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INSURRECTION43

Page history last edited by PBworks 15 years, 9 months ago

INSURRECTION

 

De Sword'n'Quill (Susanne Beck)

 

SwordnQuil@aol.com

 

écrit avec T Novan et Okasha

 

 

Traduction : Kaktus (parties 1 à 22) et Fryda (partie 23 à la fin)

 

 

Table des matières

 

 

 

 

 

Ecrit par : Susanne Beck et Okasha

 

CHAPITRE QUARANTE-TROIS

 

« La vache ! Ça pue ici ! ! » Kirsten traverse le séjour obscur à grandes enjambées et écarte les rideaux lourds et imprégnés de fumée, avant d’ouvrir la grande fenêtre face à l’ouest. De l’air frais entre en forte brise et contribue à neutraliser la puanteur de vêtements sales, de nourriture rancie, de bouteilles de bière et d’alcool à moitié vides, mais ne parvient pas à écarter le courant empuanti des odeurs bien plus identifiables et personnelles qui imprègnent la maison telles des miasmes.

 

Elle se retourne et regarde Koda, qui ne semble pas affectée, allumer une des lampes au kérosène qu’elle a apportées et la lever dans la direction de son amante. « Tu as un rhume ou quoi ? » Demande Kirsten tout en s’approchant pour attraper la poignée de la lampe. « Cet endroit pourrait faire suffoquer un asticot et tu ne respires même pas par la bouche ! »

 

« Je suis vétérinaire. J’ai grandi dans un ranch. J’ai sept frères. » Koda allume la seconde lampe, son sourire narquois masqué par les ombres qui glissent sur son visage.

 

« Tu marques un point », accorde Kirsten, en soulevant la lampe tout en tournant sur elle-même. « Et ben, ça va être marrant. »

 

“Tu t’occupes d’ici et moi de la chambre. »

 

Kirsten sourit par-dessus son épaule, ses dents blanches bien alignées brillant dans la lumière vacillante de la lampe. « Je préfère que ce soit toi. »

 

« Ouais, ouais. Crie si tu trouves quelque chose. »

 

« Dans ce bazar ? Si tu m’entends crier, ça sera parce que j’ai été mordue par un rat. » Elle frissonne intérieurement et se dirige vers la minuscule cuisine avec sa lampe. Alors qu’elle s’avance, elle entend les pas légers de sa compagne s’éloigner et elle souhaite silencieusement de la chance à Koda dans sa quête.

 

La lanterne à hauteur d’épaule, Koda utilise sa main libre pour pousser la porte de la chambre à coucher. Celle-ci obtempère à contrecoeur, bloquée par Dieu seul sait quoi. La planche grogne tandis qu’elle force pour entrer dans la pièce obscure et puante, et elle soulève la lampe haut, passant en revue le petit espace les yeux plissés.

 

Sur le lit défait, des draps, dont elle est sûre qu’ils pourraient tenir debout et danser la gigue avec des oreillers du même acabit. La couette et la couverture, sur le sol en une pile emmêlée et couverte d’une saleté sèche que Koda peut trop bien identifier, sont visiblement des causes perdues.

 

Elle repousse plusieurs verres sur le tapis où ils atterrissent avec des boums assourdis, puis pose la lampe au milieu des bouteilles à demi vidées d’Ol’Grandad et de Wild Turkey sur la petite table de chevet. Elle contourne le lit et soulève la couette et la couverture, les secoue et tourne la tête à la puanteur qu’elles produisent quand elle les dérange. Elle les laisse retomber en tas quand rien n’en sort.

 

Elle s’avance vers la penderie et passe en revue les quelques uniformes qui restent et sont pendus avec une précision militaire sur le rail, mais elle n’y trouve rien d’intéressant. Un passage rapide dans la salle de bains lui fait souhaiter de ne pas y être allée puis elle revient vers la table de chevet, ouvre son tiroir d’un geste souple. Sa recherche aboutit à une petite bible, bien utilisée, mais rien entre ses fines pages fragiles.

 

Avec un léger soupir, elle repose la bible, ferme le tiroir et soulève la lampe, puis se dirige à nouveau vers le séjour et ferme la porte de la chambre derrière elle.

 

« T’as trouvé quelque chose ? » Demande-t-elle à Kirsten qui sort de la cuisine.

