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INSURRECTION9

Page history last edited by PBworks 15 years, 10 months ago

INSURRECTION

 

De Sword'n'Quill (Susanne Beck)

 

SwordnQuil@aol.com

 

écrit avec T Novan et Okasha

 

 

Traduction : Kaktus et Fryda

 

Table des matières

 

 

CHAPITRE NEUF

 

 

 

L’aube fait lentement son apparition à travers les lames du store quand elle s’assied sur le divan défraîchi, une tasse de café entre les mains et une couverture militaire râpée autour des épaules. Le fait de boire du vrai café est plus que bienvenu et elle le considère comme son petit confort ce matin- elle peut compter sur les doigts d’une seule main le nombre d’heures où elle a dormi.

 

 

 

Toujours sensible à ses humeurs, Asi gémit et relève la tête des genoux de Kirsten. Il lui jette un regard si humain et concerné, que pendant un moment, sa poitrine se serre et ses yeux se mettent à piquer. Mais juste pendant un moment.

 

 

 

En lui souriant pour lui montrer qu’elle va bien, elle retombe à nouveau dans les pensées qui l’ont empêchée de dormir et ont tourné en rond dans sa tête pendant presque huit heures. Des pensées qui n’ont pas de sens. Juste des fragments de mots et d’images englués ensemble sans aucune logique pour son esprit scientifique, un peu comme une note construite avec des lettres et des images découpées dans un magasine féminin.

 

 

 

« Mon Dieu, il me faudrait une cigarette. » Sa voix, enrouée par la fatigue, traduit parfaitement son sentiment. Bien qu’elle se soit débarrassée de cette addiction voilà cinq ans déjà, parfois l’envie réapparaît comme un voleur planqué dans une allée obscure, et en ce moment, ce voleur mesure au moins deux mètres. Et il a de grandes dents.

 

 

 

Elle reste assise, attendant que cela passe, puis se demande pourquoi elle s’ennuie à combattre cette envie. Ce n’est pas comme si les cigarettes allaient coûter de plus en plus cher, non ? Et après avoir passé la majeure partie des deniers jours à littéralement regarder la mort en face, les dangers du tabac ont perdu leur côté effrayant.

 

 

 

Elle rigole doucement. « Je vais rentrer dans un magasin, peu importe comment ils vont appeler ça maintenant, m’emparer d’une cartouche de cigarettes et fumer à m’en rendre malade. » Elle élève sa tasse de café et porte un toast au jour qui se lève. « Au futur ! »

 

 

 

Avec un petit bâillement se terminant par un grognement, Asi se dresse sur ses pattes et trotte vers la porte de la chambre à coucher, sa queue s’agitant frénétiquement. Un moment plus tard, la porte s’ouvre et laisse apparaître Koda et Maggie, vêtues toutes deux d’un uniforme blanc. Elles pénètrent dans la salle à manger, leurs épaules s’effleurant. Pour des raisons qu’elle ne peut comprendre, cette vision heurte Kirsten et elle respire mieux une fois que la Colonel s’est absentée dans la cuisine pendant que la femme Lakota gratte un Asimov quasiment en extase derrière les oreilles.

 

 

 

Kirsten observe la scène alors que son chien émet un son proche du ronronnement et elle ne peut s’empêcher d’admirer les longs doigts qui caressent chaque point sensible de son compagnon canin qui se montre d’habitude distant avec les autres humains.

 

 

 

Comme si elle avait senti son attention, Koda relève les yeux et leurs regards se croisent. Kirsten sent une violente rougeur enflammer son visage, terriblement embarrassée d’avoir été surprise ainsi, embarrassée par les sons émis par son chien et encore plus embarrassée par l’attitude qu’elle a eue la veille.

 

 

 

Pourtant, malgré cet embarras, elle sent que tout peut s’arranger. Les choses semblent… possibles. Comme si l’abîme entre elles peut être comblé juste par un « je suis désolée » ou un « bonjour, ça va ? ».

 

 

 

Une partie d’elle sait que c’est possible, que cela ne demande pas plus que ça, et sa bouche s’ouvre, prête à dire ces simples mots.

