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INSURRECTION27

Page history last edited by PBworks 15 years, 10 months ago

INSURRECTION

 

De Sword'n'Quill (Susanne Beck)

 

SwordnQuil@aol.com

 

écrit avec T Novan et Okasha

 

 

Traduction : Kaktus (parties 1 à 22) et Fryda (partie 23 à la fin)

 

Table des matières

 

 

 

 

 

Ecrit par Susanne Beck et Okasha

 

Avertissements : voir chapitre un

 

CHAPITRE VINGT-SEPT

 

Koda passe les mains sur le corps du petit félin, pressant doucement ses côtes et son abdomen. Malgré son épreuve de la veille au soir, le pelage de Sœur Matilda est brillant comme une aile de corbeau, son jabot blanc et son museau impeccable. Elle a à peine cessé de ronronner depuis qu’elle a eu ses petits hier soir, et tous ses os vibrent de ce grondement. Koda a abandonné le stéthoscope, faisant appel à l’ancienne méthode pour compter sa respiration et les battements de son cœur par compression de ses côtes. Elle est contente de les trouver proche de la normale, il n’y a pas de réel problème dans le ventre, non plus. L’utérus de la nouvelle maman est un peu relâché, mais nourrir une portée de six devrait l’aider à l’affermir sans autre intervention.

 

« Très bien ma fille. Une autre dose de pénicilline pour toi, juste par précaution. » Koda la laisse allongée sur la table d’examen, les petites pattes pétrissant l’air vide, pour remplir une seringue de la fiole dans le frigo du comptoir. Comparé au lynx, Sœur Matilda est une patiente idéale, contente de rester où elle est et d’accepter les tentatives humaines de l’aider, avec aplomb. Koda lui masse les oreilles puis soulève la peau de son cou et y glisse l’aiguille. Le ronronnement ne cesse pas un instant.

 

La veille au soir, elle avait pleuré de détresse, de même que la petite Daphné Burgess. Koda avait accompagné le sergent chez lui, avait fait son examen initial, et avait ramené la chatte et sa famille humaine à la clinique. Le travail de Sœur Matilda s’était arrêté quelques heures auparavant, mais il n’y avait aucun blocage du canal de naissance. Malgré sa petite constitution et son énorme ventre, si rond qu’elle pouvait à peine se retourner sans que ses quatre pattes ne quittent la table d’examen, Koda n’avait trouvé aucune raison à ce qu’elle ne puisse mettre bas normalement. Une injection d’ocytocine avait redémarré les contractions presque immédiatement, et dans l’espace de deux heures, elle était devenue l’heureuse mère de sextuplés.

 

Accent sur la partie sexe : aucun chaton ne se ressemblait. Un avec des poils longs jaunes, l’autre aux poils calicot courts, un d’un solide gris fumée, un noir aux pattes blanches comme sa mère, un tout blanc avec une queue trapue de Manx et un qui ressemblait d’assez près à un ragondin. « Tu as bien batifolé, hein, ma fille ? » Fait remarquer Koda alors que la chatte était allongée au milieu de ses petits.

 

Koda inspecte rapidement ses autres patients présents. Un lapin aux oreilles pendantes avec un œil infecté répond au traitement, un Scotty survivant d’une rencontre infortunée avec un porc-épic, la regarde l’air morose par-dessus son museau toujours gonflé. Elle le gratte entre les oreilles. « La curiosité n’est pas mauvaise que pour les chats, frérot », le réprimande-t-elle. Au moins ça n’était pas un putois.

 

On entend un coup à la porte de l’infirmerie. « Dr Rivers ? Il y a un homme d’un certain âge qui demande à vous voir. Un civil. »

 

« Demandez-lui d’attendre une demi-minute, Shannon. Je viens. » Koda entre et sort du bassin de javel sans y réfléchir, puis s’arrête pour passer ses mains sous le robinet. Elle a une bonne idée de qui est le civil et une meilleure idée de pourquoi il est ici. Elle prend deux dossiers dans le classeur dans le cube qui lui sert de bureau, et une petite clé argentée. Elle y passe doucement le doigt, et la laisse tomber dans sa poche. Elle sait depuis des jours que ce moment va arriver. Elle le déteste bien qu’elle en soit avertie.

