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INSURRECTION20

Page history last edited by PBworks 15 years, 10 months ago

INSURRECTION

 

De Sword'n'Quill (Susanne Beck)

 

SwordnQuil@aol.com

 

écrit avec T Novan et Okasha

 

 

Traduction : Kaktus et Fryda

 

 

Table des matières

 

 

 

CHAPITRE VINGT

 

 

Kirsten arrive à la porte de la clinique vétérinaire au moment où celle-ci s’ouvre pour laisser apparaître Koda dans le soleil couchant. Elle se précipite vers elle, notant la crispation menaçante de son visage et la ligne serrée formée par les lèvres. « Je viens d’apprendre. » dit-elle doucement. « Comment va-t-elle ? »

 

 

 

« Elle est stable pour le moment. » répond Koda, d’un air distrait. « Il faut que j’y aille. Je dois trouver ses petits. »

 

 

 

« Je t’accompagne. »

 

 

 

« Non, j’irai seule. Reste avec Shannon pour veiller sur leur mère. »

 

 

 

« S’il te plaît. Je… je veux aider. » Elle lève une main pour devancer la réponse. « Je sais que tu n’en as pas besoin. Bon sang, je suppose que tu as probablement fait ça un million de fois avant, mais… J’aimerais aider quand même. »

 

 

 

Pour toute réponse, Kirsten reçoit une pile de serviettes contre sa poitrine et un ‘allons-y’. Elle serre les serviettes contre elle et se met à courir à moitié, pour ne pas se laisser distancer par les grandes enjambées de Koda.

 

 

 

En peu de temps, elles ont franchi la crête enneigée, et stoppent de concert, mais pour des raisons différentes. Koda redresse la tête, inspirant l’air autour d’elles et écoutant attentivement. Tout est silencieux, mis à part le vent bruissant à travers les branches qui présentent leur première touche de teinte verte printanière

 

 

 

Kirsten, elle, fixe un grand oiseau perché sur l’arbre le plus imposant des alentours. « Koda » murmure-t-elle doucement.

 

 

 

En l’entendant, Dakota tourne sa tête pour regarder la jeune femme qui l’accompagne. Ses sourcils se lèvent, interrogateurs.

 

 

 

« Cet oiseau… C’est une buse, n’est-ce pas ? Si elle trouve les louveteaux… »

 

 

 

Koda saisit la main de Kirsten alors qu’elle se redresse et la repousse sur son côté. Elle émet un sifflement singulier, composé de trois notes. D’un puissant coup d’ailes, Wiyo s’élance depuis le sommet de l’arbre et glisse sans effort vers le bras tendu de Koda. Kirsten ouvre de grands yeux si écarquillés qu’ils manquent presque de jaillir de leur orbite avant d’aller rouler sur le sol comme des billes. En lui adressant un regard qui pourrait presque geler un volcan, Wiyo s’installe tranquillement sur l’épaule de Dakota, ratant de peu son Stetson, avant de prendre un air aussi majestueux qu’une reine sur son trône.

 

 

 

Koda continue, laissant sur place une Kirsten interloquée, la bouche ouverte, avant qu’un « Tu viens ? » arrive jusqu’à elle et la remette en mouvement.

 

 

 

*********************

 

 

 

Environ dix minutes plus tard, elles s’arrêtent à nouveau, le bras levé de Koda le lui ordonnant mieux qu’un quelconque ordre verbal. Ces dix minutes ont été silencieuses, du moins de la perspective de Kirsten, mais pleines d’informations. Dans ce court laps de temps, en regardant Koda pister les louveteaux, Kirsten a reçu un flash, même si le mot flash n’est pas le bon terme. C’est comme si une pièce d’un puzzle avait finalement trouvé sa place, lui amenant les réponses à plusieurs questions qu’elle se pose depuis les quelques mois qu’elle a passés en compagnie de la jeune femme.

 

 

 

En regardant le profil de Dakota dont les angles affilés sont adoucis par la lumière du crépuscule, l’image des yeux bleus du loup, son gardien, lui reviennent, se superposant aux traits saisissants de la femme devant elle. Elle se retrouve rougissante, honteuse d’en venir si tard à cette conclusion.

 

 

 

Tu parles d’une scientifique. Je ne suis même pas capable de voir l’évidence. Mon Dieu.

 

 

 

Les réponses, toutefois, amènent encore plus de questions, mais Kirsten les renvoie dans un coin de son esprit alors qu’elle observe Koda s’agenouiller pour scruter le sol couvert de neige pendant un long moment. Quand elle se relève, son visage est sans expression, aussi figé que du granit, sauf ses yeux qui brillent comme des charbons ardents, révélant une telle colère que Kirsten espère qu’elle n’est pas dirigée contre elle.

