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INSURRECTION26

Page history last edited by PBworks 15 years, 10 months ago

INSURRECTION

 

De Sword'n'Quill (Susanne Beck)

 

SwordnQuil@aol.com

 

écrit avec T Novan et Okasha

 

 

Traduction : Kaktus (parties 1 à 22) et Fryda (partie 23 à la fin)

 

Table des matières

 

 

Ecrit par Susanne Beck et Okasha

 

Avertissements : voir chapitre un

 

CHAPITRE VINGT-SIX

 

 

 

Très doucement, Dakota repousse le dernier pan de bandage sous le léger plâtre, exposant la patte du lynx. La cicatrice irrégulière de la blessure présente toujours une couleur écarlate, les points de suture faisant des parallèles de chaque côté comme un dessin abstrus de poterie. Mais la peau autour de la plaie est d’un rose sain. Un léger duvet croissant, de base dorée et avec des spirales ambrées, couvre jusqu’aux bords de la cicatrice. Elle sent le félin se raidir contre elle, alors qu’elle plie l’articulation. « Tout doux, Igmú. Tout doux, ma fille », dit-elle d’une voix charmeuse dans une oreille dressée, resserrant sa prise pour rapprocher le corps du félin du sien. « Tu es toujours un peu raide, hein ? »

 

 

 

Elle élève la voix pour appeler, « Shannon, vous voulez bien venir un instant, s’il vous plait ? »

 

 

 

Le bruit de pas qui courent dans le couloir précède l’arrivée de la technicienne dans la salle d’examen, et le lynx sursaute au son. Ça n’est pas la première fois que Koda est l’objet d’une vénération-béguin pour héros, mais l’avidité de la jeune femme à l’impressionner commence à devenir un peu envahissante. Mais quand Shannon ouvre la porte, elle est d’un calme totalement professionnel. « Dr Rivers ? »

 

 

 

« Préparez la radio, voulez-vous ? Il faut que je radiographie la patte avant droite d’ Igmú ; elle est toujours raide. Je ne peux rien sentir de déplacé, mais il faut s’en assurer. »

 

 

 

« Elle est prête à être relâchée, n’est-ce pas ? »

 

 

 

« Presque. Mais il faut que tout marche bien. Elle court et elle bondit, et sans cette ‘élasticité’ dans ses quatre pattes, elle ne peut pas chasser avec efficacité. »

 

 

 

Shannon sort de la pièce pour préparer la machine, et Koda retourne à son auscultation. A part les tendons foulés, maintenant quasiment guéris, le félin est en excellente condition, meilleure que si elle avait passé les derniers maigres mois d’hiver dans la nature. Le pelage sous sa main est doux et lisse, riche des huiles de poisson que Koda a ajouté à son régime de viande rouge et de volaille. Les muscles fermes roulent dessous. Elle fait bien dix kilos, pas si mal pour une jeune femelle pas encore totalement adulte.

 

 

 

Chaque once de ces dix kilos se dérobe cependant, quand Koda tend la main vers la seringue posée sur le comptoir. « Doucement, ma belle. Doucement… doucement… Merde… »

 

 

 

La surface lisse de la table d’examen bouge avec sa patiente réticente lorsque celle-ci se contorsionne et glisse en arrière hors de la prise de Koda. « Allez, ma fille, c’est la dernière, je te le promets… »

 

 

 

« C’est marrant, je n’ai jamais cru non plus le doc quand il disait ça. » Koda lève les yeux pour voir Tacoma qui se tient dans l’encadrement. Il a échangé son treillis pour un jean et une chemise en coton, sa ceinture garnie d’outils, un chapeau rigide balançant d’une boucle. « Laisse-moi t’aider. »

 

 

 

Koda hoche la tête et il traverse l’espace entre la porte et la table d’une seule foulée. Au premier contact de ses mains, le combat s’arrête brutalement. De loin dans la poitrine d’ Igmú provient un grondement tel le son bas du tonnerre, et elle cogne sa tête contre sa poitrine, ses grands yeux dorés à demi fermés de plaisir. Il la gratte doucement sous le menton pendant que Dakota soulève la peau de son cou et lui administre son troisième et dernier vaccin contre la leucose féline. Le ronronnement ne cesse à aucun moment.

 

 

 

Koda caresse les oreilles de sa patiente maintenant docile tout en jetant la seringue hypodermique vide dans le seau rouge des produits dangereux attaché sous la table. « Tu as le temps de m’aider pour la radio ? Ça ne va prendre qu’un instant. »

 

 

 

« D’accord. »

 

 

 

Soulevant le félin, Tacoma la suit dans la minuscule salle de radio. Un clic et quelques ronronnements plus tard, il la rapporte à l’hôpital, laissant Koda développer le film. Quand il revient, elle l’a accroché sur le panneau lumineux, et fixe attentivement l’endroit où les tendons abîmés se raccrochent au muscle. Il n’y a rien d’anormal, et elle lâche un petit soupir de soulagement. « Regarde un peu », dit-elle. « Tout est en place ; elle a juste besoin d’un peu d’exercice pour fortifier la patte. Je vais la transporter dans une des niches extérieures pendant la journée et… »

 

 

 

« Dakota. »

 

 

 

« … elle sera prête à être relâchée dans une semaine environ. »

 

 

 

« Tanksi. »

 

 

 

« Je sais que tu voudras être présent. » Très délibérément, Koda dénoue son tablier de plomb et l’accroche. » Tu penses que tu seras parti longtemps ? »

 

 

 

La main de Tacoma fait un petit demi-cercle que Dakota traduit en connaisseuse comme de la frustration, mais il répond d’un ton neutre. « Cinq ou six jours, ça dépendra de ce qu’on pourra faire à ce premier voyage. Melly Cho vient avec nous pour déterminer si on peut raccorder Rapid City au réseau de nouveau. »

 

 

 

« C’est cette ingénieure en électricité que le recensement a permis de repérer ? »

 

 

 

« Ouais. Il se pourrait qu’on ait aussi un des lignards de la compagnie d’électricité. Ils seront d’une grande aide. » Un petit silence tendu s’installe, puis il dit. « Harcourt veut mener une enquête informelle sur Dietrich quand on reviendra. Aussitôt que ce sera terminé, on pourra faire ce qui est bien pour Igmú Tanka Kte. »

 

 

 

« Où est Dietrich ? Il est dans un frigo quelque part, lui aussi ? » Koda ne peut pas empêcher l’amertume dans sa voix ; elle n’essaie même pas.

