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INSURRECTION16

Page history last edited by PBworks 15 years, 10 months ago

INSURRECTION

 

De Sword'n'Quill (Susanne Beck)

 

SwordnQuil@aol.com

 

écrit avec T Novan et Okasha

 

 

Traduction : Kaktus et Fryda

 

Table des matières

 

 

 

CHAPITRE SEIZE

 

 

 

La pièce est aussi sombre qu’un secret coupable. Seule la faible lueur du hall d’entrée éclaire un coin du tapis. Elle s’arrête au bout du lit et ne va pas plus loin, comme si elle n’osait pas déranger la vigile installée là.

 

 

 

Kirsten est assise sur une chaise qui a connu des jours meilleurs, regardant Koda, qui est si profondément inconsciente qu’elle semble morte. Seul le léger mouvement de sa poitrine qui s’élève et s’abaisse rassure sa silencieuse observatrice. Ses mains bandées reposent paisiblement sur le couvre-lit noir.

 

 

 

Dakota paraît petite, presque fragile, comme une enfant perdue dans le lit de ses parents. Kirsten, la gorge serrée, cligne des yeux pour éclaircir sa vision. Elle tressaille au bruit soudain dans le couloir.

 

 

 

Maggie entre dans la chambre, portant deux tasses fumantes. Elle s’approche de Kirsten, un léger sourire aux lèvres et lui en tend une. « J’ai pensé que vous en auriez besoin. »

 

 

 

Kirsten se saisit avidement de la tasse, l’enveloppant de ses mains glacées et inhale l’odeur réconfortante avec un soupir de plaisir. « Merci. C’est parfait. » Prenant une petite gorgée, elle garde le café dans sa bouche un instant, le savourant avant de l’avaler. « Dieu vous bénisse, Colonel. » souffle-t-elle. « C’est exactement ce que le médecin allait me prescrire. »

 

 

 

« Etant donné que vous êtes assise dans ma chambre, » répond Maggie en souriant, « je pense qu’on peut être dispensées des formalités, non ? »

 

 

 

Kirsten la regarde avec une expression de culpabilité presque enfantine et fait mine de se lever, mais Maggie l’en empêche. « Non, c’est ok. Restez. » Son sourire d’abord narquois s’adoucit. « J’ai un étrange sens de l’humour parfois. »

 

 

 

Kirsten lui retourne un sourire hésitant. L’espace entre elles est un abîme qu’elle souhaiterait soudain pouvoir traverser.

 

 

 

Si seulement elle savait comment.

 

 

 

Maggie va s’asseoir au fond du lit. Koda n’a pas un seul mouvement. La Colonel capture le regard de Kirsten. « Vous avez été très impressionnante là-bas. » murmure-t-elle. « Je ne savais pas que vous saviez tenir un lance-grenades. » Ses lèvres s’écartent en un nouveau sourire. « Vous avez appris ça en lisant ‘La bionique pour les nuls’ ? »

 

 

 

Cette fois, Kirsten comprend la plaisanterie et a un petit rire, levant sa tasse en direction de Maggie. Mais elle redevient sérieuse. « J’étais complètement terrifiée. » reconnaît-elle en regardant vers la forme silencieuse étendue sur le lit. « C’était comme… Je ne sais pas… comme si je savais ce qu’elle allait faire avant qu’elle le fasse. Et je savais que je ne resterais pas en arrière.» Elle déglutit avec difficulté, alors que des souvenirs diffus viennent brouiller sa vue. « Pas cette fois-ci. »

 

 

 

Maggie hausse un sourcil interrogateur. Kirsten se débarrasse de la question silencieuse en fermant délibérément les yeux. Quand elle les rouvre, elle a retrouvé son self-control et son sourire est naturel et spontané. « C’était un sacré spectacle de la regarder, non ? »

 

 

 

« Oui. » répond Maggie. « J’étais presque convaincue de voir un vieux film avec John Wayne. »

 

Elle fronce les sourcils d’irritation. « En tant que militaire, je suis furieuse contre elle. C’était extrêmement imprudent et dangereux. » Elle hausse les épaules. « Mais ça a marché, et nous sommes en vie pour le raconter. Je suppose que c’est tout ce qui compte finalement.

 

 

 

« Cela signifie que vous n’allez pas lui passer un savon plus tard ? » questionne Kirsten avec un petit sourire.

 

 

 

Maggie ricane. « Comme si je le pouvais. »

 

 

 

Kirsten redevient sérieuse, regardant vers Koda. « Parce qu’il y aura un ‘plus tard’, n’est-ce pas ? » Elle tressaille à nouveau au contact de la main chaude qui saisit son poignet.