 

 

 

Maggie revient de la cuisine, deux tasses de café fumant à la main et le charme de l’instant est rompu, comme des ballons d’anniversaire qui explosent soudainement.

 

 

 

Kirsten se retourne vers l’intruse avec ressentiment mais est accueillie par un sourire. «Merci d’avoir préparé le café. »

 

 

 

« Pas de problèmes. » Kirsten se lève du divan et lui fait un signe de tête, le plus poliment possible. « Si ça ne vous ennuie pas, maintenant que vous êtes toutes deux prêtes, je vais prendre ma douche. »

 

 

 

« Allez-y. » répond Maggie qui ne semble absolument pas touchée par le ton maussade de Kirsten. « Nous ne serons plus ici quand vous aurez terminé. Nous allons nous attaquer à une prison plus au Nord. » Son sourire prend des airs de conspiration. « Si nous avons de la chance, nous pourrons vous ramener un droïde sur lequel vous pourriez travailler. »

 

 

 

« C’est plutôt dangereux, non ? »

 

 

 

Maggie rit mais Kirsten ne voit pas ce qu’il y a de drôle là-dedans. « Oui, ça l’est. C’est pour cela que je suis devenue soldat. » Avec un clin d’œil et un autre signe de la main, la Colonel se détourne, laissant Kirsten sans voix au milieu de la salle à manger.

 

 

 

Asimov gémit, se laisse tomber sur le sol et recouvre son museau avec ses pattes.

 

 

 

 

2.

 

 

 

Le pénitencier est blotti dans la neige, les murs s'élevant des congères qui s'y sont accumulées, au milieu d'un horizon fluide et glacé.

 

Le bâtiment central semble servir à la fois de prison et de centre administratif. Sa façade en béton unie est interrompue par une rangée d’auvents surmontant d’étroites fenêtres dont tous les stores sont fermés, même ceux des pièces proches de la lourde porte de métal. Ce sont certainement les bureaux du personnel de la maison de correction.

 

 

 

Le soleil couchant fait étinceler les fils de fer barbelés. L’air froid fige la prison en une sorte de matrice de verre ; à l’est, l’obscurité fait son apparition tandis qu’à l’ouest persistent encore des bandes de lumière pourpre et or.

 

 

 

« Combien ? » La voix d’Allen n’est qu’un murmure. La température de leurs corps révèlera leur présence bien avant qu’ils ne soient audibles pour les geôliers, mais les vieilles habitudes persistent.

 

 

 

« Des têtes de métal ? » Andrews consulte son écran à nouveau. « Colonel, j’en détecte au moins douze, disons quinze au maximum. »

 

 

 

Koda fronce les sourcils. « Ce n’est pas beaucoup pour une prison de cette taille. Ils étaient plus que ça à Mandan, presque le double. Est-ce que ton appareil peut nous dire s’ils sont désactivés ou en stand by ? »

 

 

 

« Oui, M’dame. » Andrews lui désigne son écran LED qui affiche une série de ligne de chiffres mystérieux. « Il calcule leur masse de métal, plus spécialement le titane. Mais il n’indique pas leurs communications »

 

 

 

Allen a une grimace désabusée. « Ouais. Les premiers modèles confondaient des meubles de rangement en métal avec des droïdes militaires. On a eu au moins deux unités de Marines qui ont failli y passer la première fois qu'on les a essayés à Bagdad. Les soldats ont soigneusement évité les soi-disant droïdes et sont tombés droit sur la Garde républicaine de Saddam. »

 

 

 

« Ok. » réplique Koda. A l’aide d’une branche de sycomore, elle dessine rapidement sur le sol le plan de la prison, qu’elle a obtenu grâce au vol de reconnaissance d’un des hélicoptères qui attendent leur signal à quelques kilomètres de là. « Montrez-nous où ils sont. »

 

 

 