 

 

 

« Oui. A la morgue. Sa famille veut l’enterrer maintenant que le sol a dégelé. »

 

 

 

« Et bien », dit-elle d’un ton bref. « C’est compréhensible. » Elle se détourne de lui et commence à arranger des ampoules d’antibiotiques et des vaccins sur l’étagère au-dessus du comptoir.

 

 

 

Un long silence s’ensuit. Puis, doucement. « Ecoute… Bon Dieu, Koda, je sais que j’ai tout foiré… je suis désolé. Mais je ne sais pas quoi dire d’autre. Je suis désolé. »

 

 

 

Dakota se tourne pour faire face à son frère. « Je sais que tu es désolé. Je l’accepte. Ce que je ne peux pas accepter, c’est… » Sa voix se brise pendant un instant, puis se raffermit. « Comment te sentirais-tu si c’était ton mentor ? Si c’était Igmú Tanka là-dedans ? » Elle fait un geste vers l’arrière de la clinique où le congélateur retient le corps du loup.

 

 

 

« Ça me briserait le cœur », dit-il simplement. « Mais je serais heureux d’amener son assassin devant la justice. Je serai heureux que ses enfants puissent vivre. Et je pense qu’elle le serait aussi. »

 

 

 

Un vieux conte dit que les marques noires au coin des yeux d’un puma sont les traces des larmes versées il y a longtemps, pour pleurer son petit volé. Et cela, elle le sait, est le cœur du problème. C’est la chose qu’elle ne s’est pas permis de prendre en compte.

 

 

 

Il n’y a pas que le lynx qui sera prêt à être relâché dans peu de temps. Jour après jour, la louve fortifie, se rapproche du moment où elle sera capable de chasser et de s’occuper de son petit. Le bébé, dont les traits francs contiennent la promesse des traits et la couleur de son géniteur, se dandine sur des pattes trapues, provoquant des éclaboussures en marchant sur le bol d’eau dans la poursuite de pétales peints volant dans le vent du printemps. Si on autorise un relâchement de la loi, si piéger des loups et des lynx redevient une part normale de la vie, alors le bébé pourrait mourir de la même manière que son père. Et personne ne sera là pour lui épargner la souffrance ou réclamer justice.

 

 

 

Que voudrait son père ? Son ami ?

 

 

 

Le sel brûle les yeux de Dakota, et elle se détourne brusquement. Après un instant, des bruits de pas légers traversent la petite distance, et Tacoma pose les mains sur ses épaules. Elle reste raide un instant, puis se laisse aller contre lui, acceptant son chagrin, son réconfort, sa force. Sa rage ne l’a pas quittée, mais elle a trouvé sa vraie marque, Dietrich, et ses semblables qui n’honorent pas les autres nations et n’apportent aucun honneur à la leur.

 

 

 

Après un moment, elle lève une main pour couvrir celle de son frère. Elle dit, « Prends soin de toi, thiblo. La ferme des éoliennes est un endroit idéal pour une embuscade. »

 

 

 

« Ne t’en fais pas. On est armés jusqu’aux dents. »

 

 

 

« Est-ce que Manny vient ? »

 

 

 

« Il voudrait. Allen ne le permettra pas. » Un soupçon d’amusement se cache dans ses mots. « Il sait qu’elle ne va pas le jeter aux chiens. Elle veut juste qu’il pense qu’elle pourrait le faire. »

 

 

 

Une légère pression de ses doigts et le voilà parti. Elle reste là près du comptoir, les yeux agrandis et sans but fixe. Le temps a de nouveau glissé d’une manière qu’elle connaît bien. Elle ne voit pas une rangée de bouteilles et d’ampoules et de flacons de médicaments, mais une colline en été où une portée de louveteaux trébuchent l’un sur l’autre en couinant, sur leurs parents indulgents. La femelle, presque entièrement blanche à l’exception d’un peu de gris sur le cou et sur les oreilles, elle ne la reconnaît pas. Le mâle, l’alpha, qui somnole sous le surplomb de la tanière derrière eux, est le bébé dont elle s’occupe actuellement, les autres adultes qui sont allongés sur les rochers, leurs ventres gonflés de viande d’élan fraîche, ses fils et filles qui ont grandi. Un platane se lève vers le ciel près de la tanière, et un faucon tournoie contre les hauteurs bleues.

 

 

 

La vision s’affaiblit, ne laissant derrière elle que la certitude de sa réalité. Avec un cœur plus léger qu’il ne l’a été depuis des jours, Dakota retourne vers la salle pour s’occuper d’un coyote avec une queue courte et absurde.

 

 

 

*******

 

 

 

Kirsten se retrouve à aller en direction de la clinique à une vitesse qu’on pourrait, elle le suppose, qualifier de petit trot. Avec un rougissement d’embarras, elle ralentit jusqu’à marcher, puis passe rapidement sous un grand arbre, alors que la porte de la clinique s’ouvre, le verre envoyant des éclairs brutaux de lumière en accrochant le soleil. Tacoma se glisse dehors, ses bras bien musclés balançant aisément en rythme avec ses mouvements. Il tourne brièvement la tête dans sa direction, et Kirsten s’imagine qu’il l’a répérée, bien qu’elle soit pratiquement sûre d’être bien cachée.

