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INSURRECTION18

Page history last edited by PBworks 15 years, 10 months ago

INSURRECTION

 

De Sword'n'Quill (Susanne Beck)

 

SwordnQuil@aol.com

 

écrit avec T Novan et Okasha

 

 

Traduction : Kaktus et Fryda

 

Table des matières

 

 

 

CHAPITRE DIX-HUIT

 

 

 

Kirsten retire ses lunettes et frotte ses yeux fatigués. Elle a passé les douze dernières heures à étudier ligne après ligne des codes défilant sur son écran comme des fourmis invitées à un pique-nique. Pourtant, la journée a été productive. Elle est parvenue à extraire deux sortes de codes, similaires dans leur forme mais pas dans leur contenu. Quelque part, à l’intérieur de ces binaires, elle sait qu’elle peut trouver la réponse, ou du moins une partie de la réponse qu’elle cherche. Mais elle n’est encore qu’à l’orée du bois. C’est comme si les chiffres qui défilent étaient tous les mots de « Guerre et Paix ».

 

 

 

Avec aucune majuscule.

 

 

 

Aucune ponctuation.

 

 

 

Et pas d’espace pour indiquer où se termine un mot et où commence l’autre.

 

 

 

Et en russe.

 

 

 

Et elle ne lit pas le russe.

 

 

 

Elle n’entend pas le tintement de ses lunettes lorsqu’elles heurtent le mur pour ensuite tomber sur le tapis élimé. Avec ses implants déconnectés, son monde est merveilleusement silencieux. Il n’y aurait rien pourtant qui pourrait la déranger. Maggie et Dakota ont quitté la maison tôt ce matin ; la Colonel dans l’intention incontestable de rendre au monde – ou du moins de ce qu’il en reste – la sûreté de la Démocratie, et Koda pour que ses mains expertes aient soigner des animaux blessés.

 

 

 

Mais peut-être qu’elle est rentrée, pense-t-elle en relevant la tête pour prendre une plus grande inspiration. L’odeur qu’elle respire la ramène à une époque où les hivers étaient froids et les couvertures chaudes, où elle était enveloppée de l’amour des siens et plongée dans les aventures de Katrina Callahan. Policier intergalactique. Un sourire apparaît sur son visage. Mmm. De la soupe de poulet. Ma préférée.

 

 

 

Elle reconnecte ses implants et écoute avec espoir des bruits révélant une présence dans la maison. Mais elle fronce les sourcils, désappointée. Derrière la porte à demi-fermée, tout est aussi silencieux que dans une tombe. Avec un petit soupir, elle s’écarte du bureau et se redresse avec raideur, secouant ses jambes lourdes et presque insensibles.

 

 

 

A petits pas, elle traverse la pièce, jette un coup d’œil par l’ouverture et sourit avec ravissement en découvrant Dakota installée sur le divan, son visage à moitié caché derrière un livre épais. Asi, affalé sur ses genoux, dort avec béatitude. L’odeur de soupe chaude est plus forte ici, et elle la respire avec satisfaction, louchant légèrement pour lire le titre sur la couverture de l’imposant ouvrage que tient Dakota.

 

Der Untergang des Abendlandes by Otto Spengler.

 

« Waou. » remarque Kirsten doucement, « Et c’est moi qu’ils appellent une intello. »

 

Elle pense vraiment que sa remarque n’a pas été entendue et est surprise de voir le bref éclair de douleur qui traverse les traits de Dakota quand elle lève le regard de son livre. Elle masque rapidement son expression mais Kirsten sent son estomac faire un bond et elle fait un pas involontaire en avant, les mains levées, paumes tournées. « Je suis… »

 

« C’est ok. » Koda lui adresse un sourire sincère. « Tu fais une pause ? »

 

« En quelque sorte. » répond Kirsten, soulagée. « Cette soupe sent drôlement bon. »

 

« Malheureusement, il lui faut du temps pour mijoter. Je viens juste de la mettre sur le feu. »

 

« Oh, eh bien, il y a toujours le mess. »

 

Les jeunes femmes échangent un sourire.