 

Le juge Harcourt se tient au milieu de la zone de réception. Il déborde du petit espace, se tenant la colonne droite comme un tuyau de plomberie dans un costume rayé et une cravate bordeaux, ses cheveux poivre et sel sont peignés en ondulations qui effleurent son col. « Docteur Rivers », dit-il avec gravité alors qu’elle ouvre la porte. « Je me demandais si je pouvais avoir un peu de votre temps. »

 

« Venez derrière », dit-elle en faisant un geste avec les dossiers.

 

Koda tire la chaise de la salle d’examen jusqu’à l’espace de la taille d’un timbre-poste près de la sienne devant son bureau. « Asseyez-vous, Fenton. »

 

Il reste debout, silencieux, jusqu’à ce qu’elle s’asseye, puis la suit, sortant sa pochette de tabac de sa poche. Sans un mot, il remplit la pipe, tend la main pour prendre le briquet et s’arrête, ses yeux faisant le tour de la pièce. « Allez-y », dit Dakota. « La bouteille d’oxygène la plus proche est à deux pièces d’ici. »

 

Il lui lance un regard reconnaissant et ce n’est que lorsque la fumée odorante commence à faire des volutes depuis la pipe qu’il dit, « nous avons un problème. »

 

Koda ricane. « Un seul ? Merci. Qu’avez-vous fait de tous les autres ? »

 

« Nous avons un problème judiciaire », amende-t-il, en lui lançant un regard acéré par-dessous ses sourcils broussailleux. « A savoir, la famille de Dietrich, particulièrement son fils. »

 

« Laissez-moi deviner. Ils veulent porter plainte. »

 

« Le fils très certainement. La femme est une petite créature timide qui prononce à peine un mot. Soit c’est le genre fondamentaliste soumise, soit elle se fiche vraiment de devenir veuve. » Il hausse les épaules. « Ou bien les deux, bien sûr. »

 

« De la violence domestique ? »

 

« C’est possible. Le fils connaît très bien sa position d’homme dans l’univers, et en ce moment, il voit cette position en tant que vengeur de son père. Le policier militaire (MP) au portail, l’a soulagé d’un couteau et d’un pistolet sur son chemin vers la base. Je lui ai parlé… » Il grimace alors que la fumée sort du bord de la pipe, lui conférant l’aura d’un dragon bizarrement domestiqué. « …pendant un temps déplaisamment long. Nous allons avoir quelque chose comme une enquête préliminaire à tout le moins. S’il y en avait de disponible, je conseillerais à votre cousin impétueux de se faire assister par un avocat. Où est-il, à propos ? »

 

« Il dit que la Colonel l’a nommé OPT pour la vie… ça veut dire Officier Permanent des toilettes… mais il travaille en fait à la maintenance des appareils de vol. Elle a fait pareil avec Andrews, l’autre pilote impliqué. Ici. »

 

Koda pousse les dossiers sur le bureau. « Voici des Polaroïds que j’ai pris avant et après avoir traité les deux victimes survivantes des pièges ‘à pattes’. Vous pouvez voir le résultat du traitement en personne. »

 

Le juge ouvre les dossiers, étudiant les photos couleur durement éclairées et légèrement surexposées. Son expression ne change pas, mais Koda remarque le serrement soudain de ses dents sur le tuyau de la pipe alors qu’il examine les photos de la chair tordue et ensanglantée du lynx, les tendons qui pendent bien que les os soient restés, par quelque miracle, entiers. A côté il y a un autre Polaroïd, celui-là montre la blessure bien rasée et recousue. La queue involontairement baissée du coyote a l’air moins sérieuse, et le juge ne peut pas empêcher sa bouche de se courber aux coins. « L’Arroseur arrosé », observe-t-il », et qui s’en sort indemne à part une dignité blessée à la fin. Approprié. »

 

« Pas tout à fait indemne », dit calmement Dakota. « Cette blessure était méchamment infectée. Ça aurait pu empirer et il aurait pu mourir. »

 

« Vous avez raison, bien sûr. » Le juge pose les dossiers. « Y a-t-il d’autres photos ? »

 

Du loup, Wa Uspewicakiyapi, veut-il dire. “Non. Venez aux niches et ensuite nous ouvrirons le congélateur.”