 

 

 

Après un instant, il se détourne et Kirsten s’affale contre l’arbre de soulagement, ne voulant absolument pas dire à Tacoma quelque chose dont elle ne connaît pas elle-même la réponse. Elle le regarde s’éloigner. L’aisance de sa foulée et l’inclinaison fière de sa tête la rassure. C’est un changement à cent quatre-vingts degrés de l’homme empli de tristesse qu’elle a vu ces derniers jours. Ça ne peut qu’augurer du bon pour l’état d’esprit de Dakota.

 

 

 

Ce qui, bien entendu, rend plutôt inutile son besoin d’être venue là en tout premier lieu.

 

 

 

« Très bien, maligne », marmonne-t-elle pour elle-même. « Et maintenant ? »

 

 

 

Retour au jury de sélection ? A la maison ? Une course rapide autour du périmètre ?

 

 

 

Ses pieds répondent pour elle alors qu’ils contournent l’arbre et continuent dans sa direction originelle vers la clinique. Elle les regarde, objets traîtres qu’ils sont, et elle cherche frénétiquement des excuses plausibles, les rejetant l’une après l’autre à la manière dont un joueur de baseball crache les cosses de tournesol qu’il a avalées.

 

 

 

« Merde ! » La porte est à portée de main et son esprit un vide total. Une table rase (tabula rasa), comme avait l’habitude de dire sa mère quand elle sombrait dans son vin. Le souvenir chaleureux apporte un bref sourire sur ses lèvres alors qu’elle se glisse dans la clinique fraîche à l’odeur d’antiseptique.

 

 

 

Shannon, depuis son poste derrière le comptoir, la salue d’un sourire chaleureux et accueillant. « Bonjour, Dr King ! »

 

 

 

« Kirsten, vous vous souvenez ? »

 

 

 

Shannon rougit. « Ok, Kirsten. » Son sourire revient. « Dakota est à l’arrière, elle finit de s’occuper de la maman louve et de son petit. Vous pouvez y aller si vous voulez. »

 

 

 

« C’est bon », objecte Kirsten, se sentant toujours un peu bête d’être venue jusqu’ici sans une excuse valable. « Je vais juste attendre… par ici. »

 

 

 

« D’accord. Elle ne devrait pas tarder. Vous voulez du café ? Je viens juste d’en faire. »

 

 

 

« Non. Merci. »

 

 

 

Elle hausse les épaules l’air de dire ‘à votre guise’ puis retourne à sa paperasserie.

 

 

 

Plusieurs minutes inconfortables plus tard, la porte s’ouvre et Dakota sort, en s’essuyant les mains sur une serviette blanche. Le sourire qu’elle arbore en voyant Kirsten efface toute trace d’embarras et d’auto flagellation dans l’esprit de la jeune scientifique. Elle se met rapidement debout, en souriant pour elle-même alors que Shannon les regarde tour à tour comme un spectateur de match de tennis assis au premier rang.

 

 

 

Kirsten cherche quelque chose à dire pour briser le silence. « Je… hum… j’étais dans le coin et je me suis dis que j’allais passer. Seigneur, Kirsten, tu peux pas avoir l’air encore plus maladroite ?

 

 

 

Attrapant le commentaire au vol, Koda jette la serviette dans le bac de linge sale. « Comment vont les sélections ? »

 

 

 

« Ennuyeux comme la lune », répond Kirsten honnêtement. « En plus, je pense que j’ai rendu les jurés potentiels nerveux. Rien que d’avoir la Présidente en titre dans le coin peut rendre les choses sacrément difficiles pour essayer de se défiler du devoir de juré. »

 

 

 

Shannon et Koda rient à cette faible tentative de mot d’esprit, et Kirsten se sent incommensurablement rassérénée.

 

 

 

« Alors », tente Kirsten à nouveau, « tu as déjà déjeuné ? »

 

 

 

Koda hausse les épaules. « J’avais l’intention de me rendre au mess. Nos placards sont plutôt vides. »

 

 

 

« Ça te dit d’avoir de la compagnie ? »

 

 

 

Une fois de plus, le sourire revient ; un sourire qui balaie toute pensée rationnelle de la tête de Kirsten et la laisse tituber dans un tournoiement d’émotion pure. La main qui saisit soudain la sienne la maintient comme une ligne de vie, et elle suit volontiers Dakota où qu’elle l’emmène.

 

 

 

*******

 

 

 

« Et si on faisait du poisson au souper ? »

 

 

 

Kirsten lève un regard acéré vers Dakota. Les longs cils voilent ses yeux improbablement bleus, mais même dans la pénombre montante, le petit sourire qui courbe ses lèvres est reconnaissable. Elle n’est pas sûre de savoir où se trouve la blague, mais elle sait parfaitement qu’elle s’est inquiétée qu’il n’y ait pas de poisson dans le frigo de la maison. Pendant des jours, il n’y a pas eu de protéines, sauf des haricots secs, des œufs produits par les poules d’un voisin et le « truc au fromage » dégoûtant et spongieux sauvé il y a un mois dans un poste local du département de l’agriculture. Le problème quand on est l’intello de service, se dit-elle, c’est qu’on devient le faire-valoir de tous les petits rigolos du coin. « D’accord », dit-elle, « je mords. Oui, j’aimerais bien du poisson pour dîner. »

 

 

 

La courbure devient presque un sourire, et Koda dit, « on n’en a pas. »

 

 

 

« Alors pourquoi on en parle ? »

 

 

 

« Parce que si on emporte deux cannes à pêche demain matin à la rivière, on pourrait en avoir demain. Tu pêches ? »

 

 

 

« Non. J’accroche seulement. »

 

 

 

Koda éclate de rire, et Kirsten se joint à elle, incrédule. J’ai fait un jeu de mots. Et quelqu’un en rit vraiment. L’amour fait des trucs bizarres aux gens. Il me fait de très bizarres choses à moi.