 

S’approchant du divan, Kirsten observe son chien, qui lui rend un regard peu concerné. Sa queue bat mollement contre le bras du divan et sa tête ne quitte pas les genoux de Koda. « Tu te prostitues, tu sais ça ? »

 

Koda rit quand Asi regarde Kirsten d’un air outragé mais sans bouger de l’endroit où il se trouve. En levant les yeux au ciel – et secrètement enviant Asi- Kirsten s’installe sur l’autre bras du divan, jetant à nouveau un œil sur le volume que tient Koda. « Cela faisait longtemps que je n’avais pas vu quelqu’un lire un vrai livre pour le plaisir. »

 

 

 

Fixant le livre en question, Koda hausse les épaules. « Les textes enregistrés n’ont jamais été ma tasse de thé. J’aime bien la sensation d’un livre entre mes mains. »

 

Kirsten hoche la tête, bien qu’elle ne puisse vraiment adhérer. Elle peut, quand elle le doit, lire un livre, mais pour elle, rien ne vaut un minidisque contenant sa littérature favorite. « Et en allemand, en plus. Je suis impressionnée. » Elle touche la reliure du livre. « Combien de langues parles-tu ? »

 

« Douze. » répond Koda, « Mais je ne les maîtrise pas vraiment. Tali était licenciée en linguistique et en langues étrangères. » Elle sourit, emplie de souvenirs précieux. « On avait établi que si je voulais parler avec elle, je devais apprendre la même langue qu’elle était en train d’étudier. »

 

« Tali ? »

 

L’éclair de douleur réapparaît un bref instant. « Ma femme. »

 

« Femme ? » répète Kirsten, étonnée. Une vague d’émotions passe au travers d’elle, pas assez longtemps pour qu’elle puisse toutes les identifier, pourtant elle sait que c’est un mélange de colère, de stupéfaction et d’incrédulité.

 

« Elle est morte il y sept ans. Le SARS. (NDLT : épidémie de pneumonie atypique venue de Chine.) »

 

« Oh Dakota, je suis vraiment désolée. »

 

« Merci. » répond Koda, notant la sincérité évidente dans le ton de la jeune femme. Elle hésite un moment, puis délibérément abaisse une autre barrière, éprouvant le besoin de partager une partie d’elle-même avec cette femme qu’elle se sent appelée à apprécier. « Nous nous sommes mariées à seize ans. »

 

« Seize ans ? » demande Kirsten d’une voix hésitante. Elle est pleinement consciente du précieux cadeau qu’elle reçoit, et n’est pas disposée à se le voir retirer à cause de paroles inappropriées. A son grand soulagement, Koda ne semble pas en tenir compte.

 

« Un peu jeunes, je sais, mais c’était prévu. » Face au regard étonné de Kirsten, elle continue. « Nous avons grandi ensemble. Sa famille possédait le ranch près du nôtre et nous sommes nées dans un intervalle de seulement trois semaines. Nous sommes devenues amies dès le berceau, et quand j’ai été assez âgée pour comprendre ce qu’était l’amour, j’ai su que je l’aimais, elle. » Elle a un sourire tendre. « Quand j’ai demandé sa main, personne n’a été surpris. »

 

« On dirait un vrai conte de fée. » remarque gentiment Kirsten.

 

Koda rit doucement. « Peut-être un peu, oui. » Sa voix redevient sérieuse. « Nous avons quitté l’école la semaine après notre mariage pour intégrer l’Université de Pennsylvanie. J’ai préparé l’école vétérinaire et elle a étudié les langues. Quand nous avons eu nos diplômes, nous sommes revenues ici et nous avons rénové notre propre maison. J’ai eu ma clinique et elle ses étudiants. Et nous nous avions l’une l’autre. » Elle s’arrête un instant, son pouce caressant la couverture du livre. « Nous étions heureuses. »

 

Avec respect, Kirsten pose une main sur la tête inclinée, frottant sa paume contre les cheveux soyeux. « Comment… comment est-elle tombée malade ? »

 

« Personne n’a pu le dire au début, » commence Koda, réconfortée par la caresse de la main, « c’était un étudiant qui rentrait d’Asie. L’épidémie en était à son commencement et la quarantaine pas encore obligatoire. Elle est partie pour l’école un matin, en pleine forme et s’est retrouvée branchée à un respirateur la même nuit. »

 

« Mais le traitement… ! »

 

Koda secoue la tête. « Elle n’a pas voulu le suivre. »

 

« Mais pourquoi ? »

 

Koda lève la tête et Kirsten lit la réponse dans le chagrin insondable des yeux bleus de Koda avant qu’elle réponde.

 

« Elle était enceinte. »

 

***********

 

Ellsworth est un vaste endroit et quand Maggie prend le chemin du retour entre la prison et le quartier résidentiel où se situe sa maison, la douleur dans sa jambe gauche réapparaît avec force. Le rationnement officiel de l’essence n’a pas encore débuté, mais à moins qu’ils puissent en trouver à Rapid City et dans les environs, dans très peu de temps, les produits à base de pétrole seront rares voire inexistants.

 

Dinosaure, tu es ; Dinosaure, tu redeviendras. Amen.