Regardant à la fois le plan et son écran, Andrews indique la position de leurs ennemis. Dix dans le bâtiment, apparemment stationnés devant les portes et le long des corridors, deux dans ce qui semble être la cuisine. Les autres doivent se déplacer en patrouilles, effectuant un trajet très précis et mathématique. « Avec un peu de chance, » dit-il « ce sont des modèles moins perfectionnés que ceux que nous avons affrontés à Minot, avec moins de logique et plus de réponses stéréotypées. Pas de biodroïdes ni de modèles pseudo-humains. »

 

 

 

Allen hoche la tête. « Johnson. »

 

 

 

« M’dame ! »

 

 

 

« Vous êtes la plus petite, leurs capteurs pourront peut-être vous prendre pour un grand chien ou un daim. Quand je donnerai l’ordre et que les patrouilles se trouveront ici et ici, »Allen pointe son doigt ganté sur le plan, « vous surgirez d’ici et poserez la charge sur le portail est. Puis revenez par le côté sud et accordez-vous trente secondes au moins. Andrews ? »

 

 

 

« Colonel ? »

 

« Donnez-moi votre détecteur de droïdes et accompagnez Rivers ainsi qu’une douzaine d’hommes dès que le passage est libre. Faites un maximum de bruit pour créer une diversion. Pendant qu’ils seront occupés avec vous, le reste d’entre nous attaquera par l’autre côté. Et on se retrouve au milieu. Tout le monde a compris ? »

 

 

 

Koda acquiesce et, suivie par Andrews et le reste de sa troupe, se dirige vers l’amont du ruisseau– du moins ce qui devrait être l’amont si l’eau n’était pas gelée. En se traînant sur les mains et les genoux, là où la neige est assez haute pour la cacher, et rampant le reste du temps, elle leur trace un chemin dans la neige. Tout n’est plus que blancheur. La neige, leurs vêtements, les nuages de vapeur qui s’échappent de leur bouche.

 

 

 

Le blanc est la couleur du Nord et la mort est dans le Nord. Un frisson qui n’a rien à voir avec la température la parcourt. Elle lève la tête et voit passer l’ombre d’un hibou, ses ailes déployées dans l’air silencieux. Inconsciemment, Koda pose une main sur la bourse de remèdes suspendue autour de son cou. Lelah sica. Le hibou blanc, Hinhan ska est un mauvais présage. Ina Maka, prononce-t-elle pour elle-même, Notre Mère à tous. Fasse que je ne conduise pas ces gens vers leur mort.

 

 

 

Derrière elle, elle entend un juron étouffé quand quelqu’un se prend les pieds dans la racine d’un des sycomores séculaires qui bordent le ruisseau. Quelqu’un d’autre accroche une branche invisible, cachée par la neige et elle se tourne pour voir Larke être projeté en avant et rattrapé de justesse par l’homme qui le suit. Chute évitée. Koda ralentit quand le ruisseau fait un coude, les amenant à l’est de l’enceinte. Il fait de plus en plus noir, il ne reste qu’une pâle lueur à l’horizon. De l’autre côté du ruisseau, elle aperçoit le contour du large portail en métal qui laisse entrer et sortir les véhicules de la prison. Sur quelques mètres devant lui, la neige est un peu moins épaisse, et apparaît sous la forme d'une large bande toute droite, qui marque sans doute l'emplacement de l'entrée du garage.

 

 

 

Andrews hoche la tête quand elle le désigne du doigt. « Compris. » souffle-t-il, le pouce levé.

 

 

 

 

« Tenez-vous prêt … » Koda s’interrompt lorsque le talkie walkie accroché à sa ceinture vibre et bourdonne faiblement. « Rivers. »

 

 

 

« Ici Allen. C’est le moment. » Juste ça et la communication s’interrompt abruptement.

 

 

 

« …à bouger. » termine Koda. « Johnson ! Maintenant ! »

 

 

 

La jeune femme traverse le ruisseau en un parfait saut de gymnaste, elle atterrit de l’autre côté et se dirige vers le portail avant même que Koda ait terminé de parler. Elle parcourt les cent mètres en quelques secondes, place la charge et va se cacher derrière l’angle du bâtiment. Trente interminables secondes plus tard, le plastique explose avec un bruit étouffé suivi par le choc du métal quand le verrou est arraché des lourds panneaux de fer.