 

« Rien à moins de compter l’essaim de cafards souls qui se nourrissaient joyeusement du reste de bière. Et toi ? »

 

« Pareil. » Elle lance un rapide coup d’œil dans le séjour. « Impossible de dire s’il est parti depuis des heures ou des jours dans ce bordel. »

 

« Peut-être que Maggie et les autres ont trouvé quelque chose de leur côté. »

 

« Peut-être », acquiesce Koda, bien qu’il soit clair qu’elle ne croit pas vraiment un mot de ce qu’elle vient d’énoncer. « On y va ? »

 

« C’est pas trop tôt pour moi, merci. »

 

*******

 

Dakota, Kirsten, Manny, Andrews, Harcourt, Maggie et plusieurs autres ‘résidents’ sont épaule contre épaule, hanche contre hanche dans le petit bureau de la Colonel. Devant eux, juste devant la porte, se tient Tacoma, avec une expression légèrement contrariée sur son visage habituellement sombre. « J’aimerais avoir de meilleures nouvelles à annoncer », dit-il. « En fait, il a fait trop sec, et avec tout le trafic de la Base, essayer de retrouver un homme seul est difficile, à tout le moins. Surtout s’il ne veut pas qu’on le trouve. »

 

« Très bien. On doit… »

 

Avant qu’elle ne puisse terminer, Maggie est interrompue par la porte qui s’ouvre brusquement, envoyant quasiment Tacoma voler à travers la pièce. Kimberley, échevelée à cause du vent, entre avec une pile informe de feuilles soigneusement imprimées dans la main gauche. « Toller est parti. »

 

« L’assistant du Général Hart ? » Demande Kirsten.

 

« Oui madame. » Kimberly entre pleinement dans la pièce et referme la porte derrière elle tout en repoussant une mèche errante de cheveux derrière son oreille. « Je pensais que comme vous n’aviez pas de chance dans vos recherches, je pourrais voir si Toller savait où il était. Je suis allée chez lui. Tout était fermé, ce qui ne lui ressemble pas. Mais il doit avoir oublié de verrouiller la porte sur le côté parce qu’elle s’est ouverte. » Elle maltraite sa lèvre inférieure un moment avant de continuer. « Il n’était pas là. Ses uniformes étaient partis. Ses bagages aussi. Tout ce qui restait c’est ça. »

 

Dakota prend les feuilles de la main tendue de Kimberly et les feuillette rapidement en regardant uniquement les titres.

 

Androïdes = Armageddon

 

Le multiculturalisme : le jardin de Satan

 

Serez-VOUS parmi ceux qu’Il sauvera ?

 

Koda roule sa lèvre et jette les pamphlets sur le bureau de Maggie où ils s’éparpillent dans un éventail d’âneries fondamentalistes. « Ça répond à cette question. »

 

« Et maintenant ? » Demande Kirsten, en poussant les feuillets du pouce, tressaillant à la lecture des titres.

 

« Ce petit sournois a de la famille à Grand Rapids », fait remarquer Andrews. « On pourrait… »

 

« J’y vais », l’interrompt Tacoma, déjà parti en direction de la porte avant d’être arrêté par la voix de sa sœur.

 

« Attends. »

 

Il se retourne, le sourcil dressé. L’expression est si étrangement la même que celle de sa sœur que Kirsten se tourne vers la femme près d’elle pour s’assurer qu’elle est toujours là et n’a pas soudainement traversé la pièce.

 

« Ecoutez », continue Koda en écartant les mains sur le bureau, « j’apprécie le fait qu’on souhaite retrouver cet homme, mais ce que j’apprécie encore plus, c’est le fait que ces androïdes là-dehors ne vont pas attendre qu’on ait fini. On doit commencer à faire des plans pour la guerre juste là à notre seuil et ces plans incluent tout le monde. » Elle tourne lentement la tête et les regarde tous, les observant tandis qu’ils se redressent et semblent se débarrasser de la fatigue qui les touche tous et chacun.

