufle un peu plus en s’insinuant dans les fissures argileuses des rochers, mais cela ne suffira pas à les cacher des capteurs infrarouges.

 

 

 

Au moment où l’ennemi les aura repérés, ce sera trop tard.

 

 

 

« J’ai l’impression d’avoir fait un bond dans le temps. »

 

 

 

Koda abaisse ses jumelles et se retourne vers Maggie. Elle désigne son visage peint du même motif que celui porté presque 150 ans auparavant par Tshunka Witco, Crazy Horse de Ogala. « Tu parles de ceci ? »

 

 

 

Maggie secoue légèrement la tête. « Non, de ceci. » De sa main, elle englobe la vallée où ses troupes sont dissimulées. « La doctrine conventionnelle de la guerre moderne est d’abord de pilonner l’ennemi avec des bombes et des missiles. Les forces terrestres entrent en action seulement pour finir le nettoyage ou pour combattre de maison en maison. Il n’y a plus eu de bataille comme celle-ci depuis – au moins un siècle, pas depuis la première guerre mondiale, je pense. »

 

 

 

« En avant, mais dans le passé. » La voix est douce et teintée d’humour.

 

 

 

Koda et Maggie se retournent étonnées vers Kirsten assise à l’arrière du camion qui les a transportées. Son ordinateur est ouvert sur une table pliante, connecté par une masse de câbles et de fils à la console de communication fixée sous un des sièges. Un petit sourire naît au coin de ses lèvres quand elle rencontre le regard de Koda et de la Colonel. Puis, avec fausse modestie, elle retourne à son écran, cliquant rapidement sur son clavier pour faire d’ultimes contrôles. « Tout est branché, Colonel. » dit-elle, à nouveau sérieuse. « S’il vous plaît, essayez votre ligne maintenant, Dakota. »

 

 

 

Koda sort les écouteurs de sa veste et place le micro devant sa bouche. « Tacoma, Tacoma, Ayupte. (NDLT : réponds) »

 

 

 

« Hau, tanski. Manah’i blezela. (NDLT : Salut, petite sœur. Je t’entends clairement.) »

 

 

 

Elle adresse un signe de tête à Maggie et Kirsten qui paraissent soulagées. Elles ont eu peur un moment que le signal radio puisse être bloqué par les mêmes formations rocheuses qui dissimulent les troupes. Des messagers ne serviraient à rien dans ce genre de bataille, pas avec une rivière entre eux. Et des signaux visuels attireraient l’attention de l’ennemi sur le poste de commandement, justement là où il ne faut pas.

 

 

 

« Wikcemna-topa Manny. » (NDLT : 10-4 qui en langage codé signifie bien compris)

 

 

 

« Manah’i hotanka na blezela. »

 

 

 

Koda dresse son pouce après que Manny ait coupé la communication. Son escadron de Black Hawks et d’Apaches est posté à une dizaine de kilomètres au nord de leur position, sur le tronçon d’une petite route, en attente du signal de Maggie.

 

 

 

« Jurgensen. Major Jurgensen. Ayupte. »

 

 

 

Franck Jurgensen est un fermier blond du Wisconsin, promu Major. Il n’a pas la moindre once de sang Lakota dans les veines. Il ne comprend pas non plus cette langue, excepté la demi-douzaine de mots que Koda lui a appris. Sa réponse est maladroite mais claire. « Ma-na-hee blay-zay-luh. » Puis pour enjoliver et parce que c’est un Marine, il rajoute : « Wikcemna-topa. »

 

 

 

« Wikcemna-topa. » répète Koda.

 

Se tournant vers Kirsten, elle sourit brièvement. « Tout est parfait. Pas de parasites et pas de problèmes de langage. »

 

 

 

« Bien. » dit Maggie. « Si nous perdons le Major où s’il perd sa liste de mots, nous pourrons envoyer un courrier de ce côté-ci. » Puis elle s’adresse à Kirsten. « Vous captez des bribes de leurs conversations ? »

 

 

 

Kirsten entre un code sur son clavier puis écoute attentivement pendant un moment. « Ils progressent sur la route. Ils devraient arriver sur les premières mines anti-tank… »

 

 

 

Un bruit d’explosion retentit soudain au nord-ouest là où la route serpente entre un groupe de blocs de lave.

 

Koda se retourne, fixant une légère colonne de fumée qui s’élève dans l’air.

 

 

 

 

« …juste maintenant. » termine Kirsten. Elle fronce les sourcils en réajustant ses écouteurs. « Ils… ne s’y attendaient pas. Ils se sont arrêtés. C’est un camion transportant des troupes qui a heurté la mine, tous les passagers sont morts – ils étaient tous humains apparemment - et les éclats d’obus ont aussi balayé un couple de droïdes. »

 

 

 

« C’était une des tiennes ? » demande Maggie à Dakota avec un sourire.

 

 

 

« Les miennes ou celles de Tacoma. Elles… »

 

 

 

Kirsten les interrompt. « Ils quittent la route. »

 

 

 

Maggie lance un regard interrogateur à Koda qui lui répond. « Ils ne peuvent pas se déplacer sur ce genre de terrain, Colonel. Ils devront obligatoirement revenir sur la route. »

 

 

 

Une deuxième explosion retentit, puis une troisième.

 

 

 

« Des mines encore ? »

 

 

 

Koda hoche la tête, cherchant de la fumée avec ses jumelles. Il n’y en a pas cette fois-ci. « Des droïdes militaires ? » demande-t-elle à Kirsten.

 

 

 

Kirsten lève une main pour demander un peu de temps. Après un moment, elle répond. « Ils vont rester sur la route. Ils pensent que nous n’avons pas pu la miner entièrement…Ils trient leurs troupes… les humains sont placés devant… les droïdes non militaires sur les côtés… et ceux qui sont armés derrière. »

 

 

 

« Ils ont des foutues propriétés. » grogne Maggie. « Vous savez quoi, il m’arrive d’oublier que ce sont des machines. Je hais ces salopards. »

 

 

 

 

« Et mois je hais Westerhaus. » lance Kirsten. « J’aimerais qu’il soit encore en vie. »

 

 

 

Koda ouvre la bouche pour parler, puis la referme abruptement. Elle se souvient encore du claquement de la main de Kirsten contre la joue du Général Hart après son arrivée à Ellsworth, et de la rage contenue dans le geste de la jeune femme. Elle retourne son attention vers la route. C’est une question de minutes avant qu’elle n’entende une autre explosion, celle-ci beaucoup plus forte et plus proche. Une deuxième suit, puis une troisième. Ensuite, plus rien. « Ils ont passé le premier champ de mines. Ils arriveront au deuxième dans environ deux kilomètres. »

 

 

 

« Dieu, j’espère que le brouillard va rester. » murmure Maggie. « Ils sont à quoi ? Une heure d’ici ? »

 

 

 

« En marchant normalement, oui. Ils pourraient aller plus vite s’ils mettaient tous les humains et les droïdes ordinaires dans les véhicules, mais d’après ce que j’ai compris, ils n’ont pas les roues qu’il faut pour ça. »

 

Kirsten s’arrête pour écouter. « Ils savent qu’il y a un pont ici. Ils envoient deux éclaireurs dans une jeep. »

 

 

 

« Merde. » énonce tranquillement Maggie. « Vous ne pouvez pas brouiller leurs signaux, Dr King ? Leur transmettre que tout est ok ? »

 

 

 

« Je n’ai pas les codes pour ça, Colonel. »

 

 

 

« Très bien, nous allons le faire à l’ancienne mode. Rivers, dites à Dietrich d’envoyer une douzaine d’hommes sous le pont. »

 

 

 

Koda appelle le Major. « Wichasha sakpe kuta ceyakto. Numpa toka. » (NDLT : Envoyez douze hommes sous le pont. Deux ennemis.“

 

 

 

Une pause puis deux clics. C’est le code pour « répéter ». Koda répète les mots, plus lentement. Un froissement de papier passe dans les écouteurs. Au moment où Koda se résigne à parler anglais, le Major reprend. « Hau, Washte. » (NDLT : ok, compris. »

 

 

 

Peu de temps après, elle voit une petite unité d’hommes bondissant à travers la brume en direction du pont. Alors qu’ils se placent entre les piliers sud, une Jeep peinte de couleurs tropicales plutôt incongrues, allant du vert foncé au brun-rouge, fait halte à l’autre extrémité du pont. Deux formes, armées de fusils, s’avancent et scrutent par-dessus la balustrade tous les dix pas.

