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INSURRECTION40

Page history last edited by PBworks 15 years, 10 months ago

INSURRECTION

 

De Sword'n'Quill (Susanne Beck)

 

SwordnQuil@aol.com

 

écrit avec T Novan et Okasha

 

 

Traduction : Kaktus (parties 1 à 22) et Fryda (partie 23 à la fin)

 

Table des matières

 

 

 

Ecrit par : Susanne Beck et Okasha

 

CHAPITRE QUARANTE

 

Repoussant toute pensée non essentielle de son esprit, Kirsten avance sur le terrain de l’usine comme si elle avait tous les droits de s’y trouver. Ce que, considère-t-elle, étant donnée sa récente promotion à la tête du monde libre, elle possède.

 

Ses sens améliorés par l’informatique l’assurent que le bâtiment n’est pas gardé, ce qui est logique, puisque sa façade peu engageante n’hurle pas vraiment ‘Nous construisons des androïdes tueurs ici !’ Elle prend une profonde inspiration purifiante et attrape la poignée de la porte de sa main libre pour la tirer. Celle-ci s’ouvre aisément, silencieusement, sur des gonds bien huilés, et laisse passer un courant d’air froid. Oh. De l’air conditionné. J’avais presque oublié ce que c’était.

 

L’air a une odeur de moisi et de renfermé, et elle plisse le nez et cligne des yeux à l’éclairage soudain trop lumineux des néons qui baignent l’aire de réception vide et stérile.

 

Beuh. Je suppose que je suis habituée à vivre à la Robinson Crusoë depuis tout ça. Après un instant, elle carre ses épaules et réinstalle le masque inexpressif sur son visage. Ok, gamine, c’est l’heure du spectacle. Et on se rate pas cette fois-ci, hmm ?

 

Elle avance à grands pas dans la pièce vide comme si le monde l’indifférait, puis ouvre la lourde baie vitrée de l’usine elle-même et entre. Ses sens sont immédiatement assaillis par l’odeur épaisse d’huile et de machinerie, mais elle continue à avancer rapidement et approche de l’androïde bien habillé qui lui fait face. Son scan bourdonne dans ses canaux auriculaires, chatouillant les poils minuscules qui s’y trouvent. Quand il finit par s’arrêter, elle le regarde directement. « J’ai été programmée pour télécharger un patch dans votre système. 7-E23-1267AA-349. »

 

« Je n’ai pas été averti d’un tel ordre, Biodroïde 42A-77. »

 

Kirsten soulève l’ordinateur et le place sur le bureau devant l’homme. « Toutes les instructions sont ici, si vous souhaitez vérifier. »

 

Le scan est plus direct cette fois, plus profond et plus dur, et elle lutte contre le désir de plaquer ses mains sur ses oreilles tandis que la douleur vrille le long de ses terminaisons nerveuses dans des pulsations torturantes d’énergie pure.

 

La douleur s’arrête aussi brutalement qu’elle a commencé, et Kirsten a du mal à ne pas prendre une bouffée d’air. Elle sait que son cœur bat vite mais espère que l’androïde prendra ça comme une réponse normale de son modèle. Sinon elle est morte. Elle n’a aucune illusion à ce sujet.

 

« Dirigez-vous vers la salle informatique, Biodroïde 42A-77. »

 

Très soucieuse de masquer son soulagement, Kirsten part dans la direction indiquée, sans regarder ni à droite ni à gauche jusqu’à ce qu’elle se trouve devant une autre baie vitrée. La salle informatique est, comme elle s’y attendait, à peine meublée et glaciale. Les serveurs informatiques sont situés le long des murs, et ils bourdonnent, vrombissent et cliquètent d’un air suffisant pour eux-mêmes.

 

Elle avance vers le bureau central et pose son ordinateur avant de s’asseoir sur une chaise de bureau plus ou moins confortable. Tandis que son portable démarre, elle frappe quelques touches sur l’ordinateur fixe placé à côté. Sans surprise, les mots de passe n’ont pas été changés depuis l’insurrection, et elle peut facilement entrer dans le système.

 

Elle passe rapidement en revue la liste normée des codes et s’arrête quand elle atteint la zone où l’aspect ‘suicidaire’ de la personnalité androïde est encodé. « Intéressant », murmure-t-elle doucement, en plissant légèrement les yeux pour essayer d’éclaircir l’énorme chaîne d’éléments binaires devant elle. Je devrais me souvenir de faire faire cette fichue prescription pour des lentilles de contact.

 

Elle sort aisément du mode ‘lecture seule’, puis clique au début du code ajouté, et sort le câble nécessaire pour connecter les deux ordinateurs. Cela fait, elle amène le curseur clignotant sur une certaine zone, puis frappe la touche ‘entrée’ sur son ordinateur, et s’adosse tandis que celui-ci commence à déverser son information altérée. Elle peut sentir son cœur accélérer tandis qu’elle attend la fin du téléchargement, espérant au-delà de tout espoir qu’elle n’est pas en train de lancer une alarme dans le système. Un rapide scan avant le téléchargement lui a dit que ce ne serait pas le cas mais elle ne peut quand même pas s’empêcher de s’inquiéter.

 

Quelques instants de tension plus tard, les mots téléchargement terminé apparaissent sur l’écran et Kirsten prend sa première inspiration franche de l’après-midi. Ses doigts volent au-dessus des touches et elle construit un site sécurisé, puis lance un programme de test, les yeux fixés sur l’écran tandis qu’elle regarde le nouveau code en action. « Parfait », annonce-t-elle à la pièce vide, avant de vider le programme de test et d’effacer toutes traces de son existence.

 

Juste au moment où elle va éteindre son ordinateur, la porte s’ouvre et un autre androïde entre, la fixant de ses yeux inexpressifs de poupée morte. « Vous allez expliquer et démontrer les nouveaux paramètres du patch que vous venez d’installer. »

 

Ohhh merde ! Je savais que c’était trop facile. Réfléchis, Kirsten, réfléchis. Ne gâche pas tout maintenant ou tu es morte.

 

« Les taux de votre cœur et de votre respiration montrent une augmentation de 7,34%, Biodroïde 42A-77. En termes humains, cela indiquerait de la nervosité. »

 

« Je suis programmée pour mimer une réponse humaine automatique à une multitude de stimuli différents, 16617-398PZ. »

 

« Noté. Continuez. »

 

L’esprit de Kirsten tourne à une vitesse folle tandis qu’elle essaie désespérément de trouver une histoire qui calmera la machine à tuer qui se tient à trente centimètres d’elle. Une idée se glisse dans son esprit si parfaitement qu’il lui semble qu’une force extérieure l’a placée là. Ses doigts tracent rapidement une combinaison de test alternative tandis qu’elle regarde l’androïde sans ciller. « Comme vous le savez, les unités ici sont actuellement programmées pour exploser lors de l’acquisition d’une cible humaine. Cependant, étant donné qu’un petit nombre, malgré tout remarquable, d’humains ont rejoint les unités standards, la probabilité est forte que l’une ou l’autre de ces unités va exploser dans un groupe mixte, causant un dommage collatéral inutile. » Elle lève la main, le doigt pointé vers le plafond. « Normalement, un tel dommage collatéral à des unités standards ne causerait aucune difficulté, mais avec l’usine de Minot maintenant substantiellement hors service, chaque unité androïde est nécessaire pour mener la tâche à sa fin. »

 

« Compris. »

 

« C’est pourquoi », continue-t-elle en baissant la main pour continuer sa combinaison, « j’ai programmé un patch qui va permettre à ces unités spéciales d’éviter toute cible humaine qui est détectée en présence d’unités standards, et pour exploser seulement quand elle détecte des humains seuls. »

 

Elle croise les doigts mentalement et tourne le moniteur vers son auditeur avant de presser ‘entrer’. « Le nombre rouge clignotant est notre unité spéciale, adaptée avec le patch. Les numéros noirs clignotants sont les cibles humaines et androïdes. Les bleus sont les cibles humaines seules. »

 

S’ilvousplaits’ilvousplaits’ilvousplaits’ilvousplaits’ilvousplaits’ilvousplait…

 

Comme s’il lisait dans son esprit, le minuscule nombre rouge s’éloigne du groupe de nombres noirs et se dirige vers le centre du groupe bleu. Une demi seconde plus tard, tout l’écran clignote et quand il se stabilise, une ligne de nombres descend le long du moniteur, finissant avec un chiffre noir clignotant d’une acquisition de 78%.

 

Oh merci mon Dieu !

 

« Est-ce que ce scénario vous convient ? » Demande-t-elle.

 

« Affirmatif », répond l’androïde après un moment. « Est-ce que vous avez besoin de quelque chose d’autre ? »

 

« Oui. Ce patch ne cadre que dans le serveur d’usinage original. Si vous avez d’autres unités terminées qui n’ont pas encore été relâchées, il faut que je le leur applique également. »

 

« Compris. Si vous voulez bien me suivre, je vais vous y conduire. »

 

« Affirmatif. »

 

Kirsten éteint son portable et se lève de son siège pour suivre l’androïde hors de la pièce, à travers une série de couloirs qui se croisent, puis par un escalier bien éclairé dans le sous-sol de l’usine. La pièce est grande, immaculée et sans un grain de poussière. Elle est également remplie, rangées sur rangées, d’androïdes désactivés, qui donnent l’impression de sortir d’une de ces anciennes émissions de télévision. Au-delà du Réel peut-être. Ou la Quatrième Dimension. Kirsten réfrène un frisson tandis qu’elle regarde les poupées sans fil qui attendent le bon vouloir de leur Maître.

 

Alors qu’elle se rapproche, elle remarque quelque chose qui glace les tréfonds de son âme.

 

Ces androïdes particuliers ne ressemblent pas seulement aux humains. Si elle ne savait pas, à cent pour cent de certitude, qu’ils sont simplement fait de plastique de haute qualité organique et de puces informatiques, elle jurerait qu’ils sont, vraiment, humains. Ils ne portent plus de collier argenté autour du cou. Ils n’ont plus les yeux noirs et morts qui semblent absorber toute lumière. Ces yeux, ces visages, ont une expression, une expression humaine, et Kirsten sent sa bouche se dessécher en pensant à ce que ça veut dire.

 

Seigneur. Il faut que je le fasse vite savoir à Maggie et à Dakota. On pourrait abriter ces monstruosités sous notre nez sans même le savoir. Merde. Merde, merde, merde !

 

Elle est ramenée au présent par un cordon qui entre dans son champ de vision, tenu par l’androïde toujours serviable à sa gauche.

 

« Ces unités sont connectées à l’ordinateur secondaire au terminus. »

 

Kirsten accepte le cordon et baisse les yeux, remarquant que les androïdes, vingt-cinq en tout et alignés en rangées ordonnées, se tiennent tous sur une bande de métal. Le cordon qu’elle tient part de l’extrémité tout à gauche de cette bande. « Compris », dit-elle finalement, en plaçant son portable sur le bureau de l’ordinateur pour connecter le câble à l’arrière.

 

« Avez-vous besoin d’autre chose ? »

 

« Neg… Affirmatif. »

 

L’androïde la regarde. Elle est sûre que si son programme prévoyait de hausser un sourcil, il le ferait à cette minute.

 

« Je vais choisir une de ces unités pour un test sur le terrain quand je partirai. »

 

La douleur la frappe à nouveau, comme une roulette dentaire à haute vitesse qui est lentement introduite dans son canal auriculaire. Heureusement, ça s’arrête avant qu’elle ne décide de se taillader les poignets juste pour arrêter la torture.

 

« Affirmatif », dit l’androïde. « Si vous n’avez pas besoin d’autre chose, je vais vous laisser à votre tâche. »

 

« Ce sera tout. »

 

******

 

Tandis que Kirsten se fraye un chemin parmi les derniers arbres, elle se retrouve en face du canon d’une arme automatique. Même si elle reconnaît l’homme qui tient l’arme, son instinct arrête ses pas, et ses mains se lèvent, paumes vers le haut.

 

« C’est bon, Madame », dit Jackson en croisant son regard rapidement avant de reporter son regard sur l’homme derrière elle. Venez juste sur ma droite. J’ai le connard en vue. »

 

Au lieu de s’éloigner, Kirsten avance plutôt. Elle lève la main et repousse légèrement le canon de l’arme vers la gauche et soutient le regard surpris du lieutenant. « Relax, Darius. Il fait partie des bons. »

 

« Des bons, Madame ? Vous voulez dire qu’il y avait des humains là-bas ? »

 

« Il n’est pas humain, Lieutenant. »

 

L’arme se lève à nouveau, un long doigt serré sur la gâchette. De nouveau Kirsten la repousse. « Repos, Lieutenant. C’est un ordre. »

 

Elle est sérieuse. Il peut le dire en voyant les émeraudes flamboyantes qui le soudent au sol. Le respect profondément ancré pour un officier supérieur lutte avec son besoin absolu de garder ledit officier en sécurité et entier.

 

« Faites-le, Lieutenant, ou je vais demander à mon copain Max là de prendre ce fusil et de le plier comme un bretzel. »

 

« Max ? »

 

« Unité MA-233142176-X-83 », ajoute l’androïde aimablement.

 

« Max. »

 

« Vous avez compris », répond Kirsten, en souriant légèrement. « Maintenant, allez-vous baisser votre arme ? J’aimerais bien partir d’ici. »

 

« Est-ce qu’on l’emmène lui… ça… quoi que ce soit, avec nous à la base ? » Demande Jackson, l’incrédulité apparente dans sa voix.

 

« Pas… exactement », dit Kirsten en souriant narquoisement. « On va dire qu’on va juste jouer au petit jeu de cache-cache. On se cache. Il cherche. »

 

« Et qu’est-ce qu’il va chercher, si ça ne vous ennuie pas que je pose la question, Madame ? »

 

Le sourire de Kirsten devient positivement prédateur. « Des androïdes. »

 

********

 

« Hé soldat, on est loin de Minot ? »

 

Tandis que la sentinelle se retourne, Koda s’avance pour lui enfoncer ses pouces dans les coudes, cherchant les nerfs. Son fusil vient faire un angle avec son ventre, et elle l’en soulage rapidement avant qu’il ne tombe au sol. Derrière le garde, avec la seule lueur de ses yeux visibles dans la lumière du quartier de lune, Tacoma lève les deux poings et les fait retomber sur la nuque non protégée de l’homme avec un bruit sourd. Il s’affaisse, se repliant sur lui-même avec un léger « Euhhhh… »

 

Dakota le rattrape et le pose le visage contre l’herbe pendant que Tacoma lui tire les mains dans le dos, glissant une longueur de plastique auto-verrouillant autour de ses poignets. « Ça devrait le retenir un moment », murmure-t-il. « Allons-y. »

 

« Je te suis, thiblo. »

 

Tacoma se glisse dans l’herbe haute devant lui, se penchant très bas pour minimiser l’onde dans les tiges pourpres au-dessus de lui, sombre dans la lumière de la lune excepté l’antiradar à son épaule. Sa couleur argentée luisante fait écho au clair de lune sur la silhouette de Tacoma, et la vision de Koda se transforme presque imperceptiblement pour lui montrer, non pas un homme, mais la musculation élancée d’un cougar à l’affût, son pelage argenté dans la lumière pâle. En même temps, son audition devient plus précise, lui apportant les petits bruissements des souris et des rats kangourous tandis qu’ils s’affairent dans l’abri de l’herbe, ainsi que le vrombissement aigu des ailes de papillons de nuit, dont la fréquence est si élevée qu’elle blesse presque ses oreilles même à cet instant. Ses pieds avancent légèrement au milieu des brins et des racines emmêlés, et pourtant il lui semble que si elle baisse les yeux, elle verra les traces rectangulaires de pattes de loup, les marques de griffes.

 

Elle ne baisse pas les yeux.

 

Ceci lui est déjà arrivé, mais jamais avec cette intensité. Sa vision dans la hutte de transpiration l’a changée d’une manière qu’elle ne comprend pas encore. Elle ne regarde pas non plus ses mains, tandis qu’elle repousse l’herbe sur son passage.

 

Une tache sur sa gauche, qu’elle voit par intermittence tandis qu’elle glisse telle une ombre, lui dit qu’ils avancent parallèlement à la route du ranch, vers quiconque ou quoi que ce soit qui a envoyé la sentinelle ici. Après un moment, le sol sous elle commence à s’élever et l’herbe à diminuer. Elle laisse la place à des plantes plus petites, des rhombifolias et des trèfles, des campanules avec leurs corolles sombres, des ancolies avec des queues ressemblant à des étoiles filantes, blanches comme des fantômes sous la lune. Le sol s’ouvre et s’aplatit, et Tacoma s’accroupit, se dirigeant vers un groupe d’arbres dans une course lente qui renforce l’image floue d’un félin couleur fauve qui couvrirait sa propre silhouette. Koda le suit, ses pas ne faisant aucun bruit sur la terre et le gravier qui s’effritent. De grandes ailes passent au-dessus de sa tête et elle frissonne.

 

Une chouette. La mort attend dans la nuit. Elle la sent dans le froid de son sang, le toucher glacial sur sa peau.

 

Pas la sienne. Pas celle de Tacoma.

 

Dakota se laisse tomber sur le ventre près de son frère allongé au milieu des arbres, regardant attentivement vers la maison et les bâtiments extérieurs du ranch à quelques centaines de mètres devant eux. On voit des lumières jaunes par les fenêtres, légères et comme dans un halo. Des lampes au kérosène ou des bougies, alors, pas d’électricité. L’espace entre la maison et les écuries est remplie de véhicules. Des jeeps couleur bleue de l’Air Force, des Humvees de camouflage de désert, deux mitrailleuses de 60 millimètres sur leurs propres transporteurs. On voit de la lumière dans une des écuries, l’autre est noire. Des barraquements et une réserve de munitions probablement. Il n’y a pas de signes d’androïdes. Sur le long porche bas de la maison, un scintillement orangé trahit une cigarette allumée. Un garde probablement.

 

Tacoma émet un sifflement presque silencieux. « T’as une bombe ou deux dans ta poche, soeurette ? »

 

« Je les ai laissées dans le blindé. Désolée. »

 

« On n’a pas la puissance de feu pour les attaquer, même pas avec toute l’équipe. »

 

Le sang de Koda bouillonne, brûlant et pas tout à fait humain. Elle se passe la langue sur les lèvres. « Peut-être », dit-elle. « Peut-être qu’il y a un autre moyen. »

 

« Comme ? »

 

« On n’a pas besoin d’attaquer les armes. Juste les hommes. »

 

Tacoma frappe l’obscurité de son doigt, comptant les ombres dans la cour de la ferme. « Il y a près d’une vingtaine de transporteurs et d’armes là-bas. Compte trois ou quatre hommes à chaque fois, et nous sommes très minoritaires même sans leur puissance de feu. Les chances sont toujours très faibles. On va devoir les contourner. »

 

« A un contre un, c’est l’égalité. »

 

*******

 

« Regroupement d’unités détecté à six point deux sept kilomètres à l’ouest-nord-ouest de cette position. »

 

Depuis sa place dans le siège du passager, Kirsten regarde par-dessus son épaule vers l’androïde engoncé dans l’espace minuscule de l’arrière. « Combien ? Est-ce qu’ils nous ont déjà repérés ? »

 

« Quatorze. Négatif. Ces unités sont équipées uniquement de technologie visuelle d’approche. »

 

« Ok, et à combien on peut s’en approcher avant qu’ils nous remarquent ? »

 

« A deux point trois kilomètres à l’ouest de cette position il y a une petite crête. Si vous alliez au pied de cette crête, vous seriez hors de portée de leurs détecteurs. Le chemin est plein d’ornières et dégradé, mais je crois que ce véhicule est assez capable de faire la descente sans trop de difficultés. »

 

« Merci, Max. Jackson, vous avez entendu l’androïde. Trouvons cette crête et prenons la piste ! »

 

La mâchoire de Jackson montre à Kirsten combien il n’aime pas l’ordre qu’elle lui a donné, mais il le suit malgré tout, une fois de plus contre chacun des instincts qui l’ont maintenu en vie pendant la dernière de ses vingt-sept années.

 

« Darius », murmure-t-elle, sachant que le jeune homme va l’entendre. « S’il vous plait, faites-moi confiance. »

 

Après un moment, les muscles raidis de sa mâchoire se relâchent légèrement. « Je vous fais confiance, Madame. C’est… » Son regard va vers le rétroviseur, puis revient vers la route dans une explication éloquente.

 

« Faites-moi confiance », répète Kirsten avant de s’accrocher comme si sa vie en dépendait tandis que le camion se fraye un chemin sur le semblant de route creusée et pleine de nids de poule.

 

Plusieurs instants de secousse plus tard, ils sont au pied de la crête, bien que Kirsten se demande si peut-être son estomac et ses reins ne sont pas en train de palpiter sans dessus-dessous. « Je me demande si on peut appeler ça ‘sans trop de difficultés’ », marmonne—t-elle, à moitié pour elle-même, ce qui lui vaut un demi-sourire de son chauffeur et un regard résolumment neutre de l’androïde à l’arrière.

 

Elle ouvre la portière et arrache sa carcasse douloureuse du camion, puis relève le dossier du siège pour que Max puisse s’extraire, ce que l’androïde fait avec une grâce aisée.

 

Trop aisée, pense Jackson en attrapant son arme. Il sort du camion et se place entre sa Présidente et l’androïde, ne prenant pas de risques. Kirsten note le mouvement mais ne dit rien, satisfaite pour le moment qu’au moins il n’essaie pas de détruire leur allié temporaire.

 

Ils se frayent un chemin en haut de la crête rocheuse et couverte de vigne rouge, jusqu’à ce que leurs têtes soient juste sous le rebord. Max les fait s’arrêter là. « Si vous faites attention à rester cachés, vous pourrez voir les unités juste là devant. »

 

Jackson prend la tête et regarde par-dessus le bord du ravin. Quand son regard parvient à la limite, il peut voir le soleil à l’ouest faire briller les châssis en plastique et métal des androïdes. Kirsten se tortille rapidement pour venir près de lui et regarde à son tour. « Une idée de ce qu’ils font ? » Demande-t-elle à Max qui s’accroupit près d’elle, si tant est qu’un androïde puisse ‘s’accroupir’.

 

« Je ne suis pas programmé pour lire leurs transmissions. Cependant, de ce que je peux interpréter, ils semblent attendre des renforts. »

 

« Et ils ne nous ont pas repérés. »

 

« Pas d’après ce que je peux détecter. »

 

« Ok alors. Tu sais quoi faire. »

 

« Affirmatif. »

 

Kirsten ne sait plus quoi dire. L’androïde n’est pas humain, et des membres de sa race ont tué des millions, si pas des milliards d’humains, et rendu esclaves d’autres millions, les soumettant au viol et Dieu sait quelles autres tortures. Et pourtant… et pourtant… elle ne peut pas s’empêcher, si pas d’aimer, du moins d’apprécier l’être poli à la voix douce qui a l’air si humain que même elle ne peut pas facilement faire la différence.

 

N’ayant pas besoin de telles civilités, il leur donne une approximation androïde d’un sourire (une très bonne approximation pour dire la vérité), et sans autres paroles, saute aisément vers le haut de la crête et part à grands pas dans la direction de ses semblables.

 

Jackson se glisse plus près, la regarde et n’est pas vraiment capable de masquer l’expression ‘je pense que vous avez une case en moins’ de son visage. Kirsten ne le blâme pas vraiment, parce que sa connaissance de ce plan se limite à ‘faites-moi confiance’, et rien de plus. Elle sourit calmement. « Posez votre question, Lieutenant. »

 

« Pourquoi est-ce qu’on laisse un ennemi, qui sait où nous sommes, partir vers tout un groupe d’autres ennemis pour qu’il puisse les ramener ici et nous faire sauter les fesses ? Madame ? »

 

« Darius, je sais que vous avez été très patient avec moi, et je l’apprécie, croyez-moi. »

 

Jackson hoche la tête.

 

« Mais… dans certains cas, voir quelque chose est bien mieux que d’en entendre parler. Alors je vais vous demander une dernière fois de me faire confiance, si vous le pouvez. »

 

Il détourne les yeux de l’androïde qui s’éloigne et la regarde un très long moment, la mâchoire remuant silencieusement. « Très bien », finit-il par dire. « On va le faire à votre façon, Madame. »

 

« Merci. » Une pause. « Et Darius ? »

 

« Oui, Madame ? »

 

« S’ils commencent à venir par ici… »

 

« Oui ? »

 

« Courez. »

 

Ses phalanges blanchissent sur son arme tandis qu’il regarde à nouveau dans la direction du groupe des androïdes, qui va rapidement être augmenté d’une unité.

 

Tandis qu’ils regardent tous les deux, Max est scanné, puis accepté par le groupe, au grand soulagement silencieux de Kirsten. Ce n’est que maintenant qu’elle se dit qu’elle aurait dû penser à attacher un transmetteur sur l’androïde pour qu’ils récupèrent de l’information avant que sa tâche soit accomplie. Pas la peine de pleurer sur des circuits grillés, pense-t-elle tandis qu’elle commence un compte à rebours silencieux dans sa tête.

 

A ‘un’, elle se baisse attrapant Jackson par l’épaule pour le tirer avec elle.

 

Un bruit sourd, acéré comme une toux explose dans l’air froid et immobile, suivi par le grand boum d’une explosion. Peu soucieux du danger possible, Jackson se libère de la prise de Kirsten et passe la tête pour voir un jet de feu surgir de l’endroit où se trouvait le groupe d’androïdes.

 

« Putain de merde ! » Hurle-t-il. « Qu’est-ce qui vient de se passer ? »

 

« Max », réplique-t-elle, incapable de réfréner le sourire narquois sur son visage.

 

« Max ? Votre androïde… a fait ça ? ! ? Mais comment ? »

 

« C’est ce que nous appelons un ‘androïde suicidaire’. Un grand secret du gouvernement. Un de ces trucs a frappé un convoi et a fait pas mal de dommages, mais on a pu rassembler certains des morceaux restants, et voilà ! J’ai simplement changé le code pour passer de tuer des humains à tuer des androïdes, et voilà le résultat. Un brave type et un tas de méchants morts. »

 

Jackson se tourne lentement vers elle, et un océan plein d’un respect renouvelé brille dans ses yeux luisants. « Seigneur, Madame ! C’était… stupéfiant ! Merde ! Et combien de ces petits vilains vous avez dans le coin ? »

 

« Pour l’instant, vingt-cinq, plus tous ceux qu’ils ont pu fabriquer à l’usine. J’ai changé les codes de tous ceux-là. »

 

« Alors, pourquoi est-ce qu’on n’y retourne pas pour les avoir tous ? Mec, ça déménage ! »

 

« Tout d’abord, Lieutenant, où est-ce qu’on mettrait vingt-cinq androïdes dans ce camion ? »

 

« Bon Dieu, Madame ! On va envoyer un foutu convoi chercher ces connards ! »

 

« Ensuite », l’interrompt Kirsten, en levant la main tout en regardant les flammes continuer à brûler, « nous ne pouvons pas laisser les androïdes standards qui font ces nouvelles unités connaître notre secret. Si c’est le cas, nous n’aurons visiblement plus d’androïdes à notre disposition. Alors, nous attendons aussi longtemps que nous le pouvons, ensuite nous envoyons ce convoi que vous souhaitez ici, et nous emportons le tout. »

 

Jackson regarde de nouveau vers le champ de bataille, le sourire sur son visage d’un pied de long. « A votre guise, Madame. A votre guise. »

 

Table des matières

 

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