 

« Je tenterai de pister votre vermine et son maître. » La voix d’Harcourt est douce depuis le coin où il se tenait calmement pendant tout ce temps passé. Il se fraye un chemin jusqu’au bureau de Maggie. Il lève la main face à l’objection toute prête de Dakota. « Nous avions un marché, Ms Rivers, si vous vous en souvenez. Je viens et je repars quand je le veux, comme je le veux. Alors que je suis bien trop vieux pour tenir des armes face à l’ennemi, je suis plutôt bien expérimenté pour chasser des animaux qui se cachent, comme c’est le cas. » Il sourit légèrement et son sourire a quelque chose de prédateur. « Dessinez vos plans, préparez vos trompettes pour les murs de Jéricho. Je jouerai mon petit rôle jusqu’à la fin. » Son regard, dur comme le diamant et acéré comme un rasoir, coupe court à toute objection. Son sourire s’élargit d’un millimètre, montrant le bout de ses canines. « Je vous dis adieu à tous, alors, et je vous souhaite bonne chance. » Il se tourne vers Dakota. « Si vous voulez me recontacter, vous savez où me trouver. »

 

Avec un léger signe de tête, il s’avance tandis que les gens bougent et il se glisse dehors, laissant tout le monde fixer, stupéfait, l’endroit où il se trouvait.

 

« Je reviens tout de suite », dit Dakota en se frayant un chemin dans la foule pour sortir à son tour.

 

*******

 

« Fenton, attendez ! »

 

Entendant Koda qui arrive précipitamment derrière lui il s’arrête, le dos toujours tourné, et il observe le paysage devant lui. Sa voix est douce et contemplative quand il se met à réciter des mots d’un poème aimé.

 

« Deux routes se séparaient dans une forêt jaune,

 

Et désolé de ne pouvoir les suivre toutes deux

 

Et de n’être qu’un, longuement je restai

 

A en regarder une aussi loin que je le pouvais

 

Jusqu’à l’endroit où elle virait dans le sous-bois,

 

Puis je pris l’autre, toute aussi plaisante,

 

Peut-être avec plus d’attraits,

 

Car elle était herbeuse et érodée,

 

Bien que, toutes deux aussi empruntées,

 

Elles étaient pareillement usées,

 

Et ce matin-là également s’étiraient

 

Sur des feuilles qu’aucun pied n’avait piétiné. »

 

(NdlT : Traduction libre - Extrait de « Finding Happiness in The Road Not Taken » – Robert Frost (1874-1963), qui a dit lui-même « La poésie est ce qui se perd dans la traduction ». Frost prétend que la définition même de la poésie suppose une impossibilité de traduire : l’ineffable se trouvant au cœur même du poétique. Mille excuses aux puristes)

 

Avec un sourire sur le visage et un beau bâton de marche dans la main, il se tourne vers son auditrice, ses yeux semblant briller de vitalité et d’un accès, rarement exprimé, de bonne humeur.

 

« Je crois que, pour ce qui me concerne, je prendrais la route la moins empruntée. Ne seriez-vous pas d’accord ? »

 

« Je préfèrerais que vous n’en preniez aucune. »

 

« Ah, mais quel serait le plaisir dans ce cas, Ms Rivers ? »

 

« Ce n’est pas un jeu, Fenton. »

 

« Vrai, mais c’est une aventure, et que je suis absolument seul à pouvoir entreprendre. Les androïdes ne s’intéressent pas à moi, un vieil homme plus dans sa prime jeunesse depuis longtemps, et je suis encore assez rusé pour rester hors d’atteinte au cas où leurs circuits imprimés changeraient d’avis sur le sujet. » Dans un rare moment de chaleur, il tend une main noueuse et la pose sur le poignet de Dakota. « Je connais l’importance de rechercher le bon général, Dakota. Il ne détient peut-être pas beaucoup de secrets, mais un seul est déjà trop s’il est donné à l’ennemi. » Il presse brièvement le poignet épais sous sa main avant de la retirer. « Nous avons tous un rôle à jouer dans ceci, Ms Rivers. Accordez-moi la dignité de tenir le mien, quelle qu’en soit l’issue. »

 

Après plusieurs instants de silence total, Koda finit par hocher la tête. « Mais vous aurez de l’aide. »

 

« Je vous assure, Ms Rivers, que je suis parfaitement capab… »

 

Son discours est interrompu par un sifflement sourd et un instant plus tard, un battement d’ailes furieux annonce l’arrivée de Wiyo, qui atterrit souplement sur le poignet de Dakota. « Elle peut voir ce que vous ne voyez pas. Elle peut vous avertir s’il y a du danger devant vous ou derrière. C’est une amie. Prenez-la avec vous, et je me sentirai bien mieux à l’idée de vous laisser partir. »

 

Le visage de granite, ce visage qui a effrayé des criminels au point de les faire vieillir prématurément pendant des décennies, se dissout comme du sucre dans l’eau, transformant les angles acérés en sillons légers d’émerveillement et de joie.