 

 

 

Maggie et Koda les observent aux jumelles. « Vous savez ce qu’ils sont ? »

 

 

 

« Je ne reçois aucun signal, Colonel. » répond Kirsten. « Si ce sont des droïdes, ils ne se parlent pas. »

 

 

 

Non loin du pont résonne une autre explosion et un peu de fumée s’élève dans le ciel. La colonne est de plus en plus proche maintenant et le son de la déflagration se réverbère contre les rochers. Les deux silhouettes sur le pont s’arrêtent et tournent leur regard en direction de l’explosion. Puis elles reprennent leur inspection, s’avançant vers l’embuscade qui les attend.

 

 

 

« Allez, allez. » presse Maggie.

 

 

 

Les éclaireurs atteignent la rive sud et s’engagent sur la route. L’un des deux désigne la rivière et ils commencent à descendre le talus, disparaissant dans le brouillard.

 

 

 

 

Le son du combat passe facilement par-dessus le bruit de l’eau. Il est bref et dès que c’est terminé, cinq hommes en uniforme blanc émergent de sous le pont. L’un d’entre eux se détache et traverse rapidement le pont. Il se saisit de la radio et après quelques mots rapides, conduit la Jeep sur le bord de la route puis dans la pente afin de la parquer quelque part entre la première paire de piliers. Quand il réapparaît, il est en train de courir à toute vitesse, se dirigeant droit vers la seule entrée, du côté sud-est, qui n’est pas minée

 

 

 

Après cela, il y a un petit temps d’attente. A environ un kilomètre du pont, le soleil capture un éclat de métal. Maggie le voit au même moment que Koda. « Les voilà. »

 

 

 

Koda sourit, son sang coulant plus vite dans ses veines. « Hoka hey. C’est une bonne journée pour mourir. »

 

 

 

« Ils arrivent. »

 

 

 

C’est plus une vibration qu’un son qui se propage à travers la terre et les rochers. Le rythme métallique de pieds bottés, humains et non humains, retentit sur le bitume mince de la route. De quelque part derrière les affleurements de basalte, le soleil capte un éclat d’acier, puis un autre et encore un autre lorsque la colonne ennemie se déroule à travers le labyrinthe des parois rocheuses.

 

 

 

Koda tente d’apercevoir les premiers signes de leur approche à travers ses jumelles. Ils émergent enfin entre deux buttes. Ce sont des soldats à pieds, formant des rangs inégaux, transportant un assortiment d’armes automatiques, de lance-grenades et de lance-roquettes. Certains sont en uniforme, d’autres non. « Des conscrits ? »

 

 

 

Derrière elle, Maggie observe leur approche, les dents serrées. « Difficile à dire. Nous les épargnerons si nous le pouvons et aussi longtemps que possible. Mais le premier qui tire, on l’abat. »

 

 

 

La radio de Koda crépite. Elle écoute rapidement. « Tacoma dit que la colonne est en position à mi-chemin. Ils ont deux lanceurs de missiles Sol Air et plusieurs tanks. La moitié de leur troupe est composée de droïdes militaires, un peu plus que ce que nous pensions. Le reste est réparti entre des humains et des robots domestiques. Il dit qu’un d’entre eux est vêtu d’un vieil uniforme de maître d’hôtel et qu’il porte un M-16. » Elle écoute à nouveau. « Il semble qu’ils aient perdu le tiers de leurs véhicules. Ils ont encore quatre tanks et une douzaine de camions. »

 

 

 

Maggie hoche la tête. « Ça aurait pu être mieux mais vous avez fait du bon boulot avec ces mines, Rivers. » Elle se retourne pour voir l’avancée de l’ennemi. « Dites à votre cousin de mettre en marche ses appareils et d’attendre. Dès qu’ils auront à peu près la moitié de leur équipement lourd à découvert, dites-lui d’envoyer la sauce. »

 

 

 

Koda relaie promptement le message. Comme la Colonel, elle ne quitte pas des yeux les troupes qui approchent.

 

 

 

« Dakota ? » Kirsten a un sourire dans la voix.

 

 

 

« Oui ? »

 

 

 

« Comment dites-vous ‘uniforme de maître d’hôtel’ en Lakota ? »

 

 

 

Koda lui sourit en retour. « Très simplement. Un idiot habillé en noir et blanc avec un tablier à franges et des rubans. »

 

 

 

 

Kirsten rit brièvement avant de retourner à son écran. « Ok. Un ordre a été lancé. Ils vont traverser le pont. »

 

 

 

Le contingent humain est maintenant bien visible, s’échelonnant entre l’entrée du pont et le point où la route émerge des collines. Un groupe de droïdes tous usages les suit, encadrés par quelques autres de type militaire. Koda identifie le modèle ‘maître d’hôtel’, totalement incongru sous sa perruque blonde. Un autre porte un uniforme de sapeur-pompier, sa chemise bleue tâchée de marques brunes. Le sang de Koda retentit comme un tambour jusque dans ses oreilles et elle se bat pour contrôler sa colère. Garde ton calme, bon sang !

 

 

 

Finalement, les véhicules apparaissent enfin sur la route, encadrés par une centaine de droïdes militaires. Koda localise l’un des camions qui transporte les longs tubes de lancement des missiles Sol Air. Une paire de tanks le suit, leurs canons dirigés vers l’avant. Ils sont maintenant assez près pour qu’elle entende le gémissement caractéristique de leurs engins.

 

 

 

Elle regarde vers Maggie, mais toute l’attention de la Colonel est dirigée vers l’ennemi. « Ok, venez, avancez. » murmure-t-elle doucement. « Allez, avancez bande de salopards. Encore…encore…. MAINTENANT ! »

 

 

 

Koda attrape la radio et lance dans le micro : « Shic’eshi ! Takpaye ! Wana ! » (NDLT : Attaquez ! Maintenant ! »

 

 

 

Un cri perçant passe à travers les écouteurs. « Unyanpi ! Hoka Hey ! » (NDLT : c’est parti ! » Puis plus calmement : « Wikcemna-topa. »

 

 

 

Koda termine la communication et se tourne vers Maggie et Kirsten. « Ils sont en route. »

 

 

 

Cinq minutes plus tard, Kirsten appuie une main contre son écouteur. « Ils arrivent. »

 

 

 

Koda se tourne pour observer le ciel au sommet de la colline, envahi par un essaim d’engins dont le bruit assourdissant ressemble à la plainte d’une horde de criquets balayant la plaine. La force des rotors fait craquer les branches des arbres autour du poste de commande. S’efforçant d’y voir plus clair, Koda fait un geste vers l’appareil de tête qui passe au-dessus d’elles.