 

Elle prévoit de charger quelqu’un d’inventorier les moyens de transports disponibles sur la Base et d’envoyer un petit groupe faire une descente dans les magasins de vélos en ville. Il faudra qu’elle parle avec Koda et Mmes Tillbury-Laduque afin de savoir s’il est possible d’obtenir des chevaux. Il faudra aussi qu’elle pense à… Non, merde, quelqu’un d’autre pourrait penser à ma place. Après tout, Boudreaux et tous les experts-comptables survivants sont là et peuvent le faire.

 

Elle éloigne ce problème de son esprit. Les ronds de cuir n’auront qu’à réfléchir à ça.

 

Et puis le reste d’entre nous pourra remplir les formulaires en trois exemplaires. Réquisition : moyen de transport individuel et unité de remorquage d’approvisionnement ; quadrupède. Traduction : cheval

 

La sensation que le temps glisse est de retour : des années, des décennies, des siècles qui soudain basculent, comme lors de la bataille de la Cheyenne. L’armature de toute une civilisation s’est effondrée, les renvoyant vers…où ? Quand ? Maggie frissonne sous sa veste d’uniforme et arrondit ses épaules pour accumuler un peu de chaleur et pour alléger le poids de sa sacoche. Les moindres événements de la vie quotidienne s’ornent soudainement de points d’interrogation, et elle n’est pas sûre d’avoir des réponses adéquates pour chacun d’entre eux.

 

Peut-être même pour aucun d’entre eux.

 

Les Etats-Unis existent-ils encore ? Et si oui, existe-t-il encore une Constitution ?

 

Qui décide ?

 

Quelles sont les choses pour lesquelles il faut encore payer ? Jusqu’à maintenant, les patrouilles de la base ont eu de la chance dans leur pillage – il n’y a pas d’autre mot pour ça, même s’ils ont appelé cela de la récupération – et c’est une chose qui offense son esprit militaire et discipliné. Le sergent Tacoma Rivers, un des plus honnêtes hommes qu’elle ait pu rencontrer, est en ce moment même, en train d’étudier la possibilité de s’approprier des générateurs électriques qui appartenaient à des privés il y a encore quelques semaines. Si certains des propriétaires ont survécu, comment seront-ils dédommagés ? Y aura-t-il encore quelque chose qui ressemble à de l’argent ?

 

Et qui décide ?

 

 

 

Le mal de tête qui avait commencé à pointer devient aussi violent qu’un marteau-piqueur. Elle a besoin de ce bain. Dieu merci, il y a encore de la lavande. Elle a aussi besoin d’un thé de camomille. Elle a besoin…

 

Quelque chose de froid et mouillé se presse soudain contre sa main libre, et Maggie manque de hurler. L’espace d’une seconde, elle se retrouve au début de son école secondaire où l’on pratiquait l’une des plus vieilles plaisanteries du monde. Un gant de cuisine rempli d’eau froide et plaqué sur une main qui ne se doute de rien, ou mieux, dans le creux d’une nuque vulnérable. Cela donnait de sublimes cris de terreur même de la part des machos de l'équipe de football américain.

 

Spécialement de la part des machos de l’équipe de football américain.

 

Mais ce n’est pas une plaisanterie cette fois-ci, et elle se retourne pour ébouriffer la tête d’Asi qui la salue en gémissant. Il jappe deux fois, très fort, et ce son lui fend presque le crâne en deux, mais elle est presque aussi contente de le voir que lui de l’accueillir. Tout ce qui peut entraver son train de pensées oppressant est le bienvenu. Cela lui permet de penser à autre chose qu’à tous ces minuscules problèmes devenus soudain critiques.

 

« Salut, toi. » dit-elle en caressant son dos avec nonchalance. « Où est ta maîtresse ? »

 

Il jappe à nouveau bruyamment et Maggie aperçoit Kirsten et Koda sortir du bois à l’est du quartier résidentiel de la Base, grimpant la petite pente les ramenant sur la chaussée. Leurs visages sont colorés par le vent d’ouest qui amène avec lui la fraîcheur du crépuscule. La chevelure de Kirsten brille comme une auréole sous le soleil déclinant.

 

Le visage de Koda reflète une paix qu’elle n’avait jamais vue avant, le calme qui succède à la fin d’une douleur. Une sensation nouvelle d’intimité est tangible aussi entre les deux femmes. Ce n’est rien de manifeste, rien sur lequel Maggie puisse mettre des mots ; juste peut-être quelque chose dans l’inclinaison de la tête de Kirsten et la posture du corps de Koda. Une réduction de l’espace entre elles. Quelque chose d’une importance vitale s’est passé entre elles aujourd’hui. Quelque chose qui a laissé Maggie en dehors.

