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INSURRECTION32

Page history last edited by PBworks 15 years, 10 months ago

INSURRECTION

 

De Sword'n'Quill (Susanne Beck)

 

SwordnQuil@aol.com

 

écrit avec T Novan et Okasha

 

 

Traduction : Kaktus (parties 1 à 22) et Fryda (partie 23 à la fin)

 

 

Table des matières

 

 

 

 

 

Ecrit par Susanne Beck et Okasha

 

CHAPITRE TRENTE-DEUX

 

 

 

La matinée s’étend doucement sur la campagne lorsque Koda conduit le grand camion hors de la base. La rosée paillette l’herbe à bison qui a poussé aux abords de la route, et l’air qui passe par la vitre ouverte apporte sa senteur humide, couverte par la riche odeur de la terre. Bien au-dessus, deux corbeaux tourbillonnent dans les profondeurs du ciel, se tournant autour, se pourchassant, leurs cris résonnant clairement sur les basses collines nues. Kirsten se penche par sa vitre pour mieux voir. « Des corbeaux, pas vrai ? Qui se courtisent ? »

 

Koda lui sourit. « Des corbeaux, qui se courtisent. ‘A +’. »

 

Un petit sourire recourbe les lèvres de Kirsten. « Ça doit être le printemps, non ? »

 

« Ça doit. » Saisissant l’occasion d’un long ruban de route droite, Dakota se penche et embrasse légèrement Kirsten. La bouche de celle-ci a le goût du café, avec un soupçon du miel des petits pains du matin.

 

Un silence intime s’élève entre elles, et Dakota s’émerveille à nouveau de la façon dont leurs pensées semblent s’imbriquer, comme le tenon et la mortaise (NdlT : termes de charpente), comme si elles se connaissaient depuis le ventre de la mère. Pas même avec Tali elle n’a connu cette intimité sans mots, quelque chose qu’elle n’a partagé jusqu’à ce jour qu’avec Tacoma. Elle regarde Kirsten siroter de la tasse posée entre les sièges, puis la lui passer sans parler. Elle boit avec gratitude. Elle dit, « Ceci va me manquer. Si on se stabilise à nouveau, tu seras réélue à vie si tu peux signer un accord commercial avec la Colombie. »

 

« Liberté, égalité, café ? » (NdlT : en français dans le texte)

 

« Exactement. »

 

A un carrefour – ce qui fut autrefois un croisement de quatre routes – Koda tourne sur la route de ferme qui va les conduire vers la crête où Wa Uspewikakiyapi est enterré. Elles vont l’approcher par l’autre côté, la piste pavée appartenant au ranch déserté des Callaghan ; tant qu’il y a de l’essence, le pick-up est trop précieux pour risquer les ornières casse essieu de la route tout-terrain. Koda se penche dehors, s’étirant pour avoir une vue de la plate-forme du camion. « Comment ça va pour eux là-derrière, Kirsten ? Tu peux voir ? »

 

Celle-ci se tourne dans son siège, se tortillant pendant un moment pour sortir de la sécurité de la ceinture et jeter un coup d’œil à travers la vitre de la cabine. « Un peu. Ils ont l’air d’aller bien. »

 

Aujourd’hui c’est l’équinoxe de printemps, et une journée de liberté. Derrière elles sur la plateforme, Manny et Tacoma regardent par-dessus les deux grandes caisses qui contiennent Coyote et Igmú. Coyote, fidèle à lui-même, a suivi une piste d’entrailles de poulet jusqu’à sa cage sans aucune hésitation. La Lynx a dû être enjôlée et cajolée, encore et encore jusqu’à ce que Tacoma puisse lui donner la dernière petite poussée, et que Koda verrouille la porte derrière elle. De ce qu’elle peut voir dans le rétroviseur, Igmú est toujours accroupie, et siffle dans un coin de la cage. Si elle approche encore volontairement des humains ou des objets humains en métal, ce sera un triomphe de la curiosité sur la rage.

 

Et c’est tout aussi bien. Le monde a changé, et de nouveaux modes de vie avec les non humains doivent être trouvés. Mais le danger ne disparaîtra jamais totalement.

 

Alors qu’elle prend le virage qui mène au portail des Callaghan, un gros lièvre qui porte toujours des taches de pelage d’hiver blanc, bondit sur l’asphalte devant elle, effrayant un groupe de faisans à collerette sur l’herbe de l’autre côté. Kirsten pousse un petit cri d’exclamation ravi lorsqu’ils s’élèvent, leurs ailes battant l’air brillant. Ils tournent par-dessus la clairière, le soleil saisissant la couleur émeraude brillante des plumes de la tête et de la gorge, scindant la lumière en arcs-en-ciel telle un halo autour d’eux. « Oh mon Dieu », dit-elle dans un souffle. « C’était… » Sa voix est excitée. « C’est quoi ça ? »

 

Juste devant eux, pile au milieu du portail de l’enclos, une forme basse de fourrure grise est allongée. Peut-être d’un mètre sur soixante centimètres, il est arqué sur ses jambes, ses lèvres retroussées sur des dents telles des clous de toiture. Il siffle, lance son corps accroupi vers le camion, puis balance sur ses pattes arrière avec un grognement sourd.

 

Koda freine à peu près à quatre mètres du portail. « C’est un blaireau. Et il est pile au milieu là où je ne peux pas le contourner. »

 

« Mais je pensais qu’ils étaient, et bien… plus petits », proteste Kirsten. « Comme des belettes. »

 

« Espèce de citadine », la taquine doucement Koda. « Ça c’est un vieux bonhomme bien adulte, et il défend son territoire. »

 

« Yo ! » La voix de Manny leur provient depuis l’arrière. « Qu’est-ce qui se passe là ? »

 

« Un blaireau au portail ! » Crie Koda et elle appuie longuement et rudement sur le klaxon.