 

 

 

Derrière la vitre de son cockpit, Manny aperçoit les trois personnes sur le côté de la colline, l’une d’elle fait un geste de la main en direction de son escadron de Black Hawks et d’Apaches alors qu’ils descendent maintenant vers l’ennemi sur le pont. Il fait un signe en retour, sachant qu’elle ne pourra le voir mais sentant le lien du sang qui les unit. Les écrans verts sur sa console, un pour le radar, l’autre pour le mécanisme de cible-laser, lui montrent la position des droïdes et de leurs blindés. « Ok, Littleton. » dit-il à l’artilleur placé un peu en dessous de lui. « Commence à choisir tes cibles. Vise d’abord le lanceur de missiles. »

 

 

 

« Compris, mon frère ! »

 

 

 

Sur l’écran, une petite croix blanche, l’indicateur de cible, apparaît au-dessus de la silhouette du lanceur de missiles ; une seconde plus tard, il entend le bruit de la torpille qui quitte l’appareil. Elle traverse le brouillard, son sillage s’incurvant en direction de la cible. Soudain, un des missiles Sol Air est lancé et capté immédiatement par le radar. Manny se penche sur ses commandes redressant si vivement l’Apache que ses épaules pressent douloureusement contre son siège, et le missile passe sans dommages à côté de l’appareil. Au sol, une explosion de flammes rouges et or apparaît là où la torpille a atteint sa cible, suivie par d’autres moins fortes qui viennent renforcer le nuage de fumée qui s’élève dans l’air clair. Brièvement, il remarque d’autres impacts sur les cibles juste avant d’emmener son appareil momentanément hors de portée de l’ennemi. « Au rapport, » lance-t-il dans son micro. « Des dommages ? »

 

 

 

Un par un, chaque pilote de l’escadron fait son rapport. Seul Andrews a été touché. «Des balles dans le fuselage, Apache Un, mais ça ira. »

 

 

 

« Ok, alors. On y retourne. »

 

 

 

Ils piquent une seconde fois au-dessus de la colonne qui a presque atteint la fin du pont. Cette fois-ci, Littleton utilise la mitrailleuse et Manny voit s’effondrer plusieurs droïdes simples mais par contre les modèles militaires semblent subir peu de dommages. Il esquive habilement deux roquettes en déviant violemment, couchant l’appareil sur le côté. Pour la énième fois, il regrette de ne pas être aux commandes de son Tomcat afin de pouvoir simplement lâcher une bombe sur la route et terminer le travail en une seule fois. Il comprend pourquoi ses supérieurs ont décidé de préserver les jets et il est d’accord avec eux, du moins en principe. Il aimerait toutefois avoir leur force de frappe en ce moment.

 

 

 

Au sol, le second lance-missile, un tank et plusieurs véhicules blindés sont détruits. Ainsi que tout ce que ces camions transportaient, note-t-il avec satisfaction. Littleton semble lire ses pensées. « Tu crois qu’on a éliminé une partie de ces saloperies en métal, Manny ? »

 

 

 

« Je l’espère mais… » Il s’interrompt quand la voix de Koda passe à travers son casque. « Washte. Manny.Ake. » (NDLT : Ok. Manny. Encore. »

 

 

 

« Kau. Wikcemna-topa. »

 

 

 

« Alors ? » demande Littleton.

 

 

 

« Elle a dit de recommencer, mon frère. » Il branche le micro pour communiquer avec les autres appareils. « On y retourne. »

 

 

 

 

Manny prend la tête de son escadron une troisième fois et passe par-dessus le poste de commandement, agitant à nouveau la main en direction des silhouettes en-dessous de lui. Il n’y a aucune chance qu’elles puissent apercevoir son geste mais lui les voit et constate qu’elles sont en sécurité, cachées par la ligne des arbres. Pour lui, c’est comme une sensation de chaleur, d’affection et de fierté dans le froid de la bataille. Bon sang, il reconnaît même qu’il a développé de l’affection pour le petit bloc de glace blond.

 

 

 

Pas de l’attraction, non. Parce qu’en ce qui le concerne, il lui trouve autant de sex appeal qu’une scie circulaire. Déviez un peu de la ligne et BZZZZZZZZ….

 

 

 

Il fait virer l’Apache et amène son escadron au-dessus des cibles pour la troisième fois. A sa droite, un Black Hawk est soudainement touché et son réservoir explose. Une vague de flammes et de fumée entoure son fuselage qui plonge en tournoyant sur un groupe de droïdes, les incinérant tous d’un seul coup. Littleton tire deux torpilles puis se sert de la mitrailleuse. Une silhouette, portant un lance-roquettes sur l’épaule, s’effondre sur le sol, sous la grêle de balles.

 

Une fois la fumée dissipée, Manny aperçoit un groupe d’hommes et de femmes armés prenant position dans le lit asséché d’un torrent : Tacoma et ses troupes sont prêts à refermer le piège qu’ils ont si bien préparés.

 

 

 

Dernier passage. « Envoie tout ce qu’on a, cette fois-ci. » ordonne-t-il à Littleton.

 

 

 

Manny sent les dernières torpilles quitter l’appareil. « Ok, c’est bon… »

 

 

 

L’impact est si violent que ses mâchoires claquent et qu’il se mord la langue. L’Apache semble immobile pendant un instant, comme si tout semblait normal. Puis l’appareil commence à tournoyer, le rotor ne répondant plus aux commandes du tableau de bord. « Oh, merde. » prononce très doucement Manny, au moment où Littleton hurle assez fort pour couvrir le bruit de l’engin. « Nous sommes touchés. »

 

 

 

« Je sais… »

 

 

 

« …. très bien que ce n’est pas normal ! » s’exclame Kirsten, regardant avec Koda l’Apache qui tournoie lentement, presque gracieusement sur son axe. « Il n’y a pas Manny à bord d’un de ces appareils ? »

 

 

 

Koda sent le sang refluer de son visage et son cœur se glacer comme du plomb.

 

 

 

« Il est dans cet Apache. » Elle désigne les flèches rouges récemment peintes sur le côté du fuselage. « C’est son signe. »

 

 

 

Maggie s’approche d’elle, saisissant sa main avec force. « Si quelqu’un peut poser cet appareil en un seul morceau, c’est bien Manny. » Kirsten s’est approchée aussi, offrant sa présence silencieuse. Koda peut sentir leur peur faire écho à la sienne. Pourtant, cela la réconforte quand même.

 

 

 

« Je sais. Il arrive toujours à… bon sang ! » Les mots s’étranglent dans sa gorge lorsque l’appareil commence à tourner sur lui-même, à moitié sur le côté, dans le sens inverse de l’hélice, avant de plonger dans le ciel, droit vers la grande prairie qui se trouve entre le pont et les bois. Koda regarde sa chute, sans respirer, sans oser respirer, sachant qu’il a autant de chance de survivre qu’un poisson rouge parmi les requins.

 

 

 

 

Manny réfléchit frénétiquement, perdant complètement le contrôle de l’Apache, et se prépare à l’impact en s’attachant au mieux.