 

Cette vision amène un léger choc dans l’estomac de Maggie mais elle ne peut appeler cela de la jalousie. Ni prétendre qu’elle n’a pas vu le lien évident et instinctif entre les deux femmes. Ses ancêtres, qui naviguaient près des côtes de l’Afrique de l’est, échangeant l’ivoire et les peaux de léopards contre la turquoise, la myrrhe et l’encens de Oman, l’auraient appelé le destin.

 

Insh’allah.

 

Dieu le veut.

 

Elle les appelle. « Vous rentrez à la maison ? »

 

« Oui, » répond Koda alors qu’Asi, comme tout mâle inconstant, lui fait fête en sautant contre elle, comme s’il ne l’avait pas vue depuis une semaine. « Doucement, le chien. » Puis à Maggie : « J’ai fait mijoter de la soupe. Elle devrait être prête dans pas longtemps. »

 

« Vous avez l’air fatiguée. » observe Kirsten. « Mauvaise journée avec les interrogatoires ? »

 

Maggie grimace et secoue la tête. « Abominable. »

 

« Les interrogatoires ou la journée ? »

 

« Les deux. »

 

Les yeux de Koda rencontrent les siens, emplis d’affection. « Tu as un air misérable. » Elle montre un banc installé sous les branches nues d’un sycomore. « La soupe peut encore attendre. Asseyons-nous. »

 

Maggie acquiesce et les suit en direction d’un petit talus près de l’orée du bois. Le soleil a commencé sa descente vers l’horizon, atteignant presque la cime des montagnes, et le plumage des oiseaux a des reflets bleus foncés dans la lumière alors qu’ils vont se percher, deux par deux, dans les arbres pour la nuit. Tous volent par paire, sauf un. Tous sont pratiquement aile contre aile, sauf un corbeau qui plonge en piqué sur son compagnon, les ailes collées contre son corps, ses longues plumes jetant des éclairs bleus, verts et acier sous le soleil. Son prrrukkk bas et rauque résonne dans l’air.

 

Kirsten reste interdite, ses yeux verts écarquillés. Asimov semble copier son attitude sur elle, assis calmement près d’elle. Pour l’instant. Kirsten demande : « Ce sont des corbeaux, n’est-ce pas ? »

 

« Des grands corbeaux, pour être exact. Nous, les Lakota, les appelons ‘oiseaux loups’. » répond Koda. « Ils suivent les meutes qui chassent et parfois même les guident vers leur proie. »

 

« Et ils partagent ? »

 

« Une fois que les loups se sont servis. Ce n’est pas une vraie symbiose, mais presque. »

 

Captivée, Maggie regarde l’oiseau acrobate remonter en flèche puis plonger à nouveau vers l’autre. Cela paraît extraordinairement gracieux pour un oiseau aussi grand et lourd. Elle constate : « Ce n’est pas un combat. »

 

« C’est une demande. » répond Koda, en souriant légèrement. « C’est certainement un couple de jeunes adultes se faisant la cour, il est encore trop tôt pour qu’ils se reproduisent. Ils ne nicheront pas avant l’été. »

 

Kirsten met sa main en visière pour suivre les oiseaux « Ils restent en couple longtemps ? »

 

Koda opine. « Pour la vie. »

 

Kirsten fixe les deux oiseaux, le premier volant sereinement alors que le deuxième continue ses acrobaties, infatigablement. Finalement, ils disparaissent dans les arbres et elle se retourne, ses yeux allant de Koda à Maggie puis quelque part à l’intérieur d’elle-même dans un endroit que Maggie ne peut voir. « Comment pouvons-nous avoir eu tout faux à ce point ? »

 

Koda est silencieuse, fixant les bois dans le soleil couchant. La lumière joue sur son visage comme sur le bronze d’une statue et Maggie sent à nouveau ses pensées s’échapper. Le temps semble s’être arrêté ou être revenu en arrière, emmenant la femme debout devant elle dans un labyrinthe tournoyant, vers le passé ou le futur ou en un autre temps encore. C’est elle qui reprend : « Tout faux dans quel sens, Kirsten ? »

 

Kirsten a un geste contenu de la main. « Dans tous les sens. Comment avons-nous pu bousiller le monde de cette façon ? Qu’est-ce qui nous est arrivé ? »

 

Maggie retient la réponse qui lui vient naturellement aux lèvres pour la première question : très facilement. Il n’y a pas de réponse à la seconde. « Je n’en sais rien. » dit-elle. « Nous ne savons pas combien ont survécu dans notre pays, pas plus que dans le reste du monde. Nous ne pouvons que faire de notre mieux et que cela soit suffisant. »