 

 

 

Cela dure un moment très bref, mais elle défaille presque de soulagement, quand elle voit que cette fureur va l’épargner.

 

 

 

Silencieuse comme une tombe, Dakota s’éloigne, laissant Kirsten regarder à l’endroit qui a provoqué la rage de Dakota.

 

 

 

 

Un petit tas d’os et de poils. Des os minuscules que pourtant même une citadine comme Kirsten peut reconnaître. Les os d’un louveteau ; un prédateur devenu proie. Elle pose une main devant sa bouche pour retenir son haut-le-cœur et éviter de vomir les restes de son petit-déjeuner, le seul repas qu’elle ait pris aujourd’hui. Après un long moment, son estomac se calme et elle retire sa main, se forçant à éloigner son regard du petit tas d’os à ses pieds. Dakota est déjà à une vingtaine de mètres et s’éloigne rapidement. Kirsten s’élance à sa poursuite.

 

 

 

Elle l’a presque rattrapée quand Koda stoppe à nouveau brusquement, forçant Kirsten à s’écarter vivement pour éviter une collision. « Que se… »

 

 

 

« Chut. »

 

 

 

Kirsten regarde autour d’elle, légèrement irritée. Dakota penche la tête et prend cette posture d’écoute qui lui est propre, puis se raidit. Il est évident qu’elle a entendu quelque chose, alors que Kirsten qui grâce à ses implants a une ouie au moins cinq fois plus performante qu’un humain normal, n’a rien capté.

 

 

 

Bon, je ne sais pas ce que je dois écouter, se console-t-elle, pas vraiment sûre de comprendre pourquoi cela lui importe autant soudainement.

 

 

 

Koda murmure un mot à l’oiseau sur son épaule et il s’envole pour Dieu sait où, laissant une Kirsten un peu plus irritée encore. Pourquoi suis-je la seule à sembler aveugle ici ?

 

 

 

Elle ne t’a pas demandé de l’aider, lui rappelle la partie la plus rationnelle de son esprit. Tu l’as plus ou moins forcée, alors ne sois pas vexée si elle ne te récite pas ses intentions, versets par versets.

 

 

 

Dakota émet un léger son plaintif et Kirsten la regarde stupéfaite. Elle comprend instinctivement qu’elle ne vient pas d’entendre un humain imiter l’appel d’un loup mais un loup émettant cet appel.

 

 

 

A quelles surprises m’attendre encore ?

 

 

 

Puis elle l’entend. Un cri léger, presque inaudible, sur la gauche. Koda répète son appel et le cri lui répond à nouveau. Kirsten ne bouge pas lorsque Dakota arrache une serviette de ses mains. « Reste ici jusqu’à ce que je t’appelle. »

 

 

 

 

 

Kirsten hoche la tête et regarde Koda s’approcher à pas silencieux d’un bloc de rochers qui affleure sur leur gauche.

 

 

 

Dans la lumière déclinante du crépuscule, Koda sent plus qu’elle ne voit l’entrée de la tanière. Elle est petite et resserrée, ce qui la force à s’agenouiller, puis à ramper pour pouvoir se glisser à l’intérieur. Avant de bouger, elle comprime la serviette dans sa veste et en sort une petite mais puissante lampe de poche qu’elle allume avant de la coincer entre ses dents. Puis elle se fraye un passage à l’intérieur.

 

 

 

Ses épaules s’éraflent contre le rocher et bien qu’elle ne souffre pas spécialement de claustrophobie, elle sent le poids de toute la formation rocheuse se presser sur elle. Ce n’est pas une sensation très plaisante mais elle verrouille son esprit et continue d’avancer, utilisant ses coudes pour progresser.

 

 

 

L’odeur de putréfaction est indescriptible, mais c’est une chose à laquelle elle est habituée. Pourtant, elle serre les lèvres pour tenter de l’empêcher de brûler ses sinus.

 

 

 

Approximativement à deux longueurs de corps humain, la tanière s’élargit, se transformant en une structure plus ou moins circulaire entourée de rochers. Au milieu se trouvent les louveteaux, du moins ce qu’il en reste. La portée en comptait quatre, cinq si elle additionne les restes évidents du petit mort-né qu’elle a découvert un peu plus tôt. Un seul est encore en vie, s’y accrochant avec un fil des plus ténus. Les autres sont morts depuis pas mal de temps, leurs corps sont froids et rigides ; les vers ont déjà commencé leur travail morbide sur eux.