 

 

 

« En avant ! »

 

 

 

Koda s’élance et court déjà alors que l’écho de l’explosion résonne contre les hauts murs de la prison. Andrews est juste derrière elle, suivi de près par le reste de la troupe. Ils pénètrent dans l’enceinte et y découvrent une cour vide, où seuls sont marqués dans la neige les sentiers empruntés par les droïdes lors de leurs rondes méthodiques et mathématiques. D’un côté du bâtiment central est parquée une rangée de camions blancs arborant le logo de la Justice représentant une balance entourée par deux branches de laurier. Le bâtiment est blanc aussi, et seules ses fenêtres à barreaux interrompent sa monotonie.

 

 

 

 

Au bout du parking se trouve le garage dont les doubles portes semblent trop difficiles à ouvrir. Koda opte plutôt pour l’entrée des cuisines, menant son groupe à travers l’espace libre entre le portail et le parking jusqu’au mur du bloc principal, passant ensuite d’une aile à une autre.

 

 

 

« Putain de bordel ! » murmure Andrews. « Où sont passés ces salopards ? »

 

 

 

« Ici. » répond Koda alors qu’ils dépassent le coin d’une autre aile.

 

 

 

 

Six droïdes sont postés sur une ligne parfaite juste devant l’entrée du bâtiment. Tous sont armés soit d’un Uzi soit d’un M-16.

 

 

 

Koda brandit sa propre arme et son tir fait apparaître une rangée de trous en plein milieu du torse d’un des droïdes qui se prépare à riposter, mais Koda ne lui en laisse pas le temps et vise ses yeux, larges et lumineux dans la pénombre. Tout l’escadron fait maintenant feu derrière elle dans un bruit d’enfer. Elle entend un cri surgir de quelque part sur la droite mais ne peut quitter sa cible des yeux assez longtemps pour découvrir de qui il provient. « Grenades ! » hurle-t-elle, en en arrachant une elle-même de sa ceinture. Elle la projette en avant, la faisant rouler dans la neige jusqu’au milieu des quatre droïdes encore debout. Elle explose, telle la foudre, mais l’odeur qui en résulte n’est pas celle d’un coup de tonnerre mais d’un mélange de poudre et de métal en fusion. Deux grenades de plus libèrent l’accès de l’entrée des cuisines, seulement entravée par les morceaux de métal et les restes de circuits électriques éparpillés dans la neige.

 

 

 

 

« Larke a été touché, M’dame. »

 

 

 

Andrews, dont une manche est striée de rouge, est agenouillé près du Caporal étendu dans la cour, une tache écarlate s’étalant sous lui dans la neige, telle une fleur exotique. Il est conscient mais ses lèvres sont livides, à cause du froid tout autant que de la douleur. Son visage est caché en partie par sa cagoule de ski qui accentue encore plus sa pâleur. Son demi sourire ressemble à la grimace macabre d’un squelette. « Juste une blessure sans gravité, M’dame. »

 

 

 

 

La main de Koda cherche spontanément la bourse de remèdes accrochée autour de son cou, mais elle dit d’une voix crispée : « Reese, Martinez. Emmenez-le à l’intérieur du bâtiment. » Alors que les hommes s’empressent d’obéir, elle rajoute : « Andrews ? »

 

« C’est juste une écorchure, M’dame. Un bout de peau en moins. » Il tire sur le morceau effiloché de sa veste qui révèle une longue et étroite éraflure. « Rien de grave. »

 

« Vous survivrez. » admet Koda, en enjambant les fragments de métal et de plastique disséminés, seuls vestiges de leurs ennemis. L’entrée les amène effectivement dans une grande cuisine. Juste au-dessus de leur tête se trouve une imposante batterie d’ustensiles, suspendue au plafond par des crochets en acier inoxydable. Des râpes et des hachoirs reposent sur le plan de travail, entre des piles de bols et de cuillères. Sur la cuisinière est posée une imposante marmite contenant du riz en train de cuire avec force. Son odeur lui rappelle celle des jours de lessive chez sa grand-mère, les blouses et les chemises amidonnées dans lesquelles elle et ses frères ont été enserrés chaque jour pour aller à l’école jusqu’à leur remise de diplôme. « Parce que vous devez être les meilleurs, toujours. » Phoenix et elle les appelaient des uniformes de prisonniers.