 

 

 

 

Un bruit ressemblant au tonnerre se répercute contre les collines et résonne non seulement dans ses oreilles mais tout au long de sa moelle épinière. Manny ouvre les yeux et constate que le nez de l’Apache est enfoui dans la neige et que lui-même est suspendu par ses sangles, juste au-dessus de son tableau de bord. Sur le côté, il peut voir deux lames du rotor brisées enfoncées dans le sol. La boucle de son harnais presse durement contre son plexus solaire et il s’éloigne avec précaution du levier de direction qui s’est brisé. S’il n’était pas resté accroché à son harnais, le levier serait en ce moment planté entre ses côtes. Cette pensée réunie avec la pression sur son torse lui retournent l’estomac et il vomit l’intégralité de son petit déjeuner sur le casque de Littleton. Une fois la nausée passée, il réalise qu’il faut qu’il se sorte rapidement de là et il tente d’atteindre le couteau dissimulé dans une de ses chaussures afin de couper son harnais. Son bras droit ne bouge pas.

 

 

 

Merde.

 

 

 

Ça ne lui fait pas particulièrement mal, mais ça ne veut rien dire. Par contre, il constate qu’il n’y a pas de sang sur son uniforme de pilote et aucun os saillant non plus. Ok, essayons ceci…

 

 

 

Il tord son épaule gauche et lève sa jambe droite afin d’attraper le manche du couteau. Ensuite, avec précaution, il se libère, posant un pied puis l’autre sur le dossier du siège de son compagnon, enjambant avec précaution le tableau de bord en morceaux. Littleton n’a pas bougé.

 

 

 

Une main sur l’altimètre et l’autre sur la jauge d’essence afin d’éviter les restes de ses œufs et céréales à moitié digérés, il touche l’épaule de son co-pilote. « Joe. Hé, Joe. »

 

 

 

Pas de réponse.

 

 

 

Merde.

 

 

 

 

Otant le gant de sa main gauche avec ses dents, Manny cherche le pouls sur la gorge de Littleton, glissant sa main sous son col. Rien.

 

 

 

Merde. Désolé, mon frère.

 

 

 

La porte, bien entendu, est coincée.

 

 

 

Evidemment. Pourquoi un coup de chance maintenant ? Avec la crosse de son revolver, Manny frappe sur la vitre jusqu’à ce qu’elle s’ébrèche puis il la brise. Il se glisse par l’étroite ouverture, poussant avec ses pieds et se tirant vers l’extérieur à l’aide de son bras valide. Alors qu’il a presque réussi, les nerfs de son bras luxé se réveillent et il sent sa tête tourner sous l’effet de la douleur. Le choc a asséché sa gorge. Mais il ne peut rien y faire. Il donne une dernière poussée avec toute la force contenue dans ses jambes et soudain, il est libre, son corps tombant dans la neige. Il se redresse immédiatement et court en direction des bois et des forces alliées qu’il sait être là. Il court en trébuchant, traînant son bras inutile derrière lui quant une roquette explose à moins de cinq mètres derrière lui, le projetant par-dessus une butte. Il se retrouve sur le dos et se met à glisser sur la pente, exactement de la même façon que quand il était enfant, avec Tacoma et Koda à ses côtés.

 

 

 

Il atteint le bas de la pente et se dit qu’il est sûrement en train de rêver. Une silhouette vient de se détacher d’un des sycomores centenaires et se précipite vers lui puis le pousse en avant en direction des bois. Il baisse la tête, sa respiration haletante lui brûlant la gorge et soudain, il réalise que la sécurité n’est plus qu’à quelques mètres et…

 

 

 

« ….. il va réussir ! Koda, regardez ! »

 

 

 

Dakota tourne la tête et regarde en direction du doigt pointé de Kirsten. Un homme est parvenu à s’extraire de l’hélicoptère abattu en se tortillant à travers une des vitres. Koda saisit ses jumelles et tente désespérément de distinguer son visage. Elle n’y parvient pas, mais elle connaît l’anatomie Apache et elle peut voir que la vitre brisée de l’hélicoptère est celle située du côté du siège du pilote.

 

 

 

Merci, Ina Maka, soupire-t-elle pour elle-même. La gorge serrée, elle regarde son cousin tituber dans le champ et se diriger vers la forêt jusqu’à ce qu’un soldat s’avance vers lui pour l’emmener à l’abri. « Je savais qu’il s’en sortirait. Manny a un trop sale caractère pour mourir. »

 

 

 

« Un trait de famille ? » demande Maggie en haussant un sourcil.

 

 

 

« Ouais, je suppose. » Koda ne peut s’empêcher de sourire. « On a de bons gènes Lakota, c’est tout. »

 

 

 

Koda laisse échapper un long soupir de soulagement et retourne son attention vers le champ de bataille. Même sans jumelles, il est évident que l’armée des droïdes s’est regroupée en colonne, autour des restes fumants des tanks et des camions. Deux cent mètres après le pont, un des véhicules blindés fait office de démolisseur, écrasant et écartant les débris devant lui pour ouvrir le passage.

 

Des fragments de titane sont éparpillés sur la route, là où les roquettes et les mitrailleuses ont touché leurs cibles ; un peu plus loin, la neige est tachée de rouge et ce sont des restes humains et non de métal qui la souillent. La carcasse du Black Hawk est entourée d’un grand cercle de terre nue là où la neige et la glace ont fondues et des silhouettes immobiles jonchent le sol. D’une telle distance, il est impossible de dire si ce sont des humains ou des droïdes. Un mortier apparaît soudain au milieu de la colonne, derrière les troupes humaines, près du contingent droïde militaire. Etrangement, il semble se mouvoir par lui-même, son artilleur étant caché derrière le canon. Derrière Koda, Maggie observe : « C’est du bon boulot, tout bien considéré. Ce canon va nous donner du fil à retordre, mais les chances sont beaucoup plus équitables entre nous qu’elles l’étaient il y a une heure. »

 

 

 

« Nous perdons notre couverture, Colonel. » observe Kirsten. A part dans les creux des collines et à la surface de la rivière, le brouillard est en train de se dissiper. Les champs entre le pont et les bois se mettent à scintiller sous le soleil, la neige reflétant sa lumière en prismes multiples.

 

 

 

« Pas grave. Nous en sommes au point où ça ne compte plus. » Maggie regarde par-dessus ses épaules en direction de Kirsten, toujours assise dans le camion, les doigts d’une main pressés derrière son oreille comme pour raffermir les signaux qu’elle capte. « Du changement de l’autre côté ? »

 

 

 

« Négatif, Colonel. Ils ne savent toujours pas que nous sommes ici, ils pensent que les hélicoptères faisaient juste de la reconnaissance. Ils n’ont pas vu Manny s’en sortir non plus. »

 

 

 

Maggie secoue la tête avec perplexité. «C’est pas que je les aime beaucoup, mais je ne peux pas m’empêcher d’apprécier un ennemi qui ne pense rien sans qu’on lui en donne l’ordre. »

 

 

 

« Ce qui est réellement intéressant, » ajoute Koda, « c’est qu’aucun humain ne semble avoir capté ce qui se passait. »

 

 

 

« Vous croyez ? »

 

 

 

« Je pensent que certains d’entre eux l’ont compris. Mais ils ne disent rien. »

 

 

 

« C’est probable. Nous le saurons avec certitude très bientôt. » dit Maggie. Après un long moment, elle ajoute : « Faites passer l’ordre d’épargner les humains autant que possible, mais s’ils tirent sur nous, ils deviennent des cibles eux aussi. »

 

 

 

Koda répète l’ordre en Lakota et est soulagée de constater que le nouvel officier aux côtés de Jurgensen est son bon à rien de cousin. « C’était juste. » lui dit-elle, après qu’il ait confirmé la réception et transmis l’ordre en anglais au major.