 

Un petit sourire, presque ironique, étire les lèvres de Kirsten. « Mon père était un Marine. Vous lui ressemblez. »

 

Merveilleux. Cette pensée traverse l’esprit de Maggie. Ma future ex-petite amie va devenir sa petite amie et elle me voit comme une figure paternelle. A voix haute, elle reprend : « Les carrières militaires suivent toutes les mêmes chemins. C’est l’entraînement qui fait ça. »

 

« Semper fi (NDLT : semper fidelis = toujours fidèle, la devise des marines américains) Mmmm, même dans ces contrées reculées ? »

 

« Exactement. »

 

« Quelqu’un vient. »

 

Maggie a un sursaut. Koda l’a sortie de la rêverie où elle venait de plonger. Elle regarde une Jeep descendre la rue dans leur direction. Andrews freine brusquement à leur hauteur et l’odeur de caoutchouc brûlé se mêle à celle de l’asphalte. Il salue, toujours installé derrière le volant. « M’dame ! »

 

Maggie jette sa sacoche dans le véhicule et y grimpe, étendant avec précaution sa jambe douloureuse dans l’espace devant le siège passager. « Quel est le problème, Lieutenant ? »

 

« M’dame, le capitaine de la Police Militaire m’a envoyé vous chercher. Il se passe quelque chose au portail principal. »

 

Koda et Kirsten s’immobilisent de concert, Asimov entre elles. « Très bien. » murmure Maggie d’un ton résigné, en regrettant le bain chaud et le repas qui viennent de s’éloigner d’un bond. « Allons voir de quoi il s’agit. Semper fi toujours. »

 

La Jeep traverse les allées presque vides à une vitesse considérable, et chaque ornière secoue les passagers ; l’hiver n’a pas épargné le goudron et combler les nids de poule n’a pas été une des urgences de la Base. Andrews ne semble pas non plus faire d’effort pour les éviter, mettant en pratique la théorie «’la plus courte distance entre deux points est la ligne droite’. Le risque d’un essieu cassé n’a pas l’air d’entrer en ligne de compte. Le grondement du véhicule et le froid tranchant rendent toute conversation impossible. Koda s’accroche d’une main au bord de la Jeep et tient Asi de l’autre ; à ses côtés, Kirsten fait de même, son visage reflétant le froid glacé du soir qui tombe. Asi, au contraire, prend grand plaisir au voyage, les poils ébouriffés par la vitesse et la langue pendante. George Patton Asimov, Chien de Guerre.

 

Il aura peut-être la chance de le démontrer. En tant que propriétaire de ranch, Koda sait qu’il ne peut y avoir que deux sortes de problèmes près d’un portail, que cela implique des hommes ou du bétail. Un : quelqu’un qui ne devrait pas entrer veut entrer. Deux : quelqu’un qui ne devrait pas sortir veut sortir. D’après les scènes de désordre auxquelles elle a assisté, incluant des civils tentant de prendre possession des maisons de la Base et défiant l’autorité de la police militaire, elle est certaine que la crise est importante.

 

Le bruit leur parvient à travers l’obscurité grandissante, bien avant qu’ils n’arrivent au portail. Un rugissement étouffé ressemblant à une tornade. Un rythme régulier bat par-dessus, répondant aux cris. D’après ce qu’elle peut entendre, il s’agit de cris de colère plus que de douleur. S’ils ont un peu de chance, ils seront sur les lieux avant que les choses s’enveniment. Mais ce sera de justesse. Avec sa main, Maggie fait signe à Andrews d’appuyer sur l’accélérateur. Ce dernier hoche la tête et s’exécute. Sans un mot, les mains de Koda et Kirsten se rejoignent derrière Asi pour le maintenir debout ; insensible à l’attention, le chien rejette la tête en arrière et hurle, tel un loup à la poursuite d’une proie.

 

« Cet idiot aime ça ! » crie Kirsten, sa voix à peine audible à travers le rugissement du véhicule et le bruit toujours plus proche de ce qui est vraisemblablement une émeute.

 

Koda sourit en réponse, tenant plus fermement encore et le chien et le bord de la Jeep. Mais en entendant le son qui survient soudain au milieu d’un des arpèges canins d’Asi, elle se saisit du pistolet automatique qu’elle a sur elle depuis la bataille. Près d’elle, Maggie brandit elle aussi son arme.