 

 

 

Par-dessus la silhouette mouvante d’un mélèze, une étoile solitaire scintille contre le ciel qui s’obscurcit rapidement. A l’ouest, la lueur rougeoyante du soleil traîne sur l’horizon. Kirsten regarde la piqûre éclatante. Etoile du soir, étoile d’espoir, ai-je le cran d’espérer ce que j’espère ce soir ? Elle prononce tout haut, « quand j’étais enfant, je pensais que les étoiles étaient les yeux de grands hiboux qui volaient dans le ciel nocturne. J’avais toujours peur que l’un d’eux ne fonde sur moi pour m’attraper. »

 

 

 

La grande femme brune penche la tête en arrière et regarde le ciel pendant un long moment. « Nous, les Lakota, avons toujours cru qu’Ina Maka nous a sortis de son ventre ici dans le Paha Sapa. Nous avons été créés ici ; nous avons vécu et sommes morts ici. Eloignez-nous et nous perdons nos âmes. Quand Tali et moi sommes allées à l’université, nous étions chacune le foyer de l’autre. »

 

 

 

« Ça a dû être un moment de solitude. »

 

 

 

« Ça l’était. Certaines Nations croient que nous venons des étoiles, cependant, et que nous y retournerons à la fin. On doit être encore plus solitaire pourtant, quand on n’a aucune terre, nulle part, qui nous appartienne. »

 

 

 

« La maison n’a jamais été un endroit pour moi », dit doucement Kirsten. « Nous avons tellement déménagé. C’étaient toujours mes parents. Depuis un long moment maintenant, c’est Asi. »

 

 

 

Dakota détourne les yeux du ciel et regarde Kirsten. « Ça a dû être un moment de solitude », dit-elle en écho.

 

 

 

« Ça… »

 

 

 

Depuis la rue derrière elles leur parvient le son de pneus qui crissent et le beuglement d’un klaxon. « Doc ! Dieu merci, vous êtes là ! »

 

 

 

Koda se relève brusquement et Kirsten, qui pivote, jure entre ses dents. Un pick-up Dodge usé rouge glisse et s’arrête près d’elle, un sergent technicien toujours en uniforme au volant. Sa coupe militaire et sa moustache blonde bien taillée démentent l’agitation de son visage. « Docteur Rivers », dit-il, « vous pouvez venir ? La chatte de ma fille essaie d’avoir ses petits depuis ce matin et n’y arrive pas. Elle pleure sans arrêt. »

 

 

 

Aussi légère qu’une brise du soir, la main de Dakota l’effleure alors qu’elle avance vers la vitre du passager. « Qui pleure, votre fille ou la chatte ? »

 

 

 

« Toutes les deux. Vous pouvez venir. S’il vous plait ? »

 

 

 

« A plus tard », dit doucement Dakota, et de nouveau le léger toucher de sa main. Puis elle grimpe dans le camion et la voilà partie, les pneus crissent à nouveau alors que le conducteur fait un brusque demi-tour et part à toute vitesse.

 

 

 

Kirsten retourne vers la maison, avançant lentement dans l’obscurité naissante. Quand elle ouvre la porte, Asi passe en trébuchant près d’elle, fait quelques tours de la cour au trot, puis s’arrête pour consacrer son coin favori près de la barrière. Il s’arrête de nouveau au portail, les oreilles dressées, la queue pointée mais tout à fait remuante. Depuis l’intérieur de la maison parvient l’arôme du café et de quelque chose riche en basilic et tomates, et elle a soudain aussi faim qu’elle est fatiguée. « Désolée, mon gars », dit-elle. « Peut-être après le souper, d’accord ? »

 

 

 

Une heure plus tard, Asi est affalé près du foyer, la tête entre les pattes, inconscient du monde qui l’entoure. Kirsten, les jambes posées sous elle, pose son ordinateur avec précaution en équilibre sur le bras rembourré de son fauteuil et se dit qu’elle devrait se remettre au travail. Mais les symboles qui défilent sur l’écran se brouillent même avec ses lunettes, et elle referme le couvercle. Des bruits légers de pas traversent la pièce depuis la cuisine à l’arrière : Maggie tient avec précaution en équilibre deux tasses qui fument de quelque chose d’infusé avec du miel. Elle en pose une près de Kirsten. « De la camomille. Ça va vous aider à vous détendre. »

 

 

 

Kirsten lève brusquement les yeux. Maggie ne porte pas son uniforme pour une fois, et elle a enfilé un pantalon noir aux jambes serrées et un pull-over qui accentue sa sveltesse et sa haute taille élégante. Sa teinte rouge vin foncé renforce le ton de sa peau. La boucle d’oreille en forme de lynx brille sur la courbure de son oreille. Elle ressemble à Cléopâtre, bon Dieu. Tout haut elle dit, « merci. »

 

 

 

Maggie s’installe confortablement sur le canapé, et sirote sa boisson. Son arôme est différent du thé dans la sienne, quelque chose à la cannelle. Après un moment, elle dit, « je vous ai apporté un pistolet de l’armurerie. C’était très généreux de votre part de donner le vôtre à Harry le jour du recensement, mais vous ne devriez vraiment pas vous déplacer sans. » Un sourire, à demi ironique, courbe sa bouche. « Je devrais probablement vous coller un garde aussi, mais je ne pense pas vous aimeriez beaucoup ça. »

 

 

 