 

« Wiyo, allez. »

 

Le rapace saute aisément du poignet de Koda sur le bras de Fenton, puis fait quelques pas de côté jusqu’à ce qu’elle soit confortablement perchée sur son épaule.

 

« Ceci n’est pas un cadeau, alors ne croyez pas que vous allez l’emmener pour qu’elle vive avec vous, espèce de vieux bonhomme. Quand vous en aurez fini, relâchez-la. Je pourrais encore avoir besoin d’elle. »

 

Harcourt rit, savourant la sensation du poids sur son épaule et le sentiment étrange de confort que ça lui apporte. « Ne vous inquiétez pas, Ms Rivers. Cet oiseau sait à qui elle appartient. » Son sourire disparaît et il penche la tête avec respect. « Merci, Dakota. Vous m’avez donné un compagnon sans prix. »

 

Elle tend la main et prend la sienne pour presser ses doigts noueux chaleureusement. « Bonne chance à vous, mon ami. »

 

« Et à vous aussi. Fasse que l’on se revoit dans de meilleures circonstances. »

 

Avec un dernier signe de tête et un sourire fugace, il se détourne d’elle pour commencer son voyage. Elle le regarde jusqu’à ce qu’il prenne le tournant qui mène au portail, puis elle revient vers le bureau de Maggie et les problèmes qui l’attendent.

 

*******

 

Kirsten regarde la population civile d’Ellsworth entrer dans le théâtre de la Base à la file indienne. Leur nombre s’est maintenu ces dernières semaines, depuis qu’on a limité l’entrée au seul trafic autorisé. Pourtant, il avoisine les trois cents âmes. Près de la moitié sont des femmes sauvées des bâtiments des androïdes dédiés à la reproduction. Le reste consiste en des familles de configuration variée ; au premier rang, un couple âgé accompagné de deux enfants en bas âge se glisse près d’un couple de jeunes pères qui tiennent la main de leurs trois fillettes qui portent des nattes et sont installées entre eux. Ils prennent place près d’une femme d’âge moyen et d’une adolescente dont le visage est la copie conforme de celle-ci, les yeux morts et terne comme du granite. Ils se saluent avec des signes de tête tranquilles, sobres et assombris. Bien que l’information sur l’ennemi approchant ait été bien gardée, ils doivent savoir qu’une crise est à leur porte. Le retour de Koda avec un groupe militaire étrange ne peut pas être resté inaperçu, ni le nombre soudainement grandissant de vols de Tomcat décollant pour des missions de longue durée. La Base est une petite ville, avec une capacité instantanée de potins d’une petite ville.

 

Maggie, qui se tient près d’elle sur la petite scène, dit doucement, « ils savent. »

 

« Ils seraient fous dans le cas contraire », répond-elle. « Personne n’a jamais pensé que les androïdes abandonneraient. Ellsworth est une cible majeure. »

 

Maggie produit un sourire. « Nos défenses sont bonnes. Meilleures depuis votre petite excursion. »

 

« La flatterie ne vous mènera nulle part. » Kirsten lui rend son sourire en montrant toutes ses dents. « Vous êtes déjà commandant de la base, Général Allen. »

 

La promotion ne peut pas avoir été inattendue, mais Maggie la fixe les yeux écarquillés pendant un moment, la respiration coupée. Avant qu’elle ne prenne la parole, Kirsten dit d’un ton neutre, « Ça empire. Vous êtes le Chef d’Etat Major de l’Armée de l’Air maintenant. Si nous traversons cette bataille à venir, nous allons devoir commencer à chercher et organiser les autres forces survivantes. Les persuader si nous le pouvons, nous les approprier s’il le faut. »

 

« Comme Koda s’est ‘approprié’ la milice de Minot ? »

 

Kirsten hoche la tête. « Nous faisons ce que nous avons à faire. Nous n’allons pas sortir de ceci avec le même genre de société que nous connaissions. Du moins pendant un moment, nous allons devoir être le chien le plus gros, le plus méchant et le plus cruel du dépotoir. Parce que c’est ce que nous allons avoir en face de nous… des chiens de dépotoir. »

 

« Et certains seront enragés. »

 

« Certains seront enragés », affirme-t-elle. « Et nous aurons à traiter certains d’entre eux comme nous le ferions de chiens enragés. »

 

Au fond de l’auditorium, Andrews ferme les doubles portes et se retourne pour faire un signe vers la scène. Tout le monde est entré.