 

« Coup de fusil ! » crie Koda et Kirsten montre qu’elle a compris même si Koda doute qu’elle l’ait entendue. Le son était explicite. Le silence répondant à ce coup de feu isolé n’est pas vraiment rassurant.

 

Andrews passe le dernier coin de rue et éteint le moteur non loin du portail principal de la Base. Ils n’y restent pas seuls longtemps. Des sirènes retentissent et un véhicule militaire s’arrête à deux doigts de leur pare-chocs. Deux autres camions surgissent à l’opposé et un frisson d’anticipation court le long de la colonne vertébrale de Koda. La situation n’est pas bonne mais elle est moins grave qu’il y a une ou deux secondes auparavant.

 

A environ trois cent mètres, il est évident qu’une émeute de grande envergure est sur le point d’éclater. Un des pans du grand portail de fer de la Base bloque la voie droite de la route, où se trouvent une douzaine de voitures et de camionnettes tournées dans différentes directions. Un deuxième barrage de véhicules obstrue l’autre voie. Deux énormes pick-up, pouvant à eux seuls transporter une douzaine d’adultes armés, sont échoués devant le poste de garde, leurs pneus crevés sur les barres à dents de fer surgissant de l’asphalte, telle une paire de mâchoires de requins. Tout autour des véhicules, environ quarante personnes sont en train de hurler contre les deux gardes en poste. Ces derniers se tiennent l’arme au poing, prêts à tirer s’il le faut.

 

La situation est à un cheveu du désastre. Peut-être moins.

 

Maggie est hors de la Jeep avant même qu’elle soit arrêtée derrière le poste de garde. Koda et Kirsten la suivent immédiatement, accompagnées d’Andrews et d’Asimov. Les deux camions militaires vont se placer presque à angle droit afin de bloquer le passage de chaque côté de la route. Des hommes en surgissent par l’arrière, armés de casques, boucliers et gourdins anti-émeutes. Ils vont se placer, épaule contre épaule sur la route. En les voyant, la foule se précipite en avant, les cris se transformant en un rugissement soutenu. Sans avertissement, les projecteurs fixés sur les cabines des camions s’allument et balayent la foule de faisceaux assez puissants pour éblouir quiconque tenterait de les fixer. Une vague secoue la foule alors que bras et mains se lèvent pour tenter de se protéger les yeux ; ici et là, des visages se tournent complètement et se dirigent vers l’arrière de la foule. De façon plus menaçante, la lueur des projecteurs capte le scintillement d’une douzaine de fusils de chasse, et la forme squelettique d’un M-16 ou d’un AK-47.

 

Maggie arrache un mégaphone de la main du capitaine de la Police Militaire et escalade la cabine d’un des véhicules empalés sur la route. Koda et Kirsten font de même mais restent debout sur le pont arrière, faisant face à la foule et aux armes maintenant bien visibles. Asimov s’assied au pied du camion, le poil et la queue dressés. Ses babines sont retroussées et découvrent ses crocs.

 

Un frisson parcourt Koda et la sensation de quelque chose d’indéfinissable, quelque chose venant d’ailleurs, d’un autre lieu, d’un autre temps l’envahit. Cette même sensation, à peine plus qu’un frisson, l’a déjà envahie tout à l’heure, tel un semblant de souvenir, quand elle a vu les corbeaux s’enfoncer dans la forêt au coucher du soleil. Le temps s’est distordu, la terre a changé de place sur son axe, le passé et le futur ont émergé dans le présent comme la vapeur d’eau d’un geyser.

 

« Je ne vous entend pas ! » La voix de Maggie la ramène de son bref voyage dans le flot du temps. Métallique et amplifiée, toute sa douceur effacée. « JE NE VOUS ENTENDS PAS ! » Son arme est retournée à sa place à sa ceinture. Elle pointe le doigt sur un homme au visage rouge vêtu d’une veste de chasse, debout en première ligne. « Vous ! Parlez-moi ! Dites-moi ce qui se passe ici ! »

 

 

 

 

L’homme dit quelque chose d’inaudible. « Répétez ! » crie Maggie.

 

La foule se calme petit à petit et le porte-parole désigné s’écarte un peu des autres, se déplaçant avec précaution, ses yeux pointés sur la ligne des soldats placés derrière le camion transformé en podium. Sa main se déplace sur le bord de son Stetson dans un réflexe poli, hésite, puis à la place bascule le chapeau un peu en arrière, dans un geste assuré. Nullement impressionnée, Koda réprime un ricanement devant ce coq de basse-cour, ‘tout dans la voix rien dans le pantalon’. Elle capte le regard de Kirsten et lui adresse un clin d’œil en réponse ; c’est un sacré cas d’empoisonnement à la testostérone. Discrètement, Koda ôte le cran de sûreté de son arme. Kirsten fait de même, recouvrant une main avec l’autre pour masquer son geste, fixant l’homme et la foule derrière lui avec des yeux verts aussi acérés que des diamants.