« Je n’aimerais pas ça du tout. » Kirsten entend l’irritation dans sa voix et avec un effort, elle revient à la civilité. « Vous avez fait un très beau cadeau vous-même, vous savez. »

 

 

 

Maggie touche brièvement la boucle sur son oreille droite. « Peut-être plus que vous ne le réalisez. Je les ai fait faire il y a des années, quand j’ai été qualifiée la première fois pour le Tomcat et que j’ai rejoint l’escadre ici. »

 

 

 

« Les Lynx ? »

 

 

 

« Les Lynx. » Elle s’interrompt. « Je les ai fait faire parce que j’étais la petite nouvelle et la seule femme. Tous les autres pilotes étaient des hommes. La plupart d'entre eux ne me prenait pas au sérieux, et je voulais un signe, pas de loyauté, exactement, pas d’allégeance, un signe de mon engagement à la vie que j’avais choisie. Comme une alliance de mariage, mais pas si visible. »

 

 

 

« Andrew et Manny les portent aussi. »

 

 

 

Maggie hoche la tête. « C’est devenu à la mode quand j’ai été nommée commandant d’escadre. L’imitation est la forme la plus sincère de la flatterie, et tout et tout. » Elle pose sa tasse et se penche en avant. « Mais c’est un peu plus personnel que ça pour moi, Kirsten. Je le pensais quand je disais que je voulais que ce soit comme une alliance pour moi. Mon premier amour a été de voler. Ça l’a toujours été, ça le sera toujours. Il y a quelque chose dans la liberté du ciel… quelque chose dans ce grand bleu solitaire avec rien d’autre que la voûte entre vous et l’infinité… » Elle fait un petit geste de rejet, mais ses yeux sont brillants, et un sourire plane sur ses lèvres. « C’est comme a dit le poète un jour, vous touchez quelque chose qui est aux confins de la perception, pas matériel du tout. »

 

 

 

Le cœur de Kirsten bat fort contre ses côtes. Elle commence à comprendre, ou pense le faire, ce que l’autre femme dit, et elle n’est pas du tout sûre d’oser vouloir le croire. Elle essaie de dire quelque chose de profondément approprié, mais les mots ne viennent pas à sa bouche sèche.

 

 

 

Après un moment, Maggie dit tranquillement. « Aucun humain ne peut rivaliser avec ça, Kirsten. Mon cœur a été donné il y a longtemps, et je ne peux le reprendre. Je ne le veux pas. »

 

 

 

Elle force sa bouche à former les sons. « Pas même à Dakota ? »

 

 

 

« Pas même à Dakota. Je n’essaierai pas de vous dire qu’elle ne m’importe pas, mais ce n’est pas ce que chacune d’entre nous veut. » Elle sourit et se met debout. « Il faut que j’aille au QG pour un moment. Il se pourrait que je ne rentre pas du tout cette nuit. »

 

 

 

« Maggie… » Kirsten s’interrompt, peu sûre de ce qu’elle va dire. Rien ne semble à propos. Mais elle dit, « merci. Je… »

 

 

 

Maggie lui effleure légèrement la joue de son long doigt, un geste si propre à Dakota que pendant un instant, Kirsten est pétrifiée. Elle dit, « pas besoin de dire merci. J’irai danser à votre mariage quand le temps sera venu. Dormez bien. »

 

 

 

Longtemps après son départ, Kirsten reste assise à fixer l’âtre vide. Dakota ne rentre pas à la maison et finalement, Kirsten se lève et tourne le loquet de la porte de devant. Elle appelle doucement Asi et va se coucher. Elle dort sans rêve.

 

 

 

******

 

 

 

Il fait un noir d’encre lorsque Kirsten est tirée de son sommeil, grâce à un léger coup frappé à la porte. Avec un léger ‘wouff’, Asi s’extirpe du lit et trottine vers la porte, puis il s’assied en remuant la queue, piaulant doucement.

 

 

 

Un nouveau coup, accompagné cette fois d’une voix que… qu’elle… connaît, dans ses rêves. Les draps conspirent à la piéger alors qu’elle lutte pour se redresser. Elle les rejette, puis les rattrape rapidement quand elle se rend compte qu’elle livre un spectacle dans lequel elle ne se sent pas encore à l’aise d’être la vedette. Quand tous les morceaux pertinents sont recouverts à sa satisfaction, elle se passe la main dans les cheveux et éclaircit sa voix enrouée. « En… entrez. »

 

 

 

La porte s’ouvre et Dakota passe la tête, souriant en repérant la silhouette froissée par le sommeil toujours au lit. Le reste de son corps suit, et le cœur de Kirsten bondit dans sa bouche et y palpite, la faisant baver d’admiration. Koda porte un jean troué et coupé qui expose une longueur de jambes bronzées et musclées, et un sweat-shirt à capuche, sans manches, qui expose ses bras avec le même effet. Kirsten essaie de déglutir et échoue. « Bonjour », croasse-t-elle, sachant qu’elle est en train de fixer sans pouvoir s’en empêcher.

 

 

 

Dakota est tout à fait consciente du regard qu’elle reçoit. Au contraire, elle le ressent avec chaque molécule de son corps et sa peau se réchauffe et frissonne alors que les hormones se relâchent dans son sang et se frayent un chemin en dansant le tango un peu partout. Elle sait aussi que si elle était quelqu’un d’autre qu’elle-même, toute pensée d’activité matinale qu’elle avait prévue serait partie en fumée. Kirsten, l’air fatigué, et ébouriffée, vulnérable et irrésistiblement sexy, l’attire vers elle comme le métal vers un aimant. C’est uniquement parce qu’elle est qui elle est qu’elle résiste et produit un large sourire en direction de la jeune scientifique. « Debout là-dedans, paresseuse ! Les poissons ne vont pas s’attraper tout seuls, t’sais. »

 

 

 

Ces paroles brisent le charme et Kirsten tombe sur le dos, s’assurant de tirer le drap avec elle. « Seigneur », grogne-t-elle. « On dirait mon père. »

 

 

 

Koda hausse un sourcil invisible. On dirait peut-être, mais les pensées qu’elle déroule tout en regardant ces jambes soudainement exposées sont tout sauf paternelles. « Tu as dit que tu étais d’accord pour aller pêcher ce matin », réplique-t-elle, contente que sa voix ait l’air relativement normal.