 

 

 

« Il y en aura un. » affirme Maggie sur un ton qui ne laisse place à aucune contradiction. « Les choses comme ça… lui prennent une grande partie de son énergie. Pratiquement toute son énergie, je pense. » Elle regarde Koda avec un regard chaud et affectueux. L’adoration sur son visage provoque un bref sentiment d’inconfort chez Kirsten mais elle le repousse brutalement. « Il lui faut juste un peu de temps pour recharger ses batteries, et elle ira bien à nouveau. »

 

 

 

Quand Maggie relâche son poignet, Kirsten termine de boire son café puis fait mine à nouveau de se lever. « Je…euh… »

 

 

 

« Non. Restez. »

 

 

 

Kirsten regarde Maggie, les yeux écarquillés.

 

 

 

Cette dernière sourit. « Restez. Il faut que j’aille leur dire qu’elle va bien et je dois faire mon rapport au général. Je ne pense pas être de retour avant demain matin. Et… » Elle prend une profonde inspiration, décidant d’opter pour la vérité, même si les mots sont comme des éclats de verre dans sa bouche. « Je pense qu’elle sait que vous êtes ici, et je pense que c’est très important pour elle. »

 

 

 

« Mais… »

 

 

 

« S’il vous plaît. »

 

 

 

Contrôlant ses émotions, Maggie quitte son poste au pied du lit et traverse rapidement la pièce. Une voix douce l’arrête.

 

 

 

« Maggie ? »

 

 

 

Elle ne peut se retourner, mais Kirsten sait qu’elle l’écoute.

 

 

 

« Merci. »

 

 

 

Incapable de parler, par peur que sa voix ne la trahisse, Maggie hoche la tête et sort de la pièce.

 

 

 

 

**************

 

 

 

Les yeux fermés, Koda se sent flotter dans le courant de… quelque chose. De l’air, de l’eau, elle ne peut le dire, mais ça ne la préoccupe pas. Ce n’est ni froid ni chaud et la brise – ou du moins ce qu’elle pense être de la brise – l’enveloppe d’un parfum de printemps et de soleil.

 

 

 

Et sous le courant, elle sent la mer, et la terre fertile qui vient d’être retournée. Presque maternelle. Promettant une naissance ou une renaissance.

 

 

 

Les parfums d’un secret.

 

 

 

« Cela doit être comme ça quand on se trouve encore dans le ventre de sa mère. » murmure-t-elle, ne souhaitant pas ouvrir les yeux, de crainte de perdre cette paix.

 

 

 

Un rire chaud roule sur elle, tel un orage d’été. « Ta sagesse grandit, Tshunka Wakan Wacignuni. »

 

 

 

Se soumettant à l’inévitable, Koda ouvre les yeux et se retrouve baignée dans le regard affectueux d’Ina Maka. « La louve errante ? »

 

 

 

La Mère de toutes choses ouvre grand les bras. « Ça colle plutôt bien, tu ne trouves pas ? »

 

 

 

Koda regarde autour d’elle. Une infinité de couleurs dansent et s’enroulent au rythme de ce qu’elle reconnaît comme le véritable cœur de la terre. Il est plus beau que tout ce qu’elle a jamais vu et son âme en a presque mal. « Je suppose. » murmure-t-elle, fascinée. « Quel est cet endroit ? »

 

 

 

« Il est connu sous différents noms. Je préfère l’appeler Thamni Ina. »

 

 

 

« L’utérus de la Mère. »

 

 

 

« Exactement. C’est un endroit où guérir et se reposer. Tu es toujours la bienvenue ici, Wacignuni. »

 

 

 

« C’est si beau… » Son ton est respectueux et une partie d’elle-même, la partie humaine, tente de se cacher le visage ; elle se sent intimidée, insignifiante, ne méritant pas un si grand honneur. « Ina Maka, je… »

 

 

 

« Chhhut. » lui répond la Mère en posant une main chaude sur les yeux de Koda pour les fermer avec douceur. « Repose-toi, ma Fille. Retrouve tes forces. Tu en auras besoin pour le voyage qui t’attend. »

 

 

 

Incapable de combattre cette force irrésistible, Dakota s’abandonne dans l’étreinte de la Mère Suprême. L’allégresse l’envahit alors que l’énergie combinée de la terre et du courant viennent la frapper comme une rivière qui polit des pierres. Elle pousse un cri d’extase et sa voix est avalée, se mêlant à l’énergie tournoyante ; sa voix et son allégresse deviennent elles aussi une part de la danse éternelle.