 

« Qui vous êtes ? » crie l’homme au Stetson.

 

« Margareth Allen, de l’armée de l’air des Etats-Unis. Et vous, vous êtes qui, bordel ? »

 

Un murmure parcourt la foule en entendant sa question. Des échos de la bataille de la Cheyenne sont apparemment parvenus à certains membres de la population civile survivante. A l’arrière de la foule, quelques fusils disparaissent soudain. Sentant le changement derrière lui, la voix de l’homme perd un peu d’assurance. « Je suis Bill Dietrich, un citoyen respectueux des lois. Vous pouvez m’expliquer pourquoi des citoyens américains ne peuvent pas entrer dans une Base pour laquelle ils ont payé des impôts ? »

 

Quelque part dans la foule, quelqu’un crie : « Ouais, bien dit, Bill. », puis une autre, féminine, cette fois, irritée, « Ferme-la, idiot ! »

 

« Enchantée de vous rencontrer, Mr. Dietrich. » répond sobrement Maggie. « Je suppose que vous pouvez me dire pourquoi vous et les gens derrière vous tentez d’entrer dans la propriété privée d’une installation gouvernementale. »

 

« Quel gouvernement ? Il n’y a plus de gouvernement ! Nous avons le droit d’entrer dans un endroit que nous avons payé. »

 

A ces mots, Kirsten fait un pas en avant en direction d’Asi, toujours en position d’alerte près du camion. L’éclat des projecteurs teinte sa chevelure d’argent et son visage paraît aussi pâle que celui d’un fantôme. Sa voix, lorsqu’elle prend la parole, est aussi glacée que son visage. « Permettez-moi de me présenter, Mr. Dietrich. Je suis Kirsten King, la seule survivante du Ministère. » Elle s’arrête, laissant ses paroles faire leur effet sur la foule. « Et même si je vais détester cela, je suis prête à demander à ces officiers de faire respecter la loi en tirant sur vous si cela s’avère nécessaire. Et cela dépend de vous. » Elle avance encore vers l’avant du camion, son arme bien en évidence.

 

Un deuxième homme se détache de la foule, en bousculant Dietrich sans ménagement. Il est grand et maigre, les cheveux grisonnants, des rides creusant les bords de ses yeux et le coin de ses lèvres. « Madame, je suis Jim Henderson. J’ai un ranch un peu plus loin sur la route, du moins j’en avais un. J’avais aussi une famille. Maintenant, je n’ai plus qu’une fille, et seulement parce qu’elle était avec moi dans les champs lorsque les droïdes sont venus et ont tué et emmené les autres. Tout ce que je veux, c’est un lieu sûr pour elle. C’est ce que nous voulons tous, Madame la Secrétaire, Colonel Allen, juste un endroit où l’on soit en sécurité. »

 

« Je comprends. » répond Maggie. « Mais vous devez comprendre que la Base n’est pas sûre. C’est une cible qui a déjà été attaquée deux fois ; nous sommes sur le point de l’être à nouveau. »

 

« Vous avez battu les droïdes ! » Une voix dans la foule. « Ils sont partis ! »

 

« Nous avons battu une partie des droïdes. » corrige-t-elle. « Il y en a bien plus là d’où ils viennent, croyez-moi. »

 

« Alors il faut nous protéger ! Laissez-nous entrer ! » Dietrich a repris son air fanfaron.

 

Koda entend l’inspiration brutale de Maggie, amplifiée par le porte-voix. Son ton reste toutefois patient. « Mr Dietrich, dites-moi quelque chose. Comment puis-je savoir que vous n’êtes pas un droïde ? Comment pouvons-nous être sûrs que vous n’êtes pas un espion tentant de pénétrer ici ? »

 

« C’est la chose la plus stupide que j’ai jamais entendu ! Ecoutez-moi, espèce de… » Il stoppe brutalement. « Madame, cet uniforme ne fait pas de vous un dieu ! »

 

« Je connais un moyen de savoir si c’est un droïde. » remarque Kirsten, presque sur le ton de la conversation. « Les droïdes ne saignent pas. »

 

 

 

« Ecoutez. » reprend Maggie. « Nous ne pouvons pas assurer votre sécurité tant que nous n’avons pas assuré celle de la Base. Vous pouvez tenter d’entrer, mais vous perdrez. Vous perdrez même plus que seulement vos vies. Vous pourriez tuer des soldats qui ont pourtant déjà été blessés pour vous lors de la bataille de la Cheyenne. »

 

Elle fait une pause, pour qu’ils s’imprègnent de ses paroles. Koda est satisfaite de voir disparaître d’autres armes.

