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INSURRECTION36

Page history last edited by PBworks 15 years, 10 months ago

INSURRECTION

 

De Sword'n'Quill (Susanne Beck)

 

SwordnQuil@aol.com

 

écrit avec T Novan et Okasha

 

 

Traduction : Kaktus (parties 1 à 22) et Fryda (partie 23 à la fin)

 

 

 

Table des matières

 

 

 

 

Ecrit par Susanne Beck et Okasha

 

CHAPITRE TRENTE-SIX

 

« J’arrive ! » Répond Kirsten au coup frappé à la porte, tout en balançant le torchon sur son épaule, cognant de la hanche au passage sa compagne affairée à gratter quelque chose, et elle sort de la cuisine.

 

Maggie se tient sur le seuil, souriante, un sac à la forme suspecte dans la main. Le sourire s’efface de ses lèvres quand elle saisit le regard étrange de Kirsten. « Quoi ? »

 

Cette dernière soupire. « Je sais que nous avons déjà parlé de ça, mais ça me met mal à l’aise de penser que vous devez frapper à la porte de votre propre maison. »

 

Maggie lève les yeux au ciel et repousse doucement Kirsten pour se glisser dans la maison. « Chérie », dit-elle d’un ton traînant, « j’frappais à la porte avant d’entrer dans la maison où j’ai grandi. Ma ‘man m’aurait fouettée à sang si j’avais pas montré du respect, famille ou pas, alors arrêtez de vous inquiéter pour ça, ok ? »

 

Kirsten fronce les sourcils, peu convaincue, et Maggie lui prend doucement le coude. « Ecoutez-moi, mon amie, et écoutez bien, parce que c’est la dernière fois que nous allons avoir cette conversation, vous et moi. Vous ne m’avez pas chassée de ma maison. Elle est à moi. Je choisis ce que je fais avec, et j’ai choisi de vous laisser l’avoir. Pas de mal, pas de mouron, et tout va bien, capiche ? »

 

« Je suppose », réplique Kirsten à contrecoeur.

 

« Bien », répond Maggie, en levant le paquet, « et pour sceller le contrat, un cadeau ! »

 

Kirsten sort la bouteille du sac et plisse les yeux à la vue de l’étiquette. « Du Southern Comfort ? Wow, je n’en ai pas eu depuis le lycée ! »

 

« Madame la Présidente ! » S’offusque Maggie, en feignant d’être extrêmement choquée. « Vous venez d’admettre avoir consommé de l’alcool ? Que vont penser vos administrés ? »

 

« Mes administrés peuvent aller au diable », rétorque-t-elle en cassant le sceau d’une rapide torsion du poignet. « Où est-ce que vous avez eu ça ? Je pensais que la Base était à sec ? »

 

« J’ai mes sources », reçoit-elle en guise de réponse satisfaite tandis que Maggie part vers la cuisine. « Alors, où est-ce que j’ai mis ces verres à whiskey ? » Elle s’immobilise pour éviter de foncer dans Dakota, qui lui sourit d’un air narquois, trois petits verres dans la main. « Regardez qui est revenue d’entre les morts ! Et avec l’air d’aller foutrement bien ! »

 

Koda hausse un sourcil. « On dirait que quelqu’un a commencé à faire la fête un peu tôt. »

 

« A peine. Je peux pas être d’une humeur à demi décente de temps en temps ? En plus », ajoute-t-elle en baissant le ton, oubliant l’audition améliorée de Kirsten, « je pense que quelqu’un aurait bien besoin d’un petit remontant, non ? »

 

« J’ai entendu », fait remarquer Kirsten, en se dirigeant vers la cuisine, « et je vais bien. Vraiment. »

 

« Mm. » Maggie la regarde d’un œil critique. « Et bien, je suppose qu’on peut faire passer cette pâleur surnaturelle pour un manque de sommeil, hmmm ? » Un clignement d’œil coquin accompagne la déclaration, et chauffe le visage de Kirsten. « Allons. Portons un toast avant que le reste de nos invités n’arrive, ok ? »