 

 

 

« Le mot-clé là, Dakota, c’est ‘matin’… Ceci », elle fait un arc large avec son bras, « c’est oh-Bon Dieu de la demie. Même les poissons dorment. »

 

 

 

« Tu veux parier ? »

 

 

 

Le bras s’affaisse devant les yeux de Kirsten. « Je savais que tu dirais ça. » Son soupir vaut celui du meilleur acteur qui soit monté sur une scène. « Est-ce que j’ai au moins le temps de me doucher ? » Pas que les douches soient un luxe. Avec le gaz naturel qui a totalement rendu l’âme, l’eau est froide, cinglante, ou tombe en stalactite. Mais là encore, une douche froide semble le bon plan juste là maintenant.

 

 

 

« Bien sûr », répond Koda, qui en pense tout autant. « Je te donne dix minutes. »

 

 

 

« Tu es si généreuse », répond Kirsten sèchement, ce qui fait rire Dakota.

 

 

 

Sur ces mots, elle sort de la pièce, emmenant Asi avec elle.

 

 

 

Arès que la porte est bien fermée, Kirsten bouge son bras et expire une grande bouffée d’air de ses poumons. « Doux… Jésus ! »

 

 

 

Sa tête lui tourne. Son cœur bat à tout rompre. Même ses fichues paumes sont trempées de sueur.

 

 

 

« Soit je suis folle amoureuse, sois je suis au bord de la crise cardiaque », murmure-t-elle au plafond qui n’en a cure. « Le pire dans tout ça, c’est que je ne sais pas ce qui serait le mieux. »

 

 

 

*******

 

 

 

Exactement onze minutes et une douche très froide plus tard, Kirsten apparaît dans le séjour, habillée ordinairement d’un jean bien usé, d’un tee-shirt bleu marine simple et de chaussures de marche qui ont vu de meilleurs jours. Elle a un air ébouriffé très attractif, et elle a même l’air plus jeune que d’habitude. Koda lui sourit depuis sa place dans la cuisine, et elle soulève de la table le panier qu’elle a préparé. « Le petit déjeuner. Viens, le camion est prêt, Asi est à bord, et les poissons attendent. »

 

 

 

Frottant le sommeil de ses yeux, Kirsten marmonne quelque chose d’inintelligible et la suit comme une petite gamine qui va au centre commercial avec sa maman alors qu’elle préfèrerait rester au lit. Elle réussit finalement à se réveiller totalement une fois qu’elle est ceinturée dans le camion, emprunté au Juge Harcourt, et Koda met le moteur en marche. « Attends. Je pensais qu’on allait juste à la rivière aux abords de la propriété. J’ai vu du poisson là-bas. » Mais elle n’est pas… encore… prête à raconter les circonstances derrière lesdits poissons.

 

 

 

Koda hausse les épaules. « Y a trop de monde. »

 

 

 

Kirsten hoche la tête d’approbation. Bien qu’incroyablement généreuse et charitable, Dakota Rivers est une personne intensément privée, tout comme elle l’est elle-même. Une personne privée avec un besoin inné de s’échapper dans son intimité aussi souvent que possible.

 

 

 

Elle écarquille les yeux quand elle se rend compte de l’honneur qu’on lui fait.

 

 

 

« Ça te va ? » Demande Dakota, incertaine de la raison derrière le silence prolongé de Kirsten.

 

 

 

« Plus que ça », répond Kirsten en souriant. Tendant la main, elle la pose sur le poignet de Dakota, le pressant pour la remercier. « Encore plus. »

 

 

 

Lui retournant son sourire, Koda enfile ses lunettes de soleil, passe la première et démarre, pas du tout ennuyée que Kirsten n’ait pas encore pensé nécessaire de retirer sa main.

 

 

 

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Moins d’une demi-heure plus tard, Dakota gare le camion dans un groupe dense d’arbres et coupe le moteur. Kirsten regarde tout autour à travers le pare-brise alors que Koda ouvre la portière et sort, Asi sur les talons. Le grand chien repère quelque chose sur sa gauche et part ventre à terre, avec un aboiement à réveiller les morts. Une seconde plus tard, une volée de faisans s’envole dans un vrombissement, et Asi réapparaît, remuant fièrement la queue.

 

 

 

Riant aux bêtises de son chien, Kirsten se glisse hors du camion et inspire une grande bouffée de l’air empli de printemps. Puis elle va vers la plate-forme du camion, où Dakota est affairée à décharger leur équipement. « Tu as besoin d’aide ? »

 

 

 

« Ouais. Attrape ça pour moi, tu veux bien ? »

 

 

 

L’épaule de Kirsten manque sortir de son articulation quand elle attrape le panier à anse que lui tend Koda. « La vache ! Qu’est-ce qu’il y a là-dedans ? Des briques ? »

 

 

 

« Tu verras bien », réplique Koda, avec un sourire narquois, et elle lui tend plusieurs couvertures épaisses. « Je peux prendre le reste. »

 

 

 

Kirsten regarde à nouveau alentours alors que Koda continue à décharger l’équipement, s’imprégnant du calme apparent de l’endroit. Son esprit, mû par sa propre volonté, repart vers une époque où elle s’est trouvée dans un endroit similaire après l’échec à l’usine des androïdes. Les robots étaient arrivés de nulle part et avaient encerclé son camion. Elle frissonne au souvenir.