 

 

 

********

 

 

 

Entendant un faible gémissement, Maggie cligne des yeux et ferme le livre qu’elle tentait de lire depuis plusieurs heures. Un sourire éclaire ses traits quand elle voit les paupières de Koda tressaillir- le premier signe de vie qu’elle montre depuis des jours.

 

 

 

Elle s’approche du lit, et touche l’avant-bras de Dakota, afin que si elle se réveille trop rapidement, elle ne déloge pas le goutte-à-goutte qui y est fixé.

 

 

 

Des yeux d’un bleu arctique s’ouvrent, leur couleur se réchauffant quand ils rencontrent le visage souriant de Maggie.

 

 

 

« Bienvenue. » murmure Maggie, serrant doucement son poignet.

 

 

 

« Combien… » S’éclaircissant la voix, elle reprend. « Combien de temps ? »

 

 

 

« Trois jours. »

 

 

 

Les yeux de Dakota s’écarquillent, puis elle regarde de côté, notant pour la première fois le corps qui partage le lit avec elle.

 

 

 

Kirsten y est blottie, lui tournant le dos, dans une position quasi fœtale, profondément endormie.

 

 

 

Koda pose un regard interloqué sur Maggie qui sourit. « Nous nous sommes relayées près de toi. Comment te sens-tu ? »

 

 

 

Koda fait un rapide check up de son corps. L’un dans l’autre, elle se sent beaucoup mieux qu’elle ne devrait. Ses mains la brûlent, mais c’était à prévoir. Tout ce qui reste de la bataille est une légère sensation de fatigue- plutôt étrange après trois jours de sommeil. Son corps n’est que trop conscient de la silhouette pressée contre lui, et elle combat le besoin urgent de l’étreindre et de s’abandonner dans le confort implicite que lui offre Kirsten, même si elle ne lui fait pas face. Au lieu de cela, elle cligne des yeux et sourit à Maggie. « Je me sens bien. Et toi ? »

 

 

 

« Mis à part quelques bosses et des éraflures, ça va. » « Pareil pour notre intrépide Docteur à tes côtés. »

 

 

 

« Les autres ? »

 

 

 

L’expression de Maggie s’assombrit. « Nous en avons perdu quatre-vingt-dix-huit. Une vingtaine d’autres sont blessés et deux ou trois le sont grièvement mais les médecins pensent qu’ils pourront s’en sortir… peut-être. »

 

 

 

« Bon sang, » murmure Koda, les yeux à nouveau fermés par la douleur d’autant de pertes.

 

 

 

Maggie caresse la peau douce du bras de Koda, offrant le seul réconfort qu’elle peut. Une partie d’elle-même aimerait raconter à la femme affligée combien de vie ses actions ont sauvées, mais elle tient sa langue, sachant que pour Dakota comme pour elle, ces paroles ne seront que des platitudes inutiles.

 

 

 

Koda rouvre ses yeux, ses émotions enfouies derrière le masque de pierre qu’elle arbore maintenant. « Mon frère ? »

 

 

 

« Il va bien. Manny s’est brisé une clavicule et a quelques côtes de cassées, mais il va bien aussi. La cheville Andrews l’a envoyé en salle d’op. Il ne supporte pas ses béquilles, mais il va falloir qu’il s’y habitue. »

 

 

 

« Bien. » Dakota hoche la tête avec force, d’un geste qui rejette les mèches de ses cheveux en arrière, avant qu’elles ne reviennent tomber sur son front. Bien que ses mains soient toujours bandées, ses doigts sont libres et ils vont se poser sur l’intraveineuse fixée à son poignet.

 

 

 

« Dakota, ne… fais pas ça. » Maggie soupire lorsque l’autre femme s’assied et retire avec précision le cathéter de son bras.

 

 

 

« Je vais bien. » répond Koda, balançant ses longues jambes par-dessus le bord du lit avant de se lever. Elle laisse passer un bref instant de vertige pendant que son corps se réhabitue à la position verticale après trois jours à être resté allongé.

 

 

 

Une fois le vertige passé, elle contourne le lit d’un pas assuré, fouillant dans le bureau pour en sortir un sweat-shirt déchiré et une paire de jean présentant des trous au genou. Une fois vêtue, elle passe les doigts dans ses cheveux, puis se tourne vers Maggie. « Les corps. Où les ont-ils déposés ? »

 

 

 

« Ils ont installé une deuxième morgue dans un des hangars. Tu verras la garde d’honneur dehors. L’ensevelissement devrait commencer dans quelques heures. »

 

 

 

En hochant la tête, Koda vient se placer devant Maggie, qui est toujours assise. Les yeux de Koda sont sombres et sérieux. « Merci. Pour être restée près de moi. »

 

 

 

Le sourire de Maggie est ténu, mais bien là. « Ce n’était pas difficile, crois-moi. » Elle s’arrête, le sourire s’évanouit. « Merci à toi. »

 

 

 

Haussement de sourcil.