 

 

 

Il rit. « Le médecin a bourré mon bras de novocaïne et l’a attaché sur le côté. Mais ma langue fonctionne encore très bien. Et le Major est enchanté, il n’a plus besoin de se prendre la tête sur sa liste de vocabulaire. »

 

 

 

« Et ici, nous avons un Colonel soulagé de retrouver son pilote en un seul morceau. »

 

 

 

« Elle n’est pas la seule. Sois prudente, cousine. Wikcemna-topa. »

 

 

 

« Wikcemna-topa. »

 

 

 

En-dessous d’elles, la colonne ennemie recommence à se diriger lentement vers le pont. Koda se surprend à serrer les dents et se force à relâcher ses muscles, alors qu’elle suit leur progression. Allez, allez, allez, chantonne-t-elle silencieusement. Quand le premier soldat pose son pied sur le pont, elle sent son corps se détendre.

 

 

 

« Ok, c’est bon. Ils y sont.» murmure Maggie. « On va attendre que le mortier soit engagé sur le pont d’une dizaine de mètres au moins avant que vous donniez l’ordre à Tacoma de l’abattre. »

 

 

 

Koda regarde s’avancer leur ennemi, les humains d’abord, qui atteignent maintenant l’autre rive. Ils sont assez près pour que Koda puisse entendre le bruit de leurs pas. Les droïdes viennent ensuite, leurs pieds de métal résonnant contre le pavement.

 

 

 

Le premier des camions qui roulent encore s’engage sur le pont, suivi par les deux tanks qui restent. Le mortier se déplace lentement, et est encore à une vingtaine de mètres de la rive opposée.

 

 

 

« Presque, » murmure Maggie. « Presque… »

 

 

 

« Rien d’anormal dans leurs échanges, Colonel. » informe Kirsten. « Ils ne se doutent de rien. »

 

 

 

Un longue pause. Puis : « Rivers, donnez l’ordre. »

 

 

 

Koda empoigne le micro. « Wana, thiblo. Ceyakto ihagyeye. » (NDLT : Maintenant. Détruisez le pont.)

 

 

 

« Washte, » répond brièvement Tacoma. « Wikcemna-topa. »

 

 

 

Les secondes qui suivent semblent interminables. Quand enfin elle survient, l’explosion retentit comme un coup de tonnerre, ébranlant le sol sous leurs pieds et faisant trembler les rochers de la colline où elles se trouvent, et secouant les branches des arbres. En dessous de l’armée en mouvement, les pylônes commencent à trembler. Une fêlure fend l’asphalte du pont ; le bruit est aussi net qu’un coup de fusil, mais mille fois plus puissant.

 

Le pont s’affaisse en son milieu, ses deux pans s’inclinant vers l’eau, précipitant humains et machines dans le courant rapide de la Cheyenne. Un nuage de poussière et de fumée recouvre le pont et la rivière d’un linceul gris sale, qui s’étale dans les champs et rattrape les soldats qui venaient de traverser, les enveloppant et les aveuglant de telle sorte qu’ils se perdent au milieu des mines placées sur et au bord de la route. Atténuées par la brume et la distance, les explosions des mines anti-personnelles parviennent jusqu’à la colline, entremêlées avec les cris des victimes ennemies. Koda voit des humains, des restes d’humains aussi, tomber à l’eau, ainsi que des morceaux d’androïdes soufflés par la force des explosions. Le vent amène l’odeur âcre de la dynamite et du plastic, ainsi que celle du sang. « Washte, » murmure-t-elle, et elle lève les yeux vers les collines sacrées de Paha Sapa

 

 

 

Tacoma et ses soldats, au nombre de quatre cents, affluent pour couper toute retraite à l’ennemi et les repousser vers la rivière. Il saute de rocher en rocher aussi agilement qu’un chat sauvage, une moitié de ses troupes directement derrière lui, l’autre moitié se déployant en éventail pour bloquer la route. Il respire avec facilité, son cœur bat au même rythme que le chant de guerre qui coule dans ses veines. Il lutte pour garder une vision claire de l’espace devant lui, combattant l’instinct de prédateur qui pourrait rétrécir sa vision de l’ennemi. Depuis sa position en hauteur, il peut voir que le plus petit contingent d’hommes de Jurgensen de l’autre côté de la rivière est sorti des bois et qu’il charge les humains et les androïdes domestiques qui sont maintenant bloqués entre eux et les mines. Les droïdes militaires et leurs véhicules commencent à tourner en rond, ne sachant quelle direction prendre.

 

 

 

Il sent le sol trembler et avec un bruit pareil à celui que feraient tous les frelons de la terre s’ils bourdonnaient ensemble, un mortier de 81 mm envoie un obus par-dessus leurs têtes en direction des derniers camions dans la colonne ennemie. Au point d’impact sur la route, de la neige mêlée de terre jaillit vers le ciel. Tacoma se jette derrière un rocher, le reste de son contingent le suivant de près. « Vous êtes trop haut, les gars ! » crie-t-il dans sa radio. « Et un peu court de quelques degrés ! »

 

 

 

Le prochain obus atteint les premiers rangs des démoniaques robots.

 

Ce ne sont pas seulement des humains artificiels avec des armes ou des hommes de métal avec une puce à la place du cœur. Ce sont les meilleures armes du Pentagone, ou les pires, vaguement humanoïdes, et capables de résister aux tanks… Leurs têtes sont truffées de capteurs infrarouges, capables de localiser leurs ennemis grâce à leur chaleur corporelle aussi bien que par leur silhouette. Leurs bras et leurs mains sont constitués par des mitrailleuses dont les munitions sont logées dans le long rectangle de leur thorax de titane. Certains avancent grâce à des boîtes de vitesse, d’autres dans une parodie de la démarche humaine grâce à des sortes de membres se terminant par des imitations de pieds. Ils progressent d’une démarche chaloupée, presque décontractée.

 

Avec un grincement métallique, ils commencent à s’avancer vers la troupe tapie au bas de la colline, les armes qui remplacent leurs mains semant la mort. Tacoma entend siffler les balles au-dessus de sa tête et le bruit mat qu’elles provoquent en frappant les rochers derrière lui.

 

 

 

Un autre obus atteint sa cible cette fois-ci et freine leur avance. Tacoma hurle : « C’est bien ! Continuez comme ça ! »

 

 

 

Dans sa vision périphérique, il aperçoit un second groupe en mouvement, leurs pieds de métal creusant la neige en se dirigeant vers la compagnie qui est maintenant déployée en travers et de l’autre côté de la route. Il y a une certaine beauté terrifiante à les voir avancer inexorablement vers les lignes des humains, le soleil faisant étinceler leur corps de métal comme des météorites, même quand les artilleurs cachés derrière les rochers et le mortier commencent à tirer sur eux, ils ne ralentissent pas. Tacoma compare cela à une sorte de danse. Les ordinateurs contenus dans les droïdes calculent la cadence des tirs et la position du mortier, puis ils s’élancent vers l’avant par intervalles afin de se placer juste derrière ou à côté du feu de l’artillerie. Quand les tirs les atteignent, toutefois, de grands cratères se forment sur le sol, jonchés de débris métalliques.