 

 

 

« Tout va bien ? »

 

 

 

Kirsten fronce les sourcils, sachant que c’est une question stupide, mais qu’il faut quand même qu’elle la pose. « Est-ce qu’on est… en sécurité ici ? »

 

 

 

Koda sourit. « On devrait. Et si on ne l’est pas, on a Asi, et j’ai ceci. » Elle soulève un objet allongé qui ne peut être qu’un étui de fusil. « On est parées. »

 

 

 

Kirsten hoche la tête, attristée par le fait de devoir emporter un fusil pour une simple sortie de pêche. « Les choses ne seront jamais plus pareilles, hein ? »

 

 

 

Koda pose ses affaires sur le sol, se redresse, puis tend la main et effleure la colonne de Kirsten du bout des doigts, entre les clavicules de la jeune femme. « J’ai foi en toi », commence-t-elle à dire d’une voix très douce. « Et dans nous tous, pour nous débarrasser des androïdes et aider à refaire de ce pays un endroit où il fait bon vivre. »

 

 

 

« J’aimerais avoir ta foi en moi », réplique Kirsten, soupirant profondément.

 

 

 

« Tu l’as. » Ignorant le regard interrogateur de Kirsten, Koda retire le reste de leurs affaires et se dirige vers les bois, Asi la suivant joyeusement.

 

 

 

Relâchant un autre soupir, Kirsten part derrière elle.

 

 

 

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« C’est beau », murmure Kirsten, comme si énoncer ses pensées à voix haute briserait l’enchantement de l’endroit qui l’entoure. Un anneau féerique d’arbres couverts de fleurs fantastiquement colorées entourent une mare presque parfaitement circulaire, dont la surface calme reflète le soleil qui s’éclaire lentement comme un miroir fait de verre fumé.

 

 

 

De l’herbe fine et douce comme la plume pousse le long de la rive, la tête penchée comme Narcisse devant son reflet dans l’eau fraîche en dessous. Des grenouilles chantent pour attirer leurs compagnons par-dessus l’étendue, leurs cris faisant écho et se mêlant au chant des criquets et au bourdonnement somnolent d’une centaine d’insectes encore cachés.

 

 

 

Il y a presque un sentiment sacré de paix dans cette clairière cachée, et le calme se glisse en Kirsten, apaisant des tensions rendues acérées par l’inquiétude et la fatigue.

 

 

 

« Merci », dit-elle, murmurant toujours. « De m’avoir amenée ici. Je sais que cet endroit doit signifier beaucoup pour toi. »

 

 

 

Koda lui octroie un sourire qui est, curieusement, à demi timide, à demi défensif. Puis elle se détend. « J’avais l’habitude de venir ici quand j’avais besoin de réfléchir. » Son sourire devient plus franc. « Ou d’être seule. »

 

 

 

« Tu veux dire que tu n’as jamais… ? » Demande Kirsten, surprise.

 

 

 

« Non. Jamais. »

 

 

 

Kirsten sent sa respiration s’arrêter. « Wow. » Elle secoue la tête, essayant de l’éclaircir. « Je… euh… je ne… » Elle lève les yeux, étonnée, lorsqu’une couverture lui est ôtée des bras.

 

 

 

« Allez », l’invite Koda en souriant. « Allons étaler ceci et pêcher un peu. »

 

 

 

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« Oh Mon Dieu que c’était bon ! » Grogne Kirsten en se mettant sur ses coudes. Elle remue un peu ; son jean semble avoir rétréci à la taille depuis qu’elle l’a enfilé ce matin. Le bouton du haut tire héroïquement dans l’effort de retenir le tissu.

 

 

 

« Je suis contente que tu aies apprécié », répond Koda en regardant les mouvements du corps de sa compagne avec intérêt, et un battement de cœur plutôt accéléré.

 

 

 

« Oh j’ai fait plus qu’apprécier, crois-moi », dit-elle en riant. « C’est étrange. Je n’ai jamais aimé le gibier auparavant. »

 

 

 

« C’est parce que je ne l’ai jamais cuisiné pour toi », la taquine Koda, en souriant. « Tiens, essaie ceci. » Elle tend un verre de vin rempli de Pinot Noir.

 

 

 

« Pourquoi Ms Rivers ? » Interroge Kirsten par-dessus ses lunettes, avec un accent cultivé feint, tout en battant des cils. « Du vin avant midi ? Que vont penser les voisins ? »

 

 

 

« J’emmerde les voisins », gronde Koda, en prenant une bonne gorgée du vin pour la savourer pleinement. « Qu’ils aillent se chercher leur propre vin. »

 

 

 

Elles s’installent dans un silence complice pendant un moment, toutes deux contentes de regarder le soleil jouer sur les minuscules vaguelettes de la mare, créant un spectacle de lumières colorées qu’elles ne se lassent pas d’observer. Leurs cannes à pêche sont posées côte à côte, retenues par de simples bâtons, les flotteurs chevauchant les vagues minuscules comme des bateaux jouets dans une baignoire gigantesque.

 

 

 

La pêche a été bonne, Kirsten s’étant montrée bonne pêcheuse, attrapant plus que sa part de tanches, perches et autres babioles. Ça fera un changement bienvenu du gruau qui a commencé à se faire passer pour de la nourriture à la base, et Kirsten se lèche les lèvres, déjà, à la pensée de perche fraîche sautée sur des légumes précoces, complètement inconsciente du regard bleu profond qui trace les mouvements de sa langue et de sa bouche.