 

Dehors, Harcourt est près de sourire à nouveau. Le coyote est allongé sur le dos, les pattes avant croisées sur ses côtes dans une position classique de momie, ronflant sous le soleil. Sa queue diminuée bouge au rythme de ses rêves, la blessure guérie, ne laissant qu’un bout de peau pour témoigner de son épreuve. La lynx est allongée, invisible à l’intérieur d’un abri en béton à un bout de la piste, préférant l’ombre pour sa sieste. Mais des signes d’amélioration sont visibles. Une balle en caoutchouc bien mâchouillée atteste de son aisance grandissante à chasser et bondir, à part quelques miettes et une plume ou deux, son bol de nourriture est vide. Harcourt lance un regard désapprobateur à Koda, et elle dit, « il a attrapé un pigeon. »

 

« Une colombe », corrige-t-il d’un ton absent. « Au moins c’est un bon signe qu’elle peut se débrouiller toute seule. »

 

« Avec un peu de chance, je devrais pouvoir les relâcher tous les deux dans une semaine environ. Je vais attendre que Tacoma revienne de la ferme éolienne pour qu’il m’aide avec elle. Elle devient plutôt contestataire depuis qu’elle va mieux. »

 

« Vous voulez dire peu coopérative. »

 

Dakota lui sourit. « Avec tout le monde sauf Tacoma, je veux dire qu’elle nous tolère à peine. Elle est difficile. »

 

« Et ceux-ci… ? » Harcourt fait un geste vers la piste où la maman loup est allongée au soleil sur le béton, pendant que son bébé se lance répétitivement sur l’inclinaison de ses épaules et aussi régulièrement glisse vers le bas pour cogner sa queue trapue sur la surface dure. Un jappement acéré annonce sa frustration, mais sa mère bouge à peine un cil. Finalement, il trotte autour d’elle, prenant le chemin le plus long, et s’installe pour se nourrir, le nez contre son ventre. Elle lève la tête, le lèche d’un air absent, et reprend sa sieste.

 

« Ce sont la femelle de Wa Uspewicakiyapi et son petit survivant. Ils sont presque prêts à être relâchés eux aussi. »

 

« Excellent », dit-il calmement. « On entre ? »

 

On ouvre le frigo, veut-il dire.

 

Koda sent un frisson le long de son dos. Elle n’a pas déverrouillé cette unité depuis que Kirsten lui a apporté les clés, ce jour-là, près de la rivière. Elle sait ce qu’elle va y voir et sait que, plaie pour plaie, os brisé pour os brisé, elle a vu pire. Le choc était de découvrir ce que Tacoma avait fait, c’est loin derrière elle et n’a plus de prise sur elle. Avec raideur ses doigts se referment sur le petit morceau de métal dans sa poche. « Très bien », dit-elle brusquement, et elle se tourne vers la porte.

 

Ses mains sont fermes lorsqu’elle tourne la clé dans la serrure. Au moment où le couvercle est soulevé, un nuage d’air gelé s’élève vers eux tel du brouillard, obscurcissant le contenu du congélateur. Avec lui, adouci par le froid, l’odeur maladivement douce de la mort. Quand la condensation disparaît, un paquet d’un mètre de long environ, emballé dans du plastique épais, apparaît au fond. Koda se penche pour l’attraper par le milieu, mais Harcourt dit, « permettez-moi », et il saisit une extrémité, laissant Koda soulever l’autre. Ensemble il le porte vers la table de travail en métal habituellement utilisée pour des choses comme le mélange de plâtre ou la couture de pelages coupés et les égratignures de patients récalcitrants. Ils le posent doucement.

 

Un examen rapide révèle que le plastique n’est pas enroulé autour du corps mais plié en plusieurs couches. Aussi doucement que si elle lissait les couvertures d’un enfant, elle détache le ruban adhésif et repousse le plastique épais et transparent, gelé par le froid. Enfin, les formes du loup apparaissent clairement visibles à travers, et elle hésite le temps d’un battement de cœur. Puis, fermement, elle le déplie.

 

Bien que Tacoma et Manny aient fait vite, la rigidité était apparemment apparue et repartie au moment où ils ont trouvé les restes du loup, et la température a été assez élevée pour ne pas les geler là où ils reposaient. On ne peut pas imaginer un seul instant que Wa Uspewicakiyapi ne semble que dormir, mais il est pourtant bien allongé, son échine légèrement recourbée, sa tête posée sur ses pattes, sa queue enroulée sur son flanc pour exposer la terrible blessure de sa patte.