 

 

 

Tacoma les regarde avancer, inexorablement et d’une façon irréfléchie, comptant les secondes jusqu’au moment où ils seront à la portée d’armes moins sophistiquées. Des brèches apparaissent dans leurs rangs, pourtant ils avancent toujours. Calmement, Tacoma parle dans la radio : « Presque presque. Que chaque unité se prépare à tirer ; rappelez-vous de ne pas gaspiller vos munitions sur ces boîtes de conserve. »

 

 

 

Allez, amenez-vous, bande de salopards, amenez-vous. C’est presque une prière.

 

 

 

« Thiblo ! » Sa radio revient à la vie. « Wana ! Khuteye ! » (NDLT : Maintenant ! Feu !)

 

 

 

« Ok ! » rugit Tacoma. « Envoyez-les en enfer ! » En se retournant, il voit les lance-roquettes se mettre au travail et…

 

 

 

… balayer les rangs des droïdes, arrachant leurs têtes munies de capteurs, et creusant d’énormes trous dans ce qui devraient être des poitrines et des abdomens. Koda ne peut voir chaque droïde s’effondrer mais elle constate les flammes soudaines causées par chaque tir atteignant sa cible et le mouvement des lignes qui se reforment et continuent encore d’avancer, plus lentement, vers les troupes menées par son frère. Les détonations des armes parviennent jusqu’à elle, se répercutant sur la surface de l’eau et les montagnes plus au nord-ouest.

 

 

 

« Kirsten, vous captez quelque chose ? »

 

 

 

Kirsten, à l’arrière du camion, ajuste son casque et écoute intensément. « Négatif. Aucun ordre de retraite pour le moment. »

 

 

 

Derrière elle, Maggie abaisse ses jumelles et remarque : « Ce plan dépend de ce que devraient logiquement faire ces foutues machines. Si leur code de survie ne se lance pas bientôt, on l’a dans le cul ! »

 

 

 

 

 

 

Koda redirige ses jumelles en direction du champ de bataille. Des débris de droïdes jonchent le sol un peu partout, reflétés par les rayons du soleil, mêlés à ceux des tanks et des camions. Après ce qui semble une éternité, leur avance en direction des troupes de son frère semble enfin ralentir, les lignes droïdes ayant de plus en plus de peine à se reformer après chaque vague de tirs. Les mortiers continuent de semer la destruction.

 

 

 

« Ils devraient être bientôt à cours de munitions. » dit Koda.

 

 

 

Maggie grimace. « Eux ou nous ? » Puis elle continue : « La bonne nouvelle se trouve de l’autre côté. Regardez. »

 

 

 

Plus près d’elles, sur la rive sud-est, les hommes de Jurgensen harcèlent ce qui reste des ennemis, humains et droïdes domestiques en les repoussant vers la rivière. De nombreux corps sont éparpillés dans le champ, les humains identifiables aux taches rouges qui colorent la neige autour d’eux. Ici et là, des silhouettes sont agenouillées, les mains liées dans le dos. Des prisonniers laissés là et qui attendent. Personne ne peut perdre du temps à les escorter dans la sûreté relative des bois.

 

 

 

« Et voilà la Convention de Genève qui passe à la trappe. » observe Koda.

 

 

 

Maggie observe le champ avec ses jumelles. « Je m’attendais à ce qu’il y en ait davantage qui se rendent. Ça ne me plaît pas qu’il y en ait si peu. Ça ne me plaît pas du tout. »

 

 

 

« Ils ont fait ça pourquoi ? Ces salopards dans les prisons collaboraient pour sauver leur peau, mais eux-ci… »

 

 

 

« Des menaces. Des promesses. » l’interrompt Maggie. « La haine. Chacun… »

 

 

 

 

Une exclamation de Kirsten l’empêche de continuer. « C’est fait ! Je viens de capter le code donnant l’ordre de la retraite. Ils vont se regrouper près de la rivière et tenter d’y attirer nos troupes. »

 

 

 

Koda voit la poitrine de Maggie s’élever en un soupir de soulagement. « Bien. Remercions Dieu que le fils de pute qui a programmé ces foutues machines ne leur a pas inculqué le sens de la tactique. »

 

 

 

Mais Kirsten secoue la tête. « Quelqu’un a dû le faire. Ils ne vont pas juste se retirer, ils veulent essayer de traverser la rivière. »

 

 

 

« Merde. » laisse échapper Maggie. Suivant son regard, Koda voit ce que redoute l’autre femme. Leurs troupes ont acculé l’ennemi contre la rivière et les champs de mines sur la rive. Mais si les droïdes parviennent à retraverser sur les vestiges du pont, la meilleure défense restera les tireurs cachés dans les bois. Ils n’ont pas d’armes de précision et leurs propres soldats pourront être tués, sans possibilité de faire la distinction.

 

 

 

Un mouvement à la cime des arbres attire son attention. Très haut, telle une ombre dans les profondeurs azur du ciel, un oiseau de proie plane en larges cercles, profitant d’un courant d’air chaud. Son cri leur parvient dans la brise, haut et perçant…

 

 

 

… et Tacoma tourne la tête pour voir tomber un de ses hommes, une flaque de sang et de cervelle à la place de sa tête. Une ondulation semble passer à travers les rangs des droïdes, et sans avertissement, ils tournent le dos et commencent à s’engager sur le pont. Le son du mortier retentit, faisant jaillir un nuage de poussière et de neige parmi eux mais n’en envoyant au sol pas plus d’une demi-douzaine. Et deux d’entre eux parviennent à se relever, avec raideur, et suivent les autres en direction de la rivière.

 

 

 

 

 

« Merde ! » Tacoma saute sur ses pieds, s’adressant à l’escadron derrière lui. « Ils vont vers le pont, ils vont essayer de traverser ! » Puis dans son micro : « Ils se retirent ! »

 

 

 

« Bien reçu ! » répond un artilleur au milieu des parasites. « Je vais mettre un guetteur en place. Laissez-moi mettre un peu de distance entre vous et eux. »

 

 

 

« Continuez de tirer tant que vous avez des munitions ! Peu importe où se trouve quiconque ! »

 

 

 

« Serg… »

 

 

 

« Bon sang ! Vous continuez de tirer, c’est compris ? Ils n’ont pas les armes pour contrer ces choses de l’autre côté ! Il faut qu’on les détruise avant qu’ils aient réussi à traverser ! Pigé, non de Dieu ? »

 

 

 

« Bien reçu. » répond l’artilleur. Une seconde plus tard, un nouveau tir de mortier passe au-dessus de la tête de Tacoma, et atterrit dans les rangs des droïdes en pleine retraite. Il creuse un trou satisfaisant parmi eux, en laissant une douzaine à terre.

 

 

 

Le monde de Tacoma se rétrécit maintenant jusqu’à une petite sphère où le seul son consiste en une cacophonie d’explosions : mortiers, grenades, roquettes. Ses actions deviennent mécaniques, répétées aussi par ses troupes le long de la ligne de tir. Ils sont moins nombreux qu’avant ; d’après ce qu’il voit, il a perdu un quart de ses soldats. Un groupe d’hommes et de femmes, certains boitillant, d’autres avec une jambe ou un bras en sang, se déplacent vers l’avant sur la route.

 

 

 

Les lance-roquettes continuent de faire feu. Encore et encore.