 

 

 

« Pour avoir sauvé nos vies. »

 

 

 

La Colonel sent une brève pression sur son épaule avant que Koda ne se tourne pour partir. « Je ne l’ai pas fait seule. » répond-elle avec douceur avant de quitter la chambre.

 

 

 

« Non. » murmure Maggie dans le vide. « Mais si tu n’avais pas commencé la chose, rien n’aurait été pareil. »

 

 

 

 

*********

 

 

 

Avec une température proche des 15 degrés, Dakota sort dans l’air frais sans veste, pour la première fois depuis plus de six mois. Pendant un bref moment, elle tourne son visage vers le soleil. Toutefois, cette chaleur bienvenue n’est pas assez pour chasser le froid qui étreint son esprit ; le froid causé par toutes les vies perdues dans la bataille près de la Cheyenne.

 

 

 

Lorsqu’elle baisse la tête, ses yeux sont un instant éblouis par la lumière du soleil qui se cache à moitié derrière un énorme hangar à avions tout près. On l’aperçoit qui dépasse au-dessus des pins qui entourent la petite pelouse de Maggie. Elle se tourne dans cette direction-là et se met en route.

 

 

 

Lorsque ses longues jambes l’amènent sans efforts du quartier résidentiel à la base proprement dite, elle constate qu’elle ne reconnaît presque aucun des visages qu’elle croise.

 

 

 

Ce qui, elle le réalise, n’a rien d’anormal, étant donné la grandeur de la base et le fait qu’elle n’ait exploré seulement qu’une petite partie des lieux depuis qu’elle est ici. Pourtant, c’est presque comme si, avec la victoire récente, les survivants des alentours se sentaient maintenant assez en sécurité pour entrer dans la base et faire partie intégrante de ce qui est devenue rapidement une nombreuse communauté.

 

 

 

 

Elle voit deux groupes de cinquante personnes au moins passer les portes massives, certains à pieds, d’autres dans des voitures brinquebalantes, tous munis de leurs quelques biens et les yeux pleins d’espoir.

 

 

 

Cette scène lui rappelle quelque chose qu’elle a vu il y longtemps en classe d’histoire, une image montrant des fermiers fuyant dans la poussière, toutes leurs maigres possessions fixées sur leur dos, entourant des chariots et des chevaux fatigués.

 

 

 

« Donne-moi tes pauvres, tes exténués » murmure-t-elle, en regardant le flot des gens devant elle, « Qui en rangs pressés aspirent à vivre libres, Le rebut de tes rivages surpeuplés, Envoie-les moi, les déshérités, que la tempête me les rapporte, De ma lumière, j'éclaire la porte d'or. » (NDLT : poème d’Emma Lazarus, gravé sur une plaque de bronze sur le piédestal de la Statue de la Liberté, s'adressant aux millions d'immigrants débarquant à Ellis Island.)

 

 

 

 

Un homme qui passe près d’elle l’entend murmurer et lui jette un regard étonné. Elle lui renvoie son propre regard, bleu acier, accompagné d’un haussement de sourcil et il trouve rapidement autre chose à faire, filant comme une souris à la recherche d’un fromage.

 

 

 

Alors qu’elle continue son chemin, elle commence à noter des choses anormales. Un peu plus loin, deux femmes d’âge moyen sont en train de discuter devant ce qui ressemble à une corbeille de fruits à moitié pourris. Leurs bras s’agitent violemment et Dakota comprend que dans peu de temps la discussion va se transformer en dispute.

 

 

 

Sur la gauche, au milieu de la route, deux hommes se querellent, ressemblant à deux boxeurs trop corpulents. Ils sont manifestement complètement ivres. Le nez du premier est en sang et l’autre a un œil poché et enflé, presque de la taille d’une boule de billard. Une bouteille d’alcool bon marché est fracassée sur le sol entre eux, ses éclats de verre brillant tels des diamants trompeurs.

 

 

 

Un soldat en uniforme est debout près d’eux, son visage reflétant l’indécision. Koda peut facilement deviner ce qu’il pense.

 

 

 

Ce sont des civils.

 

 

 

Qui a maintenant autorité sur eux ?

 

 

 

Devrait-il intervenir ?

 

 

 

Ou rester là à les regarder décider de la suite des événements ?