 

 

 

 

Reese et Martinez déposent Larke sur une large table, et placent son sac sous sa jambe blessée. Rapidement mais avec douceur, Koda découpe le tissu autour de la blessure située tout près de l’aine. Elle transforme une paire de serviettes en compresse et l’applique sur la plaie. Elle entend les sons étouffés de coups de feu et de cris qui proviennent de la porte ouverte. « Andrews. » ordonne-t-elle, « Emmenez tout le monde sauf Martinez et dirigez-vous vers le hall central. Je vous suivrai plus tard. »

 

 

 

 

Elle s’adresse ensuite à Larke. « Vous voulez savoir ce que c’est votre ’blessure sans gravité’ ? Des tendons et un muscle déchirés, des veines écrasées. Mais vous avez échappé au pire. » Elle place une autre compresse et appuie fortement sur la plaie. Larke a un hoquet et pâlit sous la douleur. « Oh, mon Dieu. M’dame, vous n’allez pas en profiter pour abuser d’un homme à terre, hein ? »

 

 

 

Cette tentative de plaisanterie est un bon signe. « Non. » lui répond Koda, tout en maintenant la compresse d’une main et de l’autre, elle saisit son fusil. « Martinez va s’en charger. » L’autre soldat la remplace. « Appuyez aussi fort que vous pouvez. Changez les serviettes quand elles seront trop trempées. On sera vite de retour. »

 

 

 

 

« Bien compris, M’dame. »

 

 

 

Koda se précipite dans le couloir, se guidant aux sons de fusillade de plus en plus forts, provenant de leurs propres armes ainsi que de celles des droïdes. Tout en courant, elle entend le début d’une résistance à l’intérieur des cellules qu’elle longe. Les prisonnières crient des encouragements aux ennemis invisibles de leurs geôliers. Elles frappent les quelques objets à leur disposition contre les murs et les portes. Quelque part dans les étages supérieurs, les cris se transforment en une sorte de chant rythmé, répercuté sur les murs des étroits couloirs.

 

 

 

Tuez les droïdes ! Tuez les droïdes ! Tuez les droïdes !

 

 

 

 

En tournant à l’angle d’un couloir, Koda manque de percuter Andrews, accroupi comme le reste de la troupe derrière une barricade improvisée composée de bureaux renversés. L’espace devant eux est formé d’une intersection de trois corridors. Deux droïdes, leur tête fracassée en plusieurs morceaux, sont étendus sur le sol, dans une étrange rigidité. Une autre silhouette est étalée entre eux, un énorme trou écarlate sur le côté droit et où il manque les bras et les épaules. Le sang qui s’écoule de son corps est déjà coagulé par le froid.

 

 

 

« Johnson ? »

 

 

 

« Oui. Elle est tombée juste au moment où on arrivait. Les droïdes se trouvaient juste là. » Andrews montre un des corridors sur la droite. « Ils avaient un fusil calibre 50. La Colonel et le reste de la troupe se trouvent dans le corridor sur la gauche. Il y a quelques blessés mais elle ne veut pas encore appeler les hélicos. On perdrait trop de civils. »

 

 

 

« Bon sang ! Il faut qu’on passe derrière eux. »

 

 

 

« Il y a une entrée de l’autre côté, on devrait pouvoir passer par là. »

 

 

 

Koda secoue la tête. « Ça prendrait trop de temps. Il y a un chemin plus rapide. »

 

 

 

« Ah bon ? »

 

 

 

Koda pointe son doigt vers le plafond. « Vous n’êtes pas claustro ? »

 

 

 

Les yeux bleus d’Andrews étincellent sous son bonnet de ski. « Non, M’dame. Je vous suis. »

 

 

 

Koda traîne une chaise sous une des lampes du plafond, grimpe dessus et commence à retirer les grandes dalles en polystyrène du faux plafond. Derrière les deux premières, elle trouve des câbles électriques tout emmêlés ; derrière la troisième, rien, à part le reflet de la lumière sur les fourreaux en aluminium des câbles. Enfin, elle trouve un espace où se faufiler derrière la quatrième. "Et hop, au fond de la mine", fait-elle, avant d'allumer sa torche et de se hisser dans le plafond, entre tuyaux et câbles.

