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INSURRECTION39

Page history last edited by PBworks 15 years, 10 months ago

INSURRECTION

 

De Sword'n'Quill (Susanne Beck)

 

SwordnQuil@aol.com

 

écrit avec T Novan et Okasha

 

 

Traduction : Kaktus (parties 1 à 22) et Fryda (partie 23 à la fin)

 

 

Table des matières

 

 

 

 

Ecrit par : Susanne Beck et Okasha

 

CHAPITRE TRENTE-NEUF

 

 

L’aube est encore à plusieurs heures mais Kirsten est bien réveillée, l’oreiller de son amante bien serré contre sa poitrine tandis qu’elle regarde le plafond obscurci. Son corps bourdonne toujours de la douce énergie d’avoir fait l’amour il y a moins d’une heure, et la présence passionnée de Dakota lui manque déjà. « Toutes ces choses que tu me fais ressentir », murmure-t-elle à l’air calme et humide. Elle se souvient du regard que Dakota lui a lancé quand elle la croyait endormie. La tendresse et l’adoration qui émanaient de ces yeux magnifiques étaient aussi palpables pour Kirsten qu’une caresse, qui se déposait sur des parties d’elle encore blessées et écorchées d’une vie entière passée hors de tout, et la faisait se sentir entière, pour ce moment unique dans le temps.

 

Une bouffée de culpabilité la frappe au ventre et elle roule hors du lit, repoussant l’oreiller de son amante loin d’elle, comme si elle n’en mérite pas le confort. Et en vérité, peut-être que c’est vrai. Taire ses plans à Dakota a été la chose la plus difficile qu’elle ait jamais faite. Comparé à ça, marcher sans armes dans Minot avait été un jeu d’enfant. Qu’est-ce qu’on dit déjà ? Agis d’abord, excuse-toi après, c’est ça ?

 

Elle a le pressentiment qu’aucune contrition ne rachètera son silence de la veille et de ce matin.

 

S’il te plait, mon Dieu, fais qu’elle comprenne.

 

Elle va dans la salle de bains et ouvre le robinet avant de se placer sous la douche froide, et elle laisse l’eau cuisante et glaciale chasser les pensées et les émotions. Son visage, comme son âme, deviennent de pierre et lorsque l’eau se tait à nouveau, elle ressemble aux androïdes qu’elle va poursuivre.

 

Elle s’habille rapidement et entre dans le séjour obscur. Koda a laissé une lampe brûler doucement sur l’âtre et sa lumière sombre provoque des ombres mouvantes depuis le corps enroulé d’Asi. Comme il est sorti tôt avec Dakota, il lève simplement les yeux vers sa maîtresse, la queue tapotant aimablement sur la pierre de l’âtre. Un léger sourire passe sur le masque glacial de Kirsten, et elle s’accroupit et lui caresse sa tête noble, puis elle l’étreint pendant un moment, appréciant sa douce chaleur et son affection absolue.

 

Après un long moment, elle se recule et se lève tout en le regardant. « Tu vas être gentil aujourd’hui, d’accord ? »

 

Il lève les yeux vers elle, légèrement outré, comme si ‘gentil’ n’est pas son petit nom.

 

Kirsten comprend ce regard et lève les yeux au ciel, secoue la tête et s’éloigne ; elle attrape son ordinateur portable et la mallette argentée qu’elle a apportés depuis la chambre. Elle saisit un porte-clés sur son crochet près de la porte et sort dans la fraîcheur de la nuit.

 

Elle se sent un peu comme une criminelle alors qu’elle se tient dans l’allée et regarde avec soin vers la rue. Tout est calme et sombre, et satisfaite, elle se dirige vers le camion de Koda. Alors qu’elle atteint le véhicule, une voix douce résonne derrière elle, la faisant sursauter et se retourner, le corps prêt au combat.

 

« Mon Dieu, Lieutenant ! » Dit-elle dans un souffle tandis que l’homme de haute taille, musclé et incroyablement beau sort de l’ombre. « Vous m’avez fait peur ! »

 

« Désolé, Madame », répond-il, en touchant le bord de sa casquette pour la saluer tout en lui souriant.