 

 

 

Clignant des yeux, Dakota tourne délibérément la tête vers l’eau et finit son reste de vin dans une gorgée sans goût, contente de l’humidité qu’il apporte à une bouche asséchée telle un désert de sable.

 

 

 

« Merci. » La voix douce de Kirsten flotte sur la brise baignée de la senteur des fleurs. « Je ne pense pas… non, je sais que je n’ai jamais passé une si bonne matinée. Je… hum… » Elle regarde timidement ses mains croisées sur son ventre et continue. « Je ne suis pas du genre à rester assise à respirer l’odeur des roses. C’était plutôt boulot-boulot et pas de divertissement, et ça faisait de moi une fille plutôt ennuyeuse. »

 

 

 

« Pas ennuyeuse », répond Koda, prosaïquement. « Juste surmenée. » Elle sourit un peu. « Et sous- divertie. »

 

 

 

Riant au pauvre jeu de mots, Kirsten roule la tête et voit le soleil qui passe totalement par-dessus l’anneau des hauts arbres qui entourent la mare. « En parlant de travail… »

 

 

 

« J’ai remarqué. » Posant son verre de vin sur la couverture, Koda commence à emballer les restes de leur brunch dans le panier. « Fenton vient à la clinique dans quelques heures pour regarder l’œuvre de Dietrich. »

 

 

 

Réalisant ce que ça veut dire, Kirsten se redresse rapidement, le visage tiré et triste. « Oh, Dakota, je suis si désolée. »

 

 

 

Koda hausse les épaules. « C’est bon. Ça devait arriver un jour ou l’autre. Le plus tôt est le mieux, je suppose. »

 

 

 

Les yeux verts étincellent. « Ce n’est pas bien. Ce n’est pas bien et ce n’est pas juste. Bon Dieu, tu ne devrais pas repasser par ça ! »

 

 

 

« Si je ne le fais pas, qui le fera ? Qui d’autre que moi peut parler pour lui ? » Son sourire est triste. « La vie n’est pas juste. La mort non plus. »

 

 

 

Bien que ses yeux, perdus dans le vague, ne remarquent pas de mouvement, elle sent un corps léger se presser contre elle par derrière, et deux bras bien faits entourent sa taille alors qu’un menton vient reposer sur son épaule. « Tu ne devrais pas traverser ça seule, Dakota. Merde, tu ne devrais pas traverser ça du tout. » Une pause brève. La douce respiration de Kirsten chatouille l’oreille et la joue de Koda. « Qu’est-ce que je peux faire pour t’aider ? »

 

 

 

Dakota sourit et tourne la tête pour que leurs visages soient sur le même niveau. « Simplement être toi », murmura-t-elle. « C’est tout ce dont j’ai besoin. »

 

 

 

« Je le ferai », murmura Kirsten, scellant la promesse d’un baiser qui devient rapidement plus profond. Quand elle sent la langue de Koda tracer doucement ses lèvres, elle les écarte, accueillante. Avec un grognement, Koda écarte les bras de Kirsten, puis fait tourner la jeune femme pour qu’elles soient face à face. Ses propres mains se lèvent, s’enfonçant dans la masse épaisse et soyeuse des cheveux dorés de Kirsten, caressant et tirant alors que leurs bouches bougent en rythme sensuellement, avec urgence. Les mains de Kirsten se frayent leur chemin sur les épaules larges de Dakota, pressant et relâchant au rythme de leur respiration pantelante. Elle est rapidement submergée par tout, les émotions, les sensations, le goût des lèvres de Koda et sa respiration, et quand elle sent une main quitter ses cheveux et dériver si doucement vers le côté de son sein, elle gémit et se recule.

 

 

 

Elle s’affaisse et respire profondément, essayant de prendre son souffle et de calmer un cœur qui cogne contre ses côtes avec une force passionnée. Un bref contact à son épaule et elle lève les yeux vers le regard inquiet de Koda. « Je… je… vais bien », dit-elle pantelante. « Je dois juste… ouaouh. »

 

 

 

« Qu’est-ce qui ne va pas ? Tu vas bien ? » La voix de Koda porte de l’inquiétude, et celle-ci traverse Kirsten à un certain niveau.

 

 

 

Prenant une profonde inspiration, elle se redresse et la laisse ressortir. « Oui, je vais bien. C’est juste… que j’ai été surprise. »

 

 

 

Koda penche la tête, interrogative.

 

 

 

En réponse, Kirsten lève une main légèrement tremblante et la pose sur la joue soyeuse de Dakota. « Je n’ai jamais, jamais ressenti cela auparavant. Jamais. Physiquement, émotionnellement, c’est comme… c’est comme de balancer au bord d’une falaise et de ne pas voir le bas. » Elle croise franchement le regard de Koda, essayant de comprendre. « Ça m’a effrayée pendant un instant. »

 

 

 

Dakota sourit et tourne la tête légèrement pour que ses lèvres reposent sur la paume de Kirsten. « Je comprends », murmure-t-elle, embrassant la main sur son visage.

 

 

 

« C’est vrai ? »

 

 

 

Le sourire s’élargit. « Oui. » Elle s’avance et place le baiser le plus tendre sur les lèvres rougies de Kirsten, puis elle se recule. « Viens. Préparons-nous pour aller travailler. »

 

 

 

Koda attrape la main de Kirsten et les met toutes deux debout. La jeune scientifique fait un pas en avant et étreint le corps ferme de Dakota, le serrant fort pendant un long moment. « Merci », finit-elle par murmurer contre le tissu qui couvre la poitrine de Koda. Elle se recule légèrement, levant les yeux vers la grande femme. « Tu penses que peut-être… on pourrait revenir ici un jour ? »

 

 

 

« Compte là-dessus », répond Koda, embrassant le dessus de la tête de Kirsten. « Compte là-dessus. »

 

 

Table des matières

 

 

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