 

« Rentrez chez vous. Si vous voulez vous sentir plus en sécurité, occupez les maisons libres qui sont les plus proches de la Base. Mais n’espérez pas notre soutien ; nous ne pouvons pas le faire. Vous devez trouver un moyen de vous nourrir par vous-mêmes, de vous protéger par vous-mêmes, sauf en cas d’attaque armée. C’est votre travail de citoyen. Le nôtre est de vous défendre contre tout ennemi, étranger, domestique – et androïde. Vous pouvez nous faire obstacle ou vous pouvez nous aider à vous servir. C’est votre choix. »

 

« Qui commande ? » La voix vient de quelque part au milieu de la foule, impossible à identifier par l’âge ou le sexe.

 

Voila la fameuse question à soixante millions de dollars. Les yeux de Koda cherchent ceux de Kirsten et les trouve fixés sur elle. D’un petit signe de tête, Koda évite ce regard et retourne son attention vers la foule. Pour la première fois depuis l’insurrection, elle est véritablement effrayée par le cours que pourraient prendre les choses. Parce que la question n’est pas seulement de savoir qui commande maintenant mais qui commandera si les humains prennent l’avantage et survivent.

 

Et la seule réponse raisonnable, c’est que ce sera quelqu’un d’entièrement différent ou quelque chose d’entièrement différent de tout ce qu’il y a eu jusqu’à ce jour.

 

Maggie crie dans le porte-voix. « Le Général Hart est le commandant en chef de cette Base. Le Dr King est la plus haute autorité survivante à notre connaissance. Pour ce que nous en savons, la nouvelle capitale des Etats-Unis est actuellement la Base d’Ellsworth. Et cela sous-entend les restrictions de sécurité dont je vous ai parlées avant. » Elle fait une pause. « Mais vous êtes libres. Vous pouvez vous choisir un maire, un administrateur ou n’importe quel titre que vous lui trouverez. Il vous faut aussi des agents de police. Parce que la Constitution est toujours effective et la Police Militaire ne se charge pas des civils. Quelqu’un a un problème avec ça ? »

 

 

 

La foule commence à s’agiter, fusionnant quelque part en son centre. Certaines personnes semblent clairement avoir un problème avec ça et étaient venus ici dans l’espoir de trouver quelqu’un qui leur dise quoi faire. Les autres, dont le visage arbore un air soulagé évident même dans la pâle clarté des projecteurs, ont entendu ce qu’ils avaient besoin d’entendre. Lentement, très lentement, les gens commencent à se disperser, retournant à pied vers le portail, ou remontant dans leur véhicule. Les soldats de la Police Militaire se déplacent en ligne afin de les canaliser avec ordre, leurs boucliers formant un mur solide.

 

« Non ! Laissez-les partir librement ! » ordonne Kirsten.

 

La ligne de soldats se fige et une fois que la dernière personne est passée, les gardes remettent en place les portes du portail qui claquent avec un bruit rassurant.

 

Maggie saute au bas de la cabine, trébuchant un peu sur sa jambe droite.

 

Koda la saisit par le bras pour l’assurer. « Ça va ? »

 

Un sourire joue un instant sur les lèvres de Maggie. « Des violeurs, des émeutiers, oh juste un jour ordinaire. » Elle s’adresse au chef de la Police Militaire : « Je veux une demi-douzaine de gardes en plus à ce portail et la même chose à l’entrée principale. Echelonnez des patrouilles tout au long du périmètre. Armés de M-60. Personne ne rentre et personne ne sort jusqu’à ce que nous sachions précisément qui vit sur la Base et qui peut nous être utile. »

 

« Bien, M’dame. » Le Capitaine salue et se tourne pour exécuter les ordres et former des patrouilles.

 

« Capitaine, » ajoute Kirsten, « si quelqu’un tente de forcer le portail, tirez pour tuer. Cette Base était une zone restreinte, elle l’est à nouveau. »

 

« Bien, M’dame. » Il salue à nouveau. « A vos ordres. »

 

Asi, quittant sa position de chien de garde, se met à remuer la queue. En gémissant, il se presse contre la jambe de Kirsten, et presse son museau contre ses poches, à la recherche d’une sucrerie.

 

Kirsten passe sa main dans ses poils. « Il a raison, c’est l’heure du souper. Rentrons. »

 

 

Table des matières

 

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