 

« Qu’est-ce que vous faites caché dans les buissons au milieu de la nuit ? »

 

« Je suis les ordres, Madame. »

 

« Les ordres ? Les ordres de qui ? »

 

« De la Colonel, Madame. Je fais partie de votre garde de nuit. »

 

Kirsten plisse les yeux. « Garde de nuit ? »

 

« Oui, Madame. »

 

« Je vois. Et est-ce que le docteur Rivers est au courant ? »

 

Le sourire du lieutenant revient. « Elle l’est. J’ai justement parlé à la doc ce matin en fait. »

 

« Oh c’est vrai ? » Elle pose ses affaires sur le capot du camion et croise les bras. « Et qu’est-ce qu’elle a donc dit ? »

 

Le sourire s’efface lentement. « Et bien, Madame, elle a dit que si quoi que ce soit vous arrive pendant qu’elle est partie, elle va me fouetter à mort. »

 

Kirsten ricane. « Et bien, je ne voudrais pas que ça arrive. »

 

« Merci, Madame. »

 

« Alors, vous venez avec moi. »

 

Jackson se met au garde-à-vous. « Bien sûr, Madame. Où est-ce qu’on va ? »

 

Son sourire est un mystère en soi. « Oh… vous verrez bien. »

 

*******

 

Le Cougar 2 de Dakota vrombit sur le bitume qui mène au nord d’Ellsworth vers les ruines de Minot. Cougar 1 qui mène le convoi est hérissé d’armes ; comme tous les blindés dans la file, il transporte une mitrailleuse sur le toit, servie par une femme soldat qui tient d’une main le pivot et de l’autre son propre M-16. Cougar 1 transporte également un observateur avec des jumelles, qui dépasse de la tourelle et tient compagnie au mitrailleur. Jusque là ils n’ont rien croisé d’autre que la nationale vide. L’herbe de près d’un mètre de haut pousse le long des accotements tout au bord de l’asphalte, avec ici et là, une racine verte qui sort du bitume lui-même. Il n’y a pas d’épave par ici, ni de quatre pattes tués sur la route. Toute la caravane a presque failli avoir un accident une heure après être partie, alors qu’une maman skons a fait traverser la file de ses cinq petits sur la route dans une indifférence totale vis-à-vis des camions, et Tacoma a lancé Cougar 1 sur l’un des accotements, les quatre véhicules à sa suite crissant pour s’arrêter pare-choc contre pare-choc derrière lui.

 

« Merde, Cap, vous êtes cinglé ? » Avait hurlé le Sergent Greg Townsend deux blindés derrière lui, en se penchant par la vitre du conducteur, le visage rougi par le soleil printanier et l’accident à peine évité.

 

« Bordel, non, citadin. » Le rire de Tacoma était sorti du talkie-walkie. « Vaut mieux embrasser un poteau téléphonique que de cogner un skons, toujours. »

 

Après ça, ils étaient repartis avec une distance plus sûre. Depuis le siège de Cougar 2, Koda peut voir la queue de cheval raccourcie de Larke qui flotte comme une plume dans le vent créé par la vitesse du blindé tandis qu’il pose les coudes sur le toit du véhicule de tête pour stabiliser ses jumelles. Au diable les règlements, beaucoup de soldats et d’aviateurs d’Ellsworth ont laissé pousser leurs cheveux. Seuls les pilotes, dont la coiffure doit tenir dans l’étroitesse d’un casque, sont restés insensibles à la nouvelle mode.

 

Dakota a une bonne vue sur le conducteur de Cougar 2, Catcham, et sur les jambes couvertes de tissu camouflage de Joe Poteet, le haut de leur mitrailleur invisible derrière le toit. Mais la plupart du temps, elle garde les coudes sur les genoux, étudiant la campagne à travers ses propres Swarovski 10x50. Il n’y a eu aucun signe de l’ennemi bien que l’herbe haute donnerait une excellente couverture pour une embuscade. Une fois elle a vu les hautes bosses de bisons qui avançaient à pas pesants sur l’horizon ; deux fois, des petits troupeaux de chevaux qui ont survécu, toujours tachés et à l’air miteux avec leur pelage d’hiver qui pendouille encore. Elle se sent détachée, d’une certaine manière, pas vraiment dans le présent, pas sûre de savoir s’ils bougent à travers le passé ou le futur. C’est une sensation qui perdure depuis sa vision dans la hutte de transpiration, un sentiment qu’elle n’est plus ni qui, ni où, ni quand elle était autrefois.

 

Tout est parfaitement normal, à en croire Ate.