 

Le trio passe dans le séjour. Tandis que Maggie verse l’alcool, Koda s’assied sur le sol, le dos contre le canapé. Kirsten s’installe derrière elle, et caresse les cheveux noirs étalés sur le tissu usé du divan. Maggie tend les verre puis lève le sien, avec une expression sérieuse. « Aux leçons apprises, aux obstacles franchis, aux dangers à venir, à l’amour et à la famille, qui donnent du sens à tout. »

 

Trois verres tintent, trois bras se lèvent, et trois têtes se penchent en arrière, avalant le liquide sucré et brûlant d’une seule traite. « Ahh, » dit Kirsten dans un souffle, tout en cognant son verre sur le coffre qui fait office de table. « Ça fait décidément du bien. » La liqueur envoie du feu dans son ventre et ses membres, emportant les lames de douleur et d’arrières pensées avec lesquelles elle s’est battue depuis qu’elle a signé les ordres d’exécution. « Merci, Maggie, j’ai une dette envers vous. »

 

« A quoi servent les amis ? Un autre ? »

 

Kirsten lève la main. « J’aime mieux pas. J’aimerais au moins avoir l’air cohérent quand on passera les choses en revue ce soir. Mais peut-être plus tard. »

 

« Ça me va », répond Maggie, en rebouchant la bouteille pour la ranger, au moment où on entend de nouveau un coup à la porte. « Je m’en occupe. Je reviens tout de suite. »

 

Koda et Kirsten échangent un regard tranquille tandis que Maggie s’en va et revient avec le reste du groupe sur ses talons. Tacoma, Manny et Andrews ont l’air rigide dans leurs uniformes fraîchement repassés. Harcourt les suit, impeccablement habillé, comme toujours, d’un costume noir et d’une cravate réglementaire. Wanblee Wapka contourne le groupe, l’air à l’aise dans son jean et sa chemise de travail.

 

« Où est Hart ? » Demande Kirsten.

 

« Le Général est malheureusement indisposé pour le moment », répond Harcourt, en s’installant dans le fauteuil rembourré. « Visiblement pour le reste de sa vie si la quantité de canettes de bière devant sa résidence est une indication. »

 

« Génial. Juste ce qu’il nous fallait. »

 

« Je pense que cette petite réunion clandestine des esprits se portera mieux sans lui de toutes les façons », fait remarquer Harcourt, un léger sourire cassant les angles pierreux de son visage quand il regarde Dakota. « C’est bon de vous voir à pied d’œuvre, pour ainsi dire, Ms Rivers. Je crois comprendre que vous avez une histoire intéressante à partager ? »

 

« Dans un moment », intervient Maggie. « Débarrassons-nous d’abord du reste de nos affaires, si c’est possible. » Elle se tourne vers Tacoma comprimé dans une des petites chaises qu’il a rapportées de la cuisine. « Joli jeu de lumières hier soir, Capitaine. Vous avez des informations à nous communiquer sur les dommages ? »

 

« Deux maisons ont été complètement brûlées », dit Tacoma. « Heureusement, elles ont été tellement endommagées pendant le soulèvement originel qu’elles n’étaient pas utilisées. Des dommages mineurs dus au feu à douze autres maisons. J’ai envoyé des équipes de réparation pour y travailler vingt quatre heures sur vingt quatre. »

 

« Des dommages à la station d’énergie ? »

 

« Minimes. » Il regarde ses mains, rouges et écorchées d’avoir enroulé du câble en cuivre sans s’arrêter. « On devrait redémarrer dans une semaine, au mieux. »

 