 

 

 

Ils avancent incroyablement lentement. La prison est bien conçue et les câbles qu'elle voit sont tous bien scellés à leur extrémité.

 

Si ce n’est pas le cas, ils finiront grillés et leur mission aussi. Koda rampe sur ses coudes, évitant les câbles colorés. Elle déplace très précautionneusement son poids, afin de ne pas faire céder les tuyaux. Elle entend le reste de ses soldats, dont une partie semble se faufiler derrière elle avec l’aisance de serpents à sonnettes, et l’autre avec autant de finesse qu’un éléphant dans un magasin de porcelaine.

 

 

 

« Chuuuut, bon Dieu ! »

 

 

 

Reese tente de leur faire faire moins de bruit. Les capteurs des droïdes sont ultra perfectionnés. Andrews le sait, lui aussi. « On va se faire repérer. »

 

 

 

« Je sais. » Répond-elle. A première vue, ils devraient être au-dessus d’une cellule en face du couloir qu’ils viennent de quitter. « Il doit y avoir quelqu’un juste ici. » ajoute-t-elle, en écartant une dalle défectueuse.

 

 

 

Dans la pénombre de la cellule, deux femmes apeurées regardent dans sa direction. La première brandit l’unique tabouret de la pièce, qui s’est en partie brisé lorsqu’elle l’a frappé contre la porte. La seconde tient un bol en métal dans chacune de ses mains, leur contenu éparpillé sur le sol. Elle les a utilisés comme des cymbales.

 

 

 

 

« Faites encore du bruit, s’il vous plaît. » demande Koda. « Couvrez-nous. »

 

 

 

 

La plus jeune des deux, qui doit avoir dans les18 ans, se ressaisit et lui sourit de toutes ses dents. « Pas de problème ! »

 

 

 

Koda la remercie d’un hochement de tête, et alors qu’ils se remettent tous en route, les clameurs redoublent en dessous d’eux, se transformant en une intense vibration, formée de voix et de coups métalliques résonnant sur un rythme simple et ancien. Koda frissonne à ce son qui vient marteler dans sa tête et son sang, tel l’écho des tambours de guerre du temps jadis.

 

 

 

« Tuez-les ! Tuez-les ! Tuez-les ! »

 

 

 

Elle entend ses hommes derrière elle qui respirent au même rythme que le mantra répercuté par les voix des prisonnières.

 

 

 

« Tuez-les ! Tuez-les ! Tuez-les ! »

 

 

 

Ils ont parcouru environ 15 mètres en 30 minutes. Cela lui semble une éternité. Koda ne panique pas dans les ascenseurs mais elle n’est pas à l’aise dans les endroits où elle se sent trop à l’étroit. Elle ordonne à ses soldats de s’arrêter et continue seule sur quelques mètres, pressant son oreille contre le sol. Puis elle déplace une dalle d’un centimètre. Dans la cellule sombre au dessous, elle distingue deux silhouettes couchées en position fœtale. Elle se fige tel un lièvre apercevant un aigle prêt à s’abattre sur lui et tente de capter le bourdonnement bizarre des droïdes communiquant entre eux. Ce sont finalement les coups de feu provenant d’une mitrailleuse qui éclatent pratiquement en dessous d’elle qui lui indiquent la position de leurs ennemis. Elle entraîne sa troupe un peu plus loin.

