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INSURRECTION6

Page history last edited by PBworks 15 years, 10 months ago

INSURRECTION

 

De Sword'n'Quill (Susanne Beck)

 

SwordnQuil@aol.com

 

écrit avec T Novan et Okasha

 

 

Traduction : Kaktus et Fryda

 

Table des matières

 

 

 

SIXIEME CHAPITRE

 

 

 

Le souper est terminé, les tables sont nettoyées et les chaises ont été poussées sur un côté de la pièce. On a disposé les bancs en un cercle près de la cheminée où brûle un grand feu. Asimov et Sa Majesté la chatte calico se sont installés prudemment à l’opposé l’un de l’autre sur les briques chaudes de l’âtre.

 

 

 

La vingtaine d’enfants en âge scolaire de la communauté, sont penchés sur des livres et des cahiers, assis derrière deux tables près de la fenêtre. Un enfant à la peau mate, arborant une longue tresse noire- fille ou garçon, Kirsten ne peut le dire- tapote avec détermination sur une machine à calculer à l’aide de la gomme placée au bout de son crayon. Un autre, des écouteurs reposant sur sa chevelure blonde, conjugue des verbes français. Kirsten entend son léger murmure : je suis, tu es, nous sommes, vous êtes.

 

 

 

Même après l’Apocalypse, les devoirs ont survécu.

 

 

 

Les plus âgés, au-dessus de 16 ans, y ont échappé. Ils sont assis en cercle avec leurs parents. La lueur des flammes crée des ombres vacillantes sur les visages solennels, qu’ils soient noirs, bruns, cuivrés ou blancs. Des hommes et des femmes rassemblés pour débattre et décider ce qui est le mieux pour eux.

 

 

 

Ils forment une tribu improbable, réunis ni par le sang ni par la loyauté à quelque cause, mais par un but commun. Discrètement, Kirsten regarde un à un ces visages si différents. Elle parvient à retrouver un peu de réconfort face à la diversité génétique de ce groupe, reconnaissant des traits appartenant tout autant à des Européens qu’à des hommes vraisemblablement originaires de pays sahariens. Une diversité qui pourra assurer la survivance génétique. Et si cela peut se passer ici, pourquoi pas ailleurs aussi.

 

 

 

Elle les regarde se passer tour à tour un bâton de hêtre finement sculpté et accepter ou décliner une chance de se lever pour s’exprimer. Kirsten n’est pas sociologue mais son esprit de scientifique est titillé et s’il elle avait un crayon, elle prendrait des notes. Shiloh est apparemment une sorte d’anarchie organisée : ils n’ont pas d’élections, pas de chef, pas de conseil hormis la communauté adulte au complet. Il n’y aura aucun vote. Les 180 membres de la communauté vont débattre et parvenir à un consensus, sinon la proposition sera abandonnée.

 

 

 

 

Le bâton parvient maintenant aux trois quarts de son deuxième tour du cercle. Certains n’ont pas souhaité parler, d’autres se sont juste levés pour penser à haute voix et en compagnie ; un ou deux se sont montrés franchement suspicieux envers Kirsten. Pour eux, elle représente l’Extérieur, son travail et sa réputation font d’elle une alliée du Gouvernement qu’ils ne voulaient justement pas reconnaître.

 

 

 

A une douzaine de places d’elle, un jeune homme accepte le bâton et se lève. Des cheveux bouclés entourent un visage calme et de grands yeux bruns aussi doux que ceux d’une gazelle. Micah, le menuisier kabbaliste. « J’irai. » dit-il simplement. « Je ne me battrai pas et ne porterai pas d’armes, mais j’offrirai à Kirsten toute la protection que je pourrai. » Il se rassied abruptement, presque comme s’il s’était retrouvé à l’improviste sur un territoire étranger.

 

 

 

Mais il a changé le ton du débat. Ses propos ont éveillé la détermination des autres, et la discussion porte maintenant sur ce que la communauté va faire et non sur ce qu’elle devrait faire. L’infirmier propose de récupérer tous les médicaments que le groupe pourra trouver entre la ferme et Minot. Toussaint se porte volontaire pour conduire un camion citerne et chercher de l’essence. Les autres exploreront les magasins de nourriture et aussi les fermes. La communauté a besoin de provisions pour le bétail tout autant que de nouvelles semences pour le printemps.

 

 

 

« Cela va être une sacrée expédition. » murmure Dan.

 

 

 

« C’est bien. » répond Caitlin assise de l’autre côté de Kirsten. Ses sourcils se froncent de chaque côté du tatouage en forme de trois lunes (premier quartier, pleine lune et dernier quartier) qu’elle a sur le front. « Il faut rassembler tout ce que nous pourrons, pendant que c’est possible. »

 

 

 

Elle se tait quand le bâton s’arrête dans les mains de son mari. Aidan Cameron arbore lui aussi, en parallèle des trois lunes de sa femme, un soleil éclatant sur son front. Il ressemble à un Viking, ses tresses blondes tombant pratiquement jusqu’à sa ceinture de cuir. Mais quand il parle, Kirsten reconnaît l’accent prononcé des Highlands (NDLT : montagnes d’Ecosse). « J’irai, moi aussi. » dit-il. « Et si on tombe sur ces diables mécaniques ou sur quelqu’un qui a pris parti pour eux - Chlanna nan con thighibha so’s gheib sibh feail— Fils de chien, venez tester la chair fraîche. »

 

Il brandit le bâton comme s’il s’agissait d’une épée et sa surface polie brille comme de l’acier.

 

 

 

Des rires se font entendre dans le cercle quand Alan se lève à son tour, le bâton de parole réduit à une vulgaire allumette dans sa main imposante. « Mais ces enfants de salaud digéreront-ils ces cochonneries ? » Puis son visage redevient sérieux quand il s’adresse au reste de la communauté. « Comme vous le savez tous maintenant, ‘Annie’ est en fait le Dr Kirsten Anne King, une des expertes américaines les plus réputées en intelligence artificielle et en cybernétique. Enfin, de ce qu’il reste de l’Amérique. Actuellement, elle pourrait être la seule personne survivante possédant les connaissances nécessaires pour pénétrer dans la base de Minot. C’est la seule personne que nous connaissons qui a une chance de reprendre le contrôle des droïdes. »

 

 

 

Il s’arrête et le feu donne une teinte de bronze à son visage, formant des creux imposants sous ses yeux. Un souvenir- réminiscence d’une lecture ou visite dans un musée, peut-être- remonte en elle l’espace d’une seconde : un disque d’or représentant les traits d’un visage, découvert sur les lieux de l’ancienne Mycène. Le masque d’Agamemnon Wanax, roi des hommes. Mais l’image s’efface devant Alan Stephanos, un homme bien vivant qui parle clairement. « J’irai aussi. » dit-il. « Peut-être ne retrouverons-nous jamais ce que nous connaissions. Il se peut même que nous ne voulions pas tout retrouver. Mais ce que nous avons maintenant est intolérable. »

 

 

 

Quand Alan tend le bâton à Dan, ce dernier dit seulement : « J’irai. » puis il se rassoit.

 

 

 

C’est au tour de Kirsten. Elle déteste parler en public, depuis sa tentative pour obtenir le rôle de Priscilla Mullins dans la pièce de Thanksgiving quand elle était au Ce1. Toutefois, elle ne peut pas simplement faire passer le bâton sans paraître totalement grossière envers des personnes qui vont risquer leur vie pour elle, pour l’objectif qu’elle s’est fixée et pour lequel elle a traversé la moitié d’un continent.

 

 

 

Alors elle parle. « Je n’ai jamais pensé que je pourrais obtenir de l’aide quand j’ai quitté Washington. Merci d’être prêts à prendre autant de risques. Et merci d’accueillir Lizzie et Asimov parmi vous. » Elle regarde son chien qui ronfle devant le feu et sa gorge se serre. Bon sang, je ne vais pas tomber dans la sensiblerie. « Je sais qu’ils seront en sécurité avec vous. » Puis elle rajoute une dernière fois. « Merci. » Elle s’assied et tend le bâton à Caitlin.

 

 

 

La femme rousse le saisit et reste silencieuse. Comme personne ne semble vouloir à nouveau prendre la parole, elle se lève et des yeux, fait le tour du cercle. Puis elle demande : « En sera-t-il ainsi ? »

 

 

 

« Il en sera ainsi. » répond la communauté.

 

 

 

« Bien. Ceux qui accompagneront Kirsten, veuillez rester, s’il vous plaît. A qui est-ce le tour ? »

 

 

 

« A Margot. » répondent quelques voix. Puis quelqu’un d’autre, plus fort : « Ok, tout le monde. »

 

 

 

Ils se lèvent et une vieille femme aux cheveux gris coupés très courts place ses mains ouvertes devant elle. D’une voix basse, mais tout à fait audible, elle se met à chanter.

 

 

 

Mère,

 

Ce qu’aucune oreille humaine ne peut entendre, tu l’entends.

 

Ce qu’aucun œil humain ne voit, tu le vois.

 

Ce qu’aucun cœur humain ne peut supporter, tu le transformes.

 

Ce qu’aucune main humaine ne peut faire, tu le fais.

 

Ce qu’aucun pouvoir humain ne peut changer, tu le changes.

 

Déesse d’amour, Déesse toute puissante,

 

Toi qui possède tous les pouvoirs,

 

Mère du Ciel et de la Terre, Créatrice de l’Univers ;

 

Veille sur nous jusqu’à ce que la lumière l’emporte à nouveau sur l’obscurité.

 

O gracieuse Déesse, veille sur nous durant cette nuit.

 

 

 

La réunion se termine tout de suite après ces paroles. Quelques volontaires se rajoutent encore à la douzaine de personnes qui accompagneront Kirsten le lendemain matin. Parmi eux, la moitié quittera le groupe dès qu’ils auront trouvé des provisions. Aidan, Caitlin, Alan, Dan et Micah resteront à ses côtés. Tous seront armés sauf Micah.

 

 

 

Quand il ne reste plus que Dan, Kirsten siffle Asimov et l’emmène à l’extérieur. Elle passera la nuit dans une chambre d’hôtes du bâtiment principal. Elle essaie de ne pas penser au fait que ce sera sans doute la dernière fois qu’elle dormira.

 

 

 

En dépit d’elle-même, sa gorge se serre à nouveau en voyant son chien courir dans l’espace vierge entre le porche et l’étang poursuivant des sentiers odorants invisibles pour elle et se roulant dans la neige. De l’autre côté de l’eau gelée, le long du chemin, les petites maisons occupées par les résidents permanents de la communauté sont éclairées. Elle voit les lumières s’éteindre une à une, jusqu’à ne plus être qu’une ou deux, certainement un érudit plongé dans un livre ou un artisan travaillant sur quelque chose qui ne peut attendre demain. Au-dessus d’elle, les étoiles illuminent le ciel hivernal, le scintillement bleuté de Rigel et Sirius transperçant les profondeurs de l’espace. Le rouge sang de Betelgeuse vibre juste en dessus.

 

 

 

Le visage de Dan est dans l’ombre mais son souffle forme un halo vacillant devant lui. « Il sera en sécurité ici. Si vous revenez, il vous attendra. »

 

 

 

La réponse de Kirtsen est à peine plus forte qu’un soupir. « Merci. » dit-elle simplement.

 

 

 

Merci de prendre soin d’Asimov. Merci de croire que je peux survivre.

 

 

 

Il prend sa main entre les siennes et la presse gentiment. « Dormez en paix. »

 

 

 

Alors qu’il rebrousse chemin, ses cheveux clairsemés poivre et sel brillent sous la clarté des étoiles, alors que le reste de sa silhouette est dévorée par l’obscurité. Asimov la rejoint quand elle le rappelle et ils retournent vers le porche. A quelques mètres de celui-ci, la lumière d’une fenêtre éclaire des traces qui longent le bâtiment. Des empreintes de pattes ressemblant presque à des mains humaines.

 

 

 

Un raton laveur. Pense-t-elle. Etrange qu’elle ne les ait pas vues quand elle est sortie toute à l’heure. Encore plus étrange qu’Asimov n’ait pas aboyé.

 

 

 

Avec un haussement d’épaules, elle rentre à l’intérieur, laissant l’obscurité derrière elle.

 

 

 

 

 

 

2.

 

 

 

« Combien ? »

 

 

 

« Vingt-neuf. » murmure Andrews, abaissant ses jumelles infrarouges. « Je n’arrive pas à trouver une seule tête de métal. Ces enculés ne transpirent pas. »

 

 

 

Dans les ténèbres, la prison se dresse devant eux, tel un ancien monolithe, froid et indifférent, aveugle et sourd à la souffrance. Le bâtiment est imposant, mais étroit, une sorte de doigt dressé vers un ciel indifférent. Un peu de lumière éclaire l’intérieur, indiquant une source d’électricité indépendante.

 

 

 

« Combien vous pensez qu’ils sont là-dedans ? » demande une mince jeune fille aux cheveux roux, semblant plus à sa place derrière un banc d’université que dans un uniforme militaire en brandissant une arme automatique.

 

 

 

« Si seulement je pouvais le dire. Il y en a peut-être un seul, peut-être une centaine. »

 

 

 

« Ça m’étonnerait. » Dakota fixe chaque membre de l’escadron avant de continuer. « Ces droïdes sont efficaces. Deux ou trois suffisent pour garder les vingt-neuf femmes qui sont à l’intérieur. »

 

 

 

« Deux ? » rétorque la jeune femme, soulevant son arme. « Putain, alors qu’est-ce qu’on attend ? On fonce ! »

 

 

 

« Pas si vite. » l’arrête Koda, en levant la main. « Apparemment, ils veulent garder ces femmes en vie et ils les surveillent certainement de près. »

 

 

 

« Plus de droïdes alors ? »

 

 

 

« Plus de droïdes. Disons six pour la garde elle-même et deux ou trois pour les détails administratifs ou quelque chose du genre. Et comme j’aime les chiffres ronds, on va dire qu’ils sont dix. »

 

 

 

Le visage de la jeune femme se crispe. « Dix. Bon sang, ça fait pas mal de têtes de fer blanc dans un si petit espace. »

 

 

 

« Ils seront moins nombreux quand on s’en sera occupé ! » grogne Andrews.

 

 

 

Koda sent monter d’un cran l’envie d’en découdre du petit groupe. Les hommes et les femmes autour d’elle n’attendent plus que ça. Le plan, conçu par Maggie à la base, est solide et bien ancré en chacun. Ils ont tous leur mission et savent exactement ce qu’ils doivent faire. Koda leur fait un dernier signe de tête.

 

 

 

« Restez derrière nous, M’dame. » lui lance Andrews au moment où le groupe se divise en deux et s’avance silencieusement dans la nuit en direction de la lourde porte de la prison située sur des côtés du bâtiment. Dakota ne dit rien et suit le groupe, restant dans l’ombre quand la charge de plastique est posée avec précaution avant d’exploser. Avec un ‘Woufff ‘ presque inaudible, la porte s’écroule vers l’intérieur et les soldats pénètrent dans la prison, deux par deux, leur arme brandie.

 

 

 

Deux chaînes d’humains silencieux se glissent le long des murs, comme de l’eau s’écoulant dans un évier.

 

 

 

« A terre ! » Andrews crie une seconde avant que retentisse une salve de coups de feu au dessus de leurs têtes. Toujours en groupe, ils rampent et se réfugient derrière ce qu’ils peuvent trouver. Des tables renversées, des caisses en bois ou d’autres objets désintégrés sur le sol.

 

 

 

« Rappelez-vous » les prévient Koda alors qu’ils se préparent à faire feu. « Visez leurs bras et leurs mains. Ils ne pourront plus tirer, s’ils ne peuvent plus tenir d’armes. »

 

 

 

Les autres opinent, conscients de son expérience dans la lutte contre ces droïdes.

 

 

 

« Et si vous n’y parvenez pas, essayez d’atteindre leur capteur optique. Cela déviera leur tir. »

 

 

 

Avec un signe de la main, Andrews leur fait signe de prendre leur position, et à son ordre, clairement émis dans son micro, l’escadron fait feu et débute l’assaut. Une grêle de balles s’abat un peu partout avant que les soldats ne quittent leurs positions et se mettent à avancer inexorablement.

 

 

 

Deux d’entre eux s’effondrent, Puis un troisième. Mais le groupe continue d’avancer, les doigts pressés sur la gâchette de leur puissante arme, ne cédant pas un centimètre sur le terrain qu’ils gagnent peu à peu.

 

 

 

La première vague de droïdes, quatre en tout, tombe relativement vite sous leur assaut. Le groupe continue d’avancer, prenant l’escalier en direction des cellules où sont enfermées les femmes.

 

 

 

Koda s’engage derrière eux lorsque quelque chose la heurte dans la poitrine et l’envoie brutalement sur le sol de ciment avec une telle force qu’elle lui coupe le souffle. Son arme est arrachée de ses mains et glisse sur le sol pour aller heurter un mur en faisant feu, remplissant l’air d’un bruit assourdissant.

 

 

 

Etendue par terre, elle regarde avec une sorte d’intérêt presque clinique – le choc, suppose-t-elle – Andrews qui s’abat presque sur elle, tel une espèce d’oiseau préhistorique, en criant des choses qu’elle ne parvient pas à démêler.

 

 

 

Alors, c’est ça la mort.

 

Pas si mal, finalement.

 

 

 

Le visage épais d’Andrews, couvert de taches de rousseur, se dessine au-dessus d’elle, tel une lune couverte de cratères. Ses lèvres continuent de former des mots incompréhensibles, crachant des syllabes qu’elle n’arrive toujours pas à discerner.

 

 

 

Soudain, sa vision s’obscurcit, alors que son corps se replie sur lui-même. Son diaphragme est libéré de sa paralysie temporaire. Elle recommence à respirer avec force hoquets et la douleur cuisante de ses côtes peut-être cassées lui fait clairement comprendre qu’elle n’est pas encore morte.

 

 

 

Un moment plus tard, sa vision s’éclaircit et elle voit à nouveau le visage d’Andrews, rempli d’inquiétude.

 

 

 

« Vous allez bien ? »

 

 

 

Enfin des mots qu’elle peut comprendre. Elle acquiesce.

 

 

 

Un sourire se dessine sur ses lèvres alors qu’il l’aide à s’asseoir. Elle regarde sa poitrine. Un large trou a déchiré sa veste blanche juste en dessous de son cœur, et elle le regarde avec un étonnement respectueux.

 

 

 

« Ils font des trucs surprenants avec la céramique, de nos jours, hein ? » demande gaiement Andrews.

 

 

 

« Bon sang. » C’est tout ce que peut répondre Koda.

 

 

 

Se relevant lentement, elle permet à Andrews de la soutenir jusqu’à ce que ses jambes soient réaccoutumées au fait qu’elles ne vont pas aller si vite nourrir les vautours.

 

 

 

« P-Peut-être que vous devriez aller attendre dehors, M’dame. » murmure un Andrews toujours inquiet.

 

 

 

Koda lui lance un regard qui lui ferme la bouche. « Chesli. »

 

 

 

« Euh… je crois que je préfère ne pas savoir ce que ça veut dire, M’dame. »

 

 

 

Le regard perdure.

 

 

 

« Je le crois aussi. »

 

 

 

Prudemment, le jeune homme se détourne un instant, puis la regarde à nouveau. « Ils- Ils ont pris le deuxième et le troisième étage. Hobbs et Jackson sont dans la salle de contrôle et tentent d’ouvrir les cellules. »

 

 

 

Une sirène retentit à travers tout le bâtiment, indiquant le succès de leur entreprise. Koda se précipite vers l’escalier, montant les marches, deux par deux. Andrews secoue la tête et la suit.

 

 

 

Au deuxième étage, c’est le chaos, mais sous contrôle. Plusieurs droïdes ont été neutralisés, poussés dans une cellule dont on a fermé les portes manuellement. Des femmes en état de choc, misérablement vêtues, couvertes de bleus, parfois même maculées de sang, tournent en rond, ressemblant presque à du bétail qu’on mènerait à l’abattoir. A l’étage supérieur, on entend soudain des coups de feu sporadiques qui font gémir les femmes, tandis que les soldats regardent de tous côtés, espérant repérer les droïdes qui restent avant qu’ils ne les repèrent eux.

 

 

 

« Hanson, Siebert et Reeves, emmenez ces femmes en lieu sûr. Johnson et Larke, partez en avant. Tirez sur tout ce qui bouge. »

 

 

 

Les ordres de Dakota sont clairs et précis. Les soldats acquiescent avec gravité.

 

 

 

Andrews et Dakota fixent l’escalier menant à l’étage supérieur et soudain, poussent en arrière les femmes et les soldats, tout en faisant feu. Deux droïdes viennent d’apparaître au haut des marches, leurs doigts de métal pressés sur la gâchette de leur Uzi. Les balles sifflent comme des moustiques affamés et ricochent sur les portes en acier des cellules.

 

 

 

« Partez ! » crie Koda à l’intention des soldats chargés d’emmener les femmes. « Maintenant ! »

 

 

 

Le cri brise leur paralysie. Ils rassemblent les femmes et les poussent vers l’étage inférieur.

 

 

 

Koda fait exploser le capteur optique du premier droïde, mais le deuxième continue d’avancer. Toutefois son Uzi tire de façon sporadique. De là où ils se trouvent, ils peuvent sentir la chaleur de l’arme qui fatigue.

 

 

 

« Crève, espèce de saloperie ! » Andrews se précipite sur les premières marches et dégoupille la grenade qu’il tient entre ses mains. Puis il la lance sur l’espèce de gilet porté par le robot.

 

 

 

Dakota rattrape le soldat quand il se jette en arrière et tous deux se retrouvent à genoux sous la force de l’explosion.

 

 

 

« C’était le dernier, Lieutenant ! » crie une voix de femme à travers la fumée et les débris.

 

 

 

Andrews et Koda se relèvent en entendant le bruit des bottes sur les marches. Des corps se matérialisent à travers la fumée et le reste des prisonnières apparaît devant eux. Les yeux de Koda s’écarquillent.

 

 

 

« Qui sont ces hommes ? »

 

 

 

Martinez regarde les trois hommes couverts de poussière qui se trouvent au milieu des femmes, et hausse les épaules. « On les a trouvés avec les autres. Ce sont des humains. »

 

 

 

Un masque de pierre s’abat sur le visage de Koda quand elle remarque le regard des femmes qui s’écartent des hommes en question. « Je n’en suis pas si sûre. » murmure-t-elle. Ignorant le regard interrogateur d’Andrews, elle observe le petit groupe et croise un regard calme et mesuré. Elle fait signe à la femme à qui il appartient.

 

 

 

Elle semble plus âgée que les autres et s’avance vers la vétérinaire. « Merci. » dit-elle avec un ton vibrant de sincérité.

 

 

 

« Je vous en prie. » répond Dakota, avant de désigner les trois hommes. « Qui sont-ils ? »

 

 

 

« Ils étaient ici avant que nous soyons capturées. » La voix de la femme est plate et sans émotion. « Des prisonniers, je suppose. »

 

 

 

« Et ? » Koda hausse les sourcils.

 

 

 

« Nos violeurs. »

 

 

 

Sifflant entre ses dents, Andrews lève son arme et indique aux hommes de s’écarter.

 

 

 

« Attendez. » ordonne Koda, une main levée. Elle regarde la femme.

 

 

 

« Vous toutes ? »

 

 

 

« Oui. »

 

 

 

« On les a forcés ? »

 

 

 

« Non. Ils étaient consentants. »

 

 

 

« Cette salope ment ! » crie un des hommes, se débattant alors qu’on l’empoigne. « Elle ment ! Sale garce ! »

 

 

 

Il se tait lorsque le canon d’un revolver vient se presser contre sa tempe. Koda le fixe, puis regarde à nouveau vers le groupe de femmes, ses yeux s’arrêtant sur une fillette qui ne doit pas avoir plus de treize ans.

 

 

 

« Elle aussi ? »

 

La femme hoche la tête.

 

 

 

« C’est fini pour toi. » grogne Andrews, ajustant son arme. « Tu vas mourir maintenant. »

 

« Attendez ! » ordonne à nouveau Koda.

 

 

 

« Mais… »

 

 

 

« S’il vous plaît. »

 

 

 

Lentement, Andrews abaisse son arme, le regard interrogateur.

 

 

 

« Mettez-les dans les cellules. » continue Koda. « Un dans chacune. »

 

 

 

Alors que les soldats exécutent les ordres, Andrews se précipite vers elle, le visage crispé par la colère. « Pourquoi ? Pourquoi vous laissez ces salopards en vie ? »

 

 

 

« En vie ? » Koda hausse les épaules. « Oh, je suppose qu’ils vont survivre, oui. Pendant quelque temps. Jusqu’à ce qu’ils crèvent de faim et de soif. » Son sourire est glacial. « Il n’y aura personne aux alentours pour s’en préoccuper. »

 

 

 

Sa voix a porté jusqu’aux hommes qu’on est en train d’enfermer et ils se mettent à se débattre à nouveau, implorant la pitié. Les cris s’arrêtent abruptement quand les lourdes portes des cellules se referment sur eux.

 

 

 

Puis Koda se retourne vers Andrews. « Je pense qu’ils ne méritent pas une mort trop rapide. » Elle fixe ensuite la femme toujours debout près d’elle. « N’est-ce pas ? »

 

 

 

Après un moment, un sourire de prédateur naît sur les lèvres de la femme. Elle hoche la tête alors que les autres femmes se précipitent en avant, libérées, leur adressant leurs propres remerciements.

 

 

 

« Bien. Sortons d’ici maintenant. »

 

 

 

 

 

 

 

3.

 

 

 

Le convoi se prépare à partir juste avant l’aube. En tête, le moteur du camion citerne, qui pourra servir de bélier provisoire en cas de besoin, crache de la fumée nauséabonde dans l’air froid. Deux pick up le suivent. L’un sera occupé par Aidan et Dan, transportant deux fusils de chasse, dissimulés derrière leur siège. Caitlin et Alan suivront puis d’autres pick up encore, ainsi qu’un mobilhome qui fermera la marche, où seront installés une demi douzaine de volontaires et deux fois autant d’armes.

 

 

 

Le monde se fond dans une monotonie de blancheur, sous l’infime lueur du jour qui naît, éclairant faiblement les traces grises laissées dans la neige par les pneus. La vapeur des tasses de café se mélange à celle des respirations. Toussaint et Micah, qui semblent s’être improvisés coordinateurs du projet par un processus étranger à Kirsten, contrôlent une dernière fois que les armes, la nourriture et les autres équipements sont bien en place.

 

 

 

Kirtsen a fait ses propres préparatifs. Elle s’est séparée de ses médicaments, ses boîtes de conserve ainsi que des jerrycans vides. Ils ont été remplacés par une glacière contenant, ce qu’elle appelle, avec respect, de la vraie nourriture. Avec aussi de l’eau et de l’essence supplémentaire. Des valises spéciales, qui ne sont plus cachées sous le reste, contiennent les objets qui lui seront utiles une fois à Minot.

 

Mais elle ne parvient pas à chasser l’impression qu’elle a oublié quelque chose.

 

 

 

Arrête. Arrête ça tout de suite, bon sang !

 

 

 

Ce n’est pas quelque chose qu’elle oublie. Mais quelqu’un qu’elle laisse derrière elle.

 

 

 

Et avec lui, elle laisse derrière elle toute la vie qu’elle a vécue avant l’insurrection. Elle abandonne aussi cette idée si plaisante lui disant que peut-être elle pourrait survivre. Son voyage a consisté dès le début en une mission suicide.

 

 

 

Ses pensées sont interrompues par le claquement de la porte qui s’ouvre et un petit paquet qui vient heurter le sol de la camionnette. « Mes livres. » dit Micah, à bout de souffle. « Je conduis si vous voulez avoir les mains libres. »

 

 

 

Pour porter un fusil, sous-entend il.

 

 

 

« D’accord. »

 

 

 

Kirsten se glisse sur le siège passager tandis que Micah crie quelque chose en direction du camion citerne. On lui répond d’un cri identique avant qu’il s’installe derrière le volant et attache sa ceinture. Kirtsen sourit faiblement. « Dites-moi que je n’ai pas entendu ce que je viens d’entendre. »

 

 

 

« Ok. » La barbe de Micah laisse apparaître un sourire. « Vous ne l’avez pas entendu. »

 

 

 

Mais le cri se répercute en écho le long du convoi. « CHAAAARIOTS, EN AVANT !! » Kirsten le regarde, incrédule.

 

 

 

« Eh oui. » Micah répond à sa question muette. « Toussaint est le dernier fan de Gunsmoke. »

 

(NDLT : Gunsmoke est une série télé style western qui a été diffusée aux Etats-Unis, entre 1955 et 1975. En France, on la connaît sous le titre de Police des Plaines ou Le justicier. »

 

 

 

La route principale est toujours recouverte d’une couche de glace. Le poids du camion citerne en brise une partie, traçant le chemin pour les véhicules suivants. Ils avancent lentement, toutefois, et un sentiment d’urgence naît en Kirsten. Le monde derrière la vitre de la camionnette est totalement blanc. Aussi loin qu’elle peut regarder, elle ne voit que la surface plate des champs en jachère, occasionnellement interrompus par la bosse d’une colline ou celle d’une cabane basse recouverte par la neige. Toute cette neige qui s’est accumulée le long des barrières, avalant entièrement certains des poteaux, en laissant d’autres à peine découverts, surgissant de la masse en longues lignes bien droites.

 

 

 

« Des os de dragons. » lui dit Micah, qui a suivi son regard.

 

 

 

Les derniers kilomètres ont été silencieux et Kirsten sursaute au son de sa voix. « Pardon ? Des dragons ? »

 

 

 

« Ou des dinosaures. » Micah prend une gorgée de café tandis que l’allure du convoi ralentit à nouveau. « J’ai grandi à Lubbock, au Texas. L’endroit le plus plat du monde. Quand j’étais môme, je prétendais que les pompes à essence étaient des vélociraptors. En hiver, la neige les recouvrait et je m’imaginais en train de découvrir de vrais fossiles. » Il sourit. « Bob Bakker était mon héros. »

 

« Bakker. » Kirsten rassemble ses souvenirs. « Les T-Rex et les météorites. – non, faux. Ça c’était Alvarez. Bakker a prétendu que les T-Rex étaient des animaux à sang chaud et portaient des plumes. Il a écrit ‘Le Raptor rouge.’ »

 

 

 

« Exact. La scène ou les deux filles font du toboggan sur la colline enneigée était ma favorite. Trop cool. »

 

(NDLT : Bob Bakker est un célèbre paléontologue américain, qui a aussi écrit un livre de fiction sur la vie d’un Utahraptor.)

 

 

 

Leur passion d’enfants commune pour les brontosaures et les iguanodons nourrit la conversation entre eux jusqu’à midi. Ils ont peut-être parcouru 80 kilomètres quand la route tourne enfin. Ils se sont arrêtés deux fois pour écarter des arbres tombés en travers du chemin, une autre fois pour dégager une voiture abandonnée. Ils sont partis depuis quatre heures quand l’estomac de Kirsten gargouille soudain.

 

 

 

« Moi aussi. » dit Micah.

 

 

 

« Je vais chercher les sandwiches. » Kirsten se retourne vers le siège arrière et jette un coup d’œil par la fenêtre de la camionnette. Quelque chose court le long de la route, en bordure de la forêt, bondissant dans la neige comme un renard attaquant une souris.

 

 

 

C’est trop grand pour être un renard.

 

 

 

Micah l’a vu aussi. « Regardez. C’est un loup. »

 

 

 

« Oui, je vois. Fromage ou beurre de cacahuètes ? »

 

 

 

« Beurre de cacahuètes. Merci. »

 

 

 

Kirsten se réinstalle sur son siège et entreprend de retirer le papier autour de son sandwiche quand elle regarde à nouveau par la fenêtre. « Merde ! » grogne-t-elle. « Putain de bordel de merde !! »

 

 

 

« Mmmffhmmm ? » la questionne Micah la bouche pleine.

 

 

 

« Stop ! »

 

 

 

Micah freine brutalement et klaxonne pour avertir Dan juste devant eux. A peine la camionnette arrêtée, Kirsten saute à l’extérieur et commence à se frayer un chemin dans la neige qui lui arrive aux genoux.

 

 

 

Un aboiement aigu et clairement joyeux lui répond, et quelques secondes plus tard, Asimov se jette sur elle, les pattes posées sur ses épaules, alors qu’une langue baveuse la salue à sa manière. Un autre aboiement, cette fois contre son visage, et il passe derrière elle, sautant sur le siège passager à sa place habituelle dans la camionnette. Kirsten grimpe derrière lui, essuyant son visage avec sa manche. « Sale cabot ! J’ai laissé toute ta nourriture à Siloh ! Comment tu t’es échappé ? Et comment je vais te nourrir ? »

 

 

 

« C’est ok, ne vous faites pas de souci, on le reprendra avec nous. » la tranquillise Micah. « On trouvera sûrement à manger quand on arrivera à Moorhead. »

 

 

 

Kirsten serre les dents, retenant les larmes embarrassantes qui pointent au coin de ses yeux. Asimov se serre contre elle en gémissant et elle ne peut s’empêcher de l’entourer de son bras. Avec tact, Micah se détourne, puis coupe un morceau de son sandwiche. « Hé, mon gars, tu aimes le beurre de cacahuètes ? »

 

 

 

 

4.

 

 

 

Le regard de Koda fait le tour des survivants debout dans la salle de garde de la prison. L’endroit est étrangement propre : pas d’emballages de Mac Donald, pas de cannettes de Pepsi ou de Coca, pas de papiers non plus entassés en pile sur le bureau de l’officier responsable. S’il n’y avait les taches de sang sur le sol, la pièce serait aussi propre qu’un cabinet médical. Mais c’est une des choses qui ont plu chez les droïdes : pas besoin de ramasser leur caca.

 

Koda fait un compte rapide des femmes entassées dans le coin de la pièce : ving-six.

 

 

 

Mais non, pas vraiment. Il y a ving-cinq femmes et une petite fille.

 

 

 

Un voile rouge passe devant les yeux de Koda. Il y a une légende dans sa famille, l’histoire d’un homme de loi blanc qui a violé la plus jeune sœur de sa grand-mère. Son mari et son frère ont attaqué cet homme une nuit sur une route isolée puis l’ont laissé au plus profond d’une mine abandonnée, ses testicules clouées contre un poteau. Ils lui ont aussi laissé un poignard et un choix.

 

 

 

Mais elle a d’autres choses à quoi penser en ce moment. Elle lance d’une voix rauque : « Siebert, Hobbs. »

 

 

 

« M’dame ? »

 

 

 

« Trouvez un magasin de vêtements et ramenez quelque chose de chaud pour ces femmes. Blanc si possible. »

 

 

 

« Oui, M’dame. »

 

 

 

« Il a y un magasin d’articles de sport pas loin d’ici. » dit la femme plus âgée qui a déjà parlé pour le groupe. « Du moins, il y en avait un. » Puis, « Qui êtes-vous ? »

 

 

 

« Désolée. Ceci est un groupe libre de l’armée des Etats-Unis, sous le commandement du Colonel Margaret Allen. Je suis Dakota Rivers. »

 

 

 

« Oh, Dieu merci. » La femme laisse échapper un long soupir tremblant. « Nous ne savions pas s’il y avait des survivants… »

 

 

 

« Que va-t-il se passer pour nous ? » interroge une jeune femme âgée d’une vingtaine d’années, aux longs cheveux blonds soigneusement peignés. Ce n’est pas de la coquetterie, réalise Koda, mais un fragment de dignité.

 

 

 

« Nous devons vous emmener en lieu sûr. Vous connaissez les environs mieux que nous. Où pourrions-nous vous laisser quand nous repartirons ? »

 

 

 

« Il y a le camp scout. » C’est la petite fille qui a répondu. « Il n’y a personne là-bas. J’ai l’habitude d’y aller chaque été avec mes… » Elle s’arrête et déglutit péniblement, mais ses yeux restent secs. « Mes deux frères. Brian était chef scout. »

 

 

 

Koda maudit silencieusement le ciel et les personnes responsables de ce désastre. Une enfant ne devrait pas avoir besoin de retenir ses larmes. C’est une chose réservée aux adultes. Elle fait un pas vers l’enfant, dans le but de l’étreindre, mais voit le recul imperceptible de celle-ci. La toucher maintenant la briserait.

 

 

 

A nouveau, le même voile rouge passe devant ses yeux. Elle aimerait tuer quelqu’un et le tuer lentement. Sa vision se rétrécit et fixe un point unique. Ceci, pense-t-elle, doit être ce que ressent Wiyo quand il plane et soudain fixe sa proie. Ou la louve, quand elle aperçoit un élan dans la neige. C’est une envie de sang frais qui fait saliver et qui ne peut juste être satisfaite par une lame de métal.

 

 

 

Elle secoue la tête et revient à la situation présente. « Ça semble un bon endroit. Qu’en pensez-vous ? »

 

 

 

La plupart des femmes acquiescent mais l’une d’entre elle lance : « Non ! Je veux d’abord essayer de retrouver ma famille. »

 

 

 

« Chérie. » C’est à nouveau la femme la plus âgée qui parle. « Chérie, si ta famille est en lieu sûr, tu ne la trouveras pas. S’ils n’ont pas réussi à s’échapper… il vaut mieux que tu ne les retrouves pas. »

 

 

 

« Elle a raison, vous savez, M’dame. » intervient calmement Andrews. « Si votre famille est en vie, la meilleure chose que vous puissiez faire pour eux est de rester en vie vous-même. »

 

 

 

« Bien. » conclut Koda, fouillant dans sa poche à la recherche d’une liste qu’elle a déjà préparée et d’un stylo. Elle s’adresse à la plus jeune. « « Pourrais-tu… » Elle s’interrompt et recommence plus doucement. « Comment t’appelles-tu ? »

 

 

 

« Donna. »

 

 

 

« Donna. Est-ce que tu sais comment aller à ce camp ? »

 

 

 

Donna hoche la tête.

 

 

 

« Super. Peux-tu montrer le chemin sur la carte au Lieutenant Andrews ? »

 

 

 

Pendant qu’ils déplient la carte sur une table, Kodda rajoute les mots mifepristone (NDLT : médicament plus connu sous la dénomination ‘pilule du lendemain’ » et oxytocin (NDLT : médicament aidant le déclenchement des contractions) à la liste des médicaments notés sur sa feuille.

 

« Johnson et Martinez. Trouvez une pharmacie et ramenez tout ce que vous trouverez sur cette liste. S’ils ont des médicaments à base d’herbes, rapportez-en aussi. » Elle songe aux actées à grappes bleues ou noires, utilisées depuis longtemps par son peuple pour faciliter l’accouchement ou pour stopper une grossesse non désirée. Si ce qu’ils ont découvert dans cette prison s’est passé aussi ailleurs, alors ils auront besoin de ce genre de remèdes.

 

 

 

Johnson parcourt rapidement la liste, puis rencontre le regard de Koda. Elle salue. « On y va, M’dame. »

 

 

 

« Hanson, Larke. Nourriture et véhicules. Et inspectez le garage de la prison. Contrôlez si la voiture du shérif fonctionne et s’il y a de l’essence dans leur pompe. Reeves, rassemblez toutes les armes que vous pourrez trouver ici. Puis aidez Hanson et Larke. »

 

 

 

« Bien, M’dame. » Les soldats se dispersent pour exécuter ses ordres et Koda s’étonne d’une telle cohésion. Ils travaillent ensemble comme s’ils se connaissaient depuis leur premier camp d’entraînement, alors qu’ils proviennent tous de troupes aussi différentes que l’Armée de l’air, de terre et la marine. Pour couronner le tout, ils obéissent à une vétérinaire civile. « Le plus vite possible. » rajoute-t-elle. « Nous repartons dans une heure et demie. »

 

 

 

Finalement, ils ont terminé quinze minutes avant l’heure prévue. Un camion rempli de provisions est prêt à partir et les femmes rescapées sont toutes installées sur les motoneiges derrière les soldats. Deux engins sont pilotés par les anciennes captives elles-mêmes. Une demi douzaine de soldats n’ont pas de passagères et sont placés devant et derrière le petit convoi, les armes prêtes à l’emploi. Koda va s’installer en tête. Elle se sent froide à l’intérieur. C’est une chose d’arrêter l’ennemi, mais c’en est une autre de remplacer ce qu’il a volé.

 

 

 

Elle regarde au-dessus d’elle et voit le faucon planer, sa queue couleur rouille tranchant avec le bleu aiguisé du ciel hivernal. Lelah wakan. C’est un bon signe.

 

 

 

 

 

5.

 

 

 

Trois nuits plus tard, ils campent en forêt près du Lac aux Mortes. Le groupe chargé de ramener les provisions a déjà quitté le convoi à East Grand Forks, juste avant de traverser la Red River. Demain, ceux qui restent rebrousseront chemin et Kirsten se rendra seule à Minot.

 

 

 

Ils sont encore assez éloignés de la base pour se risquer à faire du feu et les pins de la forêt empêchent toute surveillance aérienne.

 

 

 

« Assieds-toi Aidan. » Dan tapote la souche près de lui. « Nous devons jouer la persuasion. »

 

 

 

Kirsten regarde les visages autour d’elle, éclairés par le feu, et comprend avec certitude ce qui va suivre. « Non. » intervient-elle. « Merci. Mais c’est non. »

 

 

 

« Kirsten. » lance Alan. « Ça n’a aucun sens de repartir maintenant. Au moins, laissez-nous vous accompagner encore pendant quarante ou cinquante kilomètres. »

 

 

 

« Et avant que vous refusiez de nouveau, » l’interrompt Caitlin en repoussant toute objection, « Rappelez-vous que personne n’a la moindre idée du périmètre de sécurité qui les entoure. S’il est nul, tant mieux. Mais s’ils ont placé des barrages routiers ou des pièges, vous aurez une bien meilleure chance de vous en sortir si vous n’êtes pas seule. »

 

 

 

« Et une bien meilleure chance que vous soyez tous tués. »

 

 

 

Dan répond doucement. « C’est un risque que nous devrons prendre chaque jour à partir de maintenant, ma chère. Ce n’est pas pire de le prendre avec vous. »

 

 

 

« Vous êtes rusée. » ajoute Aidan. « Mais vous serez seule. Parfois les muscles peuvent rendre service, aussi longtemps qu’ils ne se trouvent pas entre les oreilles. »

 

 

 

Couché aux pieds de Kirsten, Asimov gémit et dresse la tête. Kirsten le fait taire. « Non. S’ils ont une ligne défensive, une personne aura plus de chance de se glisser au travers qu’une demi-douzaine, sans mentionner les véhicules. D’ailleurs, j’abandonnerai la camionnette avant d’y arriver. »

 

 

 

« Vous ne pourrez pas repartir sans elle. » objecte Micah.

 

 

 

Elle hausse les épaules. « Il y a des véhicules sur la base. J’en volerai un. »

 

 

 

Asimov gémit à nouveau. « Ecoutez, j’apprécie ce que vous voulez faire. Vraiment. Mais, là, il faut que j’emmène Asi faire un petit tour. Nous revenons dans quelques minutes. »

 

 

 

Elle appelle le chien et ils s’enfoncent tous deux entre les arbres. Ils ne sont pas assez épais pour cacher le ciel et la pleine lune se reflète sur la neige. Depuis trois jours, elle n’a jamais été seule, sauf pour dormir et encore. Même si elle apprécie l’intérêt qu’ils lui portent et plus encore, elle l’admet, leur amitié, elle se sent un peu étouffée par tant de personnes autour d’elle.

 

 

 

Et puis, elle veut un peu de temps avec Asi. Cet adieu-ci sera plus difficile que le premier.

 

 

 

Le berger allemand gambade près d’elle, son pelage noir et argent se mêlant aux ombres et à la neige. Il semble aussi content qu’elle de s’éloigner un peu des autres, et elle caresse sa tête pendant qu’ils marchent.

 

 

 

Une dizaine de mètres plus loin, elle stoppe en entendant le son très faible mais perceptible de pas légers sous les arbres, en bordure d’une petite clairière. Asi se fige, les oreilles dressées, sa queue battant l’air de gauche à droite. La main de Kirsten se pose sur son arme.

 

 

 

Elle reste immobile, sans oser respirer pendant un long moment, alors que le bruit se rapproche. Pas un humain, pas un robot non plus. Et c’est la mauvaise saison pour les ours. Asimov gémit. Elle a l’impression de voir une ombre pâle bouger de l’autre côté de la clairière. Asi émet un petit jappement de salutation. Pas de réponse.

 

 

 

Kirsten fait un pas en arrière, ses yeux ne quittant pas l’espace entre les arbres, là où elle a vu un mouvement. « Viens, mon chien. Il faut rentrer. »

 

 

 

Alors qu’elle recule encore, un loup apparaît dans la clairière, son pelage blanc étincelant sous la lune. Asimov regarde Kirsten. Puis comme s’il se débarrassait d’une laisse qu’il n’a pas, il bondit et disparaît entre les pins. Pendant une seconde, le loup reste là, fixant Kirsten avec des yeux qui semblent rougeoyer dans la pale lueur. Puis, lui aussi, disparaît.

 

 

 

Je devrais le suivre. Pense-t-elle.

 

 

 

Mais elle ne bouge pas, et après un moment, elle se détourne et rentre au campement.

 

 

 

Il valait mieux qu’il soit libre.

 

 

 

Libre comme elle. Et seul.

 

 

 

 

 

6.

 

 

 

La lune se déplace lentement au dessus des pins, s’encadrant dans la fenêtre. Sa clarté forme des halos sur la neige, un mélange d’ombres et de lumière ressemblant à des fantômes en balade. De quelque part dans les bois lui parvient un cri guttural, un son qui semble commencer quelque part dans l’élément vital de la terre elle-même, passant à travers les crevasses des montagnes pour trouver enfin son chemin dans une gorge humaine. Une seconde voix lui répond, puis une troisième. D’autres encore la rejoignent jusqu’à ce que le son envahisse les os de Koda, glissant le long de ses muscles en un chant plus ancien que son peuple, plus ancien même que son espèce. Elle sent fléchir ses tendons, sa colonne vertébrale se reconfigurer. Les odeurs lui ramènent l’histoire des jours passés : la sueur, le sang, le parfum de l’accouplement humain. Par-dessus toutes les autres persiste la puanteur âcre de la poudre à canon, qui signifie la mort pour elle et ses enfants. Ses jambes se replient sous elle, prêtes à bondir, et elle se retrouve sur ses pieds et bien réveillée, près des braises du feu et du M-16 posé non loin.

 

 

 

Un rêve. Rien qu’un rêve.

 

 

 

Pas seulement. La meute des loups, à des kilomètres de là, sur les collines, hurle toujours alors qu’ils bondissent dans la neige. Elle sent encore l’odeur de fumée noire accrochée à ses vêtements. Pourtant la nuit est paisible. Les rescapées de la prison de Mandan dorment dans les lits solides de la cabane, certaines ronflant doucement, d’autres murmurant dans leur sommeil. Koda se penche pour agiter les cendres rougeoyantes dans l’âtre et y rajouter deux autres bûches. Construit dans les années 30 par des travailleurs de la WPA, (NDLT : Work Projects Administration : organisme chargé de créer des emplois) le camp Sitting Bull- autrefois nommé Camp Custer, d’après les inscriptions pas encore totalement effacées sur les portes, est plutôt confortable malgré sa simplicité. Koda passe à pas lents entre les lits à étages. Tout va bien. Toujours sans bruit, elle se glisse à l’extérieur, sans savoir exactement pourquoi, sauf qu’elle est certaine que quelque chose l’attend. La lune est pleine et projette des ombres alentours. Elle se dirige sans hésiter vers un banc de pierre installé sous des grands pins. De là, elle peut voir la fumée s’échappant de trois autres cabanes, l’une occupée par les autres rescapées, les deux autres servant de baraquement temporaire pour sa troupe.

 

 

 

Sa troupe. Elle tourne la phrase dans sa tête, l’examinant sous tous les angles. Elle provient d’une longue lignée de guerriers. Le grand-père de son grand-père a suivi Tschunka Witco, que les blancs appelaient Crazy Horse, le long de la Powder River et sur les plaines herbeuses près de la Little Big Horn. Sa mère est apparentée à Nuage rouge. Elle a la bataille dans le sang et elle le sait depuis longtemps. Plus d’une fois, quand elle était enfant, elle a pleuré à cause de ses visions qui l’appelaient à se battre pour sa nation et son pays, pour rendre les Collines sacrées au peuple Lakota. Mais les visions sont restées des visions et elle devenue ce qu’elle est maintenant : une femme guérisseuse.

 

 

 

Sa troupe. Un chef Lakota ne commande pas à une troupe. Les guerriers le suivent parce qu’il est couronné de succès, pas à cause de son rang. Malgré la dissonance culturelle et son statut de civile, elle sait qu’elle est devenue une chef et que ces hommes et ces femmes qui la suivent vers le nord et ses dangers font partie de sa troupe. Andrews a beau être le leader désigné pour cette mission, il s’en réfère à elle, comme le font aussi les autres. Le respect que lui montrent certains reflète celui, évident qu’ils portent à son cousin Manny ; d’autres suivent l’exemple de leur Colonel qui pour eux représente plus que tout. Mais cela n’explique pas la camaraderie instantanée qui s’est installée avec Maggie elle-même.

 

 

 

Cela n’explique pas la familiarité.

 

 

 

Peut-être est-ce le souvenir d’un autre temps, quand elle n’était pas Dakota Rivers. Peut-être est-ce le souvenir de Ina Maka, la déesse Mère elle-même, qui s’est glissée en elle, dans son esprit et ses os, provenant directement de ce pays qui a été si longtemps un champ de bataille, imbibé par le sang des Lakota et des autres Nations indiennes. Si elle écoute avec son esprit, elle peut presque entendre la guerre, le fracas du métal ; elle peut presque sentir l’odeur du sang et de la sueur. Quand elle regarde le ciel, elle peut presque voir se déplacer les étoiles à travers les années. Presque.

 

 

 

Et elle voit soudain une flèche lumineuse traverser le ciel entre les étoiles. Une météorite, peut-être, qui rougeoie en plongeant vers la terre. Ou un satellite, qui fait maintenant partie d’un autre monde, continuant à tourner sur son orbite, ou peut-être bien que comme la météorite, il est en train de brûler en traversant l’atmosphère.

 

 

 

« Ma mère avait l’habitude de dire qu’une étoile filante signifiait la mort de quelqu’un. »

 

 

 

Koda se retourne vers celle qui a parlé. Il s’agit de Sonia Mandelbaum, la femme de la prison, maintenant vêtue chaudement d’une veste en Polartec et de bottes. « Vous n’arrivez pas à dormir ? » demande Koda. « Je peux vous donner quelque chose pour ça. »

 

 

 

La femme secoue la tête. « Non, merci. Je préfère affronter mes démons plutôt que les nier à l’aide de médicaments. »

 

 

 

Koda l’invite à s’asseoir sur le banc de pierre à ses côtés, et la femme s’exécute, son souffle formant un petit nuage devant sa bouche. Même dans la pale lueur, Koda voit que ses yeux sont gonflés. Elle reste silencieuse un long moment, son regard suivant la trace de la météorite. « Alors ? Vous comprenez quelque chose à tout ceci ? »

 

 

 

« Vous parlez de l’insurrection ? »

 

 

 

Sonia acquiesce. « Oui. Et ce qui nous est arrivées. »

 

 

 

« L’insurrection- non. Tout ce que nous en savons, c’est qu’elle est mondiale et à première vue coordonnée. Le reste… Que pouvez-vous m’en raconter ? »

 

 

 

« Il n’y pas grand-chose à dire. »

 

 

 

Après un moment, elle commence. « Nous avions une boulangerie, mon mari et moi, avec une demi douzaine d’employés et un couple de droïdes chargés de nettoyer, de faire les livraisons et les courses. Des modèles tout neufs. Nick venait de les remplacer. »

 

 

 

« Nick est votre mari ? »

 

 

 

« Etait mon mari. » Sonia s’arrête un instant puis reprend. « Je venais de terminer un gâteau de mariage. Nick était en train d’emballer des petits pains juste sortis du four. J’ai entendu quelqu’un crier dans la rue et me suis approchée de la fenêtre. Nous avons parfois eu des problèmes à Mandan avec quelques skinheads. Une fois, des croix gammées ont été dessinées sur nos fenêtres. Mais cette fois, ce n’était pas des anti-sémites. »

 

 

 

« Les droïdes. » Ce n’est pas une question.

 

 

 

« Les droïdes. Un des nôtres a saisi Nick par derrière et lui a brisé la nuque. » Elle fait un mouvement avec ses mains. « Juste comme ça. Puis ils ont tué Bill et Lalo, qui étaient nos employés. » De nouveau le même geste. « Juste comme ça. »

 

 

 

« Mais pas les femmes. »

 

 

 

« Non, pas les femmes. Ils nous ont entassées dans le camion de livraison et nous ont emmenées à la prison. »

 

 

 

Elle se crispe au son des bottes qui écrasent la glace derrière elles. Koda se retourne, dégainant son arme, pour se retrouver face à Reese qui prend son tour de garde. Il est clairement surpris de les trouver dehors dans le froid, mais trop discipliné pour en faire la remarque. Il salue. « M’dame. »

 

 

 

« Allez-y ! » Koda résiste à l’envie de lui rendre son salut, et se réinstalle sur le banc. Quand les pas s’éloignent sur le sentier en direction de la cabane suivante, elle reprend : « Ils ont emmené seulement les femmes en âge d’être mère ? »

 

 

 

« Oui. Ils nous ont demandé à quand remontaient nos dernières règles, avant qu’ils ne nous enferment dans les cellules. » Elle tourne un regard tourmenté vers Dakota. « Je leur ai dit le mois dernier, mais ça fait plus d’un an. »

 

 

 

Très gentiment, Koda demande : « Comment avez-vous su que c’était la bonne réponse ? »

 

 

 

« Une des jeunes femmes leur a dit qu’elle avait eu une hystérectomie, je crois qu’elle était institutrice. Ils l’ont emmenée à l’extérieur et nous l’avons entendue crier. On ne l’a jamais revue. »

 

 

 

« Je vois. »

 

 

 

« Alors, j’ai menti. Les viols ont commencé le jour suivant. »

 

 

 

Koda se souvient de sa première conversation avec Maggie. Abattre les veaux, épargner les génisses et les vaches pour faire d’autres veaux et envoyer à la boucherie les vaches plus âgées qui ne peuvent plus mettre bas. Mais cela n’a aucun sens. Les droïdes ne mangent pas.

 

 

 

Si ce n’est pas pour de la nourriture, alors quoi ? Des esclaves ?

 

 

 

Cette possibilité ne semble pas plus plausible que la première. C’est vrai, les esclaves nés esclaves, qui n’ont jamais connu d’autre vie, seront plus dociles que ceux capturés déjà adultes ou même encore enfants. Mais les esclaves ont besoin de maîtres. Et les droïdes n’ont pas plus besoin d’esclaves qu’ils n’ont besoin de nourriture.

 

 

 

Quelqu’un qui contrôlerait les droïdes alors ?

 

 

 

Koda reprend. « Sonia, avez-vous vu ou entendu les droïdes recevoir une quelconque transmission de quelqu’un d’autre ? »

 

 

 

« Non. Après le premier jour, ils ne nous ont jamais reparlé. Et ils ne parlaient jamais entre eux non plus. »

 

 

 

Il est trois heures du matin et Koda sent poindre un mal de tête lancinant. Elle a besoin de café et de dormir. Elle ne pourra obtenir ni l’un ni l’autre. Le lendemain, elle et sa troupe installeront au mieux les femmes dans ce camp et le surlendemain, ils se dirigeront vers Minot. « Des hélicoptères noirs. » dit-elle soudain.

 

 

 

« Pardon ? » Sonia la regarde, interloquée.

 

 

 

« Excusez-moi. Il y a une vingtaine d’années, spécialement dans cette région, il y avait pas mal de gens qui pensaient que le gouvernement participait à une conspiration internationale qui visait à créer un état commun dont le siège serait à Zurich. Et ils pensaient qu’ils étaient espionnés par des hélicoptères noirs. » (NDLT : Ces hélicoptères peints en noir et sans marques d’identification seraient la propriété du gouvernement américain et s’engageraient dans des missions clandestines.)

 

 

 

« Vous pensez que ça a un rapport ? »

 

 

 

Koda se lève et s’étire ; ses jambes et ses épaules sont aussi lourdes que du plomb. Une autre flèche de lumière traverse le ciel au moment où elles se dirigent vers les cabanes, et un frisson les parcourt toutes les deux, et il n’a rien à voir avec la température.

 

 

 

« Non. » répond-elle. « Je pense que c’est bien pire que ça. »

 

 

 

 

 

 

7.

 

 

 

Le monde entier semble retenir son souffle quand le premier rai de lumière de l’aube pointe à l’horizon.

 

 

 

Assise en tailleur sur un rocher à environ deux kilomètres de la base, Kirsten regarde vers le levant alors que la terre se prépare à donner naissance à un nouveau jour.

 

 

 

Regarder le soleil se lever, croit-elle, est un passe-temps réservé aux rêveurs et aux fous, et elle se considère comme n’étant ni l’un ni l’autre. Mais le sentiment étrange de paix qui l’envahit vaut bien cet effort.

 

 

 

Elle est seule maintenant. Plus seule qu’elle ne l’a jamais été, et cette pensée lui cause une surprenante tristesse. Surprenante parce qu’elle est certaine que quelque part sur une étagère poussiéreuse, il y a un dictionnaire qui montre sa photo à côté du mot ‘solitaire’. Elle est née dans une famille de solitaires et a toujours pensé qu’elle avait hérité de ce qualificatif. Ajouté à cela le fait qu’il est difficile de se faire des amis quand les enfants de votre âge sont encore au jardin d’enfants en train d’apprendre les plaisirs de manger de la pâte à modeler pendant que vous êtes déjà en fin d’école primaire, en train de calculer la racine carrée de pi, tout en ayant la réputation d’avoir votre cerveau pour meilleur ami.

 

 

 

Quand elle a été atteinte par la peste de ’07- celle qu’ils ont appelée la Mort Rouge- la perte complète de son ouie ne l’a pas effrayée. Etre épargnée de tous les bruits extérieurs lui permettrait d’approfondir encore plus la structure de ses propres pensées et de ses aspirations.

 

 

 

Elle rit maintenant au souvenir de ce jour, il y a tant d’années déjà, où elle s’est réveillée dans la chambre du centre médical militaire de Brooke, capable d’entendre à nouveau après deux ans de silence. Combien ses parents étaient heureux et combien leurs visages se sont décomposés quand elle s’est mise à pleurer la perte de sa surdité.