 

 

 

« Super. » murmure Koda. « On dirait que la lune de miel est terminée. »

 

 

 

Juste au moment où elle se dirige vers eux, les deux hommes s’en vont, trop saouls ou trop blessés pour continuer. Le soldat les regarde sans rien dire puis se retourne vers Koda, lui lançant un regard presque implorant. Dakota hausse les épaules en réponse, aussi incertaine de la loi en vigueur que le soldat. Puis un autre homme portant l’uniforme de Major se dirige vers eux et Dakota s’en va, laissant les événements se poursuivre sans elle.

 

 

 

Elle sait toutefois que des changements devront avoir lieu. Et rapidement.

 

 

 

*************

 

 

 

« Docteur Rivers ! » crie le jeune homme, pour attirer son attention. Elle tourne la tête si soudainement que sa colonne vertébrale craque.

 

 

 

 

Koda regarde en direction du soldat et reconnaît un des artilleurs de la troupe de Tacoma qui s’est blessé durant la charge contre les droïdes.

 

 

 

« Soldat Holloway. Comment va votre nuque ? »

 

 

 

Une rougeur subite apparaît sur le visage du jeune homme quand il réalise que cette belle jeune femme – qui a accompli sur le champ de bataille des actes que même le plus courageux de ses compagnons n’aurait jamais tenté- connaît son nom.

 

 

 

« M’dame ! » crie-t-il, en bombant le torse. « Très bien, M’dame ! »

 

 

 

Se mordant la joue pour éviter de sourire face à la gravité du jeune homme, elle lui adresse un bref signe de tête. « C’est bon de l’entendre, Soldat. Permission d’entrer ? »

 

 

 

« M’dame, oui, m’dame ! »

 

 

 

« Merci Soldat. »

 

 

 

« M’dame ? »

 

 

 

Dakota se retourne, baissant son regard vers lui et le faisant rougir encore plus. Il lui tend un masque. « Vous… pourriez avoir besoin de ceci, M’dame. »

 

 

 

Koda sourit. « Merci, mais… ça ira. »

 

 

 

Avec un dernier signe de tête, elle le laisse debout à son poste et pénètre dans le hangar. L’intérieur est sombre, froid, et empli de l’odeur âpre de la mort et de la putréfaction. Ce n’est pas la première fois qu’elle est confrontée à une telle scène et, bien qu’elle ne s’y soit jamais vraiment faite, elle arrive à le supporter sans que son estomac se rebelle.

 

 

 

 

Elle reste immobile dans l’entrée et regarde les rangées de corps enveloppés dans des draps - le stock de linceuls ayant été décimé durant le début du conflit – et recouverts du drapeau américain.

 

 

 

Tant de corps. Tant de courage, d’honneur et de loyauté, en train de pourrir sous un drapeau dont la signification a changé pour toujours. Tant de sang. Tant de douleur. Tant de pertes.

 

 

 

Aussi silencieuse qu’une ombre, elle se glisse entre les rangées, lisant chaque nom et les gravant dans sa mémoire. Ici et là, elle s’arrête pour toucher un poignet dur comme le marbre, une joue figée, un pied glacé, honorant la bravoure de ces hommes et ces femmes du mieux qu’elle peut et les remerciant de leur sacrifice.

 

 

 

« Wakhan Tanka, » (NDLT : Grand Esprit), murmure-t-elle, son souffle créant un voile de buée dans l’air, « guide ces âmes et prends soin d’elles. Ina Maka, réconforte-les. Honore-les comme ils nous ont honorés. Donne-leur la paix. »

 

 

 

Une ombre tombe sur le dernier corps et Dakota lève la tête et découvre son frère debout à l’entrée de la morgue, au garde-à-vous, vêtu de son uniforme et de ses médailles. Son visage est dur comme le granit mais ses yeux … Pour Koda, qui le connaît bien, ils sont chargés d’affliction et de douleur. Elle entend un frottement sur le ciment et un petit groupe de porteurs de cercueils se forme derrière lui, leurs visages si identiques qu’on a l’impression qu’ils ont été produits en usine.

 

 

 

Dakota traverse l’espace qui la sépare de son frère. Sa main qui enserre alors la sienne est froide et il reste ainsi une minute, un tressaillement intérieur lui montrant la douleur que son visage tente de masquer. Ils échangent un regard de profonde compréhension. Leur troupe. Leur responsabilité. Le sang sur leurs mains qui ne sera jamais effacé.

 

 

 

« Hoka hey. » murmure-t-elle, ses yeux brillants de larmes qu’elle ne versera pas.

 

 

 

Le granit sur le visage de son frère se rompt l’espace d’un instant, laissant apparaître l’ombre d’un sourire sur ses lèvres. Il lève leurs mains jointes et caresse sa joue brièvement de ses doigts, la remerciant de tout son amour. « Hoka Hey. »

 

 

 

Le son d’une pelleteuse interrompt cet instant.

