| 
  • If you are citizen of an European Union member nation, you may not use this service unless you are at least 16 years old.

  • You already know Dokkio is an AI-powered assistant to organize & manage your digital files & messages. Very soon, Dokkio will support Outlook as well as One Drive. Check it out today!

View
 

INSURRECTION8

Page history last edited by PBworks 15 years, 9 months ago

INSURRECTION

 

De Sword'n'Quill (Susanne Beck)

 

SwordnQuil@aol.com

 

écrit avec T Novan et Okasha

 

 

Traduction : Kaktus et Fryda

 

 

Table des matières

 

 

 

CHAPITRE HUIT

 

 

 

 

Peut-être est-ce à cause de ces grands yeux noirs qui s’écarquillent – un réflexe très peu « androïde ». Ou peut-être est-ce un sentiment de familiarité qui la traverse. L’un ou l’autre la font hésiter. Quelle que soit la raison, son hésitation lui coûte cher. Quelque chose de lourd et d’émoussé entre en contact avec sa nuque, paralysant son bras et l’envoyant s’abattre dans la neige.

 

 

 

Elle lutte pour garder les yeux ouverts, voulant faire face à sa mort.

 

 

 

Le droïde, un mâle cette fois, la regarde de ses yeux inexpressifs. Avec une économie de mouvements, il lève son Uzi et le pointe entre ses deux yeux.

 

 

 

« Attends ! »

 

 

 

La voix est une vois féminine, c’est tout ce qu’elle peut dire, mais savoir si elle est humaine ou si elle provient de cordes vocales artificielles est une autre question. Elle s’étonne de pouvoir réfléchir à ça. Le canon du fusil n’a pas vacillé, et les doigts pressés sur la gâchette non plus. Koda laisse échapper un petit soupir, sans toutefois oser détourner les yeux de sa mort imminente.

 

 

 

Kirsten franchit délibérément l’espace qui la sépare de l’action. Une simple déduction lui indique que le corps à terre est humain. C’est la seule raison qui a pu pousser l’androïde à attaquer, après tout. En arrivant près d’eux, elle s’arrête et abaisse son regard juste au moment où la lune surgit de derrière un nuage.

 

 

 

Des yeux bleu pale lui renvoient son regard, et elle se fige pendant un instant alors qu’une bizarre sensation de déjà vu la traverse.

 

 

 

Ces yeux.

 

 

 

Se forçant à détourner le regard, elle fixe le droïde et dit la première chose qui lui vienne à l’esprit. « Femelle humaine. »

 

 

 

L’androïde répond avec un hochement de tête presque humain. « Elle pourra nous servir. »

 

 

 

Alors qu’il se penche, se préparant à la saisir, Kirsten le stoppe à nouveau. « Je vais m’en occuper. Il y en a peut-être d’autres. Elle est arrivée par là. »

 

 

 

« D’accord. »

 

 

 

Une fois que l’androïde a été avalé par l’obscurité, Kirsten s’accroupit péniblement, s’adressant à la femme étendue dans la neige. « Vous êtes cinglée ? » siffle-t-elle entre ses dents. « Cet endroit est bourré d’androïdes. Vous vouliez faire quoi ? »

 

 

 

Les deux yeux qui lui semblent toujours aussi familiers se fixent sur sa gorge et Kirsten se sent rougir de façon incontrôlée. « Je suis humaine. » murmure-t-elle, sa main se posant sur le collier droïde qui entoure son cou.

 

 

 

« On dirait que je ne suis pas la seule à être cinglée alors. »

 

 

 

La voix basse et mélodieuse sonne agréablement aux oreilles de Kirsten. Ses implants lui transmettent un nouveau son et elle lui saisit le bras. « Dépêchez-vous, ils reviennent. Je vous emmène à l’intérieur et on verra ce que je peux faire de vous. »

 

 

 

« Pas le temps. » répond Koda, en s’écartant pour se remettre sur ses pieds. « Il faut sortir d’ici. Maintenant. »

 

 

 

Les yeux sombres s’écarquillent d’effarement. « Vous êtes réellement cinglée ! Vous n’avez pas compris que vous êtes au milieu de la plus grande usine d’androïdes du monde ? »

 

 

 

« Et la plus bombardée des usines d’androïdes au monde. Dans environ huit minutes. Il faut partir. »

 

 

 

Kirsten se fige. Un sentiment proche de la terreur la saisit au ventre. « Quoi ? Que venez-vous de dire ? »

 

 

 

Dakota soupire avec impatience. « Un escadron de F-18 a décollé depuis Ellsworth pour transformer cet endroit en cratère fumant. »

 

 

 

« Des militaires ! Vous êtes avec l’armée ? »

 

 

 

« Non, je … »

 

 

 

« Génial ! Avez-vous la moindre idée de ce que vous venez de faire ? Jésus Christ ! »

 

 

 

« Ecoutez, je ne fais qu’exécuter les ordres ici. Je veux juste… »

 

 

 

Mais une Kirsten furieuse lui coupe à nouveau la parole. « De toutes les stupides choses… Mon Dieu ! Il faut que je retourne à l’intérieur avant qu’il soit trop tard ! »

 

 

 

Elle fait demi-tour avec la ferme intention de rentrer dans l’usine quand une solide poigne l’enserre au biceps. « Vous ne comprenez pas. C’est déjà trop tard. »

 

 

 

Kirsten se retourne, les yeux étincelants de fureur sous ses lentilles. « C’est vous qui ne comprenez pas ! Vos foutus plans vont tout ruiner ! »

 

 

 

« Ce ne sont pas mes… Bon Dieu ! » Dakota se lance à la poursuite de la jeune femme qui vient de lui échapper avec adresse. Ses longues jambes la rattrapent facilement et elle abat durement sa main sur l’épaule de Kirtsen. « Attendez une minute ! S’il vous plaît ! »

 

 

 

Elles s’arrêtent en même temps, levant leur tête vers le ciel, dans la même posture.

 

 

 

« Ils arrivent. » dit simplement Dakota, ses yeux scrutant le ciel encore vide.

 

 

 

« Non ! » crie Kirsten, essayant de se dégager de l’emprise de Koda. « Je dois y retourner, je… »

 

 

 

« Il faut fuir ! » réplique Koda, la saisissant plus fort. « Maintenant ! » Elle pousse la jeune femme en direction de l’endroit où elle est arrivée et la suit, l’arme au poing. « Ne vous arrêtez pas ! Courez ! » Sa voix est couverte par le bruit des avions qui approchent.

 

 

 

Kirsten trébuche et serait tombée si une poigne puissante n’avait pas saisie le haut de son pull, le déchirant à moitié et la soulevant presque du sol. « Courez ! Go ! Go ! Go ! »

 

 

 

La porte se dessine devant elle, grandissant à chaque pas. Elle crie presque lorsque ce qui ne peut être qu’une balle siffle tout prêt de son oreille. Puis elle se retrouve plaquée dans la neige tandis que des coups de feu surgissent de partout autour d’elles.

 

 

 

En entendant cela, Andrews ouvre la porte et se précipite au-dehors, suivi pas ses camarades. Ils vident leurs armes dans l’obscurité tandis que le rugissement des avions devient presque insupportable.

 

 

 

« Il faut partir, M’dame ! » crie Andrews par-dessus le vacarme.

 

 

 

Koda hoche la tête et avec une dernière salve, se retourne vers la porte.

 

 

 

Kirsten se tourne pour se lever et se retrouve face au canon d’un fusil tenu par une femme à l’air très en colère.

 

 

 

« Non ! » crie Koda, détournant l’arme de Johnson juste à temps. La balle va se loger dans le sol à quelques centimètres du bras de Kirsten. « C’est une humaine ! »

 

 

 

Johnson reste stupéfaite avant de pâlir quand elle réalise ce qu’elle a failli faire. Koda lui montre la porte, puis saisit Kirsten et la remet sur ses pieds. « On bouge ! Vite ! »

 

 

 

Les avions sont au-dessus de leurs têtes au moment où ils s’engouffrent dans l’obscurité du tunnel.

 

 

 

Quand la première bombe touche le sol, ils atteignent les quartiers anciennement habités. Toute la structure souterraine est secouée et ils sont projetés contre les murs et sur les tables. Les genoux de Kirsten cèdent mais une main entoure sa taille et l’empêche de tomber. Tout ce qu’elle peut faire, c’est se concentrer pour faire un pas après l’autre. Glacée mais en sueur, étourdie et prise de vertiges, la survie est la seule chose qui compte maintenant.

 

 

 

La colère reviendra plus tard et à ce moment-là, Kirsten gratifiera ces gens de sa propre déflagration.

 

 

 

Ils courent à travers le pont suspendu, résistant à l’instinct qui leur dicte de se courber à chaque gigantesque explosion successive qui fait trembler toute la structure souterraine. C’est comme s’ils étaient en plein milieu d’un tremblement de terre.

 

 

 

Kirsten trébuche sur les escaliers. Ses jambes engourdies n’ont simplement plus la force de faire leur travail. Pourtant, elle ne tombe pas, emportée par la vague des corps qui courent pour sauver leur vie.

 

 

 

Ils s’engouffrent maintenant dans le tunnel suspendu.

 

 

 

C’est alors que retentit une explosion titanesque, semblant provenir directement d’au dessus d’eux. Bloqués sur le pont, le groupe s’effondre à terre, s’accrochant aux supports qui tremblent de façon alarmante. Une série d’explosions massives se fait entendre, comme la dernière touche d’un immense feu d’artifice. A chaque secousse, le pont oscille plus violemment. Ses mains à moitié gelées sont inutilisables et Kirsten entoure le pilier central des deux bras, plaçant son visage contre le métal gelé, se cramponnant de toutes ses forces.

 

 

 

Ramirez, un jeune pilote, hurle au moment où il est projeté par-dessus la rambarde. Dakota et Andrews parviennent à rattraper le jeune homme avant qu’il ne plonge vers une mort certaine.

 

 

 

« Arrêtez de battre des jambes ! »

 

 

 

La sueur provoquée par la peur fait glisser sa main sur celle de Koda. Le pont oscille à nouveau et Andrews lâche le jeune homme qui se met à crier de terreur.

 

 

 

« Putain ! Ramirez ! Arrêtez de bouger ! » Avec un grognement, Koda réajuste sa prise sur le bras du pilote paniqué. « Andrews, aidez-moi, bon sang ! »

 

 

 

Se remettant sur ses pieds, Andrews parvient à saisir l’autre bras du pilote au moment où une autre bombe fait trembler le pont. « Putain ! Je vais le lâcher ! J’y arrive pas ! »

 

 

 

« A trois ! On tire ! Un, deux, trois ! Maintenant ! »

 

 

 

De toutes leurs forces, Koda et Andrews hissent Ramirez et le font repasser sur la rambarde. Le jeune homme gémit en retombant sur le dos. Se courbant en avant, Andrews le saisit par sa combinaison et le remet sur pieds. « Cours ! »

 

 

 

Kirsten sent des mains sur ses bras et elle rencontre un regard bleu inquiet. Ses implants résonnent si fort qu’elle ne parvient pas à comprendre ce que la grande femme lui dit. Impossible de lire sur les lèvres, le pont continuant de bouger de façon de plus en plus alarmante. Elle sent ses bras qui lâchent le pilier et se retrouve debout et poussée à travers le tunnel comme un animal qu’on amènerait à l’abattoir.

 

 

 

Finalement expulsée de cet interminable tunnel, elle voit pour la première fois les objets contenus dans le bunker. Longs et glabres dans leur abri fragile de métal, ils représentent la destruction totale de la Terre.

 

 

 

Ses yeux s’écarquillent sous le choc, et la colère qui est en elle réapparaît. Elle se retourne vers la femme derrière elle, avec une grimace. Bien qu’elle ne puisse entendre le son de sa propre voix, elle est certaine qu’elle doit être assez forte pour être entendue depuis la lune.

 

 

 

« Un silo de missiles nucléaires ? Vous nous avez amené à l’intérieur d’un silo de missiles nucléaires avec une tonne de bombes explosant sur nos têtes ? »

 

 

 

« Continuez d’avancer ! » lui ordonne Koda, en ponctuant sa phrase d’une tape sur son dos pour l’obliger à repartir.

 

 

 

Une autre rampe d’escaliers semble apparemment devoir les amener encore plus haut et Kirsten se laisse porter par le mouvement. Elle fera tout pour échapper au piège dans lequel elle sait maintenant se trouver. Etre à l’intérieur d’un bâtiment plein d’androïdes ne l’a pas autant effrayée.