 

 

 

Attiré par la chaleur de son corps, le louveteau redresse sa tête tremblante, tâtonnant aveuglément vers elle, luttant pour écarter ses frères et sœurs décédés.

 

 

 

Koda l’attrape doucement par le cou et le retire tendrement de son abri macabre. Le louveteau repose sans force contre sa main et elle le retourne distraitement pour connaître son sexe, avant de montrer ses dents en un grognement inconscient et silencieux. Avec un cri de révulsion mêlé de colère, elle utilise sa main libre pour écrases les vers qui se tortillent sur sa peau, les écrasant entre ses doigts avant de les jeter au loin.

 

 

 

Sa tâche achevée, elle extrait la serviette et en enveloppe le louveteau, lui murmurant des mots en Lakota. Il gémit doucement, oh si doucement, et s’écroule contre elle, complètement épuisé. Elle cherche frénétiquement un pouls et en trouve un, soulagée. Il est faible, trop faible, mais il est là.

 

 

 

« Tiens bon, p’tit gars. » murmure-t-elle, en entourant son petit corps sans défense. « Je t’emmène retrouver ton Ina. »

 

 

 

*****************

 

 

 

Kirsten se tient debout à l’entrée de la tanière, observant l’amas de rochers avec suspicion. Son rêve (car cela ne peut être rien d’autre, elle refuse de croire que ses hallucinations puissent créer un raton laveur doué de parole et doté d’un comportement caractériel) lui revient un peu comme les images sépia utilisées parfois pour filmer les vedettes de cinéma. Du moins lorsqu’il y avait encore des vedettes de cinéma.

 

 

 

« Elle a besoin de ton aide. Vas-y. Maintenant. »

 

 

 

Elle observe à nouveau l’amas de rochers. Est-ce un grondement qu’elle entend ? Des pierres qui se déplacent soudain annonçant l’effondrement total de toute la structure ? Est-ce pour cela qu’elle est là ?

 

 

 

« Non. » murmure-t-elle, horrifiée.

 

 

 

Une autre image s’impose à elle, mais celle-ci est très nette, teintée de rouge et noir.

 

 

 

L’amas de pierres s’effondre dans un bruit de tonnerre en répandant une poussière qui l’étouffe alors qu’elle crie le nom de Dakota dans l’obscurité de la nuit.

 

 

 

Ses mains. Il y a du sang sur ses mains. Ses paumes sont écorchées et déchirées par les pierres qu’elle retire désespérément l’une après l’autre.

 

 

 

« Elle a besoin de ton aide. »

 

 

 

Sa voix enrouée crie le nom de Dakota encore et encore.

 

 

 

« Vas-y ! »

 

 

 

Ses poumons. En feu. Laissant échapper une respiration saccadée et paniquée.

 

 

 

« Maintenant ! »

 

 

 

Son cœur. Battant follement dans sa poitrine à cause de la peur et d’un sentiment aigu et sauvage de chagrin.

 

 

 

« Non. » murmure-t-elle. Et encore « Non. »

 

 

 

Et soudain Koda se matérialise devant elle, comme une apparition dans le brouillard.

 

 

 

Son visage est toujours aussi dur, mais son regard a perdu un peu de sa rage. Kirsten suspecte – une fois qu’elle peut à nouveau penser – que c’est à cause du petit corps qu’elle tient si tendrement entre ses mains.

 

 

 

Son pouls ralentit, presque à contrecœur. Elle déteste les chocs. Elle n’a jamais aimé ça. Et elle en a eu plus qu’assez depuis quelques temps. Toutefois, elle ne pense pas que Dakota appréciera ce sentiment. Il faudra qu’elle lui demande plus tard.

 

 

 

« Com… Combien ? »

 

 

 

« Un seul. » répond laconiquement Koda. Les autres sont morts. »

 

 

 

« Oh, mon Dieu… Je suis désolée. »

 

 

 

« Rien ni personne ne peut plus rien pour eux maintenant. » Malgré l’apparente désinvolture des mots, chacun d’eux est aussi précis et coupant qu’un couteau.

 

 

 

« Oui, mais… »

 

 

 

Le regard de Dakota se durcit. « Ramenons celui-ci à sa mère. »

 

 

 

Elles ne font que quelques pas avant de s’arrêter lorsqu’un cri déchire la nuit. Elles lèvent le regard et voient passer une ombre parmi les ombres au-dessus de leur tête, qui atterrit dans un arbre à une quinzaine de mètres.