 

 

 

Quelque part, un soldat joue du clairon.

 

 

 

 

**********

 

 

 

Cette fois, Dakota accepte la chaleur bienvenue du soleil et la clarté du jour, quand elle sort du hangar. Son âme n’est pas en paix, mais au repos pour un moment. Elle abandonne le fardeau des funérailles à d’autres qu’elle et laisse ses jambes la guider où elles le veulent.

 

 

 

Ses longues enjambées tranquilles l’emmènent plus loin dans la Base, non loin de plusieurs rangées de véhicules militaires abandonnés, tels les jouets d’un enfant ogre qui a dû les laisser pour se mettre au lit. C’est une vision mélancolique, ramenant à l’esprit un passé qui n’existera plus. Chassant ces pensées de son esprit, elle retourne dans la partie résidentielle, mais évite la maison de Maggie, ne se sentant pas prête à rentrer.

 

 

 

Elle voit plusieurs familles prendre possession de logements militaires abandonnés, transportant leurs maigres possessions, tout en jetant des regards apeurés par-dessus leurs épaules, comme s’ils s’attendaient à voir cet héritage inattendu leur être retiré sans avertissement.

 

 

 

Elle hoche la tête en passant près d’une maison à moitié bombardée, observant deux familles prêtes à en venir aux mains pour se l’approprier. Cette fois, les soldats s’approchent pour séparer les belligérants, même sous les injures qu’ils reçoivent alors.

 

 

 

« Il faut organiser un recensement. » murmure-t-elle, alors qu’un groupe de badauds, attirés par la bagarre imminente s’amasse dans le coin comme des voyeurs sur les lieux d’un accident d’autoroute. Elle ne reconnaît aucun visage et cela la rend mal à l’aise.

 

 

 

Cette foule est porteuse d’une colère qui n’a pas lieu d’être, que l’on sent bouillonner juste sous la surface, et n’ayant besoin que d’une étincelle pour éclater.

 

 

 

Et cette étincelle prend la forme d’un petit groupe d’hommes et de femmes armés, se dirigeant vers la bagarre. La foule se disperse puis se reforme, telle une tache d’huile sur l’eau d’un étang. Plusieurs personnes tiennent déjà dans leurs mains des pierres grosses comme le poing et regardent les soldats avec colère.

 

 

 

Une jeune femme sergent s’approche d’un pas assuré, la main sur son ceinturon. « Allons, messieurs dames, rentrez chez vous maintenant. »

 

 

 

« Pas question ! » crie une voix anonyme dans la foule.

 

 

 

La jeune femme redresse les épaules, fixant la foule. « Je vous le redemande. S’il vous plaît, quittez cet endroit et rentrez chez vous. »

 

 

 

« Qui est mort et à fait de vous la remplaçante de Dieu ? » Une autre voix, cette fois-ci.

 

 

 

 

« Quittez cet endroit ! »

 

 

 

Dakota court déjà au moment où la première pierre est jetée. Elle atteint la femme sergent à l’épaule, et les autres soldats s’avancent alors, brandissant leurs armes. Quelques pierres sont lancées à nouveau, furtives, telles les premières gouttes de pluie précédant un orage au cœur de l’été.

 

 

 

Koda parvient à empoigner un homme plutôt costaud juste avant qu’il ne lance une pierre un peu plus grosse que les autres. Sa paume crie son mécontentement lorsqu’elle enserre son poignet et le presse avec force.

 

 

 

« Putain ? Qu’est-ce… » L’homme se retourne, avec l’intention d’utiliser son autre main pour la transformer en une sculpture pop art. Soudainement, ses yeux s’écarquillent et ses bras retombent sur les côtés, en fixant un point derrière l’épaule droite de Dakota.

 

 

 

Déconcertée par ce changement brutal de comportement, Dakota se retourne sans lâcher toutefois le poignet de l’homme. Derrière elle, la foule s’écarte, comme la Mer Rouge devant Moïse, laissant le passage à un petit mètre soixante-cinq de pure colère.

 

 

 

« Excusez-moi, » gronde Kerry, les mains sur les hanches, ses yeux verts étincelants de fureur. « Quelqu’un peut-il me dire ce qui se passe ici ? » Asi, la suivant comme son ombre, grogne avec férocité, en s’asseyant à son côté, le poil dressé.

 

 

 

Un murmure traverse la foule. Des extraits de conversation jaillissent ici et là et Koda les écoute d’une oreille attentive, un sourire s’élargissant sur son visage.