« Bien. On s’en sort mieux qu’on n’aurait dû. » Elle lève la main pour anticiper le commentaire de Tacoma. « Je ne blâme personne. Nous avons tous laissé tomber la balle. Kirsten a mentionné que vous la pressiez pour une Mairie, et vous avez raison, c’est quelque chose dont nous avons désespérément besoin en ce moment. La communication avec les civils sur cette base manque cruellement et ça va nous attirer encore plus de problèmes dans le long terme. Alors… il va falloir que nous mettions en place un Comité de Communication. Disons dix personnes en tout, avec une représentation égale de personnel de la base et de civils. Ils pourront se réunir une fois par semaine pour commencer, passer en revue toutes les affaires en cours et transmettre ce qui est nécessaire. Kirsten, je sais que vous avez déjà largement de quoi faire en ce moment, mais je pense que vous devrez probablement présider la première réunion, juste pour que les choses restent en ordre. » Elle sourit. « Mais vous devriez pouvoir passer cet honneur à une autre âme méritante une fois que tout sera sur les rails. »

 

« Être un gros bonnet est vraiment une plaie parfois », grogne Kirsten, mais elle hoche la tête pour accepter encore un nouveau devoir.

 

« Ouais, ouais. Dites ça à la presse. »

 

Le groupe rit puis se calme tandis que les regards se tournent vers Dakota. Maggie hausse un sourcil pour l’inviter silencieusement.

 

Koda hoche la tête, se redresse et relève les jambes, puis croise les bras autour et regarde le groupe d’un air neutre. « Je vais vous épargner les détails, parce que je suis sûre que vous les connaissez tous parfaitement. » Tout le monde hoche la tête, et elle ferme les yeux pour rappeler les images de sa Vision. Elles lui viennent facilement, bien que ce soit avec gratitude qu’elle ressente du détachement pour le contrecoup émotionnel qu’elles apportent. Elle sent que ce détachement est aidé par la sensation de la main chaude de Kirsten sur son épaule, et elle sourit pour la remercier intérieurement.

 

« Dakota ? » La voix douce et égale de son père filtre dans sa conscience. « Où es-tu ? »

 

Elle se tient au milieu d’un champ de guerre. Le rouge l’encercle, profondément enfoui dans la terre, coulant dans les rivières sous ses pieds nus. Même l’air est rouge, comme si elle regardait le monde à travers de la soie écarlate, et la puanteur du feu et de la mort est envahissante. Au-dessus de sa tête, des charognards tournent sans cesse, attendant l’occasion de se nourrir.

 

« Juste devant la base », répond-elle, sa voix profonde, les mots lents et mesurés. « Au sud, à environ cinquante mètres au-delà du portail. »

 

« Quand ? »

 

Une brise sans énergie remue les feuilles des arbres. Un drapeau trempé de sang claque avec humidité, de mauvaise grâce, comme des draps couverts de boue qui pendent d’un fil à linge.

 

« Au milieu du printemps, début de l’été. C’est difficile à dire. »

 

« Est-ce que tu vois le passé ? »

 

Tout le monde retient son souffle.

 

« Non. »

 

La main de Kirsten se resserre involontairement sur l’épaule de Dakota, mais la distraction est minime. Le groupe échange des regards graves, et Tacoma se détourne, les poings et la mâchoire serrés, comme s’il était prêt à affronter seul toute l’armée des androïdes.

 

Maggie envoie une question silencieuse à Wanblee Wapka, qui hoche la tête.

 

« Dakota ? » Demande-t-elle.

 

« Je suis là. »

 

« Qu’est-ce que tu vois ? »

 

Une brève pause. Puis. « La mort. »

 

La pièce se remplit d’inspirations sifflantes.

 

« La mort. » Dans sa Vision, elle lève des mains qui coulent de sang. « Tout autour de moi. »

 

« Y a-t-il des androïdes ? »

 

« Oui. Des centaines. » Le corps de sa Vision fait un tour complet sur lui-même, un regard rouge perçant le carnage. « Plus que je n’en ai jamais vus auparavant. Ils viennent du sud, et de l’ouest, dans des tanks… »

 

« Des tanks ? » Demande Maggie, surprise.