 

« On est à mi-chemin, Madame », fait observer Catcham, en montrant le compteur. « On est dans le Dakota du Nord depuis vingt minutes à peu près. »

 

 

 

Koda hocha la tête pour le remercier. Ils vont dépasser Bismarck et Mandan à l’est, allant directement vers la base. Ils devraient arriver à temps pour faire un peu de reconnaissance, un campement pour la nuit et repartir demain après-midi avec une cargaison de toutes les petites armes qu’ils pourront trouver et la possibilté de savoir s’ils pourront ou pas récupérer un B-52 ou plus. Maggie a platement refusé de risquer ses pilotes restants sur une mission d’éclaireur, malgré les prières, les cajoleries et les arguments de Manny. Un ou deux de ces monstres seront certainement utiles s’il devient nécessaire de détruire une autre installation de l’Air Force. Le compte-rendu de son cousin sur le F-15 au-dessus d’Offut a soulevé un certain nombre de possibilités, toutes déplaisantes.

 

Parce que si les androïdes ont acquis la capacité de les mitrailler depuis les airs, alors ils ont perdu leur grand seul grand avantage dans la confrontation à venir. Leur propre puissance aérienne devra être déployée pour contrer les appareils de l’ennemi et ne pourra plus servir à couvrir les forces au sol ou même les civils de Rapid City.

 

Et ils pourront encore moins aider la communauté qui s’est réunie autour du ranch River. Il n’y aura plus de défense pour eux.

 

Koda appuie sur le bouton de son talkie-walkie. « Yo, thiblo. Tu vois quelque chose là-bas ? »

 

« Rien depuis cette action évasive pour sortir du chemin de Maman skons et de sa famille ce matin. »

 

« Action évasive, mon cul. On a failli avoir un carambolage. »

 

« Et tu aurais préféré sentir le skons pendant les trois prochaines semaines ? Il n’y a plus autant de jus de tomates dans le monde, soeurette. En plus, tu as tout faux. C’était une escouade de combattants de la liberté indigènes. Un cadre et cinq conscrits, équipés d’armes chimiques. »

 

La radio devient silencieuse et les kilomètres défilent. L’herbe haute semble s’étirer infiniment, envahissant la prairie, les prés, les champs hersés pour l’hiver avant que la glace ne s’enfonce dans le sol, le pétrifiant aussi sûrement que le passage infini du temps. Ceci, songe Koda, c’est Ina Maka qui se réclame elle-même, donnant naissance à une nouvelle famille d’enfants, ailés et à quatre pattes, et à nageoires, le peuple debout et les pierres. La seule question qui reste c’est comment ou si les humains sur deux jambes auront une place dans le nouveau monde. Ou non, ce n’est pas tout à fait vrai. La question est, les humains vivront-ils libres dans le monde que leurs propres créations ont créé. La question est, pourront-ils survivre assez nombreux pour créer une population stable, et l’ayant fait, sauront-ils vivre les uns avec les autres sans sombrer dans la guerre tribale.

 

S’ils survivent à cette bataille, leur première priorité devra être de prendre contact avec les autres communautés survivantes et de faire des alliances avec elles.

 

Ou bien, la pensée déplaisante s’immisce, les soumettre.

 

Tu veux devenir une conquérante, Dakota Rivers ? Tu veux que Kirsten devienne un dictateur, le poing d’acier qui force la population à retourner dans la société technologique à la pointe d’une mitrailleuse.

 

Non ?

 

Et bien, alors, est-ce que tu veux permettre à un vieil idiot, qui pense être l’assistant administratif de Dieu, ‘d’épouser’ des fillettes de quatorze ans par demi douzaine ?

 

Il doit y avoir un équilibre entre les deux quelque part, un territoire marqué par le sens commun et le respect de ses voisins, et les œuvres de la démocratie. Et quelque part, sur cette terre sur laquelle les gens ont vécu depuis des temps immémoriaux, il y a le dessin d’un accord nouveau et ancien entre l’humain et le quatre pattes, l’humain et l’ailé, l’humain et Ina Maka elle-même. Malgré le nuage qui assombrit la bataille à venir, elle sait que ça, à tout le moins, est la quête qui l’attend de l’autre côté du sang et de la mort.

 

Koda stabilise ses jumelles et balaie l’horizon pour la millième fois. Avance Galaad, pense-t-elle avec ironie. Comparé à ceci, le Graal était une partie de plaisir.

 

Le premier signe de trouble apparaît à quelques douze kilomètres au sud de Max, dans le Dakota du Nord, en arc de cercle au-dessus d’un pré touffu de quinze kilomètres carrés depuis le brise-vent à sa frontière nord. La grenade atterrit à quelques six mètres devant le Cougar 1, creusant un trou dans le bitume tout en arrosant le blindé de tête d’une pluie de goudron fondu et de billes d’asphalte. Koda a juste le temps de voir Cougar 1 sortir de la route, Larke un bras levé pour se protéger le visage de l’éclaboussure de chaussée liquéfiée, et de noter le rugissement incongru de l’explosif, quand une autre lancée impacte l’endroit qu’ils occupaient une fraction de seconde plus tôt.

 

« Fils de pute ! » Hurle quelqu’un dans le camion derrière elle, et la flamme d’un jet fleurit sur la lisière des arbres, sa lueur saisissant un mouvement agité dans leur ombre. Puis plus rien.

 

Tacoma sort en se tortillant de Cougar 1, attentif à éviter la portière démontée du conducteur qui remue en claquant pour se fermer derrière lui. « Deux avec moi ! Les autres avec les camions ! »

 

Sans se retourner pour voir qui le suit, il avance péniblement dans l’herbe, qui n’est qu’à hauteur de genou sur le bord de la route. Koda fait un geste de la main vers Poteet et le suit, s’arrêtant pour échanger un sourire avec son frère qui baisse les deux fils de fer barbelés du bas pour qu’ils puissent passer dans l’océan violet à hauteur de taille de ce qui fut autrefois un champ cultivé. Des brins, poussés haut, leur caressent le visage, leurs graines d’un rouge profond brillant le long de leurs tiges comme des grenats qui pendent sur des sceptres dorés.

 

« Plus vite. » Tacoma leur fait signe d’aller de chaque côté de lui. « Regardez où vous mettez les pieds. Gardez l’œil sur cette crête. »

 

Tacoma avance dans l’herbe, sa verdure profonde s’écartant devant lui, puis se refermant dans son sillage. Koda avance à quelques mètres sur sa gauche, Poteet de l’autre côté. Elle tient son fusil haut, prête à tirer sans viser vers la position de leurs attaquants, mais, tout comme Tacoma, elle soupçonne qu’ils sont déjà partis. Ils peuvent avoir simplement fui devant un plus grand nombre mieux armés. Ou ils peuvent avoir abandonné leur position pour faire leur rapport à qui que ce soit les ayant stationnés là.

 

Ce qui serait un problème en soi, mais le vol de Manny au-dessus d’Offut n’a fait que confirmer ce qu’ils savaient déjà. Ceux d’Ellsworth et de Rapid City ne sont pas les seuls survivants de l’insurrection, ni les seuls survivants armés. Le F-15 que son cousin a croisé dans le ciel au-dessus du Nebraska peut être allé vers l’est quand il l’a semé, mais ça ne veut pas dire qu’il n’a pas décollé de Minot.

 

Et s’il l’a fait, on a de sérieux ennuis, juste là où on n’en a pas besoin.

 

Juste quand on n’en a pas besoin.

 

Tacoma arrive au sommet légèrement avant Poteet et Koda. Elle le regarde balayer la ligne de tir du canon de son fusil, la tête dressée et en éveil pour tout mouvement, puis il le baisse et écarte l’herbe à ses pieds.

 

 

 

Personne.

 

Elle baisse son arme et court le reste du chemin sur le côté du brise-vent pour rejoindre son frère. L’herbe le long de la crête est brisée et écrasée là où deux hommes se sont accroupis pour installer un lance-grenades, son tube abandonné jeté en bas à mi-chemin du bitume étroit de la route. Sur le côté de celle-ci, des ornières parallèles passent dans les mauvaises herbes, une trace partielle de pneu visible là où elle s’est imprimée dans la poussière de l’asphalte.

 

« Merde », dit Koda.

 

Tacoma la regarde brusquement, un coin de sa bouche pendouillant dans un sourire de travers. « Oh ouais. Cette route a encore assez de trafic pour qu’ils s’en écartent pour se garer. Pas bon ça. Pas bon du tout. »

 

« Et maintenant, Cap ? » Un froncement passe sur le visage brûlé par le soleil de Poteet. « Y a une chance que ces gars soient des amis ? »

 

« Et ben, ils n’ont pas l’air de penser qu’on est des amis, et je vais me ranger à leur opinion jusqu’à ce que le contraire soit prouvé. » Il met le fusil sur son épaule et commence à descendre la pente. « A partir de maintenant, on reste près, on conduit vite et on tire les premiers. »

 

*******

 

Le soleil brillant se déverse par le pare-brise et aveugle presque Jackson. Il plisse les yeux et baisse le pare-soleil mais ça ne change pas grand-chose. Avec un soupir bourru, il tourne la tête pour regarder sa Commandante en chef, qui chantonne en ce moment une chanson qu’il n’a pas encore identifiée tandis que le vent ébouriffe ses cheveux dorés.

 

« Un problème, Lieutenant ? » Demande Kirsten sans détourner ses yeux protégés du soleil de la route déserte devant elle.

 

« Non, Madame. Sauf que… »

 

« Sauf ? »

 

« Et bien… vous pourriez peut-être me donner une idée de là où on va ? »

 

« Vous le saurez bien assez tôt, Lieutenant. On y est presque. »

 

Cette déclaration ne fait rien pour calmer les craintes d’un homme qui a passé les trois dernières heures et plus à imaginer un Docteur Dakota Rivers en train de le découper avec un couteau à beurre et de traîner ce qui reste sur des éclats de verre brisé. Il envisage, bien que brièvement, d’ouvrir brusquement la portière, de plonger dehors et de saisir sa chance avec les androïdes, ou quelques personnages désagréables qui se présentent dans cette étendue abandonnée. Sa rêverie est interrompue par une légère tape sur son genou.

 

« Ne vous inquiétez pas, Lieutenant », dit Kirsten, en souriant narquoisement tandis qu’elle devine ses pensées. « Je ne laisserai rien vous arriver ; »

 

« Je, euh, pense que c’est supposé être le contraire, Madame. »

 

Le rire de Kirsten est riche et étonnamment simple, et il décide qu’il l’aime bien, même si, à la fin, le privilège de l’entendre lui coûtera probablement une corvée de nettoyage des toilettes pour le reste de sa vie. Et au-delà.

 

Un peu plus tard, il sent le camion ralentir, et observe alors qu’elle se gare derrière un large et épais groupe d’arbres. Ce n’est pas ce à quoi il s’attendait, mais des années dans l’armée l’ont préparé à pratiquement tout. « Je pense, Madame, que vous ne nous avez pas conduits jusqu’ici juste pour communier avec la nature. »

 

Kirsten rit à nouveau en ramassant ses affaires. « Vous avez bien deviné, Lieutenant. Restez bien assis. Je reviens tout de suite. » Elle lui lance son regard le plus sévère. « Restez dans le camion, s’il vous plait. »

 

Avec un soupir, il cède à sa douce voix de commandement, et s’affaisse à nouveau dans son siège, attendant ce qui peut arriver.

 

‘Ce qui peut’ arrive plus tôt qu’il ne s’y attend alors qu’il se retrouve devant deux yeux d’androïde. La seule chose qui l’empêche d’appuyer sur la gâchette de son arme, c’est le sourire sous ces yeux, un sourire auquel il s’est habitué ces dernières heures. Il cligne des yeux, secoue la tête, puis cligne à nouveau. La vision ne change pas. « M… Madame ? Madame la Présidente ? »

 

« En chair et en os, pour ainsi dire. Vous aimez ? »

 

« Si ‘aimer’ veut maintenant dire ‘avoir une frousse bleue’, alors oui, Madame, j’aime bien. »

 

Kirsten rit et lève une main. « Tenez, prenez ceci. »

 

La paume de sa main contient soudain une boule de plastique couleur chair. Il la regarde d’un air inquisiteur.

 

« Mettez-là dans votre oreille. »

 

Avec un peu de scepticisme, il fait ce qu’elle demande, surpris que l’objet s’installe aisément dans son oreille.

 

« Bien. Vous pouvez m’entendre ? »

 

« Oui, mais… »

 

Kirsten hausse un sourcil.

 

« Je vous demande pardon, Madame, mais vous êtes à, quoi, vingt centimètres de moi. Ce serait plutôt impossible de ne pas vous entendre. »

 

« Vous marquez un point », réplique Kirsten pince-sans-rire. « Attendez une seconde. » Elle disparaît derrière le camion. « Vous pouvez m’entendre maintenant ? »

 

« Vous parlez comme une de ces vieilles publicités de téléphone portable, Madame. »

 

« Dois-je prendre ça pour un ‘oui’, Lieutenant ? »

 

Jackson lutte pour réfréner un salut. « Oui, Madame. Je vous entends bien, Madame. »

 

« Bien. » Le visage androïde apparaît devant Jackson, et la vision emporte à nouveau quelques années de sa vie. « Maintenant, voici ce que j’ai besoin que vous fassiez, Lieutenant. Vous voyez ces arbres là-bas ? »

 

« Oui, Madame. »

 

« Je veux que vous les inspectiez, mais restez caché. Juste derrière, il y a une petite usine. J’ai des choses à y faire. Vous allez garder mes arrières. »

 

« Avec tout le respect que je vous dois, Madame », proteste-t-il, « ce ne serait pas plus simple de garder vos arrières si je pouvais les voir ? »

 

Kirsten tend le bras par la vitre baissée et frappe l’épaule large de Jackson. « Pas cette fois-ci, Lieutenant. Il faut que je fasse ça seule. »

 

« Mais… »

 

Le visage de Kirsten se fige. « Pas de ‘mais’, Lieutenant. Je vous ai donné un ordre direct, et je m’attends à ce que vous obéissiez. Sans commentaire, et sans question. »

 

« Je suis désolé, Madame », réplique-t-il, « mais votre sécurité est plus importante que n’importe quel ordre que vous pourriez me donner. Je ne peux pas… ne vais pas vous laisser entrer dans une structure inconnue seule et sans protection. »

 

« Vous le pouvez et vous le ferez, Lieutenant Jackson. » Elle prend une inspiration et retient consciemment sa colère, adoucissant sa voix. « Darius, vous ne pouvez pas venir avec moi. »

 

« Pourquoi ? Ça vous ennuie de me le dire, s’il vous plait, Madame ? Vous m’avez gardé dans le secret pendant des heures et je pense que je mérite au moins quelque chose ! S’il vous plait ? »

 

Elle le regarde un long moment, puis hoche la tête. « Vous avez entendu parler de ce qui s’est passé à Minot ? »

 

« Des petits bouts. Je sais que vous étiez là-bas pour essayer d’obtenir le code androïde. »

 

« C’est ça. Et si votre Général Hart n’avait pas décidé, contre tout bon sens, de bombarder l’endroit et d’en faire des ruines, on n’aurait peut-être pas les ennuis qu’on a aujourd’hui. » Elle prend une profonde inspiration et la relâche lentement, repoussant avec force le souvenir de ce moment. « J’ai une autre chance, Darius. Pas la même chance, mais une bonne. Et même si j’apprécie votre protection, si vous venez avec moi, cette chance ne verra jamais le jour. Vous pouvez comprendre ? »

 

« Pas vraiment, Madame. Mais… j’accepte votre raisonnement. J’ai juste besoin… d’apporter mon aide d’une façon ou d’une autre. »

 

« Croyez-moi », répond-elle, soulagée au-delà de toute mesure, « vous le ferez. Cette oreillette va vous permettre d’entendre tout ce qui se passera. Je pourrai communiquer avec vous et si je sens que quelque chose ne va pas, vous serez le premier à le savoir. »

 

« Comment ? »

 

« Je dirai… » Elle réfléchit un instant, puis sourit. « Nun lila hopa. »

 

« Nun lila hopa », répète-t-il avec soin. « Qu’est-ce que ça veut dire ? »

 

Kirsten rougit légèrement. « Ça n’a pas d’importance. Pour ce qui vous concerne, ça veut dire ‘Lieutenant Jackson, rappliquez ici, MAINTENANT !’ »

 

Il rit légèrement bien que son estomac soit plus noué qu’un rouleau de fils barbelés et que chaque instinct en lui hurle de l’attraper, de la jeter dans le camion, et de repartir à toute vitesse pour la base, peu importe les conséquences. Et pourtant… « D’accord, Madame. J’ai compris. » Il regarde le ciel. « Vous pensez que ça va prendre combien de temps ? »

 

« Quelques heures, pas plus. Je vous ferai savoir quand je reviens, d’accord ? »

 

« C’est pas d’accord mais je vais suivre vos ordres, Madame la Présidente. »

 

Kirsten sourit. « Merci, Lieutenant. A bientôt. »

 

Un instant plus tard elle est partie.

 

*******

 

« Bon. Dieu. De. Merde. »

 

Koda regarde au-delà du champ, dans un acquiescement silencieux avec son frère. Derrière eux, Larke laisse passer un long sifflement bas. « Ben ça ! » Dit-il. « Vous n’avez pas mis du truc bizarre de chamane dans l’eau, hein Madame ? »

 

« Nan », répond-elle, sans y croire elle-même. « C’est vraiment là. »

 

‘Ça’ ne ressemble à rien d’autre qu’une sauterelle extraterrestre, de Jupiter peut-être, avec des ailes lourdes et tombantes et des yeux plissés compacts, accroupie au milieu de la prairie qui s’étire vers l’horizon. Les courbes des turbines d’admission des réacteurs jumeaux, cependant, juste visibles au-dessus de l’herbe haute, lui donnent son nom.

 

« Un B-52 », ajoute Tacoma. « Un. Foutu. B-52. »

 

Formant des balafres dans le champ du nord-ouest au sud-est, la cicatrice de son atterrissage montre la terre nue creusée de chaque côté, une fine poussière couvre sa peau de métal depuis le nez. Le crash, ou l’atterrissage forcé, ça dépend comment on voit les choses, est récent ; les jumelles ne montrent aucun signe de verdure poussée sur la tranchée basse creusée par la glissade du bombardier sur le pré. Koda baisse les lunettes et dit tranquillement. « Allez chercher le compteur Geiger Larke. »

 

« Vous pensez qu’il y a des ogives nucléaires à bord, Madame ? » Demande-t-il en retournant vers la file de véhicules garés sur l’accotement.

 

Dakota hausse les épaules. « Tout ce que nous savons pour l’instant c’est que s’il y en a, elles n’ont pas explosé. Ce qu’il nous faut savoir, c’est si elles ont été fissurées. » Larke devient livide et elle ajoute. « S’il y en a. »

 

Quand il est parti, Tacoma dit tranquillement. « Très bien, nous savons que quelqu’un se trouve à Minot. Quelqu’un qui essaye de faire voler des bombardiers nucléaires. »

 

« Avec peu de succès, on dirait », répond Koda.

 

« Pas cette fois-ci. Peut-être la prochaine. »

 

Koda hoche la tête. « Peut-être la prochaine, thiblo. Ou peut-être encore après. S’ils ont un autre équipage. »

 

Tacoma regarde l’avion écrasé puis sa sœur et de nouveau l’appareil. Il dit d’un ton songeur. « Peu probable, hein ? Je ne pense pas qu’Ellsworth pourrait lever un équipage complet pour un de ces monstres. Manny et Andrews ne sont fichtrement pas qualifiés pour les machins lourds, et je doute que la Colonel elle-même le soit. Et les androïdes doivent avoir touché Minot encore plus fort que nous. On a un franc-tireur sur les bras, tanski. »

 

« On l’élimine ? »

 

« Si on peut. Ou on fait une alliance. Tu vois une troisième possibilité ? »

 

C’est un casse-tête. « On ne peut pas laisser un inconnu sur notre dos. Pas aussi près. Pas maintenant. »

 

Larke arrive avec le compteur Geiger, et Koda le lui prend. Le lecteur reste à un niveau normal tandis qu’elle avance vers l’épave de l’avion. Pas besoin de chercher des blessés. Une fois qu’elle est à dix mètres de l’épave, elle voit la ligne blanche laissée par les charognards le long des bords de l’aile ; un peu plus près, et l’odeur l’atteint. Confirmation, si elle en a besoin, que le pilote ou les pilotes n’ont pas survécu.

 

C’est intéressant de voir que personne n’est venu les enterrer. Mais les androïdes ne s’embêteraient pas, si c’était une expérience androïde.

 

D’un autre côté, un groupe de maraudeurs… des maraudeurs ambitieux… n’aurait pas de sentiments pour ses semblables.

 

Koda claque le couvercle sur le lecteur et revient vers la file de blindés qui attend sur la route. « Aucune radiation. Les ennuis sont devant. » Elle sourit. « Ne les faisons pas attendre. »

 

Table des matières

 

********

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