 

 

 

Et les droïdes continuent de tomber, l’un après l’autre, dans les éclaboussements de terre et de neige. L’avance de ses hommes, pas à pas, laisse des traces de sang sur la neige.

 

 

 

Une partie de ce sang est le sien. Quelque chose, il ne sait pas exactement quoi, l’a atteint au front. Sans cesser d’avancer, il essuie le sang qui coule entre ses yeux. Et il continue, sans penser à rien d’autre.

 

 

 

Recharger.

 

 

 

Tirer

 

 

 

Encore et encore.

 

 

 

« Qu’est-ce que c’est que ça ? »

 

 

 

Koda fait pivoter le M-16 sur son épaule et saisit ses jumelles. Un filet de poussière apparaît sur la route à mi-chemin de la colline où elles se trouvent. « On dirait deux Jeeps. »

 

 

 

Maggie détourne son attention du champ de bataille pour observer les véhicules. « Deux Jeeps contenant une bande de pilotes idiots. »

 

 

 

Quand le petit convoi devient plus clairement visible, Koda reconnaît le visage couvert de taches de rousseur d’Andrews au volant du premier véhicule. Il est toujours vêtu de son uniforme et son casque de pilote et conduit la Jeep avec la même désinvolture que son Black Hawk ; certains des hommes qui l’accompagnent se sont changé et ont revêtu une tenue de combat. Le véhicule est surchargé d’armes : un M-60, des lances-grenades et des lance-roquettes.

 

 

 

« On arrive jamais à s’en débarrasser. »remarque Maggie âprement, mais il y a autant d’exaspération que de fierté dans sa voix.

 

 

 

 

« Vous leur montrez l’exemple, Colonel. » répond Kirsten avec calme. Koda se retourne promptement vers elle mais il n’y a aucune ironie sur le visage de l’autre femme. Cela lui plaît d’une manière qu’elle n’a pas le temps d’analyser.

 

 

 

Maggie aussi l’a pris comme un compliment. Elle grimace : « Je n’ai jamais su quand il fallait laisser tomber. »

 

 

 

Une dernière pente raide et les Jeeps freinent en grinçant devant les camions du centre de commandement. Andrews descend et salue vivement, à la fois Maggie, Koda et Kirsten, dans le même geste. « La troisième compagnie des Fous volants au rapport, m’dame. »

 

 

 

Maggie le regarde de haut en bas avec un air glacial et menaçant. «Vous avez envie d’en découdre hein ? »

 

 

 

« OUI, M’DAME ! »

 

 

 

« Bon, alors voilà ce qu’… »

 

 

 

« Colonel ! » La voix de Kirsten les coupe dans leur badinage. « Les droïdes ont presque atteint la tête du pont. Le Sergent Rivers va essayer de les prendre de front, mais il ne pense pas parvenir à tous les arrêter. »

 

 

 

Maggie retrouve immédiatement son sérieux. « Et ? »

 

 

 

« Il demande l’autorisation d’être couverts par le mortiers dans les bois. »

 

 

 

Le visage de Maggie pâlit. Puis, calmement : « Dites à Jurgensen de tirer sur ce qui reste du pont. On va d’abord essayer ça. »

 

 

 

 

Kirsten retourne à son micro, y retransmettant les ordres en anglais. La bataille a atteint le stade de la mêlée maintenant ; la stratégie de la surprise n’est plus possible. La peur saisit Koda à la gorge. Pilonner le pont peut leur faire gagner du temps, mais c’est juste en désespoir de cause. Il faudrait un mortier beaucoup plus gros que le leur pour le détruire complètement. Sans un mot, elle reporte ses jumelles sur le combat au nord-ouest du pont. Une compagnie de droïdes militaires avance lentement en direction de la tête du pont, flanquée d’un côté d’un plus petit contingent d’humains, qui se servent de lance-roquettes et de grenades. Les troupes sur le côté sud-est sont totalement engagées dans le combat avec ce qui reste des droïdes domestiques accompagnés d’autres humains ; ils ne peuvent se séparer d’aucune de leurs forces.

 

 

 

Elle cherche quelqu’un sur la rive, un homme, un seul. Tacoma se trouve là-bas, elle le sait. Elle ne peut distinguer son visage ou sa silhouette sous l’uniformes de Polartec, mais il y a un soldat qu’elle reconnaît avec certitude en avant des autres : son frère.

 

 

 

Son frère Tacoma, qui vient juste d’ordonner une attaque sur sa propre position.

 

 

 

Une ombre rouge passe devant ses yeux. Sa vision se rétrécit et fixe le point où elle sait le trouver, en train de courir, se couchant quand il le peut derrière une butte, utilisant son lance-roquettes quand c’est faisable. Son ouie fine lui permet d’entendre le son du M-16 lorsque les balles touchent la peau métallique des droïdes ; le cri insupportable d’un soldat touché en plein ventre lui parvient, alors que son sang coule entre ses doigts. Le vent lui amène une odeur chaude et métallique. A peine consciente de ce qu’elle fait, elle passe sa langue sur ses lèvres, goûtant la richesse de ce parfum.

 

 

 

Avec des mouvements qui lui semblent pesants, elle se débarrasse de son arme et laisse tomber les jumelles sur le sol de la colline. Deux longues enjambées l’amènent vers une des Jeep, et elle s’installe sur le siège du conducteur. Des voix l’agressent, un mélange de mots auxquels elle ne prête aucune attention.

 

 

 

KODANONSTOPATTENDS

 

 

 

MDAMEVOUSNEPOUVEZPAS

 

 

 

ATTENDSMOIAUMOINSIDIOTE

 

 

 

Et elle lance la Jeep vers le bas de la colline, l’accélérateur au plancher, sur une pente à quarante degrés, dans une course folle qui pourrait certainement être sa dernière, mais d’une manière ou d’une autre, elle parvient à garder son véhicule sur la route. Il y a d’autres personnes à bord avec elle, une grande femme élancée au visage basané qui crie quelque chose dans ses oreilles et une autre plus petite, dont la chevelure semble s’enflammer sous le soleil, et qui crie elle aussi de façon inintelligible. Derrière elle, elle entend le rugissement d’autres engins qui foncent comme elle en direction du combat, vers le pont. Quand la Jeep s’engage dans le champ au bas de la colline, un tir de mortier passe par-dessus leurs têtes et va exploser sur l’entrée du pont, en mettant en pièces une partie de son socle, mais sans autre grand dommage que de la poussière. Mais les tirs de mortier continuent les uns après les autres. Encore et encore.

 

 

 

Dans la périphérie de sa vision, Koda aperçoit une silhouette au milieu des débris de ciment et des dalles de béton amassées les unes sur les autres, ressemblant ainsi à une étrange formation rocheuse. Elle passe une vitesse et engage la Jeep en direction du pont, se frayant un chemin entre les cratères dus aux grenades et les restes des droïdes. Son casque est tombé et sa chevelure se déploie derrière elle. Une puissante clameur retentit près d’elle mais elle n’y prête pas attention, notant seulement sur le côté un équipage semblable au sien, semblant surgir de nulle part, mais mitraillant de façon désespérée les armures métalliques des androïdes.