 

Harcourt contourne la table pour avoir une meilleure vue. Même gelé, il est clair que les mâchoires du piège ont torturé la chair jusqu’à l’os, usant les tendons, les muscles et les nerfs au cours du temps, assez pour que les bords deviennent secs et vidés de sang. Des fragments d’os apparaissent à travers la chair arrachée. Le pelage, un mélange de gris et de blanc, reste tâché de rouge écarlate. Sur son ventre, le sang est gelé dans une fine pellicule plane, seuls les bords de la peau montrant du blanc là où les organes arrachés ont été remis. La position de la tête masque les blessures les plus graves au cou, mais des traces de sang tachent le museau, un collier de grenat profond. Alors qu’Harcourt se penche un peu plus pour regarder, son visage se fige tout comme celui du loup, et devient aussi froid. Mais il se contente de dire, « Dakota, pouvez-vous apporter l’appareil photo ? Il faut qu’on ait un enregistrement permanent. »

 

Dans la salle d’examen, Koda vérifie que l’appareil est chargé et elle est reconnaissante des quelques minutes nécessaires pour trouver et glisser une nouvelle pellicule en place. Ses mains sont engourdies de froid, et elle tâtonne deux fois avant de refermer le couvercle. L’engourdissement de son cœur à commencé à bouger, les premiers craquements apparaissant dans la glace bleue qui a grimpé dans ses veines depuis le moment où elle a trouvé Wa Uspewicakiyapi qui saignait à mort dans la neige. A sa place s’élève une colère, une rage aussi blanche et poignante que l’éclair. Elle tâtonne à nouveau en se tournant vers la porte, faisant tomber une boite de compresses sur le sol. Alors qu’elle s’arrête pour les ramasser, son regard se plisse, centré sur le petit cercle de lumière qui contient sa main tenant la boite, et elle la pose méticuleusement sur le comptoir. Un regard de chasseur.

 

Mais sa proie est déjà morte, allongée aussi gelée et froide que sa victime à la morgue. Tu aurais dû me le laisser, cousin. Si elle ne peut pas l’avoir, elle peut au moins s’assurer que d’autres ne suivront pas ses pas.

 

Jamais. Plus jamais. Je le jure.

 

Graduellement, la lumière envahit l’obscurité qui s’est créée autour d’elle, et son champ de vision revient à la normale. Avec précautions elle contourne la table d’examen et retourne dans la salle de travail où Harcourt attend l’appareil photo. Sans un mot elle le lui tend, le laissant enregistrer les preuves de la mort brutale. Quand il a fini, les photos glissées dans une poche, il dit calmement, « il faut que je vous pose une question, Dakota. Une que je devrai vous reposer, à l’enquête. »

 

Elle hoche la tête, attentive.

 

« Basé sur votre avis professionnel, et strictement votre avis professionnel, ces blessures étaient-elles suffisantes pour causer la mort ? »

 

Repoussant la vision de l’animal mort devant elle, repoussant le souvenir de son ami luttant dans le piège, elle hoche la tête. « Quand je l’ai trouvé, il était en état de choc à la suite de la perte de sang et de son exposition au froid. L’infection et le gel avaient détruit les tissus musculaires et organiques. Le tibia gauche et le péroné, comme vous pouvez le voir, étaient abîmés au-delà du point où ils pouvaient être réparés. »

 

« Si vous l’aviez trouvé plus tôt, la chirurgie lui aurait-elle sauvé la vie ? »

 

Elle répond, pas vraiment capable de garder la colère hors de sa voix. « Si je l’avais trouvé bien plus tôt, avant qu’il soit attaqué par quoi que ce soit qui l’a déchiré, oui. Sa vie, oui. Mais pas sa vie, Fenton. Même si les autres blessures pouvaient être réparées ou n’étaient jamais arrivées, même si on avait pu combattre l’infection, la patte ne pouvait être sauvée. Seul un sadique l’aurait condamné à ça. »

 

Le juge lève une main, paume en avant. « Supportez-moi encore un instant, s’il vous plait. Mis à part la qualité de vie, pourquoi ne l’avez-vous pas ramené pour tenter l’opération ? »

 

« Parce que sa respiration était très basse et sa perte de sang si forte que, basé sur mon avis professionnel », elle crache les mots, « il n’aurait pas survécu au transport, encore moins à l’anesthésie. »

 

« Merci. Permettez-moi maintenant de vous aider. »

 

Ensemble, ils replient le plastique et le collent fermement. Ils posent doucement Wa Uspewicakiyapi sur son lit de repos. Sa main traîne un instant sur le paquet. Juste un moment, vieil ami, promet-elle silencieusement. Seulement jusqu’à ce que justice soit faite.