 

 

 

« …King… »

 

 

 

« … la femme des robots… »

 

 

 

« … je l’ai vue à la télé le mois dernier… »

 

 

 

« …elle est super… »

 

 

 

« … je ne peux pas croire… »

 

 

 

« …. Plus petite qu’à la télé… »

 

 

 

Dakota se mord les lèvres à cette dernière remarque, alors qu’un des soldats s’avance, comme s’il avait retrouvé toute son assurance dans l’aura dégagée par Kirsten. La voix calme de cette dernière résonne à nouveau. « Vous pouvez me dire ce qu’il se passe, Caporal Hill ? »

 

 

 

« Oui, Madame. Ces deux groupes d’individus étaient en train de tenter de prendre possession de cette résidence par la force quand… »

 

 

 

« En anglais, s’il vous plaît, Caporal. J’ai laissé mon dictionnaire militaire dans mon autre veste. »

 

 

 

Des ricanements se font entendre dans la foule et une rougeur subite envahit les joues du jeune Caporal. « Le Caporal Smythson et moi-même étions en train de patrouiller dans le secteur quand nous avons aperçu ces deux familles. » Il désigne les familles en question de la main. « Elles se bagarraient devant cette maison. Quand nous avons voulu intervenir, la foule s’est amassée. Le sergent Li et ses hommes arrivaient au même moment et elle a demandé à la foule de ses disperser. Les gens ont refusé.»

 

 

 

« Et comment qu’on a refusé ! » crie un homme d’âge moyen. « Nous ne sommes pas seulement une bande d’imbéciles sur qui on peut taper. Nous avons des droits ! »

 

 

 

Kirsten se retourne vers le sergent Li. « Est-ce à ce moment que vous avez sorti votre arme, Sergent ? »

 

 

 

« Non, madame. »

 

 

 

« Et quand l’avez-vous sortie, Sergent ? »

 

 

 

« Quand la pierre m’a touchée, madame. »

 

 

 

Kirsten est abasourdie. « Une pierre ? »

 

 

 

« Oui, Madame. Cette pierre. »

 

 

 

Suivant la direction du doigt tendu de Li, Kirsten découvre la pierre toujours au pied du Sergent. Elle relève la tête, scrutant la foule.

 

 

 

Une douzaine de pierres tombent soudain dans la poussière, lâchées par des mains maintenant hésitantes.

 

 

 

Kirsten découvre ses dents dans une parodie de sourire. « Bien, » commence-t-elle, d’une voix douce, mais aux accents meurtriers, « ce sont vos droits, hmm ? Je ne savais pas que le droit d’agresser quelqu’un faisait partie de notre constitution. Quelqu’un pourrait me l’expliquer ? »

 

 

 

« Ils avaient des armes. » murmure un homme, en désignant les soldats.

 

 

 

Kirsten le regarde avec attention. Il pâlit considérablement.

 

 

 

« S’en sont-ils servis ? Vous ont-ils menacés ? » Elle lève une main. « Avant que cette pierre soit lancée ? »

 

 

 

L’homme baisse les yeux. « Eh bien… »

 

 

 

« Je m’excuse. Vous avez dit quelque chose ? Je ne vous ai pas entendu. »

 

 

 

L’homme relève la tête, l’air agressif. « Ils allaient le faire. »

 

 

 

« Ohhhh, » répond Kirsten, hochant la tête. « Ils allaient le faire. Et comment l’avez-vous deviné ? Vous êtes télépathe ? Peut-être alors pourrez-vous nous dire quand les droïdes attaqueront la prochaine fois ? Nous aurions besoin d’un homme avec votre talent. »

 

 

 

L’homme devient aussi rouge qu’une brique alors que quelqu’un dans la foule émet un son dédaigneux tout en poussant son voisin du coude. Le regard impénétrable de Kirsten s’attarde sur lui et il n’a finalement pas d’autre choix que de baisser à nouveau les yeux, ressemblant à un ballon qui se dégonfle.

 

 

 

Kirsten jauge le reste de la foule. « Quelqu’un aurait-il une chose aussi perspicace à ajouter ? »

 

 

 

Crissement de pieds. Regards fuyants. Chant des grillons.

 

 

 

« Bien. Je vous suggère alors de rentrer chez vous et d’arrêter de vous conduire comme des idiots. Mieux, allez jusqu’au hangar où reposent une centaine de soldats, comme ceux que vous venez d’attaquer, morts pour que vous puissiez vous conduire comme des idiots aujourd’hui. » Elle cesse de parler, pour que ses mots prennent tout leur sens dans leurs esprits. « Est-ce que j’ai été claire ? »

 

 

 

Le seul son provient d’un pied dans la poussière.