 

« Vous êtes sûre de ne pas vouloir le faire ? » Demande Maggie à Kirsten.

 

« Affirmatif. C’est votre Base. Je suis juste l’autorité civile. »

 

« Alors d’accord. » Maggie s’avance sur l’estrade, flanquée d’un côté du drapeau américain étoilé, et de l’autre de la bannière bleue de l’Air Force. Elle tapote légèrement le micro et dit, « Est-ce que ça fonctionne ? Pouvez-vous m’entendre ? »

 

Un murmure d’approbation lui répond, et Kirsten observe ses épaules qui se soulèvent quand elle prend une profonde inspiration. Elle vient juste de nommer Maggie l’autorité en uniforme suprême dans ce qui reste des Etats-Unis. Ce qui n’est que justice, songe-t-elle, si je dois être Présidente. Elle le mérite.

 

Mais ce n’est pas le seul changement à faire. Il devient de plus en plus évident que la position de Koda vis-à-vis des troupes doit être formalisée, et lui trouver un titre qu’elle acceptera. ‘Première Dame’ ne va fichtrement pas le faire. Réfrénant un sourire, elle retourne son attention vers Maggie.

 

« … nous apporte quelque inquiétude », dit calmement la nouvelle Générale. « Le Général Hart est porté manquant, et nos efforts pour le trouver ont été un échec jusqu’à maintenant. Nous ne savons pas s’il est parti de son plein gré, ni s’il est en sécurité, ou même en vie. Je conseille vivement à quiconque a une information sur le Général de la partager avec la police militaire et de nous aider à le retrouver. »

 

« Bon. Voilà la vraie raison pour laquelle nous vous avons demandé de venir ici. Comme la plupart d’entre vous le savent déjà, les androïdes se sont regroupés depuis leur dernière attaque sur Ellsworth. Ils rassemblent actuellement des troupes et du matériel au sud et à l’ouest d’ici. Nous avons toutes raisons de croire qu’ils vont à nouveau attaquer Ellsworth. »

 

Un murmure parcourt la foule, rapidement étouffé. Maggie continue. « Alors, la Présidente King et moi nous vous avons fait appeler ici, pour vous offrir un choix. Tous ceux qui souhaitent quitter la Base devront se préparer pour être au portail demain matin à huit heures. Un bus sera mis à votre disposition pour vous emmener à Rapid City. Malheureusement, nous ne pouvons dégager ni le personnel ni le véhicule pour vous emmener plus loin. Si vous souhaitez quitter la zone totalement, nous vous suggérons d’aller vers le Dakota du Nord puis à l’est. Vous aurez une meilleure chance d’éviter l’ennemi si vous partez dans cette direction. Le Lieutenant Andrews, c’est le rouquin par-là, vous fera signer une liste quand vous partirez d’ici ce soir, pour que le conducteur du bus sache qui et combien de personnes seront prévues.

 

« D’un autre côté, vous êtes les bienvenus si vous préférez rester sur la Base. La seule condition est que les adultes capables servent en soutien pour libérer autant d’hommes de troupe que possible pour le combat. Nous avons besoin de cuisiniers, messagers, aides de toutes sortes, employés. Quelqu’un devra mettre en place un centre pour les enfants. Le Lieutenant Rivers a la liste des emplois que vous préférez. Nous vous donnerons votre premier choix si possible, mais il n’y a pas de garantie. » Elle s’interrompt un instant. « Y a-t-il des questions ? »

 

Le grand-père du premier rang se lève. « Serez-vous capable de défendre Rapid City ? »

 

« Nous aurons un combattant désigné pour les troupes qui pourraient vous approcher de l’ouest. Mais cette protection sera minimale. Nous ne sommes pas préparés pour une bataille au sol urbaine. Nous n’avons pas le nombre pour ça. »

 

Une onde de bruit parcourt à nouveau le public. Ici et là des visages se grisent, tous non pas réalisé la gravité de la situation. Une femme au dernier rang parle pour tous. « Y a-t-il un endroit en sécurité ? Ou plus en sécurité ? »

 

« Non madame. Il n’y en a pas. »

 

Le silence tombe alors. Maggie attend sur l’estrade, mais il n’y a pas d’autre question. Après un moment, des gens commencent à bouger. Plus encore, note Kirsten avec satisfaction, s’arrête pour signer la liste de Manny ; peut-être une douzaine choisissent de sortir.