 

Nous ne te ferons pas défaut à nouveau.

 

Dans le silence de son esprit, un hurlement de loup s’élève vers la lune flottante.

 

*******

 

La salle des témoins, quatre murs basiquement blancs sous un plafond jaunissant garni de dalles acoustiques, semble à peine moins étroite qu’un cercueil. Trois pieds de long, trois de large, son ameublement consiste en une petite table, un fauteuil au dossier branlant d’une période indéterminée mais ancienne et d’une ampoule de 60 watts dont l’intensité est diminuée par un globe de verre givré. Elle porte une ressemblance voulue avec une salle d’interrogatoire de police. Au vu de sa montre, Koda est ici depuis près d’une heure, et apparemment pour la matinée complète.

 

Heureusement que je ne suis pas claustrophobe. Pour l’instant.

 

Un jury pour le procès des violeurs de Rapid City a été désigné la veille, avec une sélection finale le matin et des déclarations d’ouverture après le déjeuner. L’accusation a commencé à présenter son réquisitoire ce matin avec des rapports du raid par les participants, qui seront suivis de témoignages des victimes dans l’après-midi. Elle a vérifié deux fois son témoignage avec Alderson, la dernière fois avant le coup de marteau d’ouverture, plus de deux heures auparavant. Larke et Martinez ont déjà fait leur rapport. C’est le tour d’Andrew maintenant, et Koda vient en dernier. La stratégie peut paraître transparente, mais son efficacité est indiscutable. En tant que héroïne de la Cheyenne, elle est la pièce de résistance (NdlT : en français dans le texte). Elle s’ennuie également mortellement avec le manque d’intérêt de l’attente.

 

Elle vérifie sa montre une fois encore – Bon sang, il a dit qu’il serait sorti de là à onze heures – Koda plonge jambes croisées dans le confort relatif du sol, ouvre Spengler à son marque-page, et commence à lire.

 

Elle avait attrapé ce livre particulier en partant de chez elle il y a des mois, peu sûre de pourquoi à ce moment-là, pas vraiment sûre de pourquoi maintenant. Puis ça lui avait semblé être un témoignage du passé, un lien pour la relier à la bibliothèque spacieuse qui occupait un tiers de sa maison, quelque chose pour lui rappeler – et la ramener à – la vie confortable qu’elle et Tali avaient construite entre elles. Un adieu incomplet.

 

Mais maintenant, elle laissa le livre tomber ouvert sur ses genoux, posant le menton sur ses poings. Spengler avait été le grand hérétique du début du vingtième siècle, un prophète du malheur flottant librement sur la vague du progressivisme social et industriel. L’histoire, avait-il dit, n’avançait pas en ligne toujours ascendantes, mais en cycles : naissance, croissance, maturité, déclin et chute. Il était devenu à la mode puis passé de mode universitaire, touchant le fond à la fin des années trente quand il avait prédit que le Reich Millénaire durerait moins de dix ans et ensuite relégué au rang de la « science excentrique » au même titre que Von Daniken et autres boulots idiots pseudo scolaires.

 

Au début des années 2000, Spengler avait été secouru de la poubelle et dépoussiéré par Stan Uribe, ensuite par Baylor. Uribe avait affirmé qu’à cette époque les Etats-Unis étaient dans une phase correspondant à la Réforme en Europe, avec les guerres de religion, qui se passaient plus dans l’arène politique sur le champ de bataille, et implosant le féodalisme corporatiste. Ses théories lui avaient coûté son emploi, mais il était allé dans le département infiniment plus prestigieux de l’Université de Pennsylvanie. Ensuite il s’était lancé dans l’extrapolation de la théorie qui englobait l’avènement de l’Empire Américain, construit comme d’autres avant lui sur les trois piliers du colonialisme et de la conversion : Dieu, l’Or et la Gloire. Il avait failli être de nouveau viré en 2003, quand il publia la pierre de voûte de sa théorie, la chute inévitable de l’Empire pour ceux qu’il avait, comme Rome deux mille ans auparavant, étiqueté des barbares : les femmes, les Musulmans, les païens, le Afro-Américains, les gays et les lesbiennes, les Hispaniques, les Nations Indigènes.

 

Pendant que la bataille faisait rage dans la salle de réunion, Koda et Tali étaient restées fascinées par ses cours. Elles avaient passé des heures dans son bureau, à parler, questionner, puis avait utilisé leurs rares heures facultatives pour aller à ses séminaires, assises jusqu’à quatre heures du matin avec des amis à discuter des conséquences si Uribe avait raison.

 

S’il avait raison… Et il semblait bien qu’il avait eu raison, mais pas de la façon dont il s’y attendait.

 

Et maintenant ? Comment reconstruire, mais sur un modèle différent qui peut briser le cercle ? Pouvons-nous briser le cycle ? Pour la première fois en presque quatre cents ans, les Nations avaient l’occasion de développer quelque chose de différent de la mouvance européenne. Il faut que nous commencions à prendre contact avec d’autres communautés qui ont survécu, comme celle où Kirsten avait résidé au Minnesota. En partant du principe que nous survivons, nous avons besoin, non pas d’une stratégie de sortie, mais d’une manière d’entrer dans un monde différent. Comment un peuple technologique, issu pour la plupart de la classe moyenne américaine blanche, s’intégrera-t-il dans l’Epoque du Buffle Blanc ?

 

Et dieux, comment vais-je faire pour amener une blanche à la maison pour rencontrer maman ?

 

Un petit coup sec la remet soudainement sur pied. Le visage de l’huissier, coloré sous sa coupe ras blonde, apparaît à la porte. « Docteur Rivers, on vous appelle à la barre. »

 

Elle pose son livre et suit le sergent en uniforme hors de la pièce des témoins et passe les doubles portes qui mènent au tribunal. Les spectateurs remplissent les deux tiers des sièges du côté du public, une foule respectable pour l’affaire la plus célèbre même de l’époque avant l’insurrection. Elle reconnaît certaines femmes libérées de la prison, l’une d’elle est Millie Buxton, son visage fin tiré et pâle par le manque de sommeil. Ses doigts, serrés entre ses genoux, se tordent sans arrêt. Elle est assise un peu à l’écart du reste, vers le fond. Egalement à l’arrière, Koda remarque un homme grand qui porte des lunettes noires, un pied sur le sol et un repli de son jean par-dessus le moignon au-dessus de son genou. Ses béquilles sont posées contre le dossier du banc. Elle lui lance un regard acéré, essayant de le replacer, bien qu’elle soit certaine de ne pas le reconnaître.

 

Le second huissier pousse la porte battante pour elle et elle approche de l’estrade où se trouve le siège du juge et celui du témoin. Harcourt remplit son siège haut comme s’il avait grandi dedans, inséparable de la robe noire de son bureau, ou du marteau posé près de sa main. Il ne donne aucun signe de reconnaissance, aucune crainte, aucune faveur de la part de cet homme, jamais, et il dit simplement. « Madame la greffière, faites prêter serment au témoin. »

 

La greffière sort de derrière son bureau, levant légèrement la Bible avec un regard inquisiteur. Koda secoue la tête et pose la main sur le paquet de guérisseur autour de son cou en lieu et place. D’une voix basse mais claire, elle jure de dire la vérité, toute la vérité et rien d’autre que la vérité, « aide-moi en ça, Ina Maka. »

 

Alderson la dirige avec régularité, pas à pas, à travers les événements du raid à la prison de Rapid City. A sa demande, elle raconte l’attaque initiale sur le site, la blessure de Larke et les morts de Johnson et de Reese. Le silence dans la salle du tribunal s’appesantit lorsqu’elle raconte la façon dont elle a mené son escadre à travers l’espace étroit au-dessus des cellules, et se fige encore plus quand elle rappelle, toute émotion contenue dans sa voix, la joie des prisonnières libérées, leur colère et leur haine pour leurs geôliers, leur douleur. De là où elle se trouve, elle peut voir que même les doigts de Millie Buxton se sont figés, saisie dans le souvenir probable de sa propre épreuve et de celle de sa fille.

 

Mais pas l’homme aux lunettes noires. Ses lèvres bougent constamment, comme s’il priait ou conversait profondément avec lui-même, et ses doigts se nouent et se dénouent, glissant le long de quelque chose d’invisible.

 

Comme s’il jouait quelque chose… Une image vient lui chatouiller l’esprit… une guitare. C’est ça ! C’est lui, le chanteur aveugle que Kirsten et Maggie ont rencontré au recensement. Mon Dieu, c’est lui les médias alors !

 

Quand elle termine sa narration, une armature dépouillée des fait, rien de plus, Alderson se tourne vers la table de l’accusation. « Plus de questions, Votre Honneur. »

 

Alors que Boudreaux se lève pour prendre sa place au centre du tribunal, Koda étudie les accusés. McCallum a soulevé sa chaise sur les deux pieds arrière, de telle façon qu’elle repose presque sur la rambarde qui sépare la table de la défense des spectateurs. Kazen étudie les papiers devant lui, comme s’il cherchait quelque mot méconnaissable de délivrance ; à côté de lui, Petrovich fixe le jury, son hostilité palpable. Mais Buxton est assis, les coudes posés sur la table, son front entre ses mains pliées, apparemment oublieux de ce qui se passe autour de lui. Sa peau, pâle quand Koda l’a vu pour la première fois à la prison, a pris une teinte grise et terne.

 

Comme un champignon, quelque chose qui vit dans l’obscurité. Comme un cadavre. Un homme mort à l’intérieur, trop engourdi pour même s’allonger.

 

Boudreaux joint les mains devant lui, puis les relâche et les joint derrière son dos à la place. Sa nervosité se voit d’autres façons également, dans les rides entre ses sourcils, visibles sous le bord de ses lunettes, dans le léger reflet de sueur qui couvre son crâne sous ses cheveux fins. Son travail est affreux, défendre, et s’il le peut, sauver la vie de quatre hommes coupables au-delà de tout doute raisonnable, sachant qu’il pourrait avoir une chance de réussir avec un seul d’entre eux. Sachant, aussi, que cette chance est suspendue à un fil aussi ténu que celui d’une araignée.

 

« Dr Rivers », commence-t-il, « reconnaissez-vous les quatre hommes assis à la table de la défense ? »

 

Elle hoche la tête. « Oui, Major. En effet. »

 

« Vous avez déjà dit à la Cour comment vous avez trouvé ces quatre hommes emprisonnés sur le site de Rapid City exploité par la société Corrections Corporation of America (NdlT : société privée qui construit et exploite des prisons aux E-U). Vous les avez trouvés chacun dans une cellule séparée, est-ce correct ? »

 

Alderson est debout. « Objection, Votre Honneur ! Il oriente le témoin. »

 

Harcourt regarde le procureur pendant un instant par-dessus ses lunettes demi-lunes. « Il oriente le Dr Rivers, ah oui ? » Il laisse la pause parler d’elle-même pour l’absurdité de cette idée, puis dit, « Maintenue. Reformulez votre question, Conseiller. »

 

« Bien sûr, Votre Honneur. » La rougeur d’embarras s’étale sur le cou de Boudreaux au-dessus de sa cravate et jusqu’à son visage. « Dr Rivers, pouvez-vous nous dire comment vous avez trouvé les quatre accusés répartis dans le site de CCA ? »

 

« Chacun d’eux était dans une cellule individuelle. »

 

« Etaient-ils dans des cellules contiguës dans le même bloc ? »

 

« Ils étaient dans le même bloc mais pas dans des cellules adjacentes. »

 

« Quand vous êtes entrée dans ces cellules, avez-vous observé un moyen quelconque qu’un occupant aurait pu utiliser pour communiquer avec les occupants des autres cellules ou avec le personnel de la prison ? »

 

Silencieusement, Koda lui donne entièrement crédit malgré sa bévue initiale. Il s’approche furtivement et lentement sur la charge de conspiration, espérant visiblement au moins réduire les charges à celles de viol sans crime en réunion ou avec « circonstances spéciales » qui amèneraient à la peine de mort. « Chaque cellule contenait un lit en métal, un toilette et un tabouret. Pas d’objet de communication de quelque sorte n’était visible. »

 

« Du matériel pour écrire ? »

 

« Aucun. »

 

« Est-ce que la fouille conséquente des accusés a montré, disons, des téléphones portables, des bipeurs, des talkies-walkies, ou quoi que ce soit de cette nature ? »

 

« Aucun. »

 

« Avez-vous, à quelque moment, observé que les prisonniers communiquaient entre eux ? »

 

« Non. »

 

« Avez-vous, à quelque moment, observé que les prisonniers communiquaient avec l’un ou l’autre des androïdes sur le site de la CCA ? »

 

« Non. »

 

Boudreaux produit un hochement de tête satisfait, puis revient derrière la table de la défense. Il remue quelques feuilles d’un papier jaune écrit petit. « Dites-moi, Dr Rivers, les accusés vous ont-il suivis volontairement quand vous avez ouvert leurs cellules ? »

 

Alderson se relève brusquement. « Objection ! C’est un appel à conclusion, Votre Honneur. »

 

Le regard par-dessus ses lunettes est plus long cette fois. A la fin, Harcourt dit sèchement, « maintenue. »

 

« Je vais reformuler. L’un ou l’autre des prisonniers a-t-il refusé, ou tenté de refuser, de quitter sa cellule quand votre escadre a ouvert sa porte ? »

 

« L’un d’eux. »

 

« Lequel ? Pouvez-vous le montrer à la Cour ? »

 

« M. Buxton a indiqué qu’il ne voulait pas quitter sa cellule. »

 

« Et de quelle façon ? »

 

« Nous l’avons trouvé sur son lit dans une position fœtale. Il ne nous a pas répondu en premier lieu quand nous lui avons parlé, puis il nous a supplié de le laisser. »

 

« Quelle était sa condition physique, Dr Rivers ? »

 

Un mouvement sur un côté attire son attention, Alors qu’Alderson repousse sa chaise et commence à se lever. Il s’arrête un instant, son dos tourné maladroitement vers les spectateurs, puis il rougit et s’assied brusquement. Un juré se couvre la bouche d’une main, ses yeux noirs étincelants. Koda regarde ses mains, notant mentalement de demander à Harcourt comment exactement il a fait pour intimider le procureur et l’arrêter dans on objection. Puis elle dit, « il était déshydraté et au bord de l’émaciation. Quand il s’est levé, il manquait d’équilibre, et on a dû l’assister pour qu’il marche. »

 

Boudreaux produit un hochement de tête satisfait, puis demande, « Dr Rivers, avez-vous soigné des humains au même titre que vos patients habituels à quatre pattes ou ailés ? »

 

« Oui. »

 

« Dans quelles circonstances ? »

 

Koda explique brièvement son service en tant que médecin non officiel de l’Air Force pour les Lynx et leurs alliés, à la fois avant et après leur retour à la Base. « J’ai aussi remis un os démis ou deux dans mon ranch ou celui de mes parents, et fait beaucoup de piqûres d’insuline et de B12 à des gens âgés du voisinage. »

 

« Je vois. Aussi on peut vous faire confiance pour savoir quand les côtes de quelqu’un sont apparentes, il est amaigri, même s’il n’est pas un cheval ? »

 

Avec un effort, Koda garde le visage immobile. « Je le crois, Major. »

 

« Pas d’autres questions. »

 

« Vous pouvez partir », dit Harcourt en abaissant son marteau qui résonne sur son support. « La Cour est ajournée jusqu’à quatorze heures. »

 

En chemin pour partir, Koda s’arrête au banc du fond où est assis l’aveugle. « Elle dit, « vous êtes Harry le Chanteur, n’est-ce pas ? »

 

« C’est moi. » Son visage se tourne vers elle, sa tête penchée pour mieux entendre. « Vous venez juste de témoigner. Vous êtes Dakota Rivers. »

 

« Oui. J’ai cru comprendre que vous avez chanté une belle chanson au recensement. »

 

Harry sourit largement. « J’avais du bon matériau. Une bonne histoire, une bonne mélodie. Peut-être que vous me laisserez la chanter pour vous un de ces jours. »

 

« Peut-être. En attendant, merci. » Koda lui serre la main, glissant discrètement un morceau de papier plié. « Ceci vous permettra d’entrer à la Base et à l’infirmerie si vous avez besoin de quelque chose un jour. Ne soyez pas timide et utilisez-le. »

 

Sans attendre de remerciement, elle se glisse tranquillement hors de la pièce. Dehors, elle regarde sa montre et tourne sur le chemin qui mène aux quartiers des officiers. Si elle se dépêche, elle pourra prendre un rapide déjeuner avec Kirsten avant de retourner à la clinique. Elle sourit à cette pensée et accélère.

 

Table des matières

 

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