 

 

 

A quelques mètres de l’entrée du pont, Koda freine brutalement, la projetant presque au-dehors du véhicule. Saisissant un lance-grenades à l’arrière, elle s’élance vers le pont, ses yeux fixés sur la silhouette solitaire, dissimulée derrière un pylône brisé, et tirant sur les droïdes qui s’avancent. Derrière elle, quelqu’un crie. CESSEZ LE FEU ! CESSEZ LE FEU BORDEL ! Le pont tremble sous ses pieds alors qu’elle saute de débris en débris. Elle empoigne un morceau de pilier afin de se stabiliser et fait feu. Elle se déplace ensuite d’un mètre vers l’avant et s’agenouille pour tirer à nouveau sur les démons de fer qui avancent toujours. Elle est vaguement consciente des voix derrière elle, criant son nom ou peut-être des injures, ou des cris de guerre, elle ne peut le dire et s’en moque. Elle entend le bruit des armes derrière elle toutefois et voit que beaucoup d’autres droïdes tombent. Merci Ina Maka. Cette pensée traverse son esprit, mais n’effleure pas la partie de son cerveau qui la pousse en avant, commandant à ses bras de faire feu, encore et encore jusqu’à ce que les droïdes regroupés sur la tête du pont tombent un à un, certains dégringolant dans la rivière au-dessous d’eux.

 

 

 

Ils sont de moins en moins, se dressant entre elle et les collines proches, et enfin, il n’en reste aucun. Elle fixe alors un visage à quelques centimètres du sien, ses doigts enserrés dans une large main et entend une voix répéter : « Tanski ? Tanski ? Koda, ça va ? Réponds-moi ! »

 

 

 

Lentement, le monde redevient distinct autour d’elle. Elle se retrouve face aux yeux bruns de son frère et son visage sali là où le sang et les éclats de ciment ont creusé des sillons, effaçant à moitié les peintures de guerre. Autour d’eux règne un silence étrange, plus de tirs, plus de cris. Elle entend les remous de la Cheyenne là où les débris du pont ont formé des petits rapides.

 

 

 

 

 

Lentement, elle regarde autour d’elle. Andrews est perché sur une dalle de béton, les dents serrées, ôtant sa chaussure gauche pour révéler une cheville déjà bien enflée. Il faut que j’aille m’occuper de ça, pense-t-elle vaguement. Maggie, derrière elle, est appuyée contre le tube d’un lance-roquettes. Une traînée de sang souille sa jambe droite, mais son visage est radieux. Kirsten, le visage aussi pâle que ses cheveux, frotte son épaule, là où un débris de grenade a laissé une marque imprimée dans sa veste.

 

 

 

Le regard de Koda retourne à ses mains, en sang, écorchées par sa traversée du pont. Doucement, elle les retire de celles de Tacoma et regarde à nouveau autour d’elle, englobant le champ de bataille avec ses morts et les mouvements des survivants, déambulant parmi les corps, cherchant les blessés.

 

 

 

Elle revient vers Maggie, puis vers son frère. « On a gagné ? »

 

 

 

« Ouais. » répond-il, glissant ses mains sous ses bras et les relevant tous les deux. Il est encore plus grand qu’elle et elle doit lever la tête pour le regarder. Lentement, il la force à se retourner vers les autres. Elle a de la peine à retrouver ses esprits ; une part d’elle est encore Koda Rivers, bien sûr, mais elle se sent tiraillée, comme si son être et sa substance-même se mélangeaient à celle de son frère, de Maggie, de Kirsten, avec les pensées d’Andrews sur son perchoir et les hommes dispersés sur le champ de bataille.

 

 

 

« Putain, c’est la chose la plus incroyable que j’ai jamais vue, M’dame. Comme un truc sorti d’un bouquin. » dit Andrews, avec à l’esprit des images de Lancelot se ruant derrière un dragon, d’un général grec traversant un col, d’un homme aux cheveux longs vêtu d’un kilt et brandissant une épée presque aussi grande que lui.

 

 

 

 

Maggie lui lance un regard, un brin amusée par son ton presque adorateur, mais pourquoi pas, puisque c’est effectivement l’acte le plus brave qu’elle ait vu de toute sa vie. Elle se dit que la fierté qu’elle ressent envers cette femme est totalement irrationnelle ; elle ne lui a rien appris, et pourtant la fierté est bien là. De la fierté et du regret. Elle jette un regard bref vers le ciel où l’oiseau de proie plane toujours et comprend que c’est la fin de quelque chose ; une fin, qui comme les cercles de cette buse, est aussi un commencement. Elle laisse tomber son lance-roquette parmi les débris qui jonchent le pont et s’avance pour passer un bras autour des épaules de Koda. « Tu étais née pour ça. » dit-elle simplement.

 

 

 

Le regard de Koda est un peu vague, elle n’est pas encore revenue à la réalité qui l’entoure. « C’est toi qui commande. Tu m’as suivie. »

 

 

 

Maggie sourit. « Tu ne nous as pas vraiment laissé le choix. Tu es partie sans un mot, c’était où te suivre tout de suite ou rester derrière. »

 

 

 

Les mots viennent frapper l’esprit de Kirsten. Rester derrière, rester derrière, seule. Et soudain, elle sait. De la même façon qu’elle sait que son dos lui fait mal là où elle s’est froissé un muscle dans la Jeep lors de sa folle course, pour ensuite se précipiter parmi les dalles de béton en utilisant une arme qu’elle n’avait jamais tenue auparavant. Elle sait qu’elle n’est pas seule. Quelque part dans les profondeurs de son esprit, une image se forme, celle d’une femme aux cheveux noirs vêtue d’une robe ornée de perles, lui promettant… semble-t-il, cette autre femme qui vient juste de tous les emmener au combat, tirant d’eux une passion et un courage qu’ils ne savaient pas posséder. « Hé. » dit-elle en s’approchant pour supporter Koda elle aussi. « Si on s’éloignait d’ici pour soigner vos mains. »

 

 

 

Koda sent leurs bras autour d’elle, Tacoma la soutenant à moitié derrière son dos, et ils s’avancent lentement sur le pont. C’était plus facile tout à l’heure quand elle ne pensait à rien d’autre, se dit-elle. Par deux fois, elle trébuche et manque de tomber. Quelque part, quelqu’un se met à crier. D’abord un homme, puis un autre, et encore un autre, jusqu’à ce que toute la troupe pousse des acclamations. Certains soldats lèvent leur arme d’une manière qu’elle estime plutôt dangereuse. Elle trouve étrange que Maggie n’y trouve rien à redire. « Qu’est-ce qui leur arrive ? » demande-t-elle. « Pourquoi tout ce vacarme ? »

 

 

 

« C’est pour vous. » répond Kirsten. « Faites-leur un signe. »

 

 

 

« Hein ? » Ça n’a pas de sens. Je n’ai pas bu pourtant. Je dois avoir perdu l’esprit. Cette pensée est pourtant étonnamment claire.

 

 

 

« Fais-leur un signe. » répète Maggie. « Ils ont combattu bravement. Ils méritent notre reconnaissance. »

 

 

 

Koda lève un bras et fait signe à la troupe. Leurs acclamations, et c’est bien d’acclamations qu’il s’agit, elle le comprend soudain, deviennent de plus en plus intenses.

 

Mais son bras s’abaisse rapidement, et elle sent ses jambes trembler, prise de faiblesse. « Désolée, je ne peux pas faire plus. » dit-elle.

 

 

 

Maggie la soutient plus fermement, Kirsten fait de même de l’autre côté. « Ok, » dit-elle avec le ton le plus scientifique qu’elle connaisse. « que quelqu’un d’autre prenne la place du héros. Il faut que vous vous reposiez. »

 

 

Table des matières

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