 

 

 

Kirsten se retrouve brusquement avec le minuscule louveteau entre les mains. Koda la fixe avec intensité. « Pars en avant. Je te rejoins. »

 

 

 

« Mais… »

 

 

 

Il n’y a plus personne en face d’elle.

 

 

 

Dakota a disparu.

 

 

 

« Oh, non, non, non, pas d’accord, madame la chef. » grommelle Kirsten. « Tu oublies à qui tu parles, je crois. » Elle fixe le petit paquet entre ses mains. « Tiens bon encore un peu, bonhomme. Il y a quelque chose que je dois faire. »

 

 

 

***************

 

 

 

L’obscurité de la nuit l’enveloppe comme un manteau. Elle se précipite entre les arbres et repère une chaîne nouée à un tronc. Wiyo crie à nouveau. Koda le regarde brièvement avant de tourner autour du tronc et de suivre la chaîne qui l’amène à une ombre située à quelques mètres.

 

 

 

Une silhouette recouverte de fourrure apparaît et sa gorge se serre. « Oh non. » gémit-elle. »Non, s’il te plaît, Ina, non. »

 

 

 

Sa prière restera vaine, elle le sait déjà. Des larmes franchissent ses paupières. Elle les essuie d’un geste brutal, ignorant la douleur quand le tissu rugueux de sa veste frotte contre ses joues.

 

 

 

Il est couché dans son sang et ses excréments. Celui que ses frères appellent Igmu Tanka Kte ‘Le tueur de couguar’, parce qu’il a férocement défendu sa meute contre un couguar affamé descendu des montagnes à la recherche d’une proie facile.

 

 

 

Celui qui a visité ses rêves et ses visions depuis tant d’années.

 

 

 

Qui a partagé avec elle des morceaux de sa vie et une partie de son chemin.

 

 

 

Le fier Alpha.

 

 

 

Celui qu’elle appelle Wa Uspewicakiyapi.

 

 

 

Le maître.

 

 

 

Sa patte gauche arrière, à moitié dévorée dans une tentative désespérée pour se libérer, est prise dans une trappe d’acier – du même genre que celles qui sont interdites depuis des décennies. Son ventre est écorché, la peau en lambeaux, noircie par les engelures et l’infection. Son poil est parsemé de sang coagulé et elle ne peut qu’imaginer les terribles blessures cachées sous la fourrure épaisse.

 

 

 

Il est mortellement blessé et pourtant il vit toujours, accroché à elle par une volonté et une force qui l’émerveillent. Sa poitrine s’élève sporadiquement, cherchant l’air dont il n’aura bientôt plus besoin. Quand elle s’accroupit précautionneusement près de sa tête massive, il la regarde avec des yeux vitreux et épuisés mais complètement calmes, comme si sa présence près de lui avait toujours été prévue.

 

 

 

Peut-être même anticipée.

 

 

 

« Bonjour, vieil ami. » murmure-t-elle dans la langue de ses ancêtres, en caressant doucement le fier museau. « Je suis désolée. » Elle laisse couler ses larmes maintenant et elles troublent sa vision, la fracturant d’une manière identique à son cœur. « Tellement… tellement désolée. »

 

 

 

En sentant le contact léger de sa langue sur sa main, elle secoue la tête, chassant les larmes. Les yeux du loup se sont ravivés et elle s’y rattache comme aux fils d’un marionnettiste.

 

 

 

Dans ses yeux, elle peut voir des morceaux de sa vie et de la sienne, et le lien qui les a unis plus fort encore qu’un lien familial.

 

 

 

Elle se libère d’elle-même et pour la dernière fois, ils courent ensemble, sans entraves, dans le vent de la nuit, à travers les collines et les vallées du pays qu’ils partagent et la pleine lune veille sur eux. Ils courent pour le plaisir de courir, pour la liberté de leurs âmes, pour l’amour puissant de la Terre et de tout ce qui y vit.

 

 

 

Puis, enfin, après ce qui semble des heures, elle revient dans son propre corps.

 

 

 

Se libérant de son regard, elle se penche pour déposer un doux baiser sur sa tête, puis murmure à son oreille : « Tóksha aké wanchinyankin kte. Wakhan Thanka nici un.»

 

 

 

Et, se forçant à ne penser à rien, elle pose ses mains sur la nuque, maintenant si fragile, et la tord.

 

Ses vertèbres craquent. Sa poitrine s’abaisse lentement et ses yeux se voilent pour fixer un endroit que seul lui peut connaître.