 

Elle vient se tenir près de Maggie. « C’était une bonne dose de réalité. »

 

« Oh oui. Ils savaient qu’il y avait un problème. C’était juste la première fois que quelqu’un d’officiel le disait. »

 

« Combien de temps avons-nous ? »

 

« Peut-être une semaine. Ils ne bougent pas encore, mais le vol de reconnaissance qui est revenu il y a environ une heure a dit que leur nombre a doublé en quelques jours à peine. C’est pas bon. »

 

Pas bon du tout. Kirsten dit, « Je vais retourner à la maison. Voir si je peux sortir quelque chose d’autre du code. »

 

C’est un espoir vain, et elles le savent toutes deux. Quand Kirsten quitte l’auditorium, Maggie passe en revue les listes avec Manny et Andrews. Après la clinique vétérinaire, après la ligne de bois à l’ouest de la rue qui mène à la section résidentielle, des lignes de code lui traversent l’esprit. Futilité, elle est passée par-là encore et encore et ça lui revient toujours vide. Au virage, un bruissement dans l’arbre au-dessus d’elle attire son regard, la sortant brusquement des courbes binaires sans fin. Assis sur une branche, la regardant avec des yeux tels de l’onyx, se trouve un grand raton-laveur. « Yo, Madame la Présidente », dit-il. « Comment va la vie ? »

 

Kirsten fixe un instant le visage masqué à trente centimètres au-dessus d’elle, l’éclair de moquerie visible dans les yeux noirs et brillants. Les longs doigts de Tega sont croisés sur sa poitrine ; replet et auto-satisfait, il lui sourit. Après un moment, elle dit, « Je ne parle pas aux hallucinations ; Va-t-en. »

 

« Hallucine-moi ça », dit-il d’un ton aimable, et il laisse tomber un petit œuf d’oiseau qui s’écrase sur ses bottes.

 

La tâche jaune sur le trottoir a l’air très réelle. Ainsi que le machin gluant qui coule le long de ses Timberlands. Elle regarde depuis ses chaussures tâchées vers le raton-laveur et revient vers elles. « Bon Dieu », dit-elle. « Tu n’avais pas besoin de faire ça. Ça allait donner un oiseau. »

 

« Non. Ces œufs étaient des orphelins. » La langue de Tega passe sur son museau.

 

« Tu veux dire que tu… non, ne dis rien. Je ne veux pas savoir. »

 

« Au service de Madame la Présidente. » Délicatement, Tega sort une plume marron et grise de son pelage et la laisse tomber en flottant pour rejoindre l’œuf brisé. « Je me félicite de mes manières à table. »

 

Kirsten regarde furtivement autour d’elle. La rue et le trottoir sont désertés à cette hure-ci, les gens sont assis devant leur souper, ceux qui partiront demain matin sont sans aucun doute en train de préparer leurs affaires. Ça ne le ferait pas d’être vue en train de parler à un raton-laveur assis dans un arbre. « Tu vas me faire enfermer si quelqu’un nous voit. Je vais porter une des ces vestes à manches extra longues. »

 

« Tu ne serais pas le premier Grand Père Blanc – ou Mère – avec une ampoule de faible puissance. Parmi le Peuple Vrai, ça ferait de toi une sainte. Je suppose que tu ne te sens pas particulièrement sainte ? »

 

« Sainte… ? Ecoute, bon sang. Je suis une scientifique. Je crois en ce que je peux voir ou calculer. Je ne crois pas en… » Kirsten fait un geste circulaire de rejet d’une main… « tout ceci, ces âneries. Je ne crois pas en toi. Tu es quelque chose que je mange. »

 

Tega découvre à nouveau ses dents, blanches et acérées comme des lancettes. « N’y pense même pas, mon chou. »

 

« Ne sois pas absurde ! » Réplique-t-elle. « Tu n’es pas comestible. »

 

« Ach, nous zy foilà. » Tega se radosse au tronc avec les mains à nouveau croisées sur son estomac. Il fait penser à Kirsten à un psychiatre viennois dans un mauvais téléfilm. « Divérences kulturelles. » De manière absurde, une paire de lunettes cerclées de fer est apparue juste derrière le bouton noir de son nez.