 

En réponse, le blaireau se gonfle encore plus, les rayures blanches et noires de son visage plissées dans un rictus, et il plonge de trente centimètres en avant vers le camion. La différence en distance est courte, mais c’est assez pour que ses dents aient l’air deux fois plus longues. Ses griffes, qui se recourbent sur les barreaux du portail de l’enclos, pourraient passer pour des dagues.

 

Koda s’appuie à nouveau sur le klaxon.

 

Le blaireau s’arque, la fourrure frémissante, et il fait une feinte vers le camion à nouveau. Kirsten tressaille dans son siège, puis elle fait un sourire embarrassé. « Ils ne mange pas les camions, hein ? »

 

« Nan », dit Koda. « Juste les tracteurs. » Et elle lance son coude sur le klaxon une troisième fois.

 

Le blaireau ne bouge pas. Le camion est soudain secoué et Manny passe en courant près de la cabine, s’arrêtant à mi-chemin entre le pare-choc avant et le portail. « Hoka ! » Crie-t-il, en bougeant les bras comme un moulin à vent. « Le yo ! Déguerpis ! Ekta yo gni ! Fous le camp !»

 

Le blaireau grogne à nouveau, pousse sur ses pattes courtes et balaie l’air devant son museau de ses griffes semblables aux pointes d’une machine à laver.

 

« Manny, bon sang ! »

 

« Revenez ici, espèce d’idiot ! » Le cri de Kirsten se mêle à celui de Tacoma alors que Koda s’appuie à nouveau sur le klaxon et fait rugir le moteur.

 

« Ouste ! » Hurle Manny, sans se laisser décourager. Il remue son chapeau en formant des huit devant lui.

 

Le blaireau ne bouge pas d’un poil. Une odeur pestilentielle envahit l’air, pas aussi forte que celle d’un putois, plus terreuse, plus musquée. Manny remue à nouveau son chapeau, cette fois devant son visage, en toussant. « S’il te plait ? » Dit-il en s’étouffant. « Le yo ? S’il te plait vraiment ? »

 

Depuis l’arrière du camion on entend un léger gémissement haut perché, suivi d’un jappement. Coyote qui veut sortir. Le blaireau penche la tête un instant. Puis il découvre ses dents vers Manny à nouveau, grognant au fond de la gorge.

 

« Remonte dans ce foutu camion, couz’ ! » Braille Tacoma. On entend d’autres coups sourds et mouvements sur la plateforme, Tacoma qui se met debout et vise à l’aide d’un fusil chargé d’une fléchette de drogue par-dessus le toit de la cabine. « Bon Dieu, je ne sais pas sur lequel de vous deux je dois tirer, espèces d’idiots ! »

 

Coyote gémit de nouveau, en lançant une série de jappements légers. C’est un accueil, pas un cri de frayeur. Koda scrute la clairière, depuis la lisière le long d’une crête basse, jusqu’aux bois et l’à-pic du surplomb de calcaire de l’autre côté. On ne voit aucun autre coyote. Aucune réponse à l’appel du frère qui revient.

 

Je me demande…

 

Soudain, Koda prend une décision. Kirsten tend la main pour l’arrêter alors qu’elle ouvre la portière du conducteur, un pli creusant son front. « Dakota… »

 

Elle sourit en réponse. « Je vais tenter quelque chose. Ça pourrait mal tourner, mais je pense que… regarde dans le compartiment à gants et donne-moi ce pistolet, tu veux ? » Kirsten obéit et Koda glisse adroitement une petite fléchette de tranquillisant à l’intérieur. « Je pense que je sais comment désamorcer cette situation. Viens par-là et aide-moi, d’accord ? »

 

Kirsten la suit dehors par la portière de gauche, sa désapprobation perplexe telle une pression presque palpable entre les épaules de Koda. Arrivée au pare-choc arrière, cette dernière baisse le hayon et tire la cage de Coyote vers l’avant. Sa bouche pendouille en un sourire de chien abruti, la langue pendante. Il jappe de nouveau. « C’est bon, mon garçon », dit-elle. « J’ai compris. Je pense. » Tacoma lui jette un coup d’œil rapide, et sourit également, puis se remet à mettre en joue soit le blaireau, soit son cousin.

 

Koda n’est pas trop sûr de savoir lequel des deux. Igmú s’est faite toute petite dans le coin de sa cage, les yeux agrandis de stress. Une autre raison pour en finir.

 

Kirsten aide Koda à manœuvrer Coyote vers l’avant, puis à soulever la cage pour la poser à terre. Une autre série de jappements ponctue les mouvements rapides de sa queue raccourcie, son rythme syncopé grattant le lourd grillage de chaque côté. Koda tire la cage de transport sur l’asphalte et autour des doubles roues du côté du passager, puis elle ordonne, « Manny, recule. Maintenant. »

 

Celui-ci lui lance un regard par-dessus son épaule, une lueur apparaissant dans son œil lorsqu’il réalise ce qu’elle veut faire. Prudemment, il recule d’un pas en arrière puis sur le côté, puis un autre, jusqu’à ce que le capot du camion s’interpose largement entre lui et le blaireau. D’une main, Koda prend le pistolet chargé de tranquillisant à sa ceinture. « Tacoma, garde-le en joue », dit-elle. « Juste au cas où ça tournerait mal. Je couvre Coyote. »

 

« C’est bon. »

 

« Okay. On y va. »

 

De sa main libre, Koda fait glisser le verrou de la cage, et ouvre grand la porte. Coyote bondit sur la route, en direction du blaireau avec un trottinement de jambes raides, sa queue trapue baissée, la tête penchée d’un côté. Il gémit, du fond de la gorge.

 

Sans avertissement, le blaireau semble se ratatiner. Ses pattes arrière s’abaissent et sa tête se redresse, le bouton noir de son museau reniflant la brise. Il penche la tête, ses petites oreilles dirigées vers l’avant. Il grogne.