 

 

 

Tout en haut, tel un halo d’espoir, se trouve une porte ouverte, laissant entrer la faible lueur du jour qui se lève. Kirsten sent revenir un peu de force dans ses membres engourdis et elle se précipite vers la porte et vers la liberté.

 

 

 

Mais soudain, la porte se referme violemment et les lumières s’éteignent, les replongeant dans l’obscurité. Des exclamations se font entendre tout au long du groupe. « Qu’est-ce qui se passe ? » « Hé ! Qui a éteint les lumières ? »

 

 

 

« Des échanges de tirs ! » répond Johnson en s’appuyant contre la porte fermée, la respiration hachée. « Il doit y en avoir des centaines là-dehors. »

 

 

 

 

Dakota se fraie un chemin vers l’avant du groupe. Andrews la suit, comme un chien bien entraîné. Ils échangent un signe de tête avant que Koda saisisse la poignée et la tire en arrière avec force. Le bruit des coups de feu est pratiquement sans importance comparé à ce qu’ils viennent d’endurer – il ressemble aux pop-pop-pop d’un tir de marguerites contre des boîtes de conserve un beau jour d’été.

 

 

 

Johnson n’avait pas tort. Dakota englobe d’un seul regard une bonne centaine de droïdes en train de tirer sur ses soldats, réfugiés derrière un petit contrefort en ciment. Et la distance entre la porte du bunker et le reste de l’escadron fait bien la longueur d’un terrain de football.

 

 

 

Andrews la regarde, interrogateur. Le poids du commandement pèse à nouveau lourdement sur ses épaules – un invité non désiré qui n’a pas l’intention de s’en aller. Son esprit fait un inventaire rapide de tous les scénarios possibles. Soudain, elle sourit et les yeux d’Andrews semblent sortir de leurs orbites. « M’dame ? »

 

 

 

« Ecoutez. »

 

 

 

C’est ce qu’il fait.

 

 

 

Un sourire naît sur ses traits quand il entend lui aussi le whut-whut-whut-whut-whut-whut.

 

Et le sourire s’élargit quand un escadron d’hélicoptères Black Hawk envahit le ciel tel un essaim de guêpes furieuses. Ils crachent le feu et les rangs des droïdes sont rapidement éparpillés tels des feuilles d’automne dans la neige. Rangée après rangée, ils tombent sous le feu nourri des hélicoptères.

 

 

 

Le petit groupe bloqué derrière le contrefort acclame les Black Hawks lorsqu’ils déciment les derniers androïdes avant d’atterrir dans un espace libre. Les rotors tournent toujours lorsque les pilotes sautent à terre et rejoignent le groupe.

 

 

 

Un d’entre eux en particulier est vite reconnaissable et quand il aperçoit Koda, il change de direction et s’approche avec un large sourire sur le visage.

 

 

 

« On bouge, tout le monde ! » ordonne Dakota, qui s’écarte pour laisser sortir des hommes et des femmes reconnaissants de se retrouver à l’air libre.

 

 

 

« Tu ne pensais pas que j’allais te laisser avoir tout le plaisir, hein Cousine ? » Manny sourit, enveloppant Koda dans une chaude étreinte.

 

 

 

« Tu es un vrai plaisir pour les yeux, Manny, tu peux me croire. » Faisant un pas en arrière, elle remarque la jeune femme appuyée contre la porte. Trempée et tremblante, Kirsten semble souffrir le martyr. Koda enlève immédiatement sa veste pour se diriger vers elle. « Tenez. » Eloignant la jeune femme de la porte, elle passe la large veste autour de ses épaules et la resserre autour de son cou. Elle remarque le regard étonné de Manny du coin de l’œil et lui fait face. « C’est une des nôtres. »

 

 

 

« Waow ! Joli costume ! »

 

 

 

Kirsten hoche la tête, se sentant trop misérable pour faire un autre mouvement.

 

 

 

De derrière eux se fait entendre un grognement et avant que Koda puisse se retourner, un bolide noir et argent la dépasse et projette Kirsten dans la neige.

 

 

 

« Merde ! » crie Manny, saisissant son arme.

 

 

 

« Attends ! » Dakota plisse les yeux, puis se détend en reconnaissant la posture du chien. L’animal est en train de saluer sa maîtresse avec de grands coups de langue et de doux gémissements. L’attrapant par son collier, Koda le tire en arrière et regarde le visage couvert de bave de la jeune femme. Un léger sourire naît sur ses lèvres. « Un de vos amis ? »

 

 

 

« Asimov. M-Mon chien ! Où l’avez-vous trouvé ? »

 

 

 

« C’est une longue histoire. » répond Koda, aidant la jeune femme à se relever. « Venez, rentrons à la base dans un endroit chaud et sec, d’accord ? »

 

 

 

« Ellsworth ? »

 

 

 

Dakota acquiesce.

 

 

 

Le sourie de Kirsten est tout sauf aimable. « Je vous suis. »

 

 

 

 

2.

 

 

 

Après avoir montré une version très convaincante de la mule qui refuse de suivre la carotte, Kirsten réussit à convaincre Manny de faire atterrir son hélicoptère non loin de sa camionnette défoncée. L’endroit grouille de droïdes. Koda saute à terre derrière Kirsten et jette un regard aiguisé à son cousin. « Sois prêt à faire décoller ta bête en un quart de seconde, compris ? Même si tu dois nous laisser ici. »

 

 

 

« Je ne peux pas promettre ça, cousine. Faites attention. J’attendrai. »

 

 

 

Secouant la tête, Dakota suit l’autre jeune femme, en brandissant son arme.

 

 

 

Déjà parvenue à la camionnette, Kirsten ouvre la portière et plonge à l’intérieur, cherchant ce dont elle a besoin à l’aveuglette. Elle se saisit d’abord de son second ordinateur, suivi de son étui à lunettes qu’elle glisse dans une des nombreuses poches de sa veste empruntée. Ses yeux brûlants et larmoyants lui rappellent qu’elle porte toujours les lentilles de contact, et avec un rapide clignement, elle les enlève et les replace dans leur bain salin. Les implants auriculaires suivent.

 

 

 

Avant qu’elle ne puisse s’emparer du sac contenant le reste de ses vêtements, elle entend une voix basse au travers du bourdonnement toujours présent dans ses oreilles.

 

 

 

« Il faut y aller. »

 

 

 

Bien que la voix soit parfaitement calme, presque sur le ton de la conversation, Kirsten y détecte le ton subtile de l’urgence. Elle réagit sans autre pensée, sautant de la camionnette pour se retrouver à nouveau dans la neige jusqu’aux genoux.

 

 

 

« Allez-y ! Ne vous arrêtez pas jusqu’à ce que vous soyez à l’hélico ! »

 

 

 

Elle peut les entendre maintenant, tout autour d’elles, n’essayant même pas de se cacher. Son pouls s’accélère et elle se met à courir, son allure passant rapidement d’un petit trot au sprint.

 

 

 

Manny est appuyé contre le côté de l’hélicoptère, et fait feu sur les assaillants. Stoppant l’espace d’une seconde, il attrape Kirsten par le bras et la projette à l’intérieur de l’appareil avant de reprendre son tir pour couvrir sa cousine.

 

 

 

Koda bondit la tête la première dans l’appareil, lançant son Uzi déchargé à terre pour saisir l’arme de Manny et se mettre à tirer sur les droïdes qui entourent la camionnette. Manny saute sur le siège du pilote et fait décoller le Black Hawk. Les androïdes sortent de leur abri par douzaines et font feu sur l’appareil. Mais les talents de pilote de Manny les gardent en vie et en une seule pièce, alors qu’il manœuvre l’hélicoptère en un ballet aérien digne de Baryschnikov.

 

 

 

Ce n’est qu’une fois hors de danger que Koda laisse échapper un léger soupir de soulagement, pratiquement imperceptible.

 

 

 

Le reste du trajet se passe dans un silence total.

 

 

 

 

3.

 

 

 

Kirsten saute de l’appareil avant même qu’il n’ait totalement touché le sol, son ordinateur se balançant à son côté à chacun de ses pas. Asimov, le poil hérissé par la colère évidente de sa maîtresse, la suit toutefois comme son ombre.

 

 

 

Manny fait mine de suivre cette étrange mais toutefois très attractive jeune femme, mais il est stoppé par une main sur son épaule. Regardant sa cousine d’un air interrogateur, il remarque une petite étincelle familière dans ses yeux – la même qu’elle lui adressait quand ils étaient enfants quand elle le défiait d’oser s’engager dans une aventure pour laquelle il savait bien qu’il serait réprimandé.

 

Il n’a jamais été capable d’y résister et le fait d’être devenu adulte n’y a rien changé.

 

 

 

Il se détend et la suit en direction d’un hangar vide, traversant des groupes de soldats et de civils.

 

 

 

Kirsten traverse elle aussi la foule, le regard fixé sur une personne bien précise. Sebastian Hart, manifestement le commandant de cette base, se trouve au milieu d’un petit groupe qu’il domine de sa haute taille. Son uniforme immaculé est tiré à quatre épingles mais son sourire mi-politicien, mi-paternaliste semble totalement truqué.

 

 

 

Elle l’a déjà rencontré, à un ou l’autre de ces conseils de cabinet où elle était forcée d’être présente en tant que Présidente du Comité des sciences robotiques, bioniques et androïdes. A ses yeux, il n’était qu’un militaire fanfaron prêt à n’importe quoi avec n’importe qui pour obtenir le financement désiré. Elle ne lui faisait aucune confiance, comme à toute sa cohorte d’ailleurs.

 

 

 

Alors qu’elle continue de fendre les groupes de pilotes heureux de célébrer le succès de leur mission, une petite partie d’elle-même reconnaît que ce qu’elle est sur le point de faire va certainement calmer les esprits de chacun. La joie est une émotion qui n’avait plus beaucoup cours depuis quelque temps et une partie d’elle-même déteste devoir y mettre fin. La voix de son père, comme elle le fait souvent maintenant, lui rappelle que gagner de petites batailles ne sert à rien si la guerre elle-même est perdue. Cette pensée la stimule et elle va se planter devant le Général.

 

 

 

« Général Hart ? »

 

 

 

Le général baisse les yeux sur la petite jeune femme, devant lui.

 

« Oui ? »

 

 

 

Le bruit de la gifle retentit dans la cour soudain silencieuse. Clignant des yeux comme un hibou, Hart pose une main sur ses lèvres et la rabaisse teintée de sang. Asimov grogne en direction des soldats qui fixent Kirsten comme si elle était une vipère prête à mordre.

 

 

 

« Avez-vous la moindre idée de ce que vous venez de faire ? »

 

 

 

Un silence total lui répond.

 

 

 

« Vous ne me reconnaissez pas, n’est ce pas ? »

 

 

 

Après un moment, le général pâlit alors que son regard se teinte d’une compréhension horrifiée. « M-Madame la Présidente ! »

 

 

 

Un murmure traverse la foule.

 

 

 

Kirsten sourit, mais son sourire est loin d’être agréable.

 

 

 

« Mais comment… où… quand… ? »

 

 

 

« Je suis curieuse, Général. Avez-vous vérifié si des humains se trouvaient encore à Minot avant de décider d’effacer la base de la surface de la Terre ? »

 

 

 

Son visage prend une teinte rouge violacée. « Impossible » déclare-t-il catégoriquement. « Minot était une usine d’androïdes. Ils n’auraient laissé personne en vie. »

 

 

 

« Mmmm. Vous en êtes sûr ? Et saviez-vous qu’il y avait au moins une douzaine de vos propres soldats sur la base lorsque vous y avez envoyé vos avions ? »

 

 

 

« Ils avaient l’ordre d’abandonner leur mission ! »

 

 

 

« Et s’ils ont refusé d’obéir à vos ordres, parce que contrairement à vous, ils pensaient y trouver encore quelqu’un en vie ? »

 

 

 

« Impossible. »

 

 

 

« Oh, tout à fait possible, Général. J’étais sur la base quand vous avez envoyé vos avions, Général Hart. Et j’aurais été mise en morceaux si vos soldats n’avaient pas risqué leur propre vie pour sauver la mienne. »

 

 

 

La rougeur s’efface des traits de l’homme comme de l’eau sur du sable. Ses pommettes d’habitude rosées prennent une couleur plus proche de celle du lait coagulé et sa pomme d’Adam monte et descend péniblement quand il déglutit. « Je… Je ne… »

 

 

 

Kirsten sourit à nouveau. « Mais ce n’est pas le pire. » continue-t-elle sur le ton de la conversation. « Vous voulez savoir ce qu’est le pire, Général ? »

 

 

 

Il secoue lentement la tête.

 

 

 

« Le pire, c’est que votre zèle à détruire une centaine d’androïdes a aussi détruit l’unique espoir que nous avions pour parvenir à désactiver les millions d’autres. » Elle s’arrête pour le regarder passer une main tremblante sur son front. « Les codes de désactivation se trouvaient dans les ordinateurs de cette base, Général Hart. Des ordinateurs qui sont maintenant réduits en milliers de pièces minuscules que mêmes les galons d’un général ne pourront recoller. »

 

 

 

« Je… Je ne pensais pas… »

 

 

 

« Non, vous ne pensiez pas. Dans le futur, il faudra que vous commenciez à essayer de penser. »

 

 

 

Et sur ces mots, Kirsten se retourne et poursuit son chemin laissant derrière elle une foule étonnée.

 

 

 

Manny regarde sa cousine, avec un sourire respectueux. « Waow. »

 

 

 

Koda a un petit rire étouffé.

 

 

 

« Il me semblait bien l’avoir reconnue. Kirsten King, n’est ce pas ? Le gourou robotique ? » Quand Koda acquiesce, il continue. « Elle est différente, c’est sûr, sans ces foutues lentilles. » Puis il sourit. « Le Colonel va être contente de la voir ici. Elles pensent toutes les deux la même chose au sujet des têtes de métal. »

 

Il secoue la tête. « Dommage qu’elle ne soit pas ici. »

 

 

 

« Où est-elle ? » demande Koda, surprise.

 

 

 

« Elle est partie escorter des civils. Certains étaient blessés, d’après ce qu’on a entendu. Elle devrait être de retour ce soir. »

 

 

 

Ils regardent Kirsten quitter le hangar, la foule s’écartant devant elle comme si elle portait le bâton de Moïse. Koda regarde son cousin. « Je pense que j’ai aussi ma propre escorte en vue. On se voit plus tard, hein ? »

 

 

 

« Je vais au mess. Arrête-toi là-bas ensuite. »

 

 

 

« Ok. »

 

 

 

 

 

4.

 

 

 

« Dr King ! »

 

 

 

Kirsten s’arrête et se retourne, prête à envoyer promener la personne qui ose venir interrompre sa royale colère.

 

Elle hésite quand elle voit que l’intruse est la femme qui lui a sauvé la vie plusieurs fois aujourd’hui. Ce n’est que pour cette raison qu’elle se calme et tente un sourire même s’il paraît misérable et faux.

 

 

 

« Oui… » Kirsten s’arrête, cherchant l’insigne sur l’uniforme que porte maintenant la jeune femme. « … Lieutenant ? »

 

 

 

Koda lui sourit. « Juste Dakota, ou Koda si vous préférez. Je suis une vet. »

 

 

 

« Ex-Lieutenant, alors. » réplique Kirsten, en lui rendant son sourire.

 

 

 

Koda lève les yeux au ciel. « Non. Pas vet comme vétéran, vet comme vétérinaire. Je ne suis pas une militaire, d’aucune sorte. »

 

 

 

Kirsten écarquille les yeux. « Vous êtes une civile ? Alors comment… pourquoi… ? »

 

 

 

« Disons juste que c’est quelque chose que je devais faire. » Elle regarde la jeune femme avec attention, les sourcils froncés. « Je pense que vous devriez faire un saut jusqu’à l’hôpital. Nous en avons un plutôt bon ici et vous seriez rapidement en meilleur état si vous quittiez ces vêtements mouillés. »

 

 

 

 

Le sourire de Kirsten est véritable cette fois, quoi que bref. « Vous avez le chic pour dire les choses. »

 

 

 

« Oui, il paraît. » réplique Koda, aimablement.

 

 

 

« Eh bien, je vous remercie de votre offre généreuse, mais je m’en passerai. J’ai retrouvé mes forces et je me sens mieux. »

 

 

 

« Bien, alors que diriez-vous si je vous emmenais dans un endroit où vous pourrez vous sécher et vous réchauffer ? »

 

 

 

Kirsten regarde la vétérinaire, sa méfiance revenant en force. Pour l’amour de Dieu, K. lui clame un coin de son esprit. Cette femme vient de te sauver la vie, au risque de perdre la sienne. Je pense que tu peux lui faire confiance, non ?

 

 

 

Elle lutte mais finit par écouter cette petite voix intérieure insistante. Elle hoche la tête en direction de sa bienfaitrice volontaire. « C’est une offre que je serai heureuse d’accepter. »

 

 

 

« Bien. » répond Koda en souriant. « Si vous voulez bien me suivre ? »

 

 

 

 

 

5.

 

 

 

Kirsten pénètre à l’intérieur de la petite mais confortable maison avec un profond soupir de soulagement. La chaleur du radiateur pénètre dans ses membres qui se réveillent à peine de leur engourdissement. Un frémissement qu’elle sait être obligatoirement suivi par une douleur aigue, la traverse mais elle dissimulera cette réaction comme elle en a l’habitude en présence d’autres personnes.

 

 

 

Dakota disparaît et revient rapidement avec une pile bien ordonnée de vêtements secs. « La salle de bains se trouve juste derrière cette porte. » indique-t-elle en posant les vêtements entre les bras de Kirsten. « Vous trouverez des serviettes propres dans le placard et il doit même y avoir de l’eau chaude pour la douche si ça vous tente. »

 

 

 

Dakota se retourne sans que Kirsten puisse dire un mot et disparaît dans ce qui semble être une chambre à coucher. La porte se ferme doucement la laissant seule dans le couloir, les vêtements dans ses bras et un air perplexe sur ses traits. Après un moment, elle hausse les épaules et pénètre dans la salle de bains.

 

 

 

Après autant de temps sans avoir pris de douche, la tentation est trop grande. Tournant à fond le bouton d’eau chaude, elle se débarrasse de ses vêtements trempés alors qu’un nuage de vapeur s’échappe de la douche et se répand dans la salle de bains. Elle retourne le bouton un peu plus vers le ‘tiède’ et pénètre dans la douche.

 

 

 

La première sensation de l’eau sur sa peau est une expérience presque religieuse – du plaisir mêlé à de la douleur provoquant une telle sensation que sa tête tourne. Elle s’entoure de ses bras en s’appuyant contre le mur froid et attend que la sensation passe avant de saisir le savon et de le faire mousser entre ses mains. Des jours de sueur et de saleté s’écoulent et disparaissent sous le jet d’eau et elle s’imagine pendant un moment que sa colère, sa peur et toutes les autres émotions négatives qu’elle garde en elle, vont s’évanouir de la même manière.

 

 

 

Ce n’est que lorsque l’eau commence à refroidir qu’elle traîne son corps fatigué, mais désormais propre, hors de la douche. La serviette est douce sur sa peau et les vêtements qu’elle enfile, bien qu’un peu grands, ont l’avantage ô combien appréciable d’être secs.

 

 

 

Elle se recoiffe rapidement avant de quitter la salle de bains chaude et maintenant humide.

 

 

 

Koda lui sourit depuis le divan défraîchi où elle a pris place. Vêtue d’un jean délavé et d’un simple t-shirt blanc, elle arbore un corps qui, vu par les yeux de scientifique de Kirsten, est proche de la perfection. Elle s’arrête un moment, s’étonnant de la réponse de son propre corps face à ce tableau, mais chasse cette pensée, pour mieux s’y intéresser à un meilleur moment. Plus tard. Pour la première fois depuis un bout de temps, elle réalise qu’il va y avoir un ‘plus tard’.

 

 

 

 

Remarquant le regard intrigué de Koda, elle sourit en réponse et pénètre dans la salle de séjour, où sa maigre pile d’affaires personnelles a été déposée avec soin sur la table.

 

 

 

« Vous vous sentez mieux ? »

 

 

 

« Bien mieux. Merci. »

 

 

 

« Bien. » Dakota observe la jeune scientifique et note la couleur rosée de ses joues et le regard, qui même s’il ne reflète pas une humeur joyeuse, a perdu son côté hanté. Toutefois, la fatigue a creusé des cernes sous ses yeux et Koda se demande depuis quand la jeune femme n’a pas dormi. « Vous devez probablement être épuisée. Vous devriez aller vous reposer. »

 

 

 

« Non… merci, il faut que je sache si je peux récupérer quelque chose des ordinateurs de Minot. » Elle retire les deux puces de sauvegarde de son pantalon de survêtement. « J’avais emmené ceci en sortant. » Elle saisit son ordinateur et regarde Koda. « J’espère qu’elles contiennent quelque chose que je pourrai utiliser. »

 

 

 

« Il y a un bureau à côté de la salle de bains. Il ne contient pas grand-chose, mais utilisez tout ce qui pourrait vous aider. »

 

 

 

« Merci. »

 

 

 

« Pas de problème. » Dakota se lève s’étirant pour se débarrasser des tiraillements que les derniers événements ont imposé à son dos. « Je vais au mess. Si vous avez faim, je pourrais vous ramener quelque chose, c’est de la nourriture militaire mais c’est mangeable. »

 

 

 

Kirsten hoche la tête, étonnée par la gentillesse naturelle de cette étrangère. Dans son monde, toute offre est faite dans l’intention d’obtenir quelque chose en retour. Rien n’est gratuit. « Merci. Je… Merci. »

 

 

 

Un sourire presque éblouissant achève Kirsten. Koda disparaît.

 

 

 

Une fois seule, elle secoue la tête pour éclaircir ses idées et, avec un profond soupir, se détourne et pénètre dans le petit bureau. Plaçant son ordinateur sur la table, elle se laisse tomber sur la chaise un peu branlante mais utilisable. Elle se frotte la tête, ses oreilles encore éprouvées par le déluge des bombes. C’est un des côtés désagréables de ses implants qu’elle aimerait pouvoir corriger. Pour le moment, elle fait la seule chose qui peut l’aider. De ses deux mains, elle touche un point derrière ses oreilles et le monde devient merveilleusement silencieux.

 

 

 

Elle allume son ordinateur, y insère les puces et se retrouve immédiatement perdue dans le monde de l’informatique.

 

 

 

 

 

6.

 

 

 

« Yo, cousine. Je sais que tu as faim, mais bon… tu manges pour deux ? »

 

 

 

Koda jette un œil à Manny par-dessus son épaule et continue à remplir deux assiettes avec de la nourriture difficile à identifier, mais à première vue mangeable. « Je m’occupe de notre invitée. »

 

 

 

« Ah, le bon docteur. Elle est réchauffée ? »

 

 

 

« Physiquement, oui. »

 

 

 

Manny rigole doucement. « Ouais, elle a l’air sacrément barjo, dis donc. Et elle hait vraiment la presse. Je me souviens l’avoir vue sur CNN une fois. Bon sang, elle a presque bouffé le micro de la journaliste. »

 

 

 

« Je tâcherai de m'en souvenir la prochaine fois que je fais une demande de carte de presse. » Répond sèchement Koda.

 

 

 

« Je te donnais juste un avertissement, cousine. Elle a beau être d’un petit gabarit, elle sait se défendre. »

 

 

 

« Je… garderai ça à l’esprit. »

 

 

 

Manny donne une tape sur l’épaule de Koda. « Si tu ne fais rien de spécial plus tard, on va se faire une petite partie de fléchettes et je te veux dans mon équipe. Ok ? »

 

 

 

« Ok. A plus tard. »

 

 

 

 

 

7.

 

 

 

Quand Dakota rentre à nouveau dans la maison, Asi la salue d’un petit jappement tout en agitant furieusement la queue. Koda dépose le plateau repas sur la table et gratte le chien derrière les oreilles avant de se redresser et d’appeler Kirsten.

 

« Je suppose qu’elle s’est endormie finalement, hein ? »

 

 

 

Elle s’approche du bureau et appelle à nouveau doucement tout en frappant légèrement à la porte. Appuyant sur la poignée, elle ouvre et pénètre dans la pièce pour tomber sur Kirsten, bien réveillée et concentrée sur son écran d’ordinateur.

 

 

 

« Dr King ? Je vous ai amené à manger. »

 

 

 

Toujours pas de réponse.

 

 

 

Dakota la regarde un moment, puis traverse la pièce et pose doucement sa main sur l’épaule de la scientifique.

 

 

 

Elle se recule et intercepte la main de la jeune femme une demi seconde avant qu’elle n’atteigne son visage.

 

 

 

« Woah. Je suis une amie, vous vous rappelez ? »

 

 

 

Incapable de l’entendre, Kirsten regarde fixement dans ces yeux incroyablement bleus, tentant d’ignorer la chaleur émanant de la grande main qui entoure son poignet. Les lèvres de Dakota bougent mais Kirsten ne parvient pas à déchiffrer ce qu’elle dit.

 

 

 

Ce n’est qu’une fois que sa main est à nouveau libre qu’elle réalise ce qu’elle a failli faire et pourquoi. En rougissant, elle ré appuie sur le point derrière ses oreilles et retrouve le monde sonore.

 

 

 

« Vous m’avez fait peur. » Elle se crispe intérieurement, espérant que ces mots ne soient pas aussi accusateurs qu’ils paraissent.

 

 

 

« Je m’en excuse. » répond calmement Koda. « Je n’avais pas réalisé que vous aviez des implants. »

 

 

 

« Eh bien, disons que ce n’est pas vraiment quelque chose que j’ai besoin que les autres sachent. »

 

 

 

Acceptant cette réponse laconique, Dakota hoche la tête et désigne la porte de la main. « Votre dîner est dans la cuisine. »

 

 

 

« Si ça ne vous dérange pas, je mangerai ici. Je suis en plein dans une tâche que je ne peux abandonner en cours de route. »

 

 

 

« Pas de problème. Je vous laisse tranquille. »

 

 

 

« Merci. »

 

 

 

 

8.

 

 

 

Plusieurs heures plus tard, le corps de Kirsten gagne la bataille contre son esprit. Avec amertume, elle éteint finalement son ordinateur. Jusqu’ici, son travail a été bien moins couronné de succès que ce qu’elle espérait.

 

 

 

Foutu Général avec ses foutues bombes. Dix minutes de plus, une heure peut-être, et je tenais ces fameux codes entre mes mains. Maintenant ? Je pourrai m’estimer chanceuse si je parviens à trouver une recette de cake aux carottes dans tout ce fatras !

 

 

 

Poussant un profond soupir, elle se lève et jette un œil à travers les lames du store recouvrant l’unique fenêtre du bureau. « Génial. Tout ce dont le monde à besoin. Encore plus de neige. »

 

 

 

En s’étirant, elle s’approche de la porte avec l’intention de profiter de ce que Dakota lui a apporté en espérant que cela soit toujours sur la table. Asi la salue quand elle sort du bureau, se frottant contre elle tandis que sa queue s’agite fébrilement en frappant contre le mur.

 

 

 

Kirsten regarde la porte de la chambre, surprise de la découvrir fermée. « Il doit être plus tard que ce que je pensais. » Tendant l’oreille, elle entend des murmures derrière la porte, puis une fois de plus, l’acuité de ses implants lui permet de capter quelque chose de bien plus intime que ces murmures.

 

 

 

La rougeur qui lui monte au visage naît de très loin, réchauffant son ventre, remontant jusqu’à sa nuque et ses oreilles.

 

 

 

« Viens, Asi. » gronde-t-elle, saisissant sa veste empruntée. « Un peu d’air frais nous fera bu bien. »

 

 

 

Asimov la suit joyeusement.

 

 

 

 

 

9.

 

 

 

Un souffle d’air chaud salue Kirsten lorsqu’elle pousse la porte de la maison du Colonel. Ce luxe la surprend, elle s’était habituée au froid et à l’acceptation désinvolte de sa propre mort. Elle ne s’est pas encore résignée à survivre, encore moins à intégrer ce récent confort. De même que la perte de sa surdité il y a des années, ceci semble plus une intrusion qu’une guérison. Quelque chose qu’elle n’a pas souhaité comme une prothèse qui ne s’ajuste pas. Elle se sent comme une condamnée à mort quand à la onzième minute de la onzième heure, l’appel téléphonique du gouverneur arrive, lui accordant une remise de peine temporaire. Quand vous avez accepté votre mort, parfois la vie ne vous paraît plus si spéciale.

 

 

 

Asi n’éprouve pas ce genre de regrets. Il la pousse de côté, secouant de la neige sur le tapis du hall d’entrée, et s’élance vers la chaleur du feu dans la cheminée. Du moins, pense-t-elle avec amertume, c’est là qu’il tente de se vautrer. Peut-être est-ce seulement une coïncidence si la grande femme Lakota et ses incroyables yeux bleus, - de sang pur, mon œil !- est assise sur le divan, ses chaussures appuyées contre l’âtre, stratégiquement placée pour lui administrer une généreuse caresse sur le ventre. Comme s’il lisait dans son esprit, Asi se roule à ses pieds avec un gémissement et redresse la tête vers la femme, la langue pendante. Rivers rit, rabat une jambe et commence à caresser le chien, dont la queue se met à battre sur le sol.

 

 

 

Assise près d’elle se trouve une autre femme, vêtue d’un costume et de bottes de pilote, ses longues jambes élégantes croisées devant elle. Elle se met à rire, d’une voix basse et rauque. Kirsten se rend compte que l’espace entre les deux femmes est entièrement factice et inexistant. L’impression d’exclusion qu’elle ressent soudain est presque palpable, mais c’est un mal qu’elle connaît et qu’elle a appris à ignorer depuis son enfance.

 

 

 

Délibérément, elle frappe ses pieds sur le sol pour en déloger le reste de neige, puis secoue énergiquement sa veste pour en faire cliqueter les nombreuses fermetures éclair avant de la suspendre sur le portemanteau démodé de l’entrée. Sympathique et bruyante. Le groupe rock si bien nommé ‘Outrage et ressentiment de Sœur King’ dans son concert du siècle.

 

 

 

Pour l’avoir arrachée de l’usine des droïdes juste quelques secondes avant qu’elle n’obtienne les codes pouvant tous les désamorcer.

 

 

 

BANG !

 

 

 

Pour avoir bombardé l’usine de droïdes et avoir envoyé les codes et les programmes dans les cyber méandres d’une masse de fibres optiques et de circuits électriques fondus.

 

 

 

CRAC !

 

 

 

Pour son chien – son chien, bordel !- qui ne peut attendre avant de se jeter aux pieds de cette grande salope en chaleur.

 

 

 

CRASH !

 

 

 

Et pour cette intimité qui est si foutrement évidente que même elle peut la voir.

 

 

 

CLANG !

 

 

 

« Dr King ? Vous voulez vous joindre à nous près du feu ? » La femme se lève alors que Kirsten hésite. Elle peut voir son grade sur le revers de sa veste : un Colonel. Une partie d’elle-même souhaite piétiner cette charmante petite scène et siffler Asi pour regagner le bureau étriqué où elle a travaillé et qui est devenu un peu le sien l’espace d’un moment. Une autre partie voudrait qu’elle puisse juste s’éclipser en silence en espérant ne pas être plus remarquée. Mais ni l’une ni l’autre de ces solutions n’est possible.

 

 

 

« Colonel ? » dit-elle en s’approchant du vieux fauteuil de cuir vert qui est installé presque en face du divan.

 

 

 

« Maggie Allen. » répond l’autre femme en tendant la main.

 

 

 

Kirsten la lui serre avec toute l’amabilité qu’elle parvient à rassembler. « Kirsten King. Enchantée de vous rencontrer, Colonel Allen. » Puis, avec un effort, « Bonsoir, Dr Rivers. »

 

 

 

« B’soir. » répond la vétérinaire avec un large sourire, en continuant de caresser l’estomac d’Asimov.

 

 

 

 

Sur la table de chêne est posé un plateau et Allen tend une tasse de thé fumant à Kirsten. Le liquide répand une odeur d’herbes, de citron et de pomme, et la chaleur de la tasse contre sa main est un réel plaisir. « Merci. » dit-elle, seulement parce que ses bonnes manières lui dictent de dire quelque chose. A ses pieds, Asimov se retourne vers elle, en gémissant.

 

 

 

Ce satané chien se croit dans un harem. Pense-t-elle tout en tendant la main pour effleurer ses oreilles.

 

 

 

Allen est toujours debout. A contrecoeur, Kirsten prend conscience de sa taille, son port de tête élégant accentué par ses cheveux courts ainsi que des longues mains sans bagues. Le feu fait scintiller le seul bijou qu’elle porte, une boucle d’oreille en forme de chat sauvage. Sa personne respire le calme et une espèce de suffisance contenue. A nouveau, ce qui a poussé Kirsten a quitté la chaleur de la maison refait surface. Elle sent le rouge monter à ses joues et espère que les deux autres femmes vont attribuer cela à l’effet du liquide brûlant qu’elle porte à ses lèvres. Elle jette un bref regard à Rivers qui semble totalement absorbée par ses attentions envers Asimov.

 

 

 

Super ! D’abord un peu de voyeurisme et maintenant, une Colonel canon !

 

Kirsten boit et repose la tasse. « Merci. » répète-t-elle. « Il est bon. »

 

 

 

Les lèvres de Allen se recourbent en une sorte de sourire et pendant un instant, elle ressemble clairement à un félin. Un chat sauvage, peut-être, ou un lynx, en tout cas tout aussi énigmatique. Elle dit : « Dr King, je voulais vous remercier pour ce que vous avez fait. »

 

 

 

Kirsten a un geste de la main mais la Colonel continue. « Non, ça doit être dit. Bien entendu, nous sommes tous reconnaissant pour votre courage lors de votre infiltration dans l’usine de droïdes. Cela sera répété encore et encore et je vous suggère de vous y habituer. Là où je vous suis vraiment reconnaissante, c’est d’avoir giflé le Colonel. Si vous ne l’aviez pas fait, je m’en serais chargée et j’aurais eu droit à la cour martiale. »

 

 

 

Dakota, qui ne se préoccupait plus que de Asimov a un petit ricanement. Kirsten sent à nouveau son regard glisser vers la femme Lakota, notant les pommettes sous les yeux d’un bleu profond, ainsi que les longues jambes serrées dans la paire de jean. A son grand regret, elle se rend compte que Allen a remarqué son regard avant qu’elle ne puisse reprendre le contrôle des traits de son visage. « J’apprécie cela, Colonel. » répond- elle de façon égale.

 

 

 

« Je lui aurais fait la peau de toute façon, si mes gars avaient été blessés.Le Général n’a pas seulement détruit les codes des droïdes. Il a failli aussi tuer une vingtaine de mes soldats, sans oublier l’escadron d’hélicoptères menés par Manny Rivers pour tenter de les tirer de là. » La Colonel prend une gorgée de son thé et s’assied. « Vous y compris. »

 

 

 

« Avec tout mon respect, Colonel Allen, tout se serait bien passé pour moi si personne n’était intervenu. Et j’aurais entre les mains les codes permettant de désactiver les droïdes. C’est le résultat de la stupidité de votre Général. »

 

 

 

De façon abrupte, Rivers se lève. « Je vais me coucher. Bonne nuit, Dr King. » Elle s’arrête pour administrer une dernière caresse sur le ventre d’Asi, puis s’éloigne vers la chambre à coucher, refermant la porte derrière elle.

 

 

 

« Je ne voulais pas… » commence Kirsten.

 

 

 

« Offenser quelqu’un ? Mais vous l’avez fait, Dr King. » L’expression de la Colonel ne change pas, mais Kirsten a la nette impression que la femme retient un rire. « Mais ne vous inquiétez pas d’avoir chassé le Dr. Rivers de la pièce. Elle a fait face » - et cette fois un sourire apparaît sur ses traits – « à bien pire que vous. Bonne nuit. »

 

 

 

 

Arrivée près de la porte, Allen se retourne. « Vous trouverez des couvertures dans le placard de l’entrée. J’ai bien peur que pour cette nuit, il faudra vous contenter du divan. Nous vous trouverons mieux demain. »

 

 

 

Kirsten regarde la Colonel disparaître dans la chambre. Le son des voix des deux femmes filtre derrière la porte. Elle lève une main pour désactiver ses implants, mais la rabaisse après un moment d’hésitation. Elle ne perçoit que les voix, pas les paroles ; ce n’est pas comme si elle écoutait aux portes. Après un moment, le rai de lumière sous la porte s’éteint et le silence se fait.

 

 

 

Doucement, Kirsten prépare deux couvertures qu’elle a trouvées dans le placard sur le divan et éteint elle aussi la lumière. Asi se coince sur les coussins derrière elle, sa large tête posée entre ses pattes. Kirsten regarde les braises mourantes du feu se transformer en cendres dans l’âtre. Elle a la sensation très incommode que quelque chose de vital échappe à sa compréhension. Elle n’en voit pas la raison et tourne et retourne la question dans sa tête. Mais la réponse semble se trouver dans un endroit qu’elle ne peut approcher.

 

 

 

Elle s’endort une fois qu’il ne reste plus que des cendres éteintes dans le feu.

 

Table des matières

 

***********

Comments (0)

You don't have permission to comment on this page.