 

 

 

 

Ils tombent du plafond directement derrière les droïdes. Le son qui déchire la gorge de Koda lui était inconnu jusqu’à ce jour ; un cri prenant sa source dans le sang et la mort. Andrews, juste derrière elle, hurle lui aussi tel une panthère en brandissant son M-16. Il le dirige droit sur les droïdes, semant la destruction parmi leurs rangs. « La mitrailleuse ! » crie Koda en tirant sur la surface brillante des corps cauchemardesques devant elle. « Visez la mitrailleuse, bordel ! »

 

 

 

Mais l’un des droïdes, plus rapide que les autres, vient de tourner l’arme vers eux. Koda vise immédiatement le M-50 et celui qui l’utilise. Andrews fait de même, tentant d’atteindre le droïde, difficile à distinguer au milieu de la cacophonie de la bataille. Mais Reese passe devant eux et se retrouve face à face avec l’engin de mort. Il se jette sur l’arme au moment où une déflagration le transperce, éclaboussant les murs, le plafond et ses camarades, de sang et de lambeaux de peau. Andrews hurle à nouveau et vide son chargeur sur le tireur de métal. Koda entend un bruit de bottes sur le sol métallique, à peine audible à travers les tirs et les cris ininterrompus des prisonnières. Elle voit surgir le reste de la troupe, la Colonel Allen en tête, grondant aussi fort que le chat sauvage cousu sur son uniforme. Ils défoncent la barricade et les droïdes se retrouvent encerclés de toutes parts.

 

 

 

Tout se termine en quelques secondes. Au moment où Koda lève son arme pour éliminer le dernier droïde encore debout, Allen la stoppe. « Non ! On le garde ! » Avec son arme, elle frappe l’Uzi porté par le tireur et le fait voler hors d’atteinte dans le couloir.

 

 

 

Andrews envoie son pied dans le droïde qui s’écroule. Aidé de Koda, il se jette sur lui, alors que ses membres mécaniques fouettent l’air afin de les empêcher de le saisir, avec une force littéralement surhumaine. Koda a l’impression de se retrouver en train d’essayer de monter le taureau de son grand-père, un jour de l’été de ses dix ans. Le droïde bouge sous elle de la même façon et elle ne peut rien faire d’autre que s’accrocher fermement pour ne pas être désarçonnée. Finalement, deux autres soldats viennent s’asseoir sur les jambes du droïde et deux autres font de même pour les bras afin de l’immobiliser.

 

 

 

« Bien joué, les gars. » commente Allen, le souffle court. Elle se tient au-dessus du droïde, les mains sur les hanches et le pied posé sur une de ses épaules. « Que quelqu’un prenne les chaînes qui sont dans mon sac. Nous allons amener un petit cadeau au Dr King. »

 

 

 

Un soldat fouille dans le sac du Colonel et en sort une longue chaîne de titane fixée à une ceinture et à quatre menottes, destinées aux mains et aux chevilles du droïde. Ce dernier tente toujours frénétiquement de se libérer, envoyant un coup de pied sur la mâchoire de Ramirez et parvenant presque à déloger Koda et Andrews de son dos. Membre après membre, ils parviennent à l’immobiliser, passant la ceinture autour de sa taille et attachant chaque main en face du pied opposé. Au moment où la dernière menotte est fixée, le droïde abandonne et se tient tranquille.

 

 

 

Il n’est pas neutralisé et certainement pas détruit. Mais les chaînes lui montrent clairement qu’il est inutile d’opposer encore de la résistance.

 

 

 

Koda se dégage de ce qui ressemble maintenant à une carcasse de métal, se sentant soudain terriblement lasse. Elle se dirige vers Reese, toujours affaissé sur la mitrailleuse. Elle sait que c’est sans espoir, mais elle le retourne avec précaution, afin de ne pas lui faire plus de mal. Son uniforme est tâché de sang, autant le sien que celui de la blessure de Larke. Elle sent un grand vide en elle, noir et aussi vaste que l’espace entre les étoiles. Ses doigts s’accrochent à l’uniforme de Reese, comme si elle tentait de le faire revenir parmi eux. Mais ses yeux sont fixes et vitreux. Le sang qui s’écoule de sa bouche commence déjà à coaguler.