 

« Ils se connaissent ! » Murmure Kirsten, les yeux écarquillés. « Tu le savais ! »

 

« J’ai deviné », la corrige Koda avec un sourire. « Regarde. »

 

Au grognement, Coyote lève la tête. Il jappe, deux fois, et s’avance droit vers le blaireau. Toujours grognant, Blaireau lève le museau pour un reniflement mutuel. La queue de Coyote reprend son mouvement, et il s’étire, s’appuyant sur ses pattes avant, haut perché sur l’arrière-train. Sa langue pendouille de sa bouche ouverte. Il saute d’un côté, puis jappe et avance en sautillant sur quelques pas sur la route derrière la barrière. Avec un dernier regard soupçonneux en arrière, Blaireau se retourne d’un pas pesant et ils disparaissent ensemble dans l’herbe haute.

 

« Oooh », dit Manny. « Partis dans le soleil couchant. Si c’est pas mignon ? »

 

Koda lui donne une tape en regrimpant sur le siège du conducteur. « C’est le soleil levant, couz’. Remonte. Il faut encore qu’on largue Igmú dans un endroit sûr. »

 

De retour sur la route, Kirsten prend une autre gorgée de café, et en offre à Dakota. « Il est toujours chaud. » Puis, « comment savais-tu qu’il fallait laisser le coyote aller là-bas ? Ils ne risquaient pas de se battre ? » Koda boit, puis repose la tasse. « Ils auraient pu, s’ils ne s’étaient pas connus. C’est pour ça qu’on gardait les fusils à tranquillisants sur eux. » Elle hausse les épaules. « Personne ne sait pourquoi, mais parfois les blaireaux et les coyotes forment ce qu’on peut appeler des relations d’amitié. Ils deviennent des partenaires de chasse, l’un d’eux rabat la proie, l’autre l’attrape. Lorsque Coyote s’est mis à faire des bruits de ‘je suis rentré’, et bien… »

 

« Tu peux leur parler ? » Demande brusquement Kirsten. « Aux animaux ? »

 

Dakota l’observe un moment. Le visage de Kirsten est ouvert et honnête. Elle dit prudemment, « pas exactement. Parfois je peux communiquer avec un quatre pattes particulier, mais habituellement pas avec des mots. Pourquoi ? »

 

Rassemblant visiblement son courage, Kirsten dit, « quand on va relâcher le lynx près de la rivière, pourras-tu lui dire… » Elle s’interrompt un moment, puis finit rapidement, « peux-tu lui dire que j’aimerais beaucoup qu’elle ne mange pas de ratons laveurs ? »

 

Koda laisse la question tournoyer dans son esprit un long moment, espérant qu’elle va s’y installer et prendre du sens. Quand celle-ci ne répond pas à son attente, elle dit, « je pense que j’ai raté quelque chose là. Tu veux me dire de quoi il s’agit ? »

 

« Non », dit Kirsten fermement. « Tu vas penser que je suis folle. »

 

Koda quitte rapidement la route des yeux pour voir que Kirsten est sérieuse. Elle fait tourner le volant et amène le camion sur le côté de l’asphalte avant de freiner. Elle se tourne pour faire face à l’autre jeune femme et dit, « Canteskuye, je sais que tu n’es pas folle. Tu es une scientifique. Tu es probablement la personne la plus rationnelle que je connaisse. Maintenant, qu’est-ce que le fait de relâcher Igmú a à voir avec les ratons laveurs? »

 

Kirsten fixe ses mains, serrées entre ses cuisses. Le soleil pâle éclaire son visage de côté, faisant ressortir son profil dans un mince ruban de lumière. Elle lève les yeux un instant puis son regard retombe. « J’ai fait un rêve », dit-elle. « Ici dans les bois. Il y a environ deux semaines. »

 

« Un rêve. » Koda lui fait écho. « Sur les ratons laveurs ? »

 

« Un raton laveur. Il… c’est-à-dire, on a eu une conversation. »

 

Un poing cogne le dessus de la cabine. « Ça va là-devant ? Il y a un problème ? »

 

« Ça va, Manny », crie-t-elle, sans élaborer, puis elle se retourne vers Kirsten. « Okay. Tu as eu une conversation. »

 

« Avec un raton laveur. J’ai eu une conversation avec un raton laveur. Dans un rêve. »

 

« Et ? »

 

Soudain, Kirsten se tourne pour lui faire face. Son expression est presque plaintive. « J’étais assise sous un arbre avec Asi. Il y avait un raton laveur près de la rivière, là sur le rocher où je t’ai trouvée… plus tard. Ensuite il a attrapé un poisson, il est venu vers moi et m’a parlé. » Une petite grimace passe sur sa bouche, puis s’en va. « Je ne sais pas quand je me suis endormie. Mais quand il est parti et que je me suis réveillée… » Ses mains décrivent de petits cercles sans but en l’air. « … suis revenue à moi, peu importe… il y avait des traces dans la neige. Elles étaient réelles. »

 

« Tu veux bien me dire ce qu’il a dit ? » Dakota tend la main et capture celles de Kirsten, étonnamment puissantes pour sa petite taille. « Tu n’y es pas obligée si tu ne le veux pas, tu sais, ou s’il y a quelque chose qui ne me regarde pas. »

 

« Non, c’est bon. Il a dit que son nom était Wika Tega… Tegaquelquechose. »

 

« Wika Tegalega », finit Koda. « C’est notre mot Lakota pour ‘raton laveur’. »

 

« Il a dit que ça voulait dire ‘le magicien au visage peint’ ou quelque chose comme ça. Mais il m’a dit de l’appeler Tega. Il m’a offert de son poisson, mais… »

 

« Tu n’aimes pas les sushis, hein ? »

 

« Non. Bref, il a dit que le temps était comme un anneau de Moebius, qu’il tournait toujours dans le même cercle, les choses se répétant. Il a dit qu’il était mon animal spirituel, et il m’a dit d’aller vers toi quand je me réveillerais. Que tu avais besoin de moi. » Elle s’interrompt, prend une profonde inspiration et lève les yeux pour croiser le regard de Dakota. « Et je suis allée vers toi. Et tu avais besoin de moi. Même si je… j’hallucinais. »

 

Koda serre la main de Kirsten, la lève vers ses lèvres pour placer un baiser sur la paume. « Et j’étais reconnaissante que tu viennes. » Elle laisse un petit silence s’étirer entre elles. Puis elle dit, « Combien de mots Lakota tu connais ? »

 

Kirsten écarquille les yeux d’étonnement. « Le Lakota ? Juste quelques mots… des trucs que je t’ai entendus dire une fois ou deux. Comme le nom de Wiyo. Ou celui de ton père. ‘Oui.’ ‘Bonjour.’ Ce genre de choses. Pourquoi ? »

 

« Tu as déjà entendu le nom Lakota du raton laveur auparavant ? Pourrais-tu l’avoir rêvé à partir de rien ? »

 

« Je…non. Mais… »

 

« Tu as eu une vision. Tu peux l’appeler rêve si tu veux, ou état altéré, mais un esprit est venu à toi comme mentor et ami. C’est une bonne chose. Une bonne chose. »

 

Kirsten appuie sa tempe sur le dossier du siège, sans lâcher la main de Koda. « C’est trop. C’est tout nouveau, tout étrange. Je ne sais pas si ma tête peut s’y faire. »

 

Dakota lève son autre main, la passe doucement dans les cheveux de Kirsten. Le soleil glisse au travers comme de l’argent fondu entre ses doigts. « Je sais que tu peux. C’est une bonne tête. C’est juste que le monde a plus changé pour toi qu’il ne l’a fait d’une certaine façon pour Tacoma, ou Ate, ou moi. Nous sommes toujours attachés aux anciens rites que tes ancêtres ont abandonné il y a des centaines d’année. C’est tout. »

 

« Tout », répète Kirsten avec un petit rire. « Bien sûr. C’est tout. »

 

« Pas grand-chose, hein ? »

 

Un autre petit rire lui répond, et Dakota sourit. « Et tu ne veux pas qu’Igmú mange ton nouvel ami ou n’importe qui de sa nation, n’est-ce pas? »

 

« Ouais. C’est idiot, non ? Je suppose qu’elle ne mangerait pas une créature spirituelle. »

 

« Pas vraiment. Elle ne serait pas non plus encline à manger un raton laveur en chair et en os. Un gros mâle peut peser près de vingt-cinq kilos, et même une petite femelle se battrait trop pour en valoir la peine. Les prédateurs n’aiment pas avoir à lutter aussi dur pour leur dîner. Ce n’est pas rentable. »

 

« Merci », dit Kirsten doucement.

 

« Pourquoi ? »

 

« Pour ne pas avoir pensé que je suis cinglée. Pour avoir de la patience pendant que j’apprends. »

 

Il y a une brisure dans sa voix, et il apparaît à Dakota que son amante ne veut pas seulement parler d’animaux spirituels et de langage. Elle dit doucement, « Wastelake, tu as tout le temps dont tu as besoin. Sois patiente avec toi-même. »

 

« Je t’aime. »

 

« Cante mitawa », répond Koda. « Maintenant et pour toujours. »

 

  • * *

 

Une heure plus tard, Tacoma et Manny transportent la cage grillagée qui contient Igmú dans la petite clairière dans les bois. Le soleil matinal tachette le sol, vert de mousse, frémit sur l’eau qui passe à travers les pierres lisses du lit de la rivière. Haut dans un sycomore, un geai gris siffle doucement.

 

« Et voilà, ma fille », dit Tacoma, en posant la cage dans l’espace ouvert. « La maison. »

 

Au son de sa voix, elle cogne la tête contre le grillage, un ronronnement sourdant dans sa gorge. Il se penche pour lui gratter les oreilles, ses longs doigts traçant l’épais pelage d’hiver. Dakota dit, « Quand tu es prêt. »

 

Tacoma ouvre la porte et pendant un moment Igmú se tient juste à l’intérieur, une patte avant sur le lit de mousse, tacheté de minuscules fleurs en forme d’étoiles. Puis elle ramène ses longues pattes sous elle et s’en va, filant à travers l’espace en un battement de seconde, jusqu’à la corniche de calcaire, et de là vers le cours d’eau étroit en un grand bond. Un troisième saut la porte dans le sous-bois et hors de leur vue.

 

Pendant un long moment, tous les quatre restent silencieux. Koda sent la paix de la terre et de l’eau et de la lumière, une chose presque palpable. Puis elle se tourne à nouveau vers Tacoma et Manny, la main de Kirsten dans la sienne. « Rentrons », dit-elle.

 

*******

 

Kirsten fait un pas dans l’après-midi frais du printemps, et prend une profonde inspiration pour calmer les chatouillis dans son ventre. La brise odorante caresse sa peau et elle frissonne un peu. En short et débardeur court – le débardeur de Dakota pour être parfaitement honnête – elle est un peu sous habillée pour la saison, mais elle n’est pas exactement à l’origine du choix de vêtements, et elle est déterminée à suivre les instructions à la lettre.

 

Une autre inspiration profonde la calme un peu, et elle commence à traverser la pelouse à grands pas déterminés. A sa surprise, elle reçoit plusieurs regards appréciatifs, y compris un d’un type à l’allure militaire qui est si affairé à la détailler de la tête aux pieds que quand il arrive à son visage – et qu’il réalise, par conséquent, qui elle est – sa propre figure se ratatine en un masque de mortification suprême.

 

Le béret qu’il ôte précipitamment virevolte dans ses mains tandis qu’il fixe le sol, le visage rouge betterave. « D… désolé, euh… Madame… euh… Mamzelle la Présidente, Madame… je suis… euh… »

 

Kirsten rit doucement et prend pitié de l’homme. « C’est bon… » Un regard rapide à son badge impeccablement poli. « … Edmonds. Vous ne m’avez pas offensée. »

 

« M… mais, Madame ! V… vous êtes la P… P… Présidente ! »

 

« La dernière fois que j’ai vérifié », réplique-t-elle en posant légèrement la main sur son épaule, « j’étais aussi humaine. » Elle courbe les lèvres en un sourire à son intention, contente de voir la rougeur vive commencer à diminuer sur ses joues. « En plus, je ne pense pas que ma première décision politique sera de rendre ‘reluquer la Présidente’ une offense capitale, alors vous êtes plutôt tiré d’affaires, d’accord ? »

 

Edmonds se redresse dans un garde-à-vous rigide. « Ou… oui, Madame, Mâame la Présidente, Madame ! Merci, Madame ! »

 

« De rien, Edmonds », répond-elle en rendant son salut raide au jeune homme avec le visage aussi impassible qu’elle le peut.

 

« Oui, Madame ! Merci, mâame la Présidente, Madame ! »

 

Alors que l’homme soulagé part au trot à double vitesse, les traits de Kirsten se fendent dans un large sourire. Elle secoue la tête et rit pour elle-même, puis continue son chemin vers le portail de la Base, et au-delà.

 

*******

 

Au portail de la Base, Kirsten est arrêtée par un jeune garde si jeune qu’il pourrait être l’un de ces brins de l’herbe nouvelle du printemps. « Excusez-moi, Madame », déclame-t-il d’une voix haut perchée et tremblotante. « J’ai des ordres stricts de ne pas vous laisser sortir de la Base sans une garde rapprochée. »

 

Elle manque s’en prendre à l’homme mais retient sa réplique acérée quand elle voit sa jeunesse visible couplée avec l’expression de terreur effroyable dans ses yeux. Elle se décide finalement pour un sourire, bien que cela ne semble pas empêcher la sueur nerveuse qui perle aux tempes du jeune homme et à sa lèvre supérieure imberbe. « Et bien, je peux certainement apprécier qu’on s’inquiète au sujet de ma sécurité, Soldat Mitchell, et je le fais, croyez-moi. Mais dans la mesure où j’ai été capable d’infiltrer la base de Minot sans être détectée, je pense que je suis plutôt capable de faire quelques centaines de mètres hors du portail sans me faire tuer, n’est-ce pas ? »

 

Le regard paniqué de Mitchell fouille vainement les visages de ses camarades, qui sont tous au garde à vous comme lui. Finalement, il la regarde à nouveau. « Je… s.. suppose que oui, Madame. »

 

Le sourire de Kirsten s’élargit. « Bien ! Je suis contente qu’on ait éclairci ceci, Soldat. » Elle tend la main vers le portail, pour être arrêtée par une main sur son épaule. Elle baisse les yeux, puis lève brusquement le regard vers l’homme qui l’a mise là.

 

Mitchell retire sa main comme si elle était le soleil lui-même. « D… désolé, Madame, mais j’ai des ordres. Du Général Hart lui-même, Madame ! »

 

Se retournant lentement, Kirsten perd son sourire et cloue l’homme du regard. « Je vois. » Sa voix, bien que douce, pétille légèrement d’autorité.

 

« Et bien… oui, Madame ! »

 

« Mm. Et qui donne ses ordres au Général, Soldat ? »

 

« Madame ? »

 

Kirsten pince les lèvres. « C’est une simple question, Soldat Mitchell. Si le Général commande la Base, qui commande le Général ? » Elle s’éclaircit la voix lorsque le silence lui répond. « Qui est le Commandant-en-Chef, Soldat ? »

 

Mitchell a l’air visiblement nauséeux lorsque l’information finit par le frapper à la tête avec la force d’un semi-remorque. « V… vous, Madame. »

 

Le sourire de Kirsten revient. « Vous avez trouvé en trois secondes. Maintenant… s’il n’y a pas d’autre objection ? »

 

S’il devait y en avoir, elles sont arrêtées dans l’œuf par une voix profonde et ferme depuis l’extérieur du portail. « C’est bon, Soldat », dit Tacoma en avançant vers l’entrée fermée. « Je vais m’assurer que notre Commandant Suprême ne finisse pas mal. »

 

Levant le regard vers des yeux noirs qui pétillent d’amusement, Kirsten lâche un rire léger tandis qu’un soldat de la police militaire lui ouvre le portail. Elle sort et enroule sa main autour du coude qui lui est élégamment proposé.

 

« Votre voiture vous attend, Madame », récite Tacoma en l’amenant vers l’un des nouveaux jouets de la Base, une voiturette de golf électrique piquée à l’une des myriades de country clubs qui couvrent la zone autour de la Base. Mues par des batteries chargées par les quelques éoliennes qu’ils ont réussi à installer, les voiturettes sont parfaites pour des trajets courts, leur permettant de conserver les réserves d’essence en diminution pour des cas d’urgence.

 

Tandis que Kirsten se glisse sur la banquette blanche moulée, elle regarde Tacoma qui insère sa large stature dans le véhicule et lance le ‘moteur’. Il est différent sans son uniforme, pense-t-elle, son large short montrant de longues jambes musclées et bronzées. Une ligne partage ses cheveux d’un noir profond, soigneusement graissés, et séparés en deux tresses identiques enveloppées dans du cuir brut et une sorte de fourrure qu’elle ne peut pas identifier. Il porte une chemise à longues manches, du genre pull-over large qui cache le reste de son corps, mais une fois encore, elle s’émerveille de voir comme il ressemble fort à sa sœur.

 

Le trajet est court, à travers une zone boisée jusqu’à une clairière étroite. Tacoma arrête la voiturette dans cette clairière. Kirsten descend du véhicule et regarde alentours, notant la petite hutte à dôme couverte de peau en patchwork et qui est à peine plus haute qu’elle-même. Plus près d’elle se trouve un grand puits pour le feu rond avec un fouillis de pierres posées sur un lit de charbons incandescents bien rangés. Sa bouche s’assèche alors que la nervosité revient avec force, emplissant son ventre d’insectes rampant et voletant.

 

Elle sursaute presque au léger toucher de Tacoma sur son bras et elle le regarde, les yeux écarquillés. Il lui fait un sourire aimable et tendre. « Ça va aller, Kirsten », dit-il doucement. « Vous verrez. » Il penche la tête en direction de la hutte en invitation, son regard chaleureux sur elle. « Venez. »

 

Juste à l’extérieur de la hutte, il s’arrête et enlève sa chemise, laissant son torse dénudé. Kirsten le regarde, à nouveau frappée par la ressemblance – à part la différence anatomique évidente – avec la femme qu’elle aime. Elle note les cicatrices jumelles épaisses dans sa poitrine à quelques centimètres au-dessus de ses tétons, repoussant un éclair surprenant et non voulu de xénophobie. « Dakota a mentionné que vous étiez un Danseur du Soleil », finit-elle par dire.

 

« C’est vrai », dit-il d’une voix lisse et égale. Il a remarqué l’éclair dans ses yeux mais n’en prend pas offense.

 

« Je… euh… pensais que la Danse du Soleil était illégale. »

 

« Elle l’était. Mais quand nous avons réclamé nos terres, nous avons rejeté les lois washichu. Il sourit. « Ça fait partie de ce que nous sommes. » Avec un bref mouvement de la tête, il lui fait signe de rester où elle est tandis qu’il marche vers le puits du feu et prend un petit sac d’herbes, pour l’allumer avec le charbon.

 

De la fumée à l’odeur douce taquine ses narines alors qu’il revient, et elle se tient immobile pendant qu’il commence une douce psalmodie, dessinant sur le corps de Kirsten des motifs complexes avec le sac et la fumée qui le suit. Le rituel terminé, il remet le sac à sa place près de l’anneau du feu, puis revient se tenir près d’elle. « Prête ? »

 

Après un instant, Kirsten hoche la tête et produit un bref sourire. « Comme je le serai jamais, je présume. »

 

Tacoma se met à rire. « Vous serez très bien. Souvenez-vous juste que ceci n’est pas une compétition. Si ça devient trop difficile, sortez simplement. Personne ne pensera du mal de vous, d’accord ? »

 

Sa sincérité est presque palpable et Kirsten hoche à nouveau la tête, un peu calmée. « D’accord. »

 

« Bien. Entrons alors. »

 

Tacoma ouvre le rideau de peau et les sens de Kirsten sont immédiatement agressés par une bouffée de vapeur à l’odeur d’herbe. Des perles de sueur grasse s’échappent immédiatement des pores de sa peau grandes ouvertes et elle s’immobilise un instant, forçant son corps à s’acclimater au changement abrupt de température et à l’humidité. Après un court instant, sa respiration s’ajuste et elle passe sous le surplomb bas pour entrer dans la hutte de transpiration. La vapeur peint la scène d’une brume gazeuse, et elle cligne des yeux plusieurs fois en scrutant l’intérieur. Manny et Wanblee Wapka sont assis jambes croisées l’un à côté de l’autre à sa gauche. Juste devant elle se trouve un autre anneau plus petit, avec des dizaines de pierres de la taille d’un poing qui fument sur un lit de charbons incandescents. Et, à sa droite, Dakota et Maggie sont assises, la tête penchée proches l’une de l’autre alors qu’elles se parlent à voix basse. Maggie rit, un son bas et plutôt sexy, et Kirsten lutte contre une bouffée de jalousie à la vue de l’intimité que la scène véhicule, une jalousie qui est balayée à la seconde même où les deux femmes tournent le regard vers elle. Dans celui de Maggie il y a une affection durable et un accueil chaleureux tandis qu’elle s’écarte, créant un espace près de Dakota.

 

Et dans celui de Dakota… Kirsten se retrouve noyée dans le bleu doux et aimant qui l’enveloppe, l’attirant sans effort au côté de son amante, où elle s’installe sur le sol et sourit pour la saluer. Au contraire des autres, Koda est assise sur les talons, les mains détendues posées sur ses cuisses puissantes. Vêtue d’un simple short en coton blanc et d’un bandeau de poitrine de la même couleur, avec beaucoup de quantité de peau bronzée luisant de sueur, elle est, aux yeux de Kirsten, la magnificence personnifiée.

 

De son côté, Dakota ne semble pas pouvoir détourner son regard de Kirsten ; la vision qu’elle présente dans un débardeur mouillé et collé avec la peau chauffée et rosée, envoie une vague d’excitation s’écraser dans le corps de la grande femme si puissamment que pendant un instant, elle est presque submergée par sa soudaine intensité. Elle respire profondément et tend la main pour emmêler ses doigts et ceux de Kirsten tandis que la piqûre acérée de l’excitation s’adoucit et qu’une vague d’amour prend sa place. « Je suis contente que tu soies venue », dit-elle d’une voix rauque, les yeux brillants.

 

« Moi aussi », répond Kirsten, pressant légèrement la grande main qui tient la sienne.

 

Le rideau se ferme tandis que Tacoma fait entrer sa haute stature et s’assied près de son père, mimant à la perfection la posture du vieil homme.

 

Le regard de Wanblee Wapka parcourt le petit espace, faisant le cercle des présents. « Tout le monde est là ? Washte, on peut commencer. » Il sort une tresse d’herbe douce du petit sac en peau de daim posé sur le sol près de lui, ainsi que des sachets bien serrés de sauge. « Kirsten », dit-il, en regardant par-dessus le feu. « Maggie. C’est votre premier wigwam de transpiration, et vous pouvez voir et entendre des choses auxquelles vous ne vous attendez pas. Vous pouvez voir des essaims de lumière bleue et verte. Ou entendre des voix. Ne vous inquiétez pas, c’est normal. »

 

« C’est normal », répète Kirsten, ses lèvres épelant les mots en silence. Ça ne peut pas être plus étrange que de parler à un raton laveur. « Normal. »

 

Elle sent plus qu’elle ne voit Wanblee Wapka sourire, et sait que sa pensée a été entendue, si ce n’est par ses mots. Koda serre sa main à nouveau pour la rassurer, et elle calme son esprit.

 

Versant une louche d’eau sur les roches brûlantes, Wanblee Wapka dit, « cette eau vient des quatre coins du monde, portée par notre Père le Ciel. Il est avec nous quand nous prions en paix, demandons la connaissance, la sagesse et la santé. Ina Maka a donné cette eau de son propre corps. Elle, aussi, est avec nous. Quand Inyan a fait le monde, il a donné sa vie à cette création, et il est devenu pierre. Il est ici également. » Alors que la vapeur s’évapore vers le haut, il verse de l’eau sur les pierres trois fois encore.

 

Kirsten déglutit tandis que la chaleur juste relâchée se pose sur elle telle une chose vivante. Elle a eu sa part de saunas, grâce à des passages semi réguliers à la gym, mais ceci est un sauna au énième degré et son corps s’ajuste lentement. Elle sursaute quand la main de Dakota quitte la sienne et elle se tourne pour regarder son amante.

 

Celle-ci apparaît totalement détendue ; sa poitrine bouge dans un rythme très lent, très régulier, ses mains reposent, paumes vers le haut, sur ses cuisses, les doigts légèrement recourbés. Un petit sourire joue sur ses lèvres et ses yeux sont légèrement fermés.

 

De l’autre côté de la hutte, les trois hommes ont presque la même apparence, bien que Wanblee Wapka ait les yeux ouverts, mais le regard dans le vide.

 

Kirsten regarde finalement à sa gauche et trouve Maggie qui lui sourit. Celle-ci se penche légèrement et murmure à son oreille. « Détendez-vous. S’il ne se passe rien d’autre, ça sera au moins bon pour la peau, non ? »

 

Avec un rire murmuré, Kirsten hoche la tête et s’oblige à se détendre. Bien que la chaleur soit intense, elle n’est pas aussi pénible qu’elle le pensait. Après un moment, ses yeux commencent à se fermer, et elle s’y abandonne, vidant son esprit autant que possible.

 

Un moment indéfini plus tard, Kirsten sort brusquement d’un léger somme, comme un nageur qui finit par briser la surface d’un océan agité, et elle halète, le cœur qui bat fort avec urgence dans sa poitrine. Elle cligne rapidement des yeux, pour écarter la sueur cuisante, tandis que son esprit paniqué essaie de déchiffrer les appels insistants que son corps semble lui envoyer. Tout semble paisible et tranquille.

 

Un rapide regard vers Maggie montre la Colonel assise confortablement, les yeux fermés, qui respire à un rythme aisé. Les trois hommes en face d’elle sont tout aussi immobiles et calmes dans leur méditation.

 

Ce n’est qu’alors qu’elle remarque le froid effrayant pressé contre son côté droit, collé à elle comme un bloc de glace qui aurait fondu et se serait reglacé.

 

Elle se tourne rapidement à droite et pousse un cri silencieux à la vue de son amante, pâle et raide comme une statue de marbre, les yeux à demi-ouverts ne montrant que le blanc. Les lèvres écartées de Koda sont exsangues, et bien qu’elle essaie, Kirsten ne détecte aucun signe de respiration.

 

Sa voix, lorsqu’elle finit par résonner, est haute et intense, pleine de frayeur. « Dakota ! » Crie-t-elle, en s’accrochant à l’avant-bras tendineux de son aimée. Elle pourrait aussi bien toucher un cadavre, tant la peau sous sa main est froide et dure. « Dakota ! ! Non ! ! »

 

D’autres mains, des mains étrangères, descendent alors sur elle, essayant de l’éloigner. Des voix, profondes et brusques, des sons dans ses oreilles, mais indéchiffrables. La force de ces mains sur son corps est implacable, mais sa volonté est plus forte, et elle lutte de toutes ses forces, criant pour sa compagne à pleins poumons.

 

« Kirsten ! » Crie Wanblee Wapka dans ses oreilles. « Kirsten, vous devez écouter ! Dakota est makoce nupa umanipi. Elle marche dans deux mondes. Vous ne devez pas la toucher ou son esprit pourrait ne plus retrouver son chemin vers son corps. S’il vous plait, venez ! »

 

« Non ! » Crie Kirsten, qui ne peut voir que le visage exsangue et immobile de Dakota. « Dakota ! »

 

« Venez ! S’il vous plait ! » Crie à nouveau Wanblee Wapka, redoublant de force. « Elle ne peut pas vous entendre. Elle ne peut pas répondre. S’il vous plait. Vous la mettez en grand danger ! »

 

L’urgence, si pas l’intention, des mots de Wanblee Wapka coulent dans la terreur de Kirsten, et elle s’échappe de la force ferme dans son dos. Sa prise rigide s’adoucit et ses doigts s’écartent contre son gré de la peau froide de Dakota. Un sanglot s’échappe tandis qu’elle regarde une goutte minuscule de sang se frayer un chemin le long de la narine de Dakota pour venir sur sa lèvre supérieure. Sa lutte reprend mais la poigne des hommes derrière elle est trop forte et trop assurée, et elle se sent éloignée inexorablement de son amante. « Non ! »

 

Et puis, ce que Wanblee Wapka a jugé impossible, se produit. Avec le grognement du loup loin du fond de sa gorge, Dakota tend la main et agrippe le poignet de Kirsten, sa prise aussi froide et implacable que l’acier trempé.

 

« Ate ? » Questionne Tacoma, stupéfait et confus. « Que… ? »

 

« Chunkshi ? He nayah, uh, he ? »

 

Le grognement s’arrête et Dakota commence à trembler. Ses yeux s’ouvrent complètement, bien qu’on ne voie toujours que les blancs. « Sa », grogne-t-elle. « Wapka sa. Maka sa. Shota. Wikate. Ayabeya tokiyotata wikate. Ayabeya tokiyotata sa.”

 

Elle tremble à nouveau, violemment, et le bleu de ses yeux se montre enfin, brillant d’un savoir terrible. « Ayabeya tokiyotata wikate. Osni. Si… froid. »

 

Ses yeux papillonnent et se referment et elle s’effondre. Plongeant en avant, Kirsten prend Koda dans ses bras, lui caressant les cheveux frénétiquement tout en lui murmurant des prières désespérées à travers ses larmes.

 

« Manny », ordonne Wanblee Wapka, « va chercher la voiture et amène-là devant. « Chinkshi¸aide-moi avec Dakota. »

 

« Je vais la porter moi-même, Ate », rétorque Tacoma, en se dirigeant vers la tête de Dakota tandis que les mains de Wanblee Wapka descendent sur les épaules de Kirsten.

 

« Kirsten », dit-il doucement, les lèvres proches de son oreille. « Kirsten, il faut que vous la laissiez, juste pour un moment. »

 

« Non », gémit Kirsten. « Non, s’il vous plait. S’il vous plait, aidez-là. »

 

« Nous allons le faire, wikhoshkalaka. Nous allons le faire, je le promets. Mais il faut que vous veniez avec moi pour que Tacoma puisse la soulever et la porter à la voiture. Il faut qu’on s’occupe d’elle à la maison et nous ne pouvons pas vous porter toutes les deux. »

 

Lentement, et avec une grande réticence, Kirsten laisse les douces mains de Wanblee Wapka la guider loin de son amante. Mais la poigne de Dakota reste forte autour de son poignet. Wanblee Wapka se met rapidement sur un genou et commence à doucement masser la main exsangue de sa fille. « Chunkshi, laisse-la partir. Laisse Kirsten partir. Il faut qu’on s’occupe de toi, Dakota. S’il te plait, relâche son poignet. »

 

Son massage résolu adoucit la prise de Koda et Kirsten, avec la plus grande réticence, libère son poignet. Dakota réagit immédiatement, se débattant de tout son long corps. La tête bougeant de tous côtés, elle gémit.

 

Wanblee Wapka caresse les cheveux de sa fille, ses yeux brillant d’inquiétude et d’amour. Chhh, chunkshi. Elle est ici. Ta tehila est ici. » Il tourne le regard vers Kirsten. « Si vous lui parlez doucement, elle vous entendra. »

 

Une main sur la bouche, Kirsten approche l’autre à quelques centimètres du menton glacé de Dakota. « Koda ? Chérie ? Je suis ici, tout près de toi, ok ? Tout va aller bien, je te le promets. » Incapable de s’en empêcher, sa main finit de parcourir les derniers centimètres et effleure la peau de son amante. Si froide. Elle est tentée de reculer à nouveau, un réflexe qu’elle combat activement. Au lieu de ça, elle caresse les crêtes des tendons, des muscles, des os, avec la volonté de réchauffer la peau glacée. « Je ne te laisserai pas », promet-elle. « Pas maintenant. Jamais. »

 

Dakota se calme immédiatement sous la prévenance de Kirsten. Sa respiration s’apaise et elle semble glisser dans un profond sommeil.

 

Wanblee Wapka note tranquillement la violence retenue dans la voix et les gestes de Kirsten et il sourit brièvement pour lui-même. Ceci, il le sait, est le vrai visage de la femme que sa fille aimée a choisie comme compagne, le visage d’Igmú protégeant ses petits. Il hoche la tête pour lui-même, très satisfait, puis s’écarte tendrement lorsque Tacoma entre et soulève aisément le poids atone et mort de Dakota.

 

Ils le suivent de près lorsqu’il marche rapidement vers la voiture qui attend, Manny au volant. Il la dépose doucement à l’arrière de la voiturette, un endroit où on pose habituellement les sacs de golf. L’espace est étroit, mais il y réussit. Puis il fait signe à Kirsten d’aller vers le côté du passager et il l’aide à s’installer. Elle se tourne immédiatement dans le siège moulé en plastique et tend la main, pour passer les doigts dans la frange de cheveux épaisse de Dakota sur son front pâle et froid. Tacoma pousse Manny hors du siège du conducteur et fait signe à son père de prendre place dans l’espace libre. « Nous allons marcher, Ate », Murmure-t-il avant de retourner examiner sa sœur une dernière fois. « Nous nous reverrons à la maison. »

 

Avec un bref hochement de tête, Wanblee Wapka lance la voiturette et s’en va.

 

Maggie finit par détourner le regard de la voiture qui s’éloigne, et regarde les deux hommes qui restent avec un sourcil dressé. « Quelqu’un pourrait m’expliquer exactement ce qui s’est passé ici, Bon Dieu ? »

 

Tacoma courbe les lèvres. « Bien sûr, je vous dirai tout en rentrant, ok ? »

 

« Bien. »

 

Et sur ces mots, tous les trois repartent à la Base à toute vitesse.

 

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Note des auteures : Ding Ding Dooong. C’est la fin de l’épisode (de cette semaine) d’Insurrection. J’espère que ça vous a plus. Pour ceux d’entre vous qui auraient deviné que la vision de Dakota était une sorte de présage, vous nous connaissez trop bien ! A la prochaine !

 

 

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