 

 

 

Toute sa peine et sa rage la traversent avec la force d’une vague énorme, courbant son dos et sa tête en direction du ciel. Elle hurle d’une voix que personne ne qualifierait d’humaine, une voix qui fait peur.

 

 

 

Toujours en hurlant, elle se lève et arrache le piège brutal avec une force incroyable. Saisissant la chaîne, elle projette le piège contre un arbre, encore et encore et encore, criant des paroles incohérentes, ses yeux étincelants de rage. L’arbre tremble et des morceaux d’écorce se détachent de son tronc.

 

 

 

Kirsten, qui s’est forcée à rester debout sans bouger, même lorsque les larmes ont coulé sur son visage, sort finalement de sa paralysie, et s’approche. Elle évite de justesse le piège qui manque la frapper à la tête. Elle ne bouge plus, indécise, mordillant sa lèvre. « Dakota. » essaie-t-elle doucement. Puis plus fort. « Dakota ! »

 

 

 

Dakota s’immobilise brusquement et tourne son regard vers l’intruse, le meurtre imprimé dans ses yeux. Ses lèvres se retroussent avec un grondement aussi féroce que celui de n’importe quel loup, et Kirsten recule à nouveau, la peur l’envahissant.

 

 

 

« Nituwe he ? » demande Koda.

 

 

 

« Je… Je suis désolée, je ne … »

 

 

 

« Iyaya na ! »

 

 

 

« Dakota, s’il te plaît. Je ne comprends pas… »

 

 

 

« Letan khigla na ! » Elle brandit la chaîne à nouveau et la frappe contre le tronc. « Iyaya na ! » Et encore. « Iyaya na ! »

 

 

 

Et encore.

 

 

 

Et encore.

 

 

 

Et encore.

 

 

 

Tout son instinct lui crie de se sauver, de fuir la folie de Dakota. Et pourtant, quelque chose de plus fort l’oblige à rester. Une voix intérieure qu’elle ne peut étouffer, peu importe son désir de le faire. Rassemblant tout le courage qu’elle possède, elle s’avance, délibérément. « Dakota. S’il te plaît. Ecoute-moi. Je veux t’aider. S’il te plaît. Dis-moi ce qu’il faut faire. » Son ton est aussi calme et apaisant que possible, et elle sent, par une sorte d’instinct aveugle, que ses paroles parviennent jusqu’à la femme en face d’elle.

 

 

 

« S’il te plaît. » répète-t-elle, presque dans un murmure. « Dis-moi ce qu’il faut faire. »

 

 

 

Le piège s’échappe des mains de Koda. Elle s’effondre à sa suite, sur les genoux, et enfouit son visage dans ses mains. Tout son corps est secoué de sanglots. « Wicate. » murmure-t-elle encore et encore au travers de ses mains. « Wicate. Trop. C’est trop ! Wicate. Trop ! » Sa tête se redresse et elle hurle.

 

 

 

Ce son transperce Kirsten jusqu’aux os. Elle sent le louveteau entre ses bras, qui réagit en se débattant faiblement contre elle. Elle le regarde, puis la femme désespérée qui hurle encore. Doucement, elle dégage le louveteau de la serviette qui l’entoure, et avec des pas lents, s’approche de Dakota. Puis, toujours aussi précautionneusement, elle s’agenouille près d’elle, et attend, le louveteau dans ses mains.

 

 

 

Le cri de Dakota s’éteint, comme le son d’un jouet dont les piles sont définitivement mortes. Sa tête retombe. Ses larmes coulent dans la neige.

 

 

 

« Il a besoin de toi, Dakota. » souffle Kirsten dans le silence profond qui règne soudain. « Il a besoin que tu prennes soin de lui, que tu lui donnes ton amour. » Elle déglutit, comprenant tout enfin. « Comme tu as aimé son père. »

 

 

 

Après un long moment, Dakota relève la tête et elle regarde vers le louveteau sans défense. Elle lève une main tremblante, qui hésite avant de retomber. « Je… ne peux pas. »

 

 

 

« Tu peux. Oui, tu peux. »

 

 

 

« Tu ne comprends pas ! »

 

 

 

« Si ! Si, je comprends. Dakota, tu ne t’es jamais détournée de quelqu’un qui avait besoin d’aide. Il a besoin de ton aide maintenant. Il a besoin de toi. »

 

 

 

Leurs regards se croisent et s’accrochent. Kirsten sent ses larmes couler à nouveau quand elle lit clairement la douleur si évidente qui transparaît en Dakota. Tenant le louveteau dans le creux de son coude, elle tend la main et saisit celle de Koda, la plaçant entre elles, paume vers le haut. Puis, avec des mouvements assurés, elle dépose le louveteau dans cette main et amène l’autre sur son corps. « Aide-le. » murmure-t-elle, toujours perdue dans les yeux de l’autre femme.

 

 

 

Dakota regarde la vie minuscule entre ses mains. Son visage se décompose sous la douleur. Kirsten fait la seule chose qu’elle peut. Elle entoure Dakota de ses bras, rapprochant leurs corps en une étreinte.

 

 

 

Dakota se raidit avant de se détendre entre les bras apaisants de Kirsten. Sa tête retombe contre l’épaule offerte tandis que ses larmes continuent de couler.

 

 

 

**************

 

 

 

 

Kirsten relève la tête de son bureau, un bureau dont elle commence à croire qu’il va l’accompagner toute sa vie jusqu’à sa mort, (elle se voit en vieille dame aux cheveux gris, un appareil auditif par-dessus ses implants et des lunettes à verres épais, en train d’étudier les mêmes lignes de code) quand elle entend la porte d’entrée claquer violemment, secouant la maison jusque dans ses fondations.

 

 

 

« Non ! » La requête de Maggie résonne à travers les murs, prolongeant manifestement un désaccord commencé avant d’entrer. Kirsten frémit en l’entendant. Pas de peur, mais plutôt de douleur, comme si cela se rajoutait au mal de tête qui a progressé durant les douze dernières heures ainsi qu’au manque de sommeil et à la tension accumulée. Elle est tentée de déconnecter ses implants, ce qui lui épargnerait du bruit indésirable, et parce qu’elle suspecte qu’elle va, sans le vouloir, être témoin d’une conversation privée. Mais quelque chose retient sa main.

 

 

 

« Pourrais-tu au moins me respecter assez pour prétendre que tu m’écoutes ? »

 

 

 

Kirsten frémit à nouveau. Elle déduit que le silence qui résulte à cette question ne peut être que celui de Dakota (qui d’autre ?) qui s’est retournée pour fixer Maggie d’un regard aussi détaché de toute émotion qu’il pourrait être celui d’un bloc de pierre. Kirsten connaît ce regard, celui-là même qui n’a plus quitté Koda depuis le moment où elles sont parties de la petite clairière une nuit auparavant.

 

 

 

« Dakota, écoute. Ce que tu proposes de faire, c’est… c’est dément ! Non, attends ! S’il te plaît. Je ne le pense pas dans ce sens-là. C’est juste que… Bon Dieu, Dakota ! Pense à ce que tu veux faire ! »

 

 

 

« J’y ai pensé. » Sa voix semble parvenir d’un trou très sombre, très froid et très profond.

 

 

 

« Et ? »

 

 

 

« Je vais le faire. »

 

 

 

« Mais… »

 

 

 

« Je vais le faire. Fin de la discussion. »

 

 

 

C’est le silence au milieu d’une tempête. « D’accord ! Tu veux te tuer ? Fais-le. J’espère que ça te plaira. »

 

 

 

Kirsten saute sur ses pieds lorsque la porte claque à nouveau. Sans perdre de temps, elle se projette dans le couloir juste à temps pour voir disparaître Koda dans la chambre. Elle regarde la porte un moment, indécise, puis lui tourne le dos pour sortir de la maison. « Maggie ! Attendez ! »

 

 

 

Avec un mouvement exagéré, Maggie ralentit, stoppe, puis se retourne. « Quoi ? »

 

 

 

« J’ai… je vous ai entendues. Du moins en partie. Que se passe-t-il ? » Kirsten s’arrête à quelques pas de l’autre femme, sentant la colère irradier de tout son corps.

 

 

 

« Que s’est-il passé l’autre nuit ? »

 

 

 

« Pardon ? »

 

 

 

« La nuit dernière. Je sais que vous l’avez suivie au-dehors et que vous êtes revenues avec un louveteau. Que s’est-il passé entre ces deux événements ? »

 

 

 

Kirsten soupèse la question, ne sachant comment révéler les faits.

 

 

 

Maggie voit son hésitation et lève une main. « Ça ne fait rien. Je n’ai pas besoin de connaître les détails. C’est juste que… j’ai peur pour elle. » Son regard est presque implorant. « C’est comme si quelqu’un lui avait arraché le cœur et mis une pierre à la place. Elle a été comme ça toute la journée. Peu importe ce que j’ai pu essayer, je ne suis pas parvenue à changer ça. »

 

 

 

« Il y a autre chose, non ? » Kirsten met dans sa voix toute l’intensité de l’urgence. Elle sent que le temps est essentiel.