 

 

 

 

 

 

 

 

Maggie s’agenouille derrière elle, posant une main sur son épaule. « C’est difficile de mener ses hommes à la mort. Surtout les premiers. »

 

 

 

Presque comme dans un rêve, Koda se retourne vers l’autre femme. La guerrière qu’elle était quelques minutes avant a disparu. Les yeux d’Allen sont aussi tristes que ceux d’une Madone affligée, presque comme ceux d’Ina Maka elle-même. D’une voix qui lui paraît venir de très loin, Koda demande : « Est-ce que cela devient plus facile au fil du temps ? »

 

 

 

« Non. » Maggy secoue légèrement la tête. « Jamais. »

 

 

 

Après un moment de silence, Allen presse à nouveau son épaule et demande : « Larke ? Martinez ? »

 

 

 

« Larke est blessé. Martinez est resté avec lui dans la cuisine. »

 

 

 

« Bien, très bien. Commençons à explorer cet endroit. »

 

 

 

Le chant des prisonnières s’est tu. Reposant doucement Reese, Koda se redresse. « Je m’occupe de Larke. »

 

 

 

La Colonel hoche la tête. « Fais vite. J’aurai besoin de toi quand nous ouvrirons ces cellules. » Puis plus fort. « Quelqu’un sait où ils ont planqué les clefs ? »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Koda se dirige rapidement vers la cuisine. Elle y trouve Larke aussi pâle que le reste de son uniforme de camouflage, mais conscient. Aux pieds de Martinez, elle aperçoit une pile de serviettes ensanglantées. Elle constate avec satisfaction que la compresse qui se trouve maintenant contre la blessure n’est pas imbibée de sang. Elle la soulève pour observer la plaie qui saigne beaucoup moins. Le pouls de Larke est plus rapide qu’elle ne le souhaiterait mais néanmoins régulier. « Alors, je vais comment, Doc ? » demande-t-il avec un semblant de sourire. « Je vais survivre ? »

 

 

 

Koda replace la serviette de coton sur la plaie. « Vous allez vivre et même marcher. De plus, vous garderez tout le matériel avec lequel vous êtes venu au monde, ce qui n’arrive pas toujours à mes patients mâles. »

 

 

 

Martinez commence à ricaner, mais s’arrête rapidement. « Hé, vieux salaud ! » Larke lève la tête et fixe son camarade avec indignation. « Je te signale que ça pourrait être toi, couché ici. » Il fait un geste imitant une paire de ciseaux avec les deux doigts de sa main droite.

 

 

 

Koda adresse un sourire au soldat. « Il vous a mené la vie dure, Martinez ? »

 

 

 

« C’est un patient horrible, M’dame. S’il avait réussi à se relever, il vous aurait suivis tout de suite, vous et Andrews. »

 

 

 

« Ben voyons ! M’dame, c’est faux ! Leo a essayé de me relever. Il voulait vous rejoindre. Je lui ai dit de me laisser, mais il n’a pas voulu. »

 

 

 

« Et il a bien fait. » Elle se retourne vers Martinez. « On commence à libérer les prisonnières. Lui reste ici. » Koda désigne Larke du doigt. « Et vous restez avec lui. Il faut surveiller sa blessure. Si vous constatez un changement quelconque, avertissez-moi. Sinon, attendez ici jusqu’à ce que nous appelions les hélicos. Ils viendront le chercher avec une civière. »

 

 

 

Elle se retourne pour s’en aller mais Martinez la saisit légèrement par la manche. « M’dame… ? »

 

 

 

Koda comprend la question dans ses yeux. Elle n’a pas envie de répondre, mais elle le fait tout de même. « Nous avons perdu Johnson et Reese. Mis à part Larke, personne n’est grièvement blessé. »

 

 

 

« Les droïdes ? »

 

 

 

« Tous ont été détruits sauf un. Nous le ramenons au Dr King pour voir si elle peut en tirer des informations. »

 

 

 

Le poing de Martinez se serre. « Vous savez, M’dame. Parfois, j’aimerais qu’ils soient humains. Ce n’est pas juste qu’ils ne puissent rien ressentir. »

 

 

 

« Je sais. » répond-elle doucement. Elle revoit les images de la dernