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INSURRECTION22

Page history last edited by PBworks 15 years, 10 months ago

INSURRECTION

 

De Sword'n'Quill (Susanne Beck)

 

SwordnQuil@aol.com

 

écrit avec T Novan et Okasha

 

 

Traduction : Kaktus et Fryda

 

 

Table des matières

 

 

 

CHAPITRE VINGT-DEUX

 

 

 

Kirsten pénètre dans la maison silencieuse. Elle tente un « Dakota ? Maggie ? » mais ne reçoit aucune réponse sauf un petit gémissement d’Asimov. Sans bruit, elle traverse le couloir et appuie sur le bouton de la lumière. La lueur des lampes avec leurs abat-jour démodés révèle des rangées de livres posés sur une étagère.

 

Une faible odeur de lavande et de cire parfumée au citron flotte dans la maison, mais il n’y a pas de repas dans le four ni de feu dans la cheminée. Elle a l’endroit pour elle toute seule et en est contente.

 

 

 

Elle est habituée à la solitude et en a besoin de temps en temps comme elle a besoin d’air. Trop de choses se sont passées ces deux derniers jours – trop de choses simplement dans les heures qui ont suivi son départ en promenade avec Asi – pour qu’elle puisse aisément tolérer une autre présence humaine. Elle sait pourtant que son inquiétude va la tenailler jusqu’au retour de Koda de son raid à la maternité, mais elle sait aussi que la femme qui a mené la bataille de la Cheyenne ne se laissera pas submerger par un couple de droïdes et un ou deux larbins humains.

 

Elle pénètre dans la salle à manger et fait glisser ses doigts sur la vénérable édition du Déclin de l’Occident (NDLT : Le Déclin de l'Occident est une œuvre de synthèse qui analyse l’histoire en distinguant des grandes cultures qui semblables à des êtres biologiques naissent, vivent, déclinent et meurent. L’auteur développe une vision cyclique ou « sphérique » de l'histoire où cette dernière n'a pas de sens. Chaque culture est déterminée par son héritage, ses valeurs et son sentiment du destin.) que Koda est en train de lire. Un morceau d’histoire, lu quelque part dans un livre ou un article lui revient en mémoire. Le grand chef de guerre Oglala, Crazy Horse, n’a pris des scalps qu’une seule fois dans sa vie adulte, lors d’un raid contre la tribu des Crow, à cause de son immense douleur d’avoir perdu sa fille. Et Dakota a adopté ses couleurs. Un frisson court sur sa peau. Tshunka Witco (NDLT: Crazy Horse) est né près de la Cheyenne, là où ils ont combattu l’armée des droïdes.

 

 

 

Et a peut-être ainsi, nommé son héritière, un siècle et demi plus tard, dans le feu et le sang de la bataille ?

 

 

 

C’est plus de mysticisme que ce que peut supporter son estomac vide. Kirsten se dirige vers la cuisine, Asimov la dépassant pour aller se placer près de sa gamelle, les yeux brillants et la queue battant comme un métronome.

 

 

 

 

Son museau disparaît dans sa pâtée à l’instant même où elle tombe dans l’écuelle. Le choix de Kirsten n’est guère plus varié. Une inspection dans le frigo ne lui offre qu’une boîte de soupe aux légumes ; une investigation plus poussée dans le garde-manger rajoute au menu une boîte de fruits en conserve, quelques haricots, du maïs, des oignons et des pommes de terre. Les repas sont maintenant peu variés. Les autres protéines, comme le lait, le fromage, les œufs, sont devenues de plus en plus rares. C’est un problème qu’il va falloir étudier, mais pas par elle et pas ce soir. Il y a trop de choses à régler avant.

 

 

 

Pendant que la soupe chauffe, Kirsten fouille dans la boîte à pain et en sort triomphalement le dernier morceau d’une miche cuite par Koda quelques jours avant. Elle songe à en laisser pour Maggie et Koda mais la faim et la tension accumulée sont plus fortes que la politesse. Elle le pose directement sur la plaque et le retourne une ou deux fois, comme un pancake, puis transporte son repas jusqu’à la table. Pendant trente minutes, elle décide de ne penser à rien d’autre qu’à la nécessité de se nourrir, rien de plus important que le va et vient de la cuillère entre le bol et sa bouche. Sa vie émotionnelle peut attendre la fin du repas.

 

 

 

Une heure plus tard, elle est assise près du feu qu’elle a allumé pour se tenir compagnie, les doigts immobiles, posés sur les touches de son clavier. Elle ne parvient pas à se concentrer sur les chaînes de figures qui traversent son écran. Le travail à accomplir est plus urgent que jamais. Contrairement aux habitants de Rapid City, qui ont opté avec optimisme pour le fait que les droïdes ont été définitivement battus à la bataille de la Cheyenne, Kirsten sait, mieux que personne, le danger auquel ils font toujours face, eux et le reste des survivants.

 

 

 

Elle ne parvient toutefois pas à se persuader de donner à son travail toute son attention. Pas maintenant.

 

 

 

Les flammes jaillissent devant ses yeux et leur couleur orange et pourpre lui rappelle les feux aperçus dans la vallée de son rêve et la brise dans les cheveux de la guerrière qu’elle a vu quatre fois en tout maintenant. La première fois, la femme lui a barré le passage dans la spirale qui l’entraînait vers la mort ; la seconde, la troisième et la quatrième fois, dans la clinique, alors que n’importe qui pouvait la surprendre, la femme était plus qu’une image éphémère et une voix. Il y avait un passé derrière elle, un passé que Kirsten, sous sa forme étrange, avait investi, dans un endroit – un champ de bataille ? – quelque part près d’un plan d’eau appelé ‘Douglas’ ou quelque chose comme ça.

 

 

 

Quelque part. A une autre époque.

 

 

 

Kirsten émet un petit son de mécontentement, et Asi, couché de tout son long sur les briques chaudes devant l’âtre, lève la tête vers elle. Elle étend un pied vers le chien afin de lui gratter le ventre, et il se calme. C’est déjà plutôt moyen de délirer sur ces rêves ; c’est pire de se rendre compte qu’on commence à tolérer une douzaine de suppositions embrouillées qui n’ont pas de fondement. Presque inconsciemment, ses doigts se mettent à courir sur le clavier, tapant le seul nom dont elle se souvienne, cherchant sa place et son temps dans le monde réel. Avec un peu de chance, elle ne trouvera rien et pourra attribuer cet épisode à une imagination hyperactive et traumatisée.

 

 

 

Douglass : Gaélique écossais. De Dubh – noir ; sombre, et glass –cours d’eau. 1. Le nom d’une famille importante dans l’histoire écossaise. 2. Le site d’une des douze batailles légendaires du roi Arthur, qui se trouverait au sud-ouest de l’Ecosse.

 

 

 

Et la lumière des héros a brillé autour de toi la première fois que je t’ai vue sur les rives de la Dubhglass, anama-chara. Et j’ai compris que je ferais l’impossible pour que tu deviennes mon âme –sœur.

 

 

 

Ses pensées s’éloignent à toute vitesse, comme si on venait de la frapper.

 

Elle refuse de se perdre dans les brouillards du monde Arthurien, au mieux dans une fantaisie para historique. Mais au moins, elle a trouvé un point d’appui.

 

 

 

Petit a) Les anciens celtes – les vrais anciens celtes, assez anciens pour ne pas être mêlés aux légendes de Camelot, étaient entraînés, hommes comme femmes, pour devenir des guerriers. Les plus grands maîtres d’armes, ayant tout appris à des héros comme CuChullain (NDLT : héros irlandais célèbre), étaient des femmes.

 

 

 

Petit b) Les anciens celtes, y compris les femmes, combattaient nus. Une brève anecdote relate comment Onduaya, femme de Vercingétorix, emmena les femmes gauloises se battre contre les troupes de César, et causèrent de grands dommages aux Romains avant qu’ils ne reprennent leurs esprits. Kirsten se retrouve en train de sourire à cela, sans qu’elle sache vraiment pourquoi. Quelque chose en rapport avec l’humiliation du divin Jules entre les mains d’une femme guerrière lui plaît immensément.

 

 

 

Petit c) Les anciens celtes peignaient, ou parfois tatouaient leurs corps avec de la guède, un colorant végétal bleu. Ils tressaient leur chevelure en une coiffure compliquée pour aller combattre, ce qui donnait une prise en moins à leurs ennemis. Une illustration montre l’aspect de casque que donnaient les tresses liées en queue de cheval et formant une couronne sur le sommet de la tête. Une autre présente l’alternative, les cheveux coupés courts et dressés avec de la chaux, tels des piquants de hérissons. Le premier punk, 1000 ans avant Jésus Christ.

 

 

 

Petit d) Les anciens celtes étaient, selon César, des grands partisans de ‘l’amour viril’. Bien que l’empereur ne le mentionne pas dans ses Guerres Gauloises, il est admis que ce système de valeurs guerrier s’étendait aussi à ‘l’amour féminin’.

 

 

 

Ce qui la ramène à…

 

 

 

Très doucement, Kirsten referme le couvercle de son ordinateur, fixant le feu. Ce qui la ramène à ce moment furtif dans le couloir et le bref frôlement des lèvres de Dakota sur les siennes. La chaleur qui envahit son visage n’a rien à voir avec le feu. Elle sait, dans cette partie irrationnelle de son esprit, qu’elle n’a pas à avoir peur que ce baiser soit juste un au revoir. Dakota n’est ni incompétente, ni – sauf quand elle charge à travers un pont en ruines – irréfléchie, et Kirsten sait au plus profond d’elle-même, que la guerrière n’échouera pas dans sa mission.

 

 

 

Mais si ce n’était pas un au revoir… D’après ce qu’elle en sait, chez les Oglala Lakota, on n’a pas l’habitude d’embrasser tout le monde à tout bout de champ, tout sexe confondu, avec ou sans provocation, ni le bénéfice d’une présentation officielle.

 

 

 

Ses yeux se ferment, presque sans qu’elle s’en rende compte, et elle se remémore le contact bref, pas dans son esprit, mais sur ses lèvres. Il y avait de la tendresse dans sa chaleur, une promesse de passion aussi, pourtant il n’y avait aucune exigence. Cela ne ressemblait à rien de comparable à sa maigre expérience, limitée à un ou deux accouplements maladroits à l’arrière d’une ancienne Bronco, emplis de plus de curiosité que d’émotion. L’expérience, avait-elle pensé à l’époque, n’étais pas aussi transcendante que ça l’aurait dû.

 

 

 

Mais ceci… Ses rêves ont été passionnés et ont laissé des signes physiques de cette passion sur sa peau. Une image de ces rêves se reforme derrière ses yeux clos, vacillante dans les ombres que le feu dessine sur ses paupières. La bouche rouge de la femme qui s’abaisse vers la sienne, ouverte et offerte, ses cheveux détachés, ses yeux couleur de saphir dans la pénombre. La lumière change et le visage s’est aussi transformé, la peau est bronzée et les pommettes rehaussées, tandis que les longs cheveux noirs forment une cascade ruisselant sur de larges épaules. Seuls les yeux sont les mêmes, aussi bleus que le ciel du crépuscule.

 

 

 

 

Délibérément, Kirsten pose l’ordinateur et va se placer devant le miroir dans le couloir. La lumière du feu et l’unique lampe allumée derrière elle projettent des ombres sur son reflet. Elle observe ses traits, ses cheveux pâles couleur maïs qui ont poussé jusqu’à sa nuque durant les derniers mois, son visage qu’elle a toujours considéré comme plat. Ses yeux, probablement son côté le plus attrayant, paraissent plus grands et sombres dans la faible lumière. Dakota Rivers est belle, grande, gracieuse et sûre d’elle.

 

 

 

Tout ce que Kirsten n’est pas.

 

 

 

Et pourtant… Elle pose ses doigts sur ses lèvres, incrédule. Et pourtant, il semblerait qu’elle trouve Kirsten désirable, même si elle a comme amante quelqu’un d’aussi élégant et assuré qu’elle-même.

 

 

 

Le passé est le futur, a dit Wika Tegalega. Son passé ? Celui de Dakota ? Il n’y a rien dans le sien qu’elle n’ait envie de répéter, et certainement pas les tâtonnements puérils de ses années d’étude. Le passé de Dakota lui est largement inconnu, mis à part quelques faits qu’elle a laissé échapper, et la perte de Tali, son premier amour et sa première femme. Kirsten n’a rien dans son expérience qui se mesure à ça.

 

 

 

Elle ne se permettra pas de penser qu’il puisse y avoir plus que du désir. Si elle se laissait tenter, elle risquerait d’abandonner son cœur à la chance, et le hasard joue déjà un trop grand rôle dans sa vie.

 

Elle reste un long moment de plus devant le miroir. Puis elle couvre le feu avec soin, laissant la lampe allumée pour le retour de Maggie ou celui de Dakota.

 

 

 

Asimov sur ses talons, elle glisse hors de ses vêtements et enfile le survêtement léger qu’elle porte encore pour dormir, afin de lutter contre le froid de ce début de printemps. Elle ne saurait dire combien de temps elle reste éveillée, mais assez longtemps pour entendre la clé dans la serrure quand Maggie rentre, d’une façon plus légère que Dakota, puis son pas rapide sur le sol du hall d’entrée. La porte de la chambre de Maggie se referme, et après cela, le seul bruit dans l’obscurité est le doux ronflement d’Asimov couché près du lit. Aux environs du matin, elle s’endort enfin et rêve.

 

 

 

**************

 

 

 

 

L’aube vient à peine de commencer à illuminer l’horizon quand Kirsten roule hors de son lit et s’étire, se sentant étrangement reposée. Etrangement, parce que depuis qu’elle a commencé à dormir sur ce matelas grumeleux, elle n’a jamais vraiment passé une bonne nuit de sommeil. Bien entendu, cela n’aiderait pas de se plaindre à ce sujet, du moins pas à voix haute. Elle sait qu’elle est chanceuse d’avoir un toit sur sa tête. Sacrément chanceuse. Beaucoup d’autres se contentent de bien moins.

 

 

 

Du moins, ceux qui sont encore en vie.

 

 

 

Secouant la tête pour en chasser des idées trop noires pour commencer la journée, elle s’étire à nouveau et passe une main dans ses cheveux en bataille, les remettant plus ou moins en ordre, alors que des bribes des rêves qui lui ont tenu compagnie cette nuit filtrent à travers les brumes de son réveil.

 

 

 

Ce ne sont pas vraiment des images mais plutôt des couleurs, comme les rêves qu’elle avait pris l’habitude de faire quand sa surdité était si totale que même le souvenir des voix humaines lui semblait totalement perdu.

 

 

 

La fumée tourbillonnante grise du doute et de la confusion émergeant dans les millions de verts de la peur. Le rouge pourpre de la rage brillant dans l’or de la passion. Les couleurs et leurs émotions liées flottant et se mélangeant les unes aux autres dans des kaléidoscopes étourdissants qui changent avec chaque frémissement de ses paupières jusqu’à ce qu’elle crie pour demander du répit.

 

 

 

Et il arrive. Un bleu des Caraïbes, profond, qui l’élève et l’apaise, et s’installe au-dessus d’elle.

 

 

 

Et enfin, elle connaît la paix.

 

 

 

Asi entend les bruits un dixième de seconde avant elle, et s’élance vers la porte en gémissant et en lui lançant un regard suppliant. Kirsten sourit et sent son pouls s’accélérer d’anticipation. Elle traverse la petite pièce en quelques enjambées et elle ouvre largement la porte, prenant sa respiration pour parler.

 

 

 

Une respiration qu’elle relâche lentement en découvrant, non pas Dakota, mais Maggie, droite au milieu de la salle à manger, enfilant sa veste avec des gestes brusques, ses sourcils froncés d’inquiétude.

 

 

 

« Maggie ? »

 

 

 

 

« Elle n’est pas rentrée la nuit dernière. » lance-t-elle, en tirant d’un coup sec sur l’ourlet de sa veste. « Je vais aller la chercher. Vous restez ici au cas où elle reviendrait. »

 

 

 

« Elle est de retour. » la tranquillise Kirsten. « Et elle va bien. »

 

 

 

Maggie relève lentement la tête. Ses yeux noirs se fixent sur la porte ouverte derrière Kirsten. Un éclair d’émotion que Kirsten ne peut, ou ne veut pas identifier, se lit sur son visage puis disparaît. « Je vois. »

 

 

 

La température dans la pièce tombe brusquement, laissant Kirsten sur une pente glissante. « Non ! » réplique-t-elle finalement au moment où Maggie va se détourner. « Elle n’est pas… Je veux dire, elle n’a pas… Oh, et merde. » Elle soupire et décide de suivre son instinct.

 

 

 

« Voulez-vous simplement… venir avec moi ? S’il vous plaît. »

 

 

 

« Où ? »

 

Si le mot était visible, prononcé ainsi par Maggie, il aurait la forme d’un bloc de glace. Kirsten déglutit péniblement, se retrouvant confrontée à une femme très différente de celle qu’elle a fini par considérer, du moins d’une certaine manière, comme une amie. Prenant toutefois son courage à deux mains, elle fait courageusement face à la Colonel. « Accompagnez-moi. S’il vous plaît ? »

 

 

 

« D’accord. » grommelle Maggie. « Mais rapidement. J’ai des tas de choses à faire aujourd’hui. »

 

 

 

« Super ! Je mets ma veste et on y va. »

 

 

 

Les deux femmes sortent dans le matin froid. Le ciel est gris perle et la brise, bien que glacée, amène avec elle des senteurs de terre humide et de bourgeons. Cela provoque un sourire inconscient sur le visage de Kirsten et une allégresse dans ses pas alors qu’elle traverse la petite pelouse de Maggie et prend la rue menant à la clinique vétérinaire. Asi bondit en avant, stoppant à ses coins habituels et baptisant plusieurs nouveaux arbres. Maggie les suit d’un pas plus posé, les mains enfoncées dans ses poches et les yeux fixés vers le sol. Elle se sent mal à l’aise, déchirée en l’espace de cinq minutes, entre sa peur pour la sécurité de Dakota et une jalousie fulgurante qu’elle avait pourtant passé des heures à se convaincre de ne pas posséder.

 

 

 

 

Super. Pense-t-elle avec un rictus de dépit. Je suis finalement devenue folle. Je vole dans les plumes d’une femme sans aucune raison. Une femme qui, de plus, va devenir ma supérieure. Et tout ça avant le petit déjeuner. Super.

 

 

 

 

Relevant la tête, elle regarde en direction du hangar où elle sait que son Tomcat l’attend patiemment. Une douleur brève étreint son cœur et elle détourne le regard. Bon Dieu.

 

 

 

Ignorante des pensées tourmentées de Maggie, Kirsten traverse rapidement la cour de la clinique, presque joyeusement, et pousse la porte, accueillant la vague de chaleur, mêlée d’odeurs animales, avec un sentiment de réel plaisir. Asi se précipite à l’intérieur et va s’installer à sa place habituelle sur le sol de la salle d’attente, attrape un jouet dans la caisse et y enfonce ses dents avec assurance.

 

 

 

Kirsten tient la porte d’entrée ouverte pour Maggie, qui la suit derrière une deuxième porte, menant dans le couloir immaculé où s’alignent les salles d’examens de chaque côté. La porte tout au bout les amène dans l’ère d’isolement et est bloquée par les corps de Tacoma , Manny et Andrews, qui regardent, immobiles comme des statues, à travers la vitre.

 

 

 

En les entendant, Tacoma se tourne et leur sourit en leur faisant signe de se rapprocher. Kirsten atteint le petit groupe la première et Manny s’écarte. Quand elle regarde à l’intérieur de la salle, ses yeux s’écarquillent d’émerveillement et son cœur enfle, presque comme s’il allait éclater.

 

 

 

Là, sur le tapis, Dakota est couchée sur le dos, ses cheveux d’ébène formant une couronne autour de sa tête. Etendue de tout son long contre elle, la louve, libérée de l’IV, a posé sa tête massive contre son côté gauche. Et lové en sécurité contre sa poitrine repose le louveteau. Tous les trois sont profondément endormis.

 

 

 

Kirsten peut entendre le léger hoquet de surprise de Maggie tandis que Tacoma commence à murmurer sur sa gauche.

 

 

 

« Elle est revenue très tard hier soir et a opéré le coyote et le lynx. Ils vont bien tous les deux. »

 

 

 

Kirsten hoche la tête avec soulagement.

 

 

 

« Puis elle nous a ordonné de rentrer et impossible de lui dire non, alors c’est ce qu’on a fait. » Derrière elle, elle sent le rire silencieux de Manny tandis que Tacoma continue. « On est revenu ici il y a dix minutes. Toutes les cages sont propres et les animaux ont l’air d’aller bien, alors je suppose qu’elle vient juste de s’endormir. »

 

 

 

« Elle est en sécurité comme ça ? » demande Kirsten, un peu nerveusement, en voyant la louve remuer légèrement et montrer ses dents en un large bâillement canin avant de se réinstaller contre la chaleur du corps de Dakota.

 

 

 

« Ouais. » répond Tacoma. « Elle est avec sa famille. »

 

 

 

Elle tourne lentement la tête, rencontrant le regard de Tacoma, pas vraiment sûre d’y voir ce qu’elle attend. De l’humour au sujet des excentricités de sa sœur peut-être ? Ou de la jalousie ? Mais ce n’est rien de tout cela. La seule émotion qu’il montre, c’est une immense fierté, et quand il retourne ses yeux vers la vitre, une adoration qui est habituellement réservée à un très haut pouvoir.

 

 

 

Et soudain, tel le Grinche du vieux conte de son enfance, elle reconnaît et admet ce qu’elle ressent elle-même en voyant la scène qui s’offre à elle dans la pièce de cette clinique.

 

 

 

Simple, complexe, et totalement irrésistible.

 

 

 

De l’amour.

 

 

 

Ce moment est interrompu par le son de la porte du couloir s’ouvrant sur Shannon, l’air toujours épuisé, qui fait irruption dans la pièce, en se frottant le visage et en bâillant à s’en décrocher la mâchoire.

 

 

 

Se retournant rapidement, Tacoma lui barre la route et escorte gentiment la jeune femme à moitié endormie en direction d’où elle venait. Les autres les suivent, laissant Kirsten, toujours en train de regarder derrière la vitre, luttant contre une émotion, une révélation, si monumentale qu’elle lui coupe littéralement la respiration.

 

 

 

Je suis amoureuse d’elle.

 

 

 

 

Ces mots tournent et retournant dans sa tête, chaque fois avec un accent différent et ils finissent par être martelés si fort dans son coeur et son esprit qu’elle craint de les crier à haute voix.

 

 

 

Mais c’est un murmure infime qui franchit ses lèvres, dans ce couloir vide. Son souffle, alors qu’elle laisse échapper les mots, forme une petite fleur de buée contre la vitre, embrumant la scène devant elle.

 

 

 

« Je suis amoureuse de toi. »

 

 

 

**********

 

 

 

Dans la salle d’attente, trois hommes se sont figés sous le regard immobile de Maggie, près de la porte d’entrée. « Il faut que nous parlions. » Sa voix, bien que calme, est aussi autoritaire que celle d’un dieu. « Soyez dans mon bureau d’ici deux heures. »

 

 

 

Et elle s’en va, laissant les hommes s’appuyer contre les murs et le bureau.

 

 

 

 

« Ça va être notre fête. » grommelle Manny, passant une main nerveuse dans ses cheveux coupés courts.

 

 

 

« On est baisés. » l’approuve Andrews, aussi pâle qu’une brique de lait.

 

 

 

« Allez, les gars. » reprend finalement Tacoma, en jetant un regard rapide vers le corridor. « Allons nous rendre présentables avant qu’elle ne dépose nos entrailles sur un plateau. »

 

 

 

Les trois hommes quittent le bâtiment, laissant derrière eux une femme déconcertée, tentant de se convaincre qu’elle est toujours en train de rêver.

 

 

 

***********

 

 

 

Maggie ouvre la porte de son bureau et allume la lumière. Les tubes fluorescents crépitent, leur lueur froide tombant sur le bureau spartiate et les chaises en métal et donnant vie aux guépards qui ornent la tapisserie et partagent le mur avec des photos omniprésentes représentant des avions de combat.

 

 

 

 

 

L’une d’entre elles montre Maggie elle-même, en équilibre sur l’échelle de son avion, le splendide logo orange et or représentant un chat sauvage derrière elle. Cette photo et la tapisserie représentent le seul élément personnel dans cette pièce. Tout est en rapport avec la chef d’escadron qu’elle est, pas la femme.

 

 

 

Maggie relève le store qui couvre l’unique fenêtre, lui donnant une vue sur la piste d’envol près des hangars. Ce n’est pas exactement un panorama de cinéma mais ces nuances de pavés gris ne cesseront jamais de lui plaire. Aujourd’hui, ils sont surmontés par le ciel pâle empli de nuages blancs, et une part d’elle-même désire quitter le sol et se perdre dans cet air bleu et ces nuages formant des champs de neige pure.

 

 

 

Mais elle n’est pas ici pour cela aujourd’hui. Elle ouvre le tiroir supérieur de son armoire de bureau et en sort deux dossiers épais qu’elle dépose sur le bureau. Elle en extrait un troisième, vide, d’un autre tiroir, et y écrit le nom de Tacoma Rivers. Il ne dépend pas strictement d’elle, mais en ayant suivi sa sœur à la Base et combattu sous le commandement de Maggie, ça a fait de lui un de ses officiers. Elle est donc responsable de lui et des ses actes.

 

 

 

Elle regarde brièvement sa montre. Dix minutes.

 

 

 

Elle utilise ce temps pour consulter un quatrième dossier, contenant un rapport médical détaillant la manière et la cause de la mort du dénommé William Dietrich, de Rapid City, Dakota Sud, et actuellement une épine dans le pied de Maggie. Selon le médecin qui l’a examiné, une balle 9mm est entrée dans le lobe frontal de Dietrich, entre les orbites. Elle est ressortie à l’arrière du crâne, charriant avec elle une large portion du cerveau et du cervelet de Mr Dietrich. La mort a été instantanée et n’est attribuable ni à un accident ni à un suicide.

 

 

 

En langage clair, Manny a abattu ce salopard à bout portant d’une balle entre les deux yeux. Le dit salopard est mort avant de toucher le sol.

 

 

 

Le corps n’a pu être rendu à la famille car il n’y a aucune information sur les relations ou la résidence de Mr Dietrich. Il n’avait aucune pièce d’identité et n’est pas sur la liste des abonnés du téléphone de Rapid City. Maggie prend note de faire interroger les trois brutes actuellement en cellules pour avoir tiré sur la louve. Statistiquement, il y une petite chance qu’ils aient connu Dietrich. En se basant sur la théorie qui dit qu’un voyou sadique connaît d’autres voyous sadiques.

 

 

 

 

Une ombre passe devant sa fenêtre. Maggie lève la tête juste à temps pour voir trois hommes en uniforme, deux en bleu, un en gris. Quand on frappe à la porte quelques secondes plus tard, elle est debout derrière son bureau, s’attribuant toute la place libre pour elle-même mise à part une bande étroite au fond de la pièce. Elle les laisse attendre assez longtemps pour qu’ils frappent une seconde fois, puis lance : « Entrez. »

 

 

 

Ils pénètrent dans la pièce un par un, la saluent puis se tiennent debout devant elle avec leurs képis sous le bas gauche. Comme ils n’ont d’autre choix, ils s’alignent contre le mur : le Sergent Tacoma Rivers, Armée des Etats-Unis d’Amérique, au milieu son cousin le Lieutenant Manuel Rivers, Armée de l’air, et près de la porte, le Lieutenant Barnard Andrews, Armée de l’air. Les trois paires d’yeux sont fixées sur un point derrière sa tête et tous trois se tiennent droit et strictement immobiles.

 

 

 

Elle laisse le silence se prolonger en les regardant tour à tour, avant de prendre calmement la parole. « J’ai ici sur mon bureau le rapport médical de la mort violente de Mr William Dietrich, citoyen de Rapid City. Il est mort d’une unique balle en pleine tête. Quoi qu’il se soit passé, nous sommes face à une crise potentielle entre les citadins et le personnel de la Base. Je n’ai pas besoin, du moins je l’espère, de vous rappeler les récents événements au portail principal et pourquoi cette mort n’est pas seulement une grave affaire, mais une Très Grave Affaire. »

 

 

 

« Non, M’dame. » répond Andrews d’une voix égale.

 

 

 

Maggie fait deux pas pour se placer directement en face de lui. Elle jette : « Vous avais-je posé une question, Lieutenant ? »

 

 

 

Sa pomme d’Adam monte et descend sous le nœud de sa cravate. « Non, M’dame. »

 

 

 

Délibérément, elle se place devant chaque homme et les inspecte de la pointe de leur chaussures bien cirées jusqu’au sommet de leur crâne. Finalement, elle demande : « Lieutenant Rivers. Expliquez-moi ce que vous et le Lieutenant Andrews faisiez dans les bois le jour où Mr Dietrich a été tué. »

 

 

 

« Nous cherchions des pièges illégaux, M’dame. Nous pensions les trouver dans cette zone. »

 

 

 

« Pourquoi ? »

 

 

 

« Pour les enlever, M’dame. Et pour venir en aide aux animaux qui pouvaient y être pris, M’dame. »

 

 

 

« Qu’est-ce qui vous faisait penser que vous pourriez trouver des pièges illégaux ou des animaux blessés dans cette zone ? »

 

 

 

De la colère passe dans les yeux de Manny. Chauffée à blanc. Maggie l’ignore. « Eh bien ? »

 

 

 

« Ma cousine, le Dr Rivers avait trouvé un loup dans un piège similaire la veille, M’dame. Il était à l’agonie et a dû être euthanasié, M’dame. »

 

 

 

« Alors, vous avez décidé d’en chercher d’autres. »

 

 

 

« C’est exact, M’dame. »

 

 

 

Maggie a déjà entendu parler de la découverte du loup mutilé dans le piège, par monosyllabes de la part de Koda, et avec plus de détails par Kirsten. Elle suspecte qu’elle est encore loin de tout connaître sur l’histoire, mais ne veut pas violer la vie privée de Koda en obtenant plus d’informations d’autres personnes. « Qu’avez-vous trouvé ? »

 

 

 

« Nous avons découvert quatre pièges vides de plusieurs tailles, M’dame. Mais nous avons trouvé aussi un coyote toujours en vie, avec une queue mutilée, un lynx avec une patte brisée et un blaireau presque mort, souffrant d’une infection avancée. »

 

 

 

« Et qu’avez-vous fait ? »

 

 

 

« Le Lieutenant Andrews et moi-même avons récupéré le coyote et le lynx, euthanasié le blaireau et transporté les animaux survivants jusqu’à la clinique vétérinaire de Ellsworth, où ils ont été soignés, M’dame. »

 

 

 

« Andrews ! »

 

 

 

« M’dame ? »

 

 

 

« Dites-moi comment Dietrich est arrivé dans tout ça ? »

 

 

 

Les yeux d’Andrews n’ont pas quitté le point sur le mur derrière la Colonel. « Il est arrivé près de la trappe qui piégeait le lynx au moment où nous allions le libérer, M’dame. »

 

 

 

« A pied ou en voiture ? »

 

 

 

« A pied, M’dame. »

 

 

 

« Armé ? »

 

 

 

« Oui, M’dame. »

 

 

 

« Quelle arme ? »

 

 

 

« Un fusil de chasse, M’dame. »

 

 

 

« Vous a-t-il menacé, vous ou le Lieutenant Rivers ?

 

 

 

« Oui, M’dame. »

 

 

 

« Verbalement ou avec le fusil ? »

 

 

 

« Les deux, M’dame. »

 

 

 

« Qu’a-t-il dit ? »

 

 

 

« Il nous a dit de laisser ses pièges, M’dame. Il nous a traité de voleurs. »

 

 

 

« Et ? »

 

 

 

« Je lui ai dit que les pièges de cette sorte étaient illégaux et que nous allions emmener les animaux pour les soigner. »

 

 

 

« Et ? » aboie Maggie. « Est-ce que je dois vous arracher les mots avec un pied-de-biche, Andrews ? »

 

 

 

« Non, M’dame. » Andrews rougit violemment sous ses taches de rousseur. « Il a dit que nous étions deux petits pédés au cœur tendre et des trous du cul pour oser voler à un vrai homme son gagne-pain, Et que nous ferions mieux de déguerpir avant qu’il nous enfonce son fusil… euh, c’est-à-dire… »

 

 

 

Maggie a presque pitié de lui, mais elle ne peut se le permettre. « Qu’il enfonce son fusil, Lieutenant ? »

 

 

 

« Euh… dans nos…fesses, M’dame. Et qu’il éparpille nos entrailles pourries jusqu’en enfer. » Le rouge est devenu cramoisi, recouvrant aussi la nuque du jeune homme. « M’dame. »

 

 

 

« Répondez-moi avec précision, Lieutenant. Avez-vous vu, ou du moins perçu, que Mr Dietrich semblait diminué de quelque manière que ce soit ? »

 

 

 

« Vous voulez dire, comme s’il était ivre, M’dame ? »

 

 

 

« Il l’était ? »

 

 

 

« Je ne le pense pas, M’dame. Il n’avait pas d’alcool sur lui et je n’en ai pas senti non plus. »

 

 

 

« Rivers ? »

 

 

 

« Non, M’dame. Pas d’odeur et rien sur lui quand nous l’avons fouillé… euh, plus tard. »

 

 

 

« Qui a tiré sur lui ? » Maggie se recule et les regarde tous maintenant.

 

 

 

« C’est moi, M’dame. » répond Manny.

 

 

 

« Pourquoi ? »

 

 

 

« Il nous menaçait avec son fusil, M’dame. »

 

 

 

« Avant ou après ses menaces verbales ? »

 

 

 

« Après, M’dame. Il a pointé son fusil droit sur le Lieutenant Andrews. »

 

 

 

« Pourquoi portiez-vous une arme ? Vous pensiez rencontrer quelqu’un ? »

 

 

 

 

« Nous avions deux armes, M’dame. Un pistolet avec moi et un fusil dans le véhicule. Nous les avions emporté pour notre sécurité et parce que nous pensions peut-être trouver des animaux qu’on ne pourrait pas aider. »

 

 

 

« Vous avez tiré sur Dietrich avec le revolver ? »

 

 

 

« Oui, M’dame. »

 

 

 

« Pour défendre la vie du Lieutenant Andrews. »

 

 

 

« Oui, M’dame. »

 

 

 

« Etes-vous prêt à l’attester sous serment devant un tribunal militaire ? »

 

 

 

« Oui, M’dame. »

 

 

 

« Andrews ? »

 

 

 

« Oui, M’dame. »

 

 

 

Finalement, elle tourne son attention vers Tacoma. « Sergent Rivers ? »

 

 

 

« M’dame ? »

 

 

 

« Question simple : qu’est-ce que vous savez et quand l’avez-vous su ? »

 

 

 

Tout comme son cousin, les yeux de Tacoma sont emplis de colère. « Je savais que les Lieutenants Rivers et Andrews étaient partis à la recherche d’autres pièges et d’autres animaux, M’dame. Je ne savais pas qu’ils avaient rencontré quelqu’un ou que quelqu’un avait été tué, jusqu’à leur retour. »

 

 

 

« Mais vous craigniez que quelque chose puisse arriver ? Vous avez réagi plutôt fortement quand on vous a dit que le Lieutenant Rivers était rentré, non ? »

 

 

 

« Oui, M’dame. Comme vous le savez, les pièges et les trappes sont illégaux. »

 

 

 

« Mais enracinés dans la culture locale ? »

 

 

 

« En partie, M’dame. »

 

 

 

« En regard de cela, est-ce que vous avez une idée de combien il est difficile pour nous d’établir des relations avec les habitants du pays ? Nous avons eu deux débuts d’émeute en deux semaines et demi. Et maintenant, deux officiers de l’armée de l’air ont tué un civil. Et malheureusement, vous l’avez tué sans autre témoin. »

 

 

 

« Nous avons un témoin, M’dame. »

 

 

 

Maggie se retourne lentement pour faire face à Tacoma. « Quoi ? Etes-vous en train de me dire qu’il y avait quelqu’un d’autre et que VOUS NE VOUS ETES PAS DONNE LA PEINE DE ME LE DIRE ? » Le hurlement de Maggie écorche sa gorge et manque de faire trembler les carreaux de la fenêtre. Elle espère, très sincèrement, qu’il a fait mal aux oreilles des trois hommes. Elle est satisfaite de voir qu’Andrews se recule.

 

 

 

Tacoma regarde toujours droit devant lui. « Nous avons le corps d’Igmu Tanka Kte, M’dame. Le loup pris dans le piège. Le Lieutenant Rivers l’a ramené. Il est dans le congélateur de la clinique vétérinaire. »

 

 

 

« Et comment cela montrera-t-il que le Lieutenant Rivers a tiré en cas de légitime défense ou pour défendre le Lieutenant Andrews ? » demande-t-elle plus calmement.

 

 

 

« Cela prouvera que Dietrich était un criminel, M’dame, et un des plus vicieux. Cela prouvera qu’il avait une raison d’en vouloir à quelqu’un qui aurait pu établir un lien avec ses activités criminelles. A mon avis, M’dame. »

 

 

 

« Bien. » Maggie s’autorise à adoucir un peu son ton. « C’était une bonne chose de le ramener. » Un doute la transperce. « Est-ce que votre sœur sait qu’il est à la clinique ? »

 

 

 

« Pas encore, M’dame. Le congélateur est fermé à clef et les deux seules clefs sont dans ma poche. »

 

 

 

« Bien. Pour l’amour de Dieu, faites en sorte qu’elle l’apprenne d’une façon correcte. »

 

 

 

« Oui, M’dame. »

 

 

 

Pour la première fois, Maggie passe derrière son bureau, laissant un peu plus d’espace aux trois hommes, toujours droits comme des piquets. « Je vais mettre sur pied une audition formelle à laquelle vous devrez répéter ce que vous m’avez dit, sous serment. Pour le moment, hors de ma vue. Et évitez de vous mettre dans les ennuis. Rompez. »

 

 

 

« Oui, M’dame. »

 

 

 

Ils se raidissent une dernière fois et s’en vont, la laissant pour qu’elle écrive ses recommandations, à la main, en trois exemplaires. Ça a été un long après-midi.

 

 

 

Maggie saisit son stylo et son tube d’aspirine avant de commencer.

 

 

 

**************

 

 

 

Des nombres. Des nombres. Cela lui rappelle une citation entendue lorsqu’elle fréquentait l’école du dimanche, mais elle n’arrive pas à s’en souvenir.

 

Quelque chose à propos d’un festin, d’une main écrivant sur un mur – de ruines et de destruction. Le code partiel qu’elle avait introduit dans le mini-ordinateur emmené par Koda à la maternité semble être un triomphe dépassé et insignifiant à côté de ce dont ils ont vraiment besoin.

 

 

 

Des nombres. Toujours plus de nombres.

 

Pesants et … quelque chose d’autre. Ce n’est pas seulement sa quête qui est devenue une sorte de chasse au dahu. Sa concentration est partie, son esprit et son corps sont agités par des pensées qu’elle n’a jamais eues avant, un mélange d’émotions de désir et d’incrédulité. Elle n’a pas le temps de les éclaircir ; même si elle parvenait à une clarté parfaite, la compréhension l’atteignant de la même façon que la pomme sur la tête de Newton, cela ne servirait à rien. Pas avant qu’elle n’ait trouvé un moyen de détruire les androïdes avant qu’ils puissent anéantir le reste de l’humanité.

 

 

 

Elle se lève, s’étire et se frotte les yeux. Elle n’a pratiquement pas bougé durant les deux dernières heures et en ressent la raideur dans ses muscles. Elle se rend dans la cuisine et met de l’eau à bouillir pour son thé. Asi la suit vers son écuelle avec espoir, mais quand Kirsten ne semble pas vouloir la remplir de pâtée, il va vers la porte et lui donne un léger coup de patte. Elle déteste le garder à l’intérieur, mais ne veut pas le laisser sortir sans surveillance. Pas dans un endroit où de sombres idiots armés s’entraînent en prenant des loups et d’autres animaux pour cibles. « Plus tard, mon chien, c’est promis. »

 

 

 

Quand le thé est prêt, Kirsten retourne à contrecoeur vers son bureau. Une fois de plus, elle se dit que la réponse n’est pas dans le matériel qu’elle a ramené de Minot après tout et que son voyage à travers les plaines du nord aurait tout aussi bien pu se terminer à Shiloh, voire même n’aurait pas dû avoir lieu.

 

 

 

Sauf que si elle n’avait pas tenté le coup, elle ne serait jamais venue jusqu’à cet endroit, où Dakota se trouve. Et cette pensée amène une impression désagréable, aussi claire et précise que sa conviction récente qui lui disait que Koda était revenue saine et sauve de sa mission. Cette impression est présente dans un coin de sa tête depuis des heures, sans forme, semi inconsciente, mais indéniable. Kirsten n’a jamais accrédité la théorie de l’intuition (quelque chose comme des indices subliminaux traités par le cerveau de façon inconsciente), et encore moins admis en avoir elle-même.

 

 

 

Pourtant la certitude que quelque chose de mal est arrivé a capté son attention toute la matinée. Un pressentiment.

 

 

 

Elle fait un effort pour que ce qui cloche s’en aille. Une sorte de sorcière, King. Bientôt, tu conjureras ton arrière-arrière-arrière-arrière grand-mère, la druidesse et vous papoterez du sens de tes visions.

 

 

 

Ou pire, tu prêteras attention à un raton laveur qui pense être l’Oracle de Delphes.

 

 

 

Sa tentative de rationalisation ne fonctionne pas. La sensation persiste et se précise. Quelque chose en rapport avec Dakota. Pas un danger physique, pas de la violence, mais une menace néanmoins.

 

 

 

Kirsten ne sait pas ce qui est le plus troublant ; que cette sensation existe ou qu’elle ne parvienne pas à la cerner.

 

Elle tente de chasser cet inconfort dans la marche inexorable des chiffres qui défilent devant elle et partent dans l’oubli.

 

 

 

Des nombres, encore des nombres. Tous inutiles.

 

 

 

Asimov gémit et quitte la chaleur de l’âtre, trottant jusqu’à la porte. Son jappement aigu se confond avec le coup sur la porte. Kirsten le suit dans le couloir, une peur soudaine asséchant sa gorge. Elle ouvre la porte avant le second coup potentiel.

 

 

 

« Dakota ? » Elle laisse échapper le nom avant d’y penser, sachant pourtant bien que comme elle-même, Dakota possède une clef. Sachant parfaitement aussi que, élevée dans l’hospitalité de la campagne, la vétérinaire a l’air de considérer la porte d’entrée comme celle par laquelle les visiteurs sont accueillis.

 

 

 

« Koda est ici ? » Les mots trébuchent presque en même temps que les siens, faisant écho à sa propre anxiété.

 

 

 

 

Kirsten se retrouve face à Tacoma dont les traits reflètent autant de confusion que d’appréhension. Elle répond d’une voix tendue. « Que se passe-t-il ? »

 

 

 

« Je n’arrive pas à trouver Dakota. J’espérais qu’elle soit ici. »

 

 

 

Kirsten ouvre la porte en grand, l’invitant à entrer. « Que se passe-t-il ? » répète-t-elle.

 

 

 

Tacoma passe devant elle et pénètre dans la salle à manger, Asi sur ses talons. « Rien de spécial. Mais il faut que je lui parle. »

 

 

 

« Elle n’est pas à la clinique ? »

 

 

 

« J’arrive de là-bas. Elle n’est pas avec la Colonel, ni à l’hôpital de la Base et pas non plus dans le bureau de l’avocat d’office. J’ai pensé qu’elle serait avec vous. »

 

 

 

« Oh » J’ai pensé qu’elle serait avec vous.

 

Elle sent une vague de chaleur envahir sa poitrine et gagner son visage. Rapidement, avant qu’il puisse le remarquer, elle lance : « Je vous apporte à boire. »

 

 

 

Quand elle revient avec une deuxième tasse de thé, un moment plus tard, Tacoma a retiré sa veste et s’est assis sur le divan. Sa tête est inclinée et la lumière dessine son profil contre le ciel pâle derrière la fenêtre. Asi, aussi à l’aise avec lui qu’avec sa sœur, est étalé à ses pieds et une des grandes mains de Tacoma caresse distraitement la tête de l’animal. Ce geste la frappe plus que ce qu’aurait pu dire Tacoma. Elle ne l’a jamais vu avec un animal comme c’est le cas maintenant, comme s’il n’était pas entièrement présent, son attention totalement accaparée, comme s’il parlait avec un être humain.

 

 

 

Le frisson est de retour.

 

 

 

Il remarque à peine la tasse qu’elle pose devant lui, forçant sa voix à être calme. « Que se passe-t-il ? Dites-le moi. »

 

 

 

Tacoma saisit la tasse entre ses deux mains, mais ne boit pas. « Il faut que je lui parle. » répète-t-il. « J’ai fait quelque chose qu’elle… » Il s’interrompt, et pendant un moment, Kirsten pense qu’il n’en dira pas plus. Puis, il continue. « C’est quelque chose que je devais faire. Mais cela va la blesser. »

 

 

 

L’espace d’un instant, l’image de la femme endormie avec les loups repasse devant les yeux de Kirsten. Elle sait que Dakota est allée vers eux pour guérir ; mais elle sait aussi, non, bon sang, elle ressent la douleur qui l’a poussée à le faire. « Si je peux aider, je le ferai. » dit-elle prudemment. « Mais je ne peux pas le faire, si je ne sais pas de quoi il s’agit. »

 

 

 

Tacoma secoue la tête, ses cheveux s’échappant de la lanière de cuir qui les maintient contre sa nuque et se répandant sur ses épaules comme une crinière. Après un moment, il reprend : « Vous étiez avec elle lorsqu’elle a trouvé Igmu Tanka Kte. »

 

 

 

« Qui ? »

 

 

 

« Le loup. Celui piégé dans la trappe. »

 

 

 

« Le père du louveteau. »

 

 

 

« Le père du louveteau. Vous avez sûrement entendu dire que beaucoup d’indiens ont des relations spéciales avec certains animaux à quatre pattes ou munis d’ailes. »

 

 

 

Sans parler d’un raton laveur caractériel. Mais il ne s’agit pas d’elle et elle répond à voix haute. « J’en ai entendu parler. »

 

 

 

« La plupart des gens les appelle des totems. » Un geste de sa main écarte le mot et l’idée. « Parfois ils nous visitent juste en rêve ou dans des visions. Parfois c’est un animal vivant qui personnifie cet esprit. »

 

 

 

« Et ce loup était… »

 

 

 

« L’ami de Koda. Pas un esprit, pas le Loup avec un grand L, mais un compagnon, une personne. » Il prend une gorgée de thé. « La plupart des blancs ne comprendraient pas cela. Mais je pense que vous, oui. »

 

 

 

Passant sa propre main dans la fourrure d’Asi, elle répond, la gorge serrée. « Oui, je peux le comprendre. »

 

 

 

« Alors, vous comprendrez que ce que j’ai fait, ce que Manny, Andrews et moi avons fait, en ramenant son corps après avoir arraché les pièges, est… »

 

 

 

« Mais que… » Elle s’interrompt. « Dakota ne le sait pas. »

 

 

 

« Elle ne le sait pas. » confirme Tacoma. « Elle ne sait pas non plus qu’il est dans le congélateur de la clinique. »

 

 

 

Un frisson parcourt le corps de Kirsten. Ayant perdu son premier chien à cause d’une dysphasie et le deuxième à cause d’un salopard ivre roulant comme un fou dans les rues de Thirty-Nine Palms, elle sait que les vétérinaires ont l’habitude de congeler les corps de leurs patients défunts si leur propriétaire désire les enterrer chez eux. Elle a aidé à transporter la boîte très froide contenant le corps de Flandry dans le petit jardin derrière la maison familiale l’année après qu’elle ait perdu son audition, le silence aussi terrible dans son cœur que dans ses oreilles. « Vous l’avez ramené pour l’enterrer ? » Mais elle comprend que non, au moment où les mots franchissent ses lèvres.

 

 

 

« Non. » Il secoue la tête et à nouveau, Kirsten le voit comme un grand chat. « Je l’ai ramené, parce qu’il est, du moins son cadavre, est le témoin de ce qu’a fait Dietrich. »

 

 

 

« Ce qui pourra sortir Manny du pétrin. » termine-t-elle brutalement.

 

 

 

« Ce qui pourra le sortir du pétrin. » confirme-t-il. « Et pour montrer pourquoi nous devons renforcer la loi contre les pièges et les massacres aveugles d’autres vies humaines, même si nous sommes au milieu d’une crise qui pourrait tous nous détruire. L’important n’est pas seulement ‘si nous survivrons’ mais ‘comment nous survivrons’. »

 

 

 

« Ecoutez, je comprends ce que vous avez fait. Et je comprends qu’il faut que vous parliez à Koda avant qu’elle n’ouvre ce foutu congélateur et le trouve sans en avoir été avertie. Mais vous agissez comme si quelqu’un allait être tué à l’aube. Aidez-moi à comprendre. Quel est le vrai problème ? »

 

 

 

« Le vrai problème… C’est que c’est une profanation. Une profanation du corps de quelqu’un que ma sœur aime. » Il s’interrompt, la fixant pour voir si elle le comprend.

 

 

 

Elle n’en est pas tout à fait sûre, mais elle l’encourage. « Continuez. »

 

 

 

« Vous savez comment, nous les Lakota, agissons avec nos morts ? Vous avez vu des images, des films peut-être, de nos plates-formes funéraires traditionnelles ? »

 

 

 

« Comme des échafauds ? A l’air libre ? »

 

 

 

« Comme cela, oui. C’est illégal d’enterrer des humains de cette façon maintenant, à cause des ordonnances sanitaires. Du moins ça l’était. » Une ébauche de sourire étire ses lèvres et rappelle sa sœur, même si les yeux restent noirs. « Mais notre peuple a toujours semblé réussir à contourner la loi. Vous seriez surprise de la quantité de cercueils vides que vous pourriez trouver en creusant dans un cimetière. »

 

 

 

« Mais cela ne laisse-t-il pas le corps sans protection ? »

 

 

 

Tacoma opine. « L’idée est justement de le laisser sans protection. Pour le rendre à la terre et aux créatures qu’il nourrira. »

 

 

 

« Comme les… »

 

 

 

« Oui, comme d’autres créatures nous ont maintenu en vie grâce à leur mort. Le corps retourne à mitakuye oyasin, tous ceux que nous aimons. »

 

 

 

Kirsten essaie de s’imaginer laissant le corps de Flandry dans la rue, en sang, ou même à l’air libre où les corbeaux, les belettes et autres ‘éboueurs à quatre pattes’ auraient pu le déchiqueter. Elle n’y arrive pas. Parce que ce que j’ai fait pour lui était juste… pour moi. Pour quelqu’un dont les coutumes et les croyances sont différentes, mettre un ami aimé dans un trou et le recouvrir de terre peut paraître complètement horrible.

 

« Il faut lui dire. »

 

 

 

« Je vais le faire. Mais il faut d’abord que je la trouve. »

 

 

 

« Je vais vous aider. Laissez-moi prendre ma veste et… »

 

 

 

Elle est à peine debout quand la porte d’entrée s’ouvre et va heurter le mur. Des pas résonnent sur le plancher. Dakota Rivers se dresse à l’entrée de la pièce, ses cheveux relâchés autour de son visage, le souffle court. Ses yeux bleus sont aussi froids que le noir du ciel nocturne entre les étoiles. « Te voilà. » dit-elle d’une voix encore plus froide. « Bon Dieu, qu’est ce que tu as fait ? »

 

 

 

Table des matières

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