 

« Culturelles… » répète-t-elle platement. « De quoi tu parles ? »

 

« Je parle de Kirsten King, Docteur en M., Président des Etats-Unis d’Amérique, qui porte du daim et des plumes et ouvre la Danse du Soleil. Ça te parle ça ? »

 

Un éclair de souvenir, involontaire et inconciliable : les cicatrices en biais sur le torse de Tacoma ; les mêmes sur celles de son père et de son cousin, et son propre dégoût. Elle n’avait pas été assez rapide pour empêcher Tacoma de lire sur son visage ; elle n’est pas assez rapide pour éviter celui de Tega maintenant. « C’est… Très bien. Ça me met mal à l’aise. Pas le daim et les plumes, je serais honorée de porter la robe traditionnelle de Dakota. C’est… c’est juste… »

 

« le sang, la mutilation, l’aspect primitif de tout ça ? »

 

Son propre sang monte bouillant au visage de Kirsten; elle sent la rougeur s’étaler depuis son cou jusqu’à son front. « C’est… Oui. Ce n’est pas… » Le mot dont elle a besoin ne vient pas. Peut-être qu’il n’existe pas. Elle dit, « Ce n’est pas quantifiable. Pas… enfermable. On pourrait en perdre le contrôle. »

 

« Oh oui. Sans parler de ce qui pourrait arriver quand les gens vont démarrer à nouveau avec la Danse des Fantômes et que tous ces Injiens morts nés dans une peau blanche se réveillent et réalisent qui ils sont vraiment. On pourrait vraiiiiiment en perdre le contrôle. Tu peux vraiment pas laisser ça hors de ton contrôle. »

 

Ce n’est pas la première fois que Kirsten se demande si son esprit s’est effondré sous le stress. « Je ne vois pas ce que ça a à voir avec moi. Dakota est une chamane, je le sais, je le respecte… »

 

Une huée de rires, étrangement non-humains, sort de l’arbre au-dessus d’elle, et Tega se penche en arrière en se tenant les côtés. « Chamane ! Espèce d’idiote, tu épouses le foutu Chef des Chamanes ! Habitue-toi à l’idée ! »

 

« C’est débile ! Tu es taré ! » Siffle Kirsten « Je suis tarée de penser que j’ai une conversation avec un… un… raton-laveur ayant des habitudes diététiques perverses ! »

 

Tega se tourne, soudain sérieux. « Oh tu es tarée, ça oui. Aucune femme sensée n’entrerait… et ne sortirait… de l’usine d’androïdes la plus gardée du continent. Aucune femme sensée ne tenterait de remettre en place les bouts de cette société détruite. Qu’en dis-tu ? »

 

« Il le fallait ! Je suis la seule qui pouvait le faire ! La partie androïde je veux dire. »

 

« Vrai », dit Tega. « Et toi et Dakota avec toi, vous êtes celles qui aller dessiner les contours de l’Ordre du Nouveau Monde. » Kirsten peut entendre les lettres capitales et les yeux de Tega dansent derrière ses lunettes ridicules. « Une culture mixte, où même les blancs font la Danse du Soleil. Et où une femme blonde Lakota ouvre la cérémonie à côté du Chamane en Chef de toute la nation. »

 

La tête de Kirsten lui tourne. Elle peut presque le voir, elle-même avec des tresses, portant un éventail en aile de faucon, marquant le rythme des tambours à la tête d’une ligne de femmes, toutes en robe indienne, leurs peaux et cheveux de toutes les couleurs du spectre humain. Derrière elles, faisant le circuit de la piste de danse, viennent les hommes avec des couronnes d’épines d’épicéa sur leurs longs cheveux, des sifflets en os d’aigle entre leurs dents. Parmi eux se trouvent Andrews et Darius. Et cette implication la frappe comme le météore qui a éteint les dinosaures.

 

« Ça veut dire que… on va survivre ! Par les dieux… ! »

 

Devant elle, Tega commence à disparaître, la texture rude de l’écorce commence à se voir sous sa fourrure. Seule reste sa voix, qui s’éloigne de plus en plus. « Souviens-toi : le passé est le futur, le futur est le passé. Elle tourne, elle tourne… la petite roue, tournoie et tournoie… elle tourne, elle tourne… et quand elle s’arrêtera… personne… ne le sait. »

 

Et Kirsten se retrouve seule, sur le trottoir vide, à regarder la branche vide. Elle déglutit, sa gorge douloureusement sèche. Il faut que je boive, pense-t-elle. Il faut que je boive sérieux. Elle part rapidement, presque en courant, vers la sécurité relative de la maison et Asi.

 

Table des matières

 

 

 

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