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INSURRECTION42

Page history last edited by PBworks 15 years, 10 months ago

INSURRECTION

 

De Sword'n'Quill (Susanne Beck)

 

SwordnQuil@aol.com

 

écrit avec T Novan et Okasha

 

 

Traduction : Kaktus (parties 1 à 22) et Fryda (partie 23 à la fin)

 

 

Table des matières

 

 

 

Ecrit par Susanne Beck et Okasha

 

CHAPITRE QUARANTE-DEUX

 

Koda frissonne sur le tapis de bains, la brise qui remue les rideaux passe comme un fantôme sur sa peau. Malgré la clarté matinale, elle ne laisse aucune chaleur sur son passage, et elle sent la chair de poule l’envahir et se resserrer sur ses bras. Plus par habitude que par conviction, elle ouvre le robinet d’eau chaude et laisse l’eau couler tandis qu’elle attrape une serviette et un gant de toilette dans le grand placard étroit au-dessus de la corbeille à linge. La puanteur du sang est toujours sur elle, mêlée à la sueur et à la saleté, ainsi qu’à l’odeur d’huile et de métal du blindé. Elle est habituée au sang, et à le sentir. Après tout, on ne peut pas retourner un poulain ou pratiquer de la chirurgie d’urgence et rester propre. Ça va avec le boulot.

 

Tuer un homme en duel et prendre ses hommes comme récompense ne va pas avec le boulot de vétérinaire. Ça ne va pas avec le boulot de guerrier non plus, se dit-elle. Ou ça ne l’a pas été du moins pour le dernier millénaire.

 

Et pourtant, rien là-dedans n’était étrange ou inhabituel pour elle. Il y avait eu un schéma dans la rencontre qui s’était révélée tandis que le combat avançait, une chorégraphie. C’était comme si elle avait été poussée sur la rampe dans des bottes de cheval et avec une complète méconnaissance de Tchaïkowski, et qu’elle avait fait une danse de la Reine Cygne parfaite. Tacoma avait appelé ça l’esprit du guerrier qui s’éveillait en elle, qui montait. Il savait bien. Tout comme elle avait été appelée pour une vie de chamane, il était né pour être un guerrier. Etrange, que tout comme ils sont, chacun d’eux a reçu le désir du cœur de l’autre.

 

Koda entre dans la douche et tire le rideau pour empêcher le courant d’air. L’eau la frappe comme une chute de neige fondue, si froide qu’elle la brûle. Elle serre les dents et se tient droite, frissonnante, à regarder les taches brunes sur sa peau se liquéfier et glisser le long de son corps, passant au rouge vif dans l’écoulement à ses pieds. Elle déroule le coton enroulé autour de son bras et laisse son propre sang rejoindre le flux. Comme si, pense-t-elle, nous devenions proches dans la Hunkapi. A ce moment, son ennemi lui semble aussi proche que ses propres frères et sœurs, que son amante.

 

Sa main, à demi engourdie, se referme sur le savon, et elle commence à l’étaler sur l’éponge. Juste au moment où elle coupe l’eau froide qui coule sur elle, l’aboiement profond d’Asi résonne dans le hall, et la porte est secouée sur ses gonds. Le hurlement du chien revient, avec une seconde volée de coups sur la porte, en même temps que la voix de Kirsten, aigue à cause de la peur. « Koda ! »

 

*******

 

Kirsten frappe la porte de tout son poids pour la seconde fois, et soudain, sa solidité disparaît, s’effaçant devant elle et l’envoyant directement dans Dakota qui se tient trempée et nue sur le tapis de bains, les cheveux coulant sur son dos et ses seins comme une marée sombre, l’eau et le sang coulant rouges en ruisselets le long de ses jambes, gouttant d’une coupure longue et peu profonde sur son avant-bras.

 

L’eau froide traverse sa propre chemise fine, la refroidissant. Mais c’est la peur qui la fait frissonner tandis qu’elle repousse Koda, la tenant à bout de bras tandis que son regard examine tout son corps, à la recherche de la source du sang sur les vêtements toujours en pile sur le sol. Mais il n’y a que cette seule blessure, visiblement pas mortelle, un simple fil rouge sur le cuivre de la peau de Dakota. Le cœur de Kirsten, remonté dans sa gorge, redescend à sa place habituelle, et elle recommence à respirer. « Tout ce sang », dit-elle en haletant. « Ce n’est pas le tien. »

 

« Pas le mien, non », dit Koda en écho. « J’ai tué un homme. »

 

Les doigts de Kirsten se resserrent sur les bras de Dakota, faisant de petites marques blanches là où ils creusent la peau. « A Minot ? Ils vous ont combattu ? »

 

« Pas ‘eux’. Juste un. » Les yeux de Koda sont sur elle, une lumière en eux, en partie du triomphe, en partie du désir, en partie autre chose qu’elle ne peut nommer. « Nous lui avons pris ses hommes. »

 

« Nous ? » Demande Kirsten avec précaution. « Tu veux dire ‘toi’. »

 

« Je l’ai défié. Aucun de nos soldats n’a été tué, aucun des siens. Juste lui. »

 

Une fois encore, elle voit la haute silhouette qui court devant elle sur le pont en ruines à la Cheyenne, les cheveux noirs qui flottent derrière elle comme de la fumée. Une fois encore, la peur la traverse, cette fois sans le bourdonnement de l’adrénaline dans le sang qui l’a fait sortir d’elle-même et propulsée sur un tas de béton renversé derrière l’autre femme. Elle n’est toujours pas sûre de savoir si elle a agi par confiance aveugle ou par panique aveugle. « Comment oses-tu », dit-elle doucement, les mots sifflant entre ses dents. « Quand tant de choses dépendent de toi ? »

 

« Quand quoi dépend de moi ? » Dakota se rapproche, si près que Kirsten peut entendre sa respiration, plus très régulière. La lumière de la fenêtre ouverte, qui passe à travers les rideaux, vacille sur la peau humide de Koda, glisse sur ses épaules et sur ses seins comme de la soie.

 

Elle est élancée et dure, des muscles agiles étirés sur des os longs. La forme d’un animal chasseur, élégant à tout le moins – un guépard aux pattes allongées qui bouge avec une grâce rude et anguleuse dans l’herbe haute, un gerfaut qui fonce sur sa proie comme un météore depuis le bleu des cieux.

 

« Je dépends de toi, bon sang. » Un frisson la traverse, en partie de la peur, en partie pas. « Tu n’as aucun droit de risquer ta vie seule. »

 

« Je n’étais pas en danger. Pas plus que ce que nous affrontons ici chaque jour. »

 

Kirsten ouvre la bouche pour lui répondre, mais au lieu de ça, elle regarde ailleurs, silencieuse. J’ai autant pris de risques moi-même. Hypocrite.

 

Mais si elle mourait, je serais si seule. Si seule.

 

A nouveau.

 

C’est intolérable.

 

Elle reprend son souffle et passe les mains sur les bras de Koda, sur ses épaules et dans ses cheveux, tire sa tête en arrière. La bouche de Dakota vient contre la sienne, chaude et ouverte, et la langue de Kirsten trace les lignes austères de ses lèvres, savourant la chaleur et la piqûre acerbe du sel. Koda recule brusquement, baisse la tête vers la gorge de Kirsten pour tracer une ligne de baisers rudes depuis son oreille jusqu’au creux de ses clavicules.

 

Celle-ci peut sentir la chaleur de la peau de Dakota à travers ses vêtements, la dureté de ses tétons à travers le tissu fin de son tee-shirt. Le feu monte entre ses jambes, lèche ses cuisses et monte le long de sa colonne, faisant un nœud dans son ventre. « La chambre », dit-elle dans un hoquet, se retirant juste assez pour bouger tout en tirant Koda derrière elle par la main.

 

Celle-ci a un grondement sourd au fond de sa gorge. L’odeur du sang sur les vêtements à ses pieds la remue, une sensation animale qui est faite autant de rage que de désir.

 

Le désir de la bataille qu’elle a combattue.

 

Le désir su sang qu’elle a versé.

 

Le désir de la femme qui se tient devant elle, si ouverte et si prête.

 

Tout se combine en elle, une spirale de rouge et de noir, qui bat avec le rythme de son cœur, qui devient encore plus intense lorsque l’odeur du sang se mêle à celle du désir de Kirsten, et à l’odeur du sien. Elle tend chaque muscle, la tension vrombissant comme un fil électrique vivant, menaçant d’exploser hors de tout contrôle avec la plus petite étincelle.

 

Elle ne s’arrête que pour donner un coup de pied dans le tas de vêtements ensanglantés et le mettre hors de vue dans la salle de bains. Kirsten emmène Dakota dans la chambre qui est devenue la leur. Comme un tambour distant, Koda sent le battement de son sang dans ses vaisseaux cachés, qui coule brûlant comme la terre fondue des veines de Ina Maka. Tout en avançant, la main libre de Kirsten s’agrippe à la boutonnière de son jean, et le repousse en bas de ses chevilles, pour qu’elle puisse s’en libérer. Ses sandales suivent, et elle lâche la main de Dakota juste assez longtemps pour passer son polo par-dessus sa tête, l’envoyant voler sans prévenir sur le sol.

 

« Affamée », dit Kirsten en fixant un visage nimbé de soie noire et éclairé par des yeux argentés et ardents.

 

« Oui. »

 

« Montre-moi. »

 

Entièrement dénudée, Dakota la presse rudement sur le lit et reste un long moment debout, savourant le corps compact devant elle. Elle plisse les yeux, vision de chasseur, et elle glisse son regard sur le visage de Kirsten, ouvert maintenant avec une faim semblable à la sienne, les yeux dilatés tels deux mares dans l’obscurité avec leur fine ligne de vert. Elle note la tâche d’ombre à la base de la gorge, là où bat le pouls bien visible avec sa veine bleue, ses seins qui se dressent et retombent en spasmes brefs et secs, la peau tendue autour de ses tétons, les creux de sa cage thoracique et de son ventre, les ombres entre les jambes élancées. « Mitawa », dit-elle dans un grognement, au fond de sa gorge. « Winan mitawa. »

 

Elle s’agenouille sur le lit, prédatrice, chasseresse, passe une main sur le ventre de Kirsten, trace les creux de ses hanches, glisse entre ses cuisses. Le pouls bat ici aussi, contre sa main tandis que Kirsten écarte les jambes pour elle et qu’elle passe le pouce sur les poils soyeux et bouclés pour séparer les lèvres du sexe de son amante. Le liquide coule abondamment, et elle grogne, un son long et profond.

 

Elle sent le corps de Kirsten sursauter quand elle trouve le bouton du clitoris, et elle fait des cercles et presse fort contre sa propre dureté. Sa bouche suit et Kirsten gémit, un long son animal, tandis que ses mains s’emmêlent dans les cheveux de Koda. Dakota le sent à peine, concentrée sur le pouls de la chair contre sa bouche, le sang qui chante contre ses lèvres. Elle se retire brusquement, passe les doigts sur la courbe humide de chair, enfonce profondément les doigts dans le corps de Kirsten et se retire uniquement pour pousser encore et encore, sentant les hanches se cabrer contre les caresses longues et dures. Elle grogne, elle désire et ajoute un autre doigt, sentant les tissus tendres s’étirer à leur limite tandis qu’elle pousse à l’intérieur, pliant ses doigts en griffes émoussées.

 

De quelque part surgit un cri, perçant et sauvage, et du liquide chaud coule sur sa main et sur les cuisses de Kirsten. Le corps de son amante tremble tandis que les vagues de l’orgasme la submergent, battant en rythme contre la main de Koda.

 

Kirsten sent le cri quitter sa gorge, une chose sauvage qui s’échappe dans les airs. Son corps tremble avec la force de sa jouissance, un plaisir si intense qu’elle le distingue à peine de la douleur qui secoue sa chair et la sépare de ses os. Au-dessus d’elle elle voit la courbe puissante de la colonne de Koda, la chute de ses cheveux qui tombe sur son dos telle une cascade. Les doigts de son amante se retirent, Koda se retourne pour tracer des signes courbés sur son ventre avec sa propre essence. « Mitawa », dit-elle à nouveau, d’une voix rauque. « Mienne. »

 

« Mienne », dit Kirsten en écho. « Tu es mienne. »

 

Elle roule sur le côté et amène Koda près d’elle, couvrant le long corps du sien. « Mienne », dit-elle à nouveau, sa bouche effleurant le contour de celle de Koda, léchant les fines gouttelettes de sueur autour de sa lèvre. Elle descend le long de son cou et lèche l’humidité qui s’y trouve, savourant le goût salé mêlé à la douceur acérée de lavande qui court sur sa langue. Soule, dit la petite partie de son esprit encore capable de former des mots, je suis soule d’elle.

 

Koda s’étire sous elle, ses hanches se relèvent aveuglément, et cherchent. « Attends », dit Kirsten. Sous ses lèvres, la gorge de Koda vibre d’un petit son incohérent, à demi gémissement, à demi grognement. En réponse, Kirsten la presse à nouveau sur le lit et plonge ses dents dans l’épaule de Koda, goûtant à nouveau le sel tandis que le sang coule.

 

« Quel vampire », dit Koda dans un souffle, les doigts enfouis dans le bras de Kirsten. Mais celle-ci se recule et mord son propre avant-bras, puis presse la chair avec ses fines gouttelettes rouges contre les lèvres de Dakota, et elle sent les dents blanches acérées sur les bords de la blessure quand Koda la suce. Elle retire son bras et pose sa bouche sur celle de Dakota, tachée de rouge tout comme la sienne. Elle sent un frisson passer dans le corps de Koda tandis que leurs langues se rejoignent, se goûtant l’une l’autre. Le sang de mon sang. La phrase flotte depuis un endroit sombre de son esprit.

 

« Hunka. » C’est la voix de Koda, plutôt un souffle fantomatique dans son oreille. Elle ne connaît pas le mot, bien qu’elle sache ce qu’il doit signifier. Liées maintenant, inséparables. Pour cette vie et pour l’éternité.

 

Sa bouche vogue vers le sein de Koda, sa langue s’enroule autour du téton, sa main libre glisse le long de la peau lisse de son flanc pour venir entre ses jambes. Elles s’écartent pour elle, et elle trace la peau tendre de ses doigts, gratte le triangle de boucles noires à leur intersection, glisse le bout de son doigt dans l’humidité grandissant sous sa main, se retire pour tracer à nouveau les longs muscles du côté et de la cuisse. Koda rejette la tête sur la couverture, les yeux plissés en fentes bleues, la respiration coupée en petits halètements rudes.

 

« Que veux-tu ? » Murmure Kirsten. « Dis-le moi. »

 

« Je veux- »

 

« Est-ce que c’est ça ? » La main de Kirsten couvre le sexe de Koda et écarte largement la chair pour presser sa bouche sur le clitoris, traçant sa forme de sa langue. Elle sent Koda se raidir, son orgasme tout proche, et elle se retire. « Ou bien ça ? » Demande-t-elle, les doigts suivant sa bouche, puis glissant plus bas pour tourner autour de l’entrée brûlante du corps de Koda.

 

« Je veux - »

 

« Dis-moi. »

 

« Baise-moi », halète Koda. « Maintenant. Maintenant ! »

 

« Oh oui », répond Kirsten et elle glisse les doigts à l’intérieur, puis s’immobilise.

 

Au-delà des mots, Koda pousse les hanches contre la main de Kirsten et celle-ci finit par bouger en de longues et lentes caresses, son pouce trouve à nouveau le clitoris, le presse et le relâche, puis elle tourne autour du bouton distendu jusqu’à ce que Koda s’arque et que son corps se raidisse. Elle lève les yeux et peut à peine voir le pouls qui martèle le cou de son amante, en contrepoint au battement frénétique du sang sous sa main. Koda crie silencieusement et son orgasme la submerge, ondulant dans le ventre tendu sous la main de Kirsten.

 

« Mitawa », murmure à nouveau Koda après un moment qui semble durer une éternité. « Winyan mitawa. Cante mitawa. »

 

« Mitawa », acquiesce Kirsten, épuisée. Elle revient sur ses talons puis bouge pour s’allonger près de Koda, qui glisse un bras sous sa tête. Dakota ferme les yeux et l’obscurité les saisit.

 

*******

 

Pour la deuxième fois ce jour, Koda émerge en frissonnant de la douche. Elle s’enroule dans une des serviettes luxueuses de Maggie – une autre commodité parmi les dernières qui restent, il n’y aura bientôt plus de coton égyptien – elle attrape ses vêtements propres des crochets de la porte et franchit en courant les six marches vers la cuisine.

 

Kirsten a déjà posé de la soupe sur le feu, le four ouvert et éclairé.

 

Koda s’arrête dans l’encadrement de la porte, à portée de sa chaleur, encore une fois frappée par la grâce du corps de Kirsten tandis qu’elle s’affaire à la tâche ordinaire de la préparation d’un déjeuner tardif. Son short et son débardeur laissent ses bras et jambes nues, la peau brunie lisse sur un muscle qui atteste d’une fermeté inattendue. Ses cheveux, qui sèchent rapidement dans l’air chaud, bouclent autour de ses oreilles et sur sa nuque. La lumière de l’après-midi finissant qui passe par la fenêtre tandis qu’elle pose des bols et des cuillères, lui donne des tons dorés.

 

La vue apporte une rougeur sur la propre peau de Koda, se mêlant à la chaleur du four tandis qu’elle passe par-dessus la forme ronflante d’Asi, déroule la serviette et commence à se frotter pour se sécher. Mais elle se contente de dire, « Grand-maman Lula avait l’habitude de raconter comment elle et ses frères se baignaient dans une grande baignoire en aluminium devant le four à la ‘réz’. Peut-être qu’on devrait aussi commencer à faire ça. »

 

« Grand-maman, Lula ? » Kirsten produit un sourire et un regard inquisiteur. « A la réserve, tu veux dire ? »

 

« La mère de maman. Pine Ridge. Elle croyait que souffrir était bon. Ça forge le caractère. »

 

« Ecole catholique ? »

 

« Oh oui. C’est pour ça qu’Ina est si radicale. Réaction égale et opposée. »

 

Kirsten pose le reste des couverts sur la table puis se tourne pour lui faire face. « Ta mère ne va pas être d’accord, n’est-ce pas ? »

 

Il n’y a pas besoin de demander sur quoi Themunga ne sera pas d’accord, pas besoin d’éviter la réponse. Koda pose la serviette sur le dossier d’une chaise et commence à enfiler ses vêtements. « Elle va piquer une crise, si elle ne l’a pas déjà fait. Mais Ate va la convaincre. » Elle s’interrompt un instant, la tête enfouie dans une chemise à longues manches en tartan Black Watch. « Il te considère déjà comme sa fille, tu sais. Alors elle aussi, si on lui donne un peu de temps pour s’habituer à l’idée. Ça ne fait pas de mal que tu commences à intégrer des coutumes Lakota. »

 

« Comme de parler aux ratons-laveurs ? » La bouche de Kirsten se tord dans un sourire inquisiteur.

 

« Entre autres. » Koda sourit en retour. « Même Themunga ne discuterait pas avec un des esprits à Quatre-Pattes. »

 

« Mm », dit Kirsten avec un air qui n’engage à rien. « Comment va ton bras ? »

 

« C’est juste une égratignure. » Koda roule sa manche, enlève la protection d’un collant propre et le claque sur la coupure. « La semaine prochaine tu ne sauras même pas que c’était là. »

 

« Bien sûr que non. On mange ? »

 

Le repas est simple, des lentilles et des légumes, cuits ensemble ; elles rationnent la viande apportée par Wanblee Wapka parce qu’on n’a pas le temps de chasser et qu’aucun éleveur ne démunit son troupeau au printemps. Koda se rend compte qu’il y a un certain optimisme à présumer qu’ils dureront aussi longtemps que leurs provisions en protéines ; à moins qu’ils ne gagnent la confrontation à venir, ça n’aura pas beaucoup d’importance qu’il y ait de la viande le mois prochain ou pas. « Alors », dit-elle en trempant un morceau de pain dans le bouillon savoureux, « qu’est-ce que tu as trouvé sur cet androïde suicidaire pendant que j’étais partie ? »

 

Kirsten baisse le regard, portant toute son attention sur l’assiette de soupe devant elle. « Tu me passes le pain ? » Tandis que Dakota lui tend le panier, elle dit : « j’ai trouvé le code de contrôle. Alors j’en ai fait quelques autres. »

 

Le ton est si ordinaire que ça passe presque, mais l’improbabilité totale frappe l’esprit de Koda et s’y accroche, claquant dans la brise. Elle pose sa cuillère avec soin. « Redis-moi ça, s’il te plait. »

 

Perdant soudainement intérêt dans sa propre nourriture, Kirsten repousse le bol avec un petit geste sec. « J’ai dit que j’avais trouvé le code et que j’avais fait un peu plus d’androïdes suicidaires. »

 

Ça n’a pas plus de sens que la première fois. En tenant compte du fait que Kirsten est brillante dans son domaine et pourrait probablement fabriquer un ordinateur à partir de ficelles, de trombones et de quelques circuits imprimés. Mais la Base n’a pas le matériel pour faire un androïde convaincant, encore moins ‘quelques autres’ d’un modèle très spécialisé. Pas en l’espace de trois jours. « Avec quoi », dit-elle, « les as-tu fabriqués ? »

 

« Les androïdes étaient déjà assemblés. A l’usine de Butte. »

 

Butte est juste au-dessus de la ligne de l’état dans l’est du Nebraska, périlleusement proche d’Offut et de l’ennemi qui s’amasse. Dakota pose son front sur ses mains jointes. « Tu veux m’en parler ? Ou bien est-ce que je dois jouer aux vingt questions ? »

 

Kirsten tend la main par-dessus la table pour toucher brièvement son bras. « Ce n’était pas grand-chose. J’ai assemblé un patch qui va viser d’autres androïdes au lieu d’humains. Puis je suis allée à Butte, j’ai fait mon œuvre biodroïde et je l’ai installée dans leur inventaire. Je l’ai testé. Ça a marché. Fin de l’histoire. »

 

« Testé sur quoi ? »

 

« Une escouade d’unités militaires. »

 

Koda relève la tête de ses mains, les yeux fixés sur le visage de Kirsten. « Quand as-tu décidé de partir ? »

 

Il n’y a aucun signe de lutte intérieure, le regard vert clair croise le sien. « Quand Jimenez m’a apporté la partie de l’androïde suicidaire, ça m’en a donné l’idée. Avant que tu ne partes pour Minot. »

 

Au moins il n’y aura pas de mensonge entre elles. C’est un froid réconfort. « Tu aurais pu le mentionner. » Koda parle très clairement, ravalant les mots. « Le dire, juste en passant. Quelque chose comme, ‘Koda, je vais risquer ma vie et toute chance de survie pour nous tous sur une mission en solo, peut-être suicidaire, dans une usine d’androïdes.’ Ça aurait été si difficile ? »

 

« Oui », réplique Kirsten. « Ça l’aurait été. »

 

« Tu n’avais pas le droit ! » Le poing de Koda frappe la table, faisant résonner les bols de soupe. « Tu es la Présidente ! Tu es la putain de Commandant en Chef ! Habitue-toi à cette idée ! »

 

« J’en avais l’obligation ! La foutue merdique obligation ! » Kirsten se lève et se repousse de la table, faisant un instant face à la fenêtre. Koda ne peut pas voir son visage, juste son dos qui se lève et se baisse avec sa respiration rapide. Quand elle se retourne, la couleur est montée dans son visage, rougissant sa peau de la base de sa gorge à son front, transformant son bronzage dans une couleur presque cuivrée. « Je ne peux pas demander aux autres de prendre des risques que je ne prendrais pas moi-même, Dakota. Et ça inclue le soldat de base ici. Ça inclue Maggie. » Elle s’interrompt un instant. « Et ça t’inclue, toi. »

 

« Bon Dieu, Kirsten. Aucun président depuis Washington n’a mené ses propres troupes, encore moins - »

 

« Encore moins combattu Cornwallis pour les siennes ! » Kirsten redresse le menton, les yeux lançant des éclairs. « Ne me parle pas de droit. Le monde a changé, Koda. Tu le sais bien. »

 

Un silence s’étire entre elles, et tourbillonne dans les courants de la colère. Le regard de Koda traîne sur la ligne rouge de sa blessure, visible sous le plastique vaporeux de la gaze. Elle finit par dire, « C’est de bonne guerre. Mais pourquoi ne me l’as-tu pas dit ? »

 

« Parce que j’aurais pu mourir. »

 

A ces mots, Koda lève les yeux, scrutant le visage de Kirsten tandis qu’elle continue plus calmement. « Ou toi, tu aurais pu mourir, mais je n’avais aucune idée comment. Et je ne voulais pas que ce combat soit notre dernier. »

 

« Je n’aurais pas - »

 

« Si, tu l’aurais fait. J’aurais essayé de t’arrêter aussi si j’avais su que tu allais te battre en duel. »

 

« Je serais partie avec toi. »

 

« Et tu n’aurais pas été là où on avait vraiment besoin de toi. » Kirsten soutient son regard. « Il y a des choses que seule toi peut faire. Des choses que seule moi peux faire. Nous devons le reconnaître. »

 

« Je n’aime pas ça. »

 

« Je ne l’aime pas non plus. Mais nous sommes ce que nous sommes. »

 

Ex-aequo. Ne me quitte pas ! Ne me quitte surtout pas ! Les mots font écho dans les endroits sombres de l’esprit de Koda, portés par le vent de la panique. Mais elle ne les prononcera pas. Au lieu de ça, elle dit très calmement, « je ne veux pas te perdre. »

 

Après un moment, Kirsten contourne la table pour poser les mains sur les épaules de Dakota. « Tu ne me perdras pas. Nous allons faire face à ça ensemble, où que ça conduise. »

 

Koda se tourne dans son siège, et couvre la main de Kirsten de la sienne avant de déposer un baiser léger sur son poignet. « Où que ce soit. »

 

Les bras de Kirsten glissent sur les siens, des cheveux soyeux chatouillent sa joue, suivis par des lèvres tendres. Elle se penche dans l’étreinte, se donnant à la persuasion de son amante. « Si tu continues comme ça… », murmure-t-elle.

 

« - on va finir au lit de nouveau. Hmm ? »

 

« Tu n’as rien de mieux à faire ? »

 

« Rien du tout. » Très délicatement, Kirsten mord le côté de son cou.

 

« Vampire. »

 

Koda attire Kirsten pour qu’elle soit face à elle, puis elle la fait s’asseoir, à cheval sur ses cuisses. « Il y a vraiment quelque chose à dire au sujet de ce baiser et de faire les choses, tu sais ? Allons - »

 

Elle ne finit pas sa suggestion. Un poing frappe la porte tel un marteau, et Jackson suit dans la pièce dès qu’elle s’ouvre, Asi frétillant sur ses talons, et aboyant. « Mme la Présidente ! Madame – oh. » Il fixe le regard sur un point quelque part à mi-chemin sur le linteau de la porte.

 

« Du calme Asi ! » Kirsten se met debout et se tourne pour faire face au pilote avec ce que Koda considère comme un aplomb remarquable étant données les circonstances. « Que se passe-t-il Jackson ? »

 

« Madame ! » Dit-il en hoquetant. « « Salutations de la Colonel, voudriez-vous venir toutes les deux à son bureau. Le Général Hart est porté manquant ! »

 

*******

 

Maggie lève les yeux lorsque la porte du bureau d’Hart s’ouvre brusquement et que Koda entre en trombe, Kirsten sur ses talons. Elle lève la main. « Du calme les filles. On vient juste de s’en rendre compte. »

 

« Comment », questionne Kirsten en s’arrêtant juste devant un bureau immaculée et vide.

 

Il a prévu une réunion avec sa secrétaire à midi. Elle a attendu une heure environ avant d’aller voir chez lui. » Bien que l’après-midi soit bien avancée, Maggie, comme toujours, porte un uniforme propre, frais et impeccablement repassé.

 

« Vide ? »

 

« Un taudis », répond succinctement Maggie en grattant le bureau de ses phalanges. « Mais il n’y était pas. »

 

Koda, qui s’est avancée près de la fenêtre, écarte le store et regarde dans la chaleur de la journée ensoleillée de printemps. « Il a laissé un mot ? »

 

« Un suicide ? » Devine Maggie.

 

Koda regarde toujours par la fenêtre et soulève une épaule dans une réponse élégante. Un rayon de soleil traverse le store et la pièce, pour atterrir sur le carrelage militaire éraflé et terne, et en fait ressortir ses nombreuses imperfections.

 

« Non. Mais elle cherchait un homme pas une note, alors… »

 

Dakota hoche la tête et se retourne. « Et le portail ? »

 

« On a déjà vérifié. Personne n’est entré ou sorti depuis que tu es revenue. » Elle tourne un regard significatif vers Kirsten qui, il faut le reconnaître, cache bien son rougissement en regardant toute la pièce comme si elle cherchait quelque chose qu’elle aurait perdu. Maggie, qui ne se laisse pas prendre à la ruse, cache son sourire derrière une toux feinte marquée, ce qui lui vaut un regard noir de la part des yeux verts brillants.

 

« Quelqu’un l’a repéré avant ça ? » Questionne Koda en ignorant délibérément le jeu pas si subtil entre ses deux amies. « Il aurait pu se glisser quand le convoi est rentré. »

 

Maggie plisse les yeux, sur le point de protester. Puis elle y réfléchit à deux fois et soupire, résignée. « Je vais encore vérifier, mais j’en doute. Personne n’a mentionné l’avoir vu du tout depuis hier dans la journée. »

 

Koda traverse la pièce et pose les mains, paumes vers le bas, sur le bureau spartiate. « Tu sais où est Tacoma ? »

 

« Ouais, je l’ai envoyé avec un escouade pour contrôler la base. Pourquoi ? »

 

« C’est un sacré bon pisteur. » Elle se redresse de toute sa hauteur et regarde Maggie droit dans les yeux. « Envoie quelqu’un le chercher et dis-lui de voir s’il peut repérer des traces qui pourraient mener à notre homme. Kirsten et moi nous allons passer sa maison au peigne fin et voir si on peut trouver quelque chose. On se retrouve ici, ou bien dans ton bureau, disons, dans deux heures. Plus tôt si on trouve quelque chose. »

 

Maggie hoche la tête d’un mouvement brusque, résistant à l’envie de saluer. Mais intérieurement, elle sourit à la façon si facile dont Dakota prend le commandement de la situation. C’est quelque chose qu’elle a vu dans la grande femme tranquille dès le premier instant où elles se sont rencontrées, et elle est contente de voir le potentiel brillant venir lentement au grand jour.

 

Ce n’est que quand le duo de choc a quitté son bureau et que la porte se referme tranquillement derrière elles qu’elle laisse le sourire apparaître pleinement sur son visage. Avec un petit sifflement désinvolte, elle se remet au travail.

 

Table des matières

 

 

*****

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