 

« Oui. Beaucoup de tanks. Beaucoup de bombes. Et des morts. Tellement… tellement de morts. Partout. Partout. »

 

Kirsten regarde Wanblee Wapka dans les yeux, avec une prière angoissée. Son visage figé et grave, il lève la main. Maggie intervient, doucement. « Kirsten, nous devons savoir. »

 

« A quel prix ? » Demande Kirsten, la voix aiguë. « Vous lui faites du mal ! »

 

« Kirsten… »

 

« Canteskuye, s’il te plait, laisse-moi tout raconter. Je dois parler de ça. S’il te plait. »

 

Laissant tomber ses objections à contrecoeur, Kirsten glisse le bras le long de celui de Dakota et le presse, déposant un baiser sur les cheveux noirs près de son menton. Koda attrape sa main et la retient légèrement dans la sienne. Wanblee Wapka hoche la tête vers Maggie pour qu’elle continue.

 

« Dakota, les androïdes… y a-t-il des humains avec eux ? »

 

« Oui. Beaucoup d’hommes. Tous des étrangers. Ils portent du rouge. Le rouge de la mort. »

 

Maggie se passe la main dans ses cheveux ras et soupire, puis elle avance une question qu’elle ne veut pourtant pas poser. « Et la base ? »

 

Une autre pause, plus longue cette fois.

 

« Partie. »

 

Comme un seul homme, le groupe se raidit, personne ne s’étant attendu à cette réponse aussi extrême.

 

« Partie ? » Demande finalement Maggie, quand elle retrouve sa voix. « Peux-tu expliquer ? »

 

« Partie », répète Koda. « Tout est parti. Plus de bâtiments. Plus de vie. Que la mort. La mort, partout. La terre pleure ses enfants. »

 

« Très bien », dit Kirsten, avec un ton qui n’appelle pas de contradiction. « Ça suffit ! Vous avez ce que vous êtes venus chercher, maintenant c’est terminé ! Maintenant ! »

 

Wanblee Wapka hoche la tête et s’avance, mais Dakota sort seule de sa transe, et prend Kirsten dans ses bras tandis que sa compagne descend du canapé pour venir à côté d’elle. « C’est bon, mon amour, c’est bon », murmure-t-elle dans les cheveux parfumés. « Je vais bien. C’est bon. »

 

Le reste du groupe échange des regards lugubres. Après un long moment, Koda lève la tête et regarde les gens autour de la table. « C’était un avertissement. Les androïdes arrivent. Je peux les sentir se rapprocher. Mais la façon dont la bataille finira dépend de nous, en partie. Ina Maka a jugé bon de nous aider, de nous avertir de ce qui arrive. Le reste dépend de nous. »

 

Attrapant les accoudoirs de son fauteuil, Maggie laisse passer un long souffle. « A demain, alors. Dans mon bureau. Tous. » Le sourire qu’elle lance à Dakota est sinistre, mais un sourire néanmoins. « Merci mon amie. Ton don nous a donné une chance de combattre. »

 

« Remercie la Mère », réplique Koda.

 

« Je le ferai. » Maggie se lève et appelle les autres d’un regard. Ils se lèvent également et avec des légers murmures de remerciements et de bonne nuit, ils sortent de la maison, laissant les deux compagnes seules.

 

*******

 

Maggie lève la main pour se protéger les yeux face au soleil de la fin d’après-midi qui se déverse à travers les volets de la pièce, et envoie des rayons de lumière sur la grande carte du Dakota du Sud et des états environnants étalée sur son bureau. Sa brillance diffuse un reflet bleu, semblable à celui d’une aile de corbeau, sur les cheveux de Koda qui s’appuie sur les coudes, traçant les fines lignes des routes d’état qui entrent vers Rapid City et en sortent vers la nationale 90. « Ici », dit-elle. « Pour ceux qui viennent de l’ouest, le meilleur chemin serait d’arriver par la 85 vers l’autoroute, puis de faire la boucle vers l’est, vers Ellsworth. Les troupes qui montent d’Offut pourraient utiliser la 183 ou la 87, ensuite marcher vers l’ouest sur la 90. »

 

« S’ils sont lourdement armés », ajoute Tacoma, « ils voudront passer sur l’autoroute aussi vite qu’ils le pourront. »