 

 

 

Avec un profond soupir, Maggie hoche la tête, ses épaules s’affaissant. « Ouais. Vos amis – Franz et Anna, c’est ça ? – ils se sont souvenus du nom de la clinique. Dakota s’est mis en tête de s’y rendre, seule bien sûr, pour descendre tout le monde, comme dans un de ces foutus Westerns. Bon Dieu ! » Elle passe une main dans ses cheveux courts. « C’est du suicide. Un putain de suicide ! » Le regard implorant refait surface, mêlé d’une pointe d’orgueil ravalé. « Pourriez-vous essayer de lui parler ? Lui dire que c’est absurde ? Je ne…nous ne pouvons pas la perdre. »

 

 

 

Kirsten hoche la tête et se retourne pour s’en aller, puis se ravise, ce qui lui permet de capter le regard peiné de Maggie, vite masqué. « Maggie, je… je vous promets que quand tout ceci sera terminé, je vous dirai ce qui s’est passé cette nuit. Ou au moins j’essaierai de convaincre Dakota de vous le raconter. Ce n’était… pas bon. Elle a perdu quelque chose… quelqu’un… de très cher, toutefois je ne pense pas que nous puissions comprendre à quel point. A part, peut-être son frère. Ok ? »

 

 

 

Maggie tente de sourire mais n’y parvient pas. « Ok. »

 

 

 

Le cœur de Kirsten se serre. C’est une nouvelle expérience pour elle. La compassion n’a jamais été son plus grand talent, mais elle suspecte qu’il faudrait avoir un cœur de pierre pour ne pas voir toute la détresse qui se lit sur les traits de Maggie. Elle pose une main sur le bras de l’autre femme et le lui serre brièvement. « Tout ira bien, vous verrez. »

 

 

 

Et parce qu’elle pense ne rien pouvoir faire d’autre, elle se retourne et se dirige rapidement vers la maison, consciente du regard fixé sur elle.

 

 

 

Elle tombe sur Koda au moment où elle sort de la chambre, un sac à la main. Leurs regards se croisent. Mais Koda s’écarte rapidement et traverse la pièce, semblant vouloir éviter d’être effleurée par la jeune scientifique autant que de lui parler.

 

 

 

« Attends. » murmure Kirsten. « S’il te plaît. »

 

 

 

 

Imitant involontairement le mouvement de Maggie, Dakota stoppe et se retourne. L’ennui est la seule expression transparaissant sur ses traits. « Qu’y a-t-il ? »

 

 

 

« S’il te plaît, ne pars pas. Pas maintenant. »

 

 

 

« Ecoute, j’ai déjà expliqué… »

 

 

 

« Je sais. Mais j’aimerais que tu m’écoutes. Je ne dis pas que libérer ces femmes n’est pas important. Ça l’est. Mais on a aussi besoin de toi ici. »

 

 

 

« Pas autant qu’on a besoin de moi là-bas. »

 

 

 

« Tu as pensé à la louve et son petit ? Shannon se débrouille, mais tu as vu son regard l’autre nuit. Elle est absolument terrifiée d’avoir la responsabilité de ce louveteau, sans parler de sa mère. »

 

 

 

« Tacoma peut s’en occuper. Manny aussi. Ils savent ce qu’il faut faire. »

 

 

 

Kirsten soupire. « Bon, voudrais-tu au moins emmener des renforts avec toi ? »

 

 

 

« Non. »

 

 

 

« Mais… »

 

 

 

« Non. Je le ferai seule.»

 

 

 

« Pourquoi ? »

 

 

 

« Quoi ? »

 

 

 

« Pourquoi ? Pourquoi penses-tu devoir le faire seule ? Pourquoi ne veux-tu pas accepter de l’aide ? Il y a plus de deux cents hommes et femmes qui mourraient pour toi si tu le leur demandais. » Elle tressaille quand les mots franchissent ses lèvres, se rendant compte que c’était justement la chose à ne pas dire. « Je suis désolée. Ce n’était pas ce que je… »

 

 

 