 

 

 

« Je suis désolée, maman et papa. » dit-elle doucement dans le monde qui s’éveille. « Je sais que vous vouliez juste le meilleur pour moi, et vous avez fait un sacré travail pour m’aider à l’obtenir. Merci pour ça. J’apprécie, plus que vous ne le saurez jamais. »

 

 

 

Comme en réponse, le soleil pointe à l’horizon et elle essuie les larmes qui coulent sur ses joues.

 

 

 

Elle rit à nouveau, avec dérision cette fois. « Bon, Kirsten. Arrête ces bêtises. Tu as un travail à accomplir, et il est temps de t’y mettre. »

 

 

 

Comme un hôte non désiré mais bien déterminé à prendre un siège et à rester, l’étrange, mais bienvenue sensation de paix l’accompagne jusqu’à la camionnette. Elle ouvre la porte arrière et cherche sa puissante lampe de poche dans la semi obscurité.

 

 

 

Elle s’assied ensuite en tailleur et saisit plusieurs sacs, les plaçant autour d’elle.

 

 

 

Elle en retire d’abord son ordinateur portable, un computer super puissant que les membres de son équipe ont nommé Arnold. On a dû lui expliquer pourquoi, regarder des films n’ayant jamais été sur sa liste des choses à faire.

 

 

 

L’ordinateur s’allume tout de suite grâce à des batteries longue durée et un capteur solaire sur le côté. Ses doigts agiles volent sur les touches, ouvrant une succession de fenêtres, plus vite qu’un œil humain pourrait espérer suivre.

 

 

 

Quelques secondes plus tard, un demi-sourire satisfait apparaît sur son visage, le vert de ses yeux semblant étinceler sous la lueur de l’écran. Entre les nombreuses lignes de texte incompréhensible, une seule s’est mise en surimpression et quand un des mots se met à clignoter, le demi-sourire s’élargit.

 

 

 

Active.

 

 

 

Elle aimerait rire, mais se retient, repassant dans son esprit les étapes nécessaires pour mettre son plan en action.

 

 

 

Les droïdes ne sont pas Le Borg. Même s’ils sont tous connectés à un ordinateur géant caché au fin fond de la Silicone Vallée, ils ne sont pas plus connectés entre eux que deux réfrigérateurs installés dans des maisons différentes ne le sont. C’est la seule concession qu’elle a pu obtenir auprès de l’Administration Bionique et Robotique. Et cette concession va peut-être sauver sa vie et celle des autres.

 

 

 

Les droïdes ne sont pas connectés entre eux, mais sont capables de se reconnaître et peuvent s’envoyer des informations grâce à des systèmes que les humains ne possèdent pas. Consciente de ce problème, Kirsten saisit un autre objet, une boîte de la moitié de la taille de son ordinateur.

 

 

 

Elle l’ouvre avec précaution et en retire une deuxième plus petite. La minuscule charnière de plastique grince quand elle soulève le couvercle et révèle deux lentilles brunes baignant dans une solution saline. Kirsten sourit au souvenir de sa brève incursion dans le monde de la VR. (NDLT : Réalité virtuelle)

 

 

 

Ses camarades de classe, tous plus âgés qu’elle, semblaient s’adonner sans compter au plaisir d’être immédiatement transportés dans un monde de leur choix juste par la pensée. Sa curiosité pré-adolescente l’avait donc emmenée sur le Web, et avant même qu’elle comprenne ce qui se passait, une grande partie de son argent de poche s’était évanouie pour l’achat des objets qu’elle tient maintenant entre ses mains.

 

 

 

Elle ouvre une troisième boîte, très petite, contenant un minuscule bouton de couleur chair, pas plus large que la moitié de l’ongle de son auriculaire. Un écouteur qu’aucun spécialiste de l’ouie n’a jamais vu. Il est utilisé dans le monde de la Réalité Virtuelle pour transmettre une sensation de mouvement et de son à celui qui le porte.

 

 

 

 

Pour Kirtsen, toutefois, le résultat a été bien différent. Combiné à l’effet de ses implants auditifs, le résultat fut bien autre chose que ce que les créateurs avaient prévu. Après son premier étonnement, elle avait découvert que ce qu’elle entendait était simplement les informations électriques envoyées dans la puce placée dans son implant auditif. Elle fut rapidement capable de réaliser une sorte de traducteur et combla la perte de son argent de poche en développant des jeux de Réalité Virtuelle pour ses camarades de classe à un coût fortement réduit. Elle devint rapidement la chouchou de l’Union des Etudiants à l’âge de 14 ans seulement.

 

 

 

En riant doucement, elle introduit l’implant dans son canal auditif. Une fois qu’il est bien en place, elle tape sur une touche de son ordinateur. Après un petit moment de désorientation, le signal se fait clairement entendre et elle hoche la tête, satisfaite.

 

 

 

Pressant la touche une nouvelle fois, elle stoppe le signal, puis saisit un petit miroir. Elle parvient sans trop de difficulté à placer les lentilles de contact même si ses yeux se montrent d’abord rebelles à cette intrusion inattendue. Clignant plusieurs fois, elle éclaircit sa vision et se regarde dans le miroir. Une étrangère lui fait face. Une étrangère aux yeux bruns, lui donnant le regard de poupée morte qui est reconnaissable chez tous les droïdes. Elle frissonne en se voyant.

 

 

 

Dépasse tes peurs irraisonnées, petite K.

 

 

 

Elle entend la voix de son père, comme s’il se tenait juste derrière elle, l’encourageant à sauter depuis le plus haut plongeoir de la piscine publique.

 

 

 

Le souvenir de cette voix un peu bourrue l’a aidée à franchir bon nombre d’obstacles dans sa vie. Peut-être la magie opérera-t-elle encore une dernière fois.

 

 

 

S’il vous plaît. Laissez-moi accomplir cette dernière chose.

 

 

 

Hochant la tête, elle tire un dernier objet de la pile de boîtes devant elle, l’élevant devant ses yeux et le faisant tourner entre ses doigts dans la faible lumière. Ce qui aurait dû être une insulte finale et tragique, va devenir, elle l’espère, un triomphe ultime.

 

 

 

« Et voilà, poupée ! » dit-il, entouré de plusieurs blondes platines, glissant sur lui comme de l’eau. Son sourire insolent rend son visage encore plus laid, mais les putains qui l’entourent ne semblent pas s’en soucier. « La puce est à l’intérieur. Observez-la bien et si vous arrivez à y comprendre quelque chose, appelez-moi. Nous dînerons ensemble. »

 

 

 

Avec un grand rire, il lui lance un petit collier métallique et s’en va, les gens se traînant derrière lui comme s’il était l’apôtre du Vrai Dieu Unique.

 

 

 

Bien que répugnant à toucher cette chose, elle l’avait glissée dans le corsage de sa robe de soirée à paillettes.

 

 

 

« Vous êtes une vraie crevure, Westerhaus. » murmure-t-elle, revenant au présent. « Et j’espère que je vivrai assez longtemps pour vous le dire. Et pour vous remercier. Juste avant de botter votre petit cul vérolé. »

 

 

 

Elle glisse le collier d’argent autour de son cou et le ferme avec soin. Il serre un peu, mais semble avoir été fait exprès pour elle.

 

 

 

Connaissant ce petit trou du cul, c’est certainement le cas.

 

 

 

Avec un dernier tapotement sur le collier, elle se regarde dans le miroir. Sa bouche forme un O étonné à la vue du résultat de son travail.

 

 

 

« Bon sang ! »

 

 

 

Son exclamation brouille un instant le miroir, brisant la tricherie qu’elle vient de créer. Elle pousse un petit soupir de soulagement et regarde sur l’écran de son ordinateur, qui clignote toujours.

 

 

 

Active.

 

 

 

 

Avec quelques changements supplémentaires, Kirtsen King, Dr en Robotique, se transforme en BD-1499081-Z-2A6-13, biodroïde actuellement au service de Chalmatech, la plus grande compagnie pharmaceutique du monde.

 

 

 

Les biodroïdes ont été les premiers androïdes développés par Westerhaus, en tant qu’alternative supérieure à la recherche animale. Conçus pour imiter le corps humain de toutes les manières possibles, incluant un « cœur » battant, des « poumons » en état de marche, une « tension artérielle » mesurable et une chimie organique pouvant imiter toute maladie humaine et prédire ainsi fidèlement les effets des médicaments utilisés pour la combattre.

 

 

 

En tant que maladie, le biodroïde fut lui-même un grand succès…

 

 

 

Et pour Kirsten , c’est le ticket d’entrée dans la base. Son unique chance d’essayer d’enrayer les dommages que Westerhaus a causés.

 

Elle frappe un poing ferme sur sa jambe et hoche une dernière fois la tête. « Ok, c’est parti. »

 

 

Table des matières

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