 

 

 

« Bien. Alors, fichez le camp. Vous prenez tout l’air respirable. »

 

 

 

Alors que la foule commence à se disperser, dans les murmures gênés, Asi le voit comme un signal annonçant la fin de son rôle de chien de garde et il remarque Dakota, quelques mètres plus loin. En jappant de joie, il s’élance vers elle, sa queue s’agitant avec force. Koda se prépare à l’impact et saisit son corps au moment où il la percute, l’entourant de ses bras, alors que le chien donne de grands coups de langue sur son visage et sur tous les morceaux de peau qu’il peut atteindre.

 

 

 

En rigolant, Dakota le repousse et le gratte derrière les oreilles avec affection. Elle s’immobilise lorsqu’elle sent un regard se poser sur elle, aussi palpable qu’une caresse. Elle tourne lentement la tête et rencontre le sourire intense de Kirsten. Elle jure qu’elle peut sentir son coeur battre plus vite dans sa poitrine et s’étonne de cette réponse à première vue automatique à quelque chose d’aussi simple – bien que merveilleux – qu’un sourire. Elle remarque une autre réponse instinctive quand un sourire éclaire son propre visage, un sourire plus éclatant qu’elle n’en a eu depuis longtemps.

 

 

 

Asi à son côté, elle s’approche de la jeune femme. Son sourire ne s’efface pas quand elle plonge son regard dans les fascinants yeux verts. « Bonjour. »

 

 

 

Kirsten touche brièvement le poignet de Koda avant de retirer sa main. « Bonjour. C’est bon de vous voir réveillée. Comment vous sentez-vous ? »

 

 

 

« Mieux. Et vous ? »

 

 

 

« Un peu courbaturée pendant quelques jours, mais maintenant ? J’ai retrouvé toutes mes forces » Ses lèvres forment une grimace dépitée. « Comme vous avez pu le constater. »

 

 

 

Koda observe la rue maintenant vide, puis vers les soldats en train de discuter aimablement avec les deux familles qui ont commencé l’algarade. « Bon travail. »

 

 

 

Kirsten regarde Koda, certaine que celle-ci la taquine. Quand elle réalise que la vétérinaire est sérieuse, elle rougit. « Euh… eh bien, mon légendaire mauvais caractère peut être utile parfois, non ? »

 

 

 

« Je pense que vous étiez au bon endroit au bon moment, avec exactement les compétences requises pour la situation. » répond Koda avec sérieux. « Vous avez stoppé une émeute, et probablement préservé des vies. »

 

 

 

Kirsten baisse le regard sur ses mains. « « Eh bien… Je… »

 

 

 

« La fausse modestie est une chose qui je l’espère, fait partie du passé. »

 

 

 

Koda se rend compte de la pique et adoucit sa voix et ses yeux. Elle pose une main sur l’épaule de Kirsten. « Vous avez fait du bon travail aujourd’hui. Vous avez fait quelque chose qu’aucun de nous n’aurait pu faire. C’est une bonne chose, ok ? »

 

 

 

En hochant la tête, Kirsten sourit faiblement. « Ok. »

 

 

 

Koda frotte ses mains. « Bien. Où alliez-vous avant de vous arrêter ici pour jouer les arbitres ? »

 

 

 

« Kirsten hausse les épaules. « Je prenais l’air. Je n’allais nulle part en particulier. »

 

 

 

« Merci d’avoir veillé sur moi. »

 

 

 

Le sourire de Kirsten est timide. « De rien. Même si Maggie me disait de ne pas être inquiète, je l’étais. »

 

 

 

Koda remarque l’utilisation du prénom de Maggie mais ne fait pas de commentaire. « Je suis désolée que vous ayez dû traverser ça. »

 

 

 

 

« Je ne le suis pas. » répond Kirsten, avec un rire soudain. « Vous avez sauvé nos vies avec cette charge suicidaire. J’ai préféré me sentir inquiète que morte. »

 

 

 

« De rien. » lui renvoie Dakota avec une grimace. Puis elle exécute une courbette presque présentable. « Voulez-vous me faire l’honneur de dîner avec moi au mess ? J’ai entendu dire que le menu mystère était encore plus mystérieux aujourd’hui. »

 

 

 

Kirsten bat des cils, imitant parfaitement une ‘Belle du Sud’.

 

« Mais volontiers, Dr Rivers, j’en serais enchantée. »

 

 

 

Dakota lui tend un bras et Kirsten s’empresse de le saisir. Elles se dirigent ensuite lentement vers le mess.

 

 

Table des matières

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