Koda lève la main. Leurs regards se croisent à nouveau. Cette fois, les yeux bleus s’adoucissent un peu. « Ecoute. Je… J’ai besoin d’être seule, tu comprends ? Cet endroit, ces gens, ils … C’est trop pour moi en ce moment. J’ai besoin de temps pour… penser. » Elle sourit très légèrement. « En plus, ce que je vais faire n’est pas si difficile. Le bâtiment est petit et il doit y avoir là-bas trois androïdes, guère plus. » Le sourire quitte ses traits. « Ecoute. Malgré ce qu’en dit Maggie, je ne pars pas en mission suicidaire. C’est juste que… Fais-moi confiance, d’accord ? Je sais ce que je fais. »

 

 

 

Il ne faut qu’un moment pour que Kirsten accepte les paroles de Dakota. Elle peut lire qu’elles sont vraies dans les yeux de l’autre femme, dans la position de ses épaules et la crispation de ses mâchoires. « D’accord. » répond-elle en hochant la tête. « Je préfèrerais que tu partes camper dans les bois quelque part pendant deux jours, mais…c’est ok. Tu pourrais me faire une faveur ? »

 

 

 

Les murailles de Koda se redressent. Kirsten peut même entendre sonner une alarme dans sa tête. Elle sourit pour décontracter l’atmosphère. « Attends-moi ici. Je reviens. »

 

 

 

Un instant plus tard, elle est de retour en tenant entre ses mains un mini-ordinateur de la taille d’une carte de crédit. Dakota lui jette un regard interrogateur. Kirsten explique : « Ce matin, alors que je cherchais le code, j’ai rencontré une anomalie. J’ai travaillé dessus et j’ai découvert une façon de neutraliser temporairement les fonctions moteur des droïdes. »

 

 

 

Dakota hausse les sourcils. « Impressionnant. Combien de temps ? »

 

 

 

« Je ne … suis pas sûre. Cinq, dix minutes. Théoriquement. »

 

 

 

« Théoriquement ? »

 

 

 

« Eh bien, j’ai découvert ce code ce matin seulement. Et ce n’est pas comme si nous avions un approvisionnement d’androïdes sous la main pour le tester. Cela marche en simulation. Pour le reste… » Elle hausse les épaules. « J’ai rentré le code dans ce mini-ordinateur. Tout ce que tu as à faire, c’est l’activer quand tu seras prête, et le poser quelque part. La transmission se fera automatiquement, même si tu n’es pas dans la même pièce que les droïdes. » Elle sourit. « C’est un peu comme une grenade à grande échelle. »

 

 

 

Koda hoche la tête et glisse le mini-ordinateur dans la poche de sa veste. « Merci. »

 

 

 

« De rien. »

 

 

 

Un moment de silence inconfortable s’installe entre elles. « Bon… je te verrai plus tard. »

 

 

 

Alors qu’elle fait mine de se tourner pour partir, Kirsten la retient en posant sa main sur son bras.

 

 

 

« Quoi ? »

 

 

 

Kirsten prend une grande inspiration et lance : « Juste… Fais attention, ok ? »

 

 

 

« Oui. »

 

 

 

« Ces gens, Dakota, » continue Kirsten, « que tu le veuilles ou non, dépendent de toi. Tu es importante pour eux. » Elle s’arrête brièvement, rassemblant son courage, mais incapable de croiser le regard de Koda. Sa voix, quand elle reprend, est aussi douce qu’un pétale de rose. « Tu es importante pour moi. »

 

 

 

Avec une expression où se mêlent tendresse et tristesse, Dakota pose délicatement sa main sur la joue de Kirsten. Les yeux qui se fixent finalement dans les siens, sont voilés par l’indécision, et à bien y regarder, par la peur aussi. La peur d’une enfant qui viendrait de révéler son plus grand secret et attend maintenant d’être giflée. Qui t’a blessée ? pense-t-elle, alors qu’elle penche la tête vers la jeune femme. Qui t’a fait du mal pour que tu aies si peur d’ouvrir ton cœur ?

 

 

 

Comme dans un rêve, Kirsten sent les lèvres de Koda frôler les siennes ; douces, comme les ailes d’un papillon, aussi chaudes qu’une promesse.

 

 

 

Essentielles, comme si une pièce de son âme, longtemps placée de travers, trouvait enfin la bonne position.

 

 

 

C’est terminé aussi vite que commencé, mais quand elle ouvre les yeux, elle sait qu’elle a changé pour toujours. Koda lui sourit, d’un sourire doux et tendre, rempli de tant de choses, rempli de…tout.

 

 

 

Et quand elle lui lance un léger « au revoir » et se tourne pour partir, elle ne peut que rester debout, stupéfaite, ses doigts caressant délicatement ses lèvres.

 

 

Table des matières

 

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