 

« Est-ce qu’il n’y a pas toujours beaucoup de dommages sur la nationale ? » Demande Kirsten. « Est-ce que c’est assez pour les ralentir ? »

 

« A peine. Des choses comme des obusiers mobiles peuvent tous simplement repousser d’autres trucs sur les bas-côtés. Ça ne leur demandera qu’un groupe d’éclaireurs pour nettoyer le chemin. »

 

« On a besoin d’une reconnaissance aérienne. Rivers », dit Maggie au cousin de Dakota, qui se penche par-dessus l’épaule de Kirsten. « Faites décoller quelques oiseaux et qu’ils examinent les routes. Je veux des rapports d’ici ce soir. Et non », ajoute-t-elle d’un ton de réprimande, en notant la lueur qui monte dans ses yeux noirs. « Pas vous, ni Andrews. Vous avez votre assignation. »

 

« Oui, madame », dit-il, en tournant les talons dans l’espace étroit entre Koda et la porte. Dakota enlève rapidement son pied du chemin, manquant de cogner la cheville de Kirsten, assise sur sa gauche. « Désolé, couz’ », murmure-t-il alors. « Il faudra qu’on déplace ces réunions dans une salle de conférence ou un truc comme ça. »

 

« Filez », dit Maggie, ce qu’il fait. La demi-douzaine de corps qui entoure le bureau bouge, profitant de l’espace agrandi.

 

« Il a raison », dit Kirsten, en bougeant ses épaules qui ne sont plus collées contre ses voisins. « Pourquoi n’utilise-t-on pas les grandes salles de réunion ? »

 

« Hart », dit Maggie succinctement. « Son territoire. »

 

« Il n’a pas l’air… bien », suggère Wanblee Wapka depuis sa place près de Tacoma.

 

Maggie émet un petit ricanement agacé. « Faites de cet homme un ambassadeur quand on sera sorti de ce bazar », dit-elle à Kirsten. « Le Général Hart n’a pas été… bien… depuis le soulèvement. Si on en croit sa secrétaire, il vient chaque jour à son bureau, boit son café, et regarde les rapports en triple. Puis il repart dans ses quartiers et attend de recommencer le lendemain. » Sa voix s’adoucit. « C’est un manager, pas un commandant de terrain. Perdre sa famille lui a fichu un coup. »

 

« Et son aide de camp… quel est son nom… Toller, Toleman… ? »

 

« Tout ce qu’il fait c’est apporter et reprendre les rapports et dire à Kimberly à qui ouvrir la porte. Encore un universitaire. Les cochons piloteront des bombardiers furtifs avant qu’il ne discute un ordre. »

 

« D’accord », dit Tacoma en ramenant la conversation à la carte et à l’ennemi qui avance. « Manny va s’occuper de la reconnaissance aérienne. On a aussi besoin de troupes au sol. »

 

Maggie acquiesce de la tête. « Préparez les attributions quand les oiseaux seront revenus. » Elle tourne son attention vers Wanblee Wapka. « Quelles sont vos capacités de défense ? »

 

Son regard, d’un bleu aussi saisissant que celui de sa fille, croise le sien. « Soixante adultes en bonne santé avec des petites armes et les compétences pour les utiliser. Encore vingt ou trente en soutien. Mais si cette armée réussit à forcer le passage ici, notre seule vraie défense ce sont nos pieds. »

 

Maggie tapote la carte du bout de son marqueur. Multi-tâches, Allen. Plans d’urgence. « Très bien », dit-elle. « Quand le moment sera venu, je ferai remplir deux Tomcats de carburant, prêts à partir. Un pour couvrir Rapid City, l’autre pour vous couvrir vous si ces salauds passent notre flanc pour aller vers le nord. Si les androïdes continuent à maintenir leurs forces ensemble, nous les aurons à notre portée ici. Avec des distances aussi courtes, nous n’aurons pas besoin de systèmes de guidage pour les Tomcats et la plupart de nos matériels ont été reconfiguré en laser.

 

En attendant, nous avons besoin d’un état de nos avantages. Tacoma, faites-moi un inventaire de toutes les armes, de l’artillerie, des petites armes et des fantassins ainsi que votre évaluation du meilleur usage que nous pouvons faire de tout ce que je viens d’énumérer. Je sais déjà ce que nous pouvons envoyer dans les airs et qui peut voler dessus. Quand nous en saurons plus sur ce que nous affrontons, nous pourrons parler de déploiement. »

 

« On ira à leur rencontre sur la route si nous le pouvons », dit Dakota. « Nous les bloquerons avant qu’ils puissent atteindre la Base ou la ville. »

 

« Exactement. Et nous avons besoin de garder toutes nos options ouvertes pour le faire. » Maggie plie la carte et la tend à Dakota. « Toi et Tacoma connaissez le sol mieux que quiconque ici. Choisissez au moins trois points provisoires où nous pouvons leur couper la route. Kirsten, de la chance avec ce fragment d’androïde que Jimenez vous a apporté ? »

 

« Pas encore… » Kirsten tourne brusquement la tête vers la fenêtre où une ombre passe derrière les volets, accompagnée de la riche senteur du tabac de pipe. Tacoma tend un long bras derrière elle et ouvre la porte pour laisser entrer Fenton Harcourt, une pipe de bruyère entre les dents et une pile de papiers sous le bras.

 

« Et bien », dit le Juge. « Comme c’est sans prétentions. Les renards ont des tanières et les oiseaux ont leurs nids, mais le lieutenant-colonel opère dans un petit placard minable, et la Présidente de ce qui reste des Etats-Unis n’a pas de bureau du tout. »

 

Maggie regarde les dossiers avec méfiance. « Qu’est-ce qu’on peut faire pour vous, Juge ? »

 

« Rien qui va vous réjouir », répond-il, en faisant glisser trois des cartons fins de la pile. « Le Général Hart m’a vu après une longue attente cet après-midi, ensuite il m’a dit de vous apporter ce dossier. »

 

« Et ce dossier c’est ? »

 

« McCallum. Petrovich. Kazen. » Harcourt ponctue les noms en jetant chaque dossier sur le bureau avec un bruit sec. « Ils sont actuellement au corps de garde, puisqu’il n’y a pas d’installations pour les détenir à Rapid City. Et il n’y a pas non plus d’installations pour exécuter leurs sentences. Vous n’avez pas l’air », ajoute-t-il, « contente. »

 

« Je suis », dit-elle avec la même précision qu’a employée Harcourt, « aussi contente que si le chien de madame la Présidente m’avait fait un cadeau. Cependant, Asimov serait trop poli pour le laisser tomber sur mon bureau. »

 

De manière inattendue, le visage d’Harcourt se fend en un sourire, la pipe toujours serrée entre ses dents. « Colonel », dit-il, « je suis désolé de vous avoir sous-estimée. Malheureusement, il n’y a personne d’autre qui ait l’autorité ou les moyens de gérer ce problème. Les institutions civiles sont toujours en suspens. »

 

« Malheureusement », dit-elle, « vous avez raison. Tacoma. »

 

« Madame ? »

 

« Quand vous m’apporterez la liste des troupes, choisissez-en vingt-cinq par groupe. Nous passerons à quinze dans un deuxième temps. Dites au Major Grueneman de vérifier que le stand de tir de la salle de gym est prêt, et assurez-vous que nous avons de la lumière là-bas. Il vaut mieux commencer maintenant. »

 

« Madame. » Tacoma salue et insère sa grande stature entre Kirsten et le Juge, en direction de la porte. Kirsten va vers un siège et laisse son fauteuil à Harcourt.

 

« J’ai l’impression que je peux faire autre chose pour vous, Juge ? »

 

« Pas vous, Colonel. Rivers », dit-il en s’adressant à Wanblee Wapka. Il prend une longue bouffée de sa pipe et la fumée passe par ses narines. « Votre colonie peut recevoir une veuve récente et sa fille orpheline ? »

 

Wanblee Wapka contemple le visage d’Harcourt pendant un long moment, ses yeux aimables mais sans expression. Puis les lignes de rire tout autour se plissent en rides et il dit, « Fenton, vous savez comment poser une question importante, n’est-ce pas ? ‘La pauvre petite fille aux allumettes dans la neige’. Vous faites référence à Mme Buxton si je comprends bien ? »

 

Une autre bouffée et une rivière de fumée. « C’est ça. »

 

« Avez-vous consulté la dame au sujet de cet arrangement ? »

 

« Je vais l’informer de la possibilité quand j’aurai votre réponse. »

 

« Vous l’avez alors. Dites-lui de se tenir prête. »

 

« Mme Rivers ? »

 

« Themunga ne repousserait pas W.T. Sherman lui-même s’il se montrait sur le seuil blessé ou affamé. » (NdlT : Sherman était un général nordiste de la Guerre Civile Américaine connu pour sa politique de la Terre Brûlée, il a servi sous les ordres du Général Grant)

 

« Non », dit Dakota ironiquement. « Elle le soignerait jusqu’à ce qu’il recouvre la santé et ensuite elle le scalperait.»

 

Maggie saisit un petit regard alarmé tandis que Kirsten regarde Koda puis son père tour à tour, et elle se demande comment la matriarche Rivers acceptera une belle-fille blanche. Pas facilement, d’après les signes. Mais elle se contente de dire, « autre chose ? »

 

Il n’y a rien d’autre et tandis que les autres sortent un par un, elle commence sinistrement à organiser la triple exécution. Et pour une fois encore, elle aimerait avoir une boisson forte.

 

Maudit Hart.

 

Maudit Harcourt.

 

Maudits trois salauds qui ont rendu cela nécessaire.

 

Et par-dessus tout, maudit Peter Westerhouse et ses androïdes.

 

*******

 

Le bébé loup se trémousse dans les mains de Dakota tandis qu’elle le soulève doucement du giron de sa mère et le place à l’arrière de la caisse qui va les emporter vers leur nouveau foyer. Kirsten est agenouillée à côté, et elle attire son attention en passant le doigt le long du grillage, ce qui le fait remuer et se redresser sur ses pattes arrière, mordillant la proie fuyante tout en jappant avec force. Les sons attirent sa mère qui accourt directement dans le container. Kirsten retire brusquement son doigt.

 

Dakota soulève le petit loquet sur le dessus du container et se penche pour gratter le bébé sous le menton une dernière fois, et lisser le poil de la tête de la mère. « Partez en sécurité », murmure-t-elle. « Vivez bien. »

 

« Ça va aller pour eux, hein ? » Demande Kirsten.

 

Koda glisse le loquet pour refermer et tend la main pour prendre celle de Kirsten par-dessus la caisse. « L’endroit où Ate va les relâcher a un surplomb en pierre qui offre un abri et une source. Avec un seul bébé, la mère n’aura aucun problème pour le nourrir jusqu’à ce qu’il puisse la rejoindre pour la chasse. »

 

« Il va les relâcher sur votre ranch ? »

 

« Han », dit Koda en pressant la main de sa compagne. « J’aimerais que nous puissions l’accompagner. J’aimerais que tu puisses voir ça. »

 

« Quand tout ça sera fini, nous irons. Il faut encore que je rencontre ta mère. »

 

Koda ne dit rien, elle se contente de resserrer les doigts autour de ceux de Kirsten. L’acceptation facile de Wanblee Wapka rendra la rencontre plus facile, le moment venu. Dakota se dit soudain qu’elle aurait probablement dû écrire une lettre pour que son père la porte à Themungha, mais c’est trop tard maintenant. Tu peux courir sur un pont détruit droit sur une armée comme une idiote, mais tu ne peux pas affronter ta propre mère. Elle dit tout haut, « je crois entendre le camion. »

 

Le son d’un moteur qui approche grandit et Koda se retourne pour déverrouiller la porte arrière qui mène aux pistes. Les lumières de deux phares balayent le petit parking, et le grand pickup de Wanblee Wapka fait un demi-tour en trois manœuvres pour s’arrêter entre les deux rangées de niches. Au-dessus d’eux, les étoiles paillettent le ciel de l’ouest, descendant bas sur la Paha Sapa. Les silhouettes des collines, énormes et sombres en-dessous, ne se distinguent de l’obscurité au-dessus que par les remous de la lumière de la lune sur leurs flancs. Une forme blanche passe au-dessus de leurs têtes, presque trop rapide pour être vue, et Koda frissonne dans la brise de l’aube. Une chouette.

 

Les chouettes sont les messagères du monde spirituel. Mais elle n’a pas besoin d’un autre présage pour savoir que la mort est proche d’eux… d’elle-même, de Kirsten, de son père, de Tacoma, d’eux tous. Sa Vision le lui a dit, et les rapports préliminaires des éclaireurs ont confirmé que les forces convergent maintenant sur Ellsworth en nombre bien plus grand que tout ce qu’ils ont rencontré jusqu’à maintenant.

 

La portière du conducteur s’ouvre, le moteur toujours en marche, et Wanblee Wapka va derrière le camion pour ouvrir le hayon. « Je vais t’aider, Chunkshi. »

 

Ensemble, avec l’aide de Kirsten, ils soulèvent la maman loup et son bébé pour les déposer sur la plateforme. Wanblee Wapka fait glisser la caisse vers la cabine et l’attache, en tirant un peu plus sur les nœuds pour les sécuriser. Il dit à Koda, « ne t’inquiète pas. Ils seront dans leur nouveau foyer avant que le soleil ne dépasse les arbres. Je veillerai à ce qu’il y ait de la nourriture les premiers jours, jusqu’à ce que Ina ici présente prenne la mesure du territoire. »

 

En réponse, Koda vient dans ses bras et l’embrasse avec force. « J’aimerais pouvoir venir avec toi, Ate. Que nous le puissions. »

 

« Je sais », dit-il. « Mais on a besoin de toi ici, de vous deux. »

 

« Maman… »

 

« Hé, je suis un diplomate, tu te souviens ? » Les rires passent dans la voix de son père. « Le traité de paix sera signé quand vous viendrez à la maison. »

 

« Oh oui », dit-elle ironiquement. « Les androïdes ne seront qu’un échauffement. »

 

Il resserre les bras autour d’elle. « Wakan Tanka nici un, chunkshi. Toksha ake wachingyankin kte (NdA : Lakota 101 : Que le Grand Mystère soit avec toi. Jusqu’à ce que je te revois). » Il la relâche alors et se tourne vers Kirsten. « Chunkshi », dit-il en la prenant dans ses bras. « Prenez soin l’une de l’autre. »

 

L’étonnement fugace sur le visage de Kirsten cède la place à un rougissement et elle rend timidement l’étreinte. « Nous le ferons. Merci, Ate. » Elle plisse brièvement le front. « Ate… c’est bien ça ? »

 

« C’est tout à fait ça », répond-il.

 

Presque trop bas pour que Dakota l’entende, elle dit, « Dakota et moi… vous pouvez le voir… ? » Elle baisse les yeux, laissant la question en suspens.

 

« Je vois que vous êtes faites l’une pour l’autre, Kirsten. C’est quelque chose que vous avez choisi, encore et encore. Mais non, je ne vois pas ce qu’il y a de l’autre côté de cette bataille. Il y a un nuage par-dessus, et ce qui est au-delà je ne le sais pas. »

 

Ensuite, en pressant une dernière fois son bras, puis une main sur l’épaule de Koda, il est parti, les points rouges des phares arrière de son camion s’évanouissant alors qu’il tourne sur la route qui va l’emmener au portail principal. Koda prend la main de Kirsten dans les siennes, et ressent le froid sur sa peau. A l’est, une légère brume de rose et d’or envahit les collines. « Tu as froid », dit-elle. « Rentrons. »

 

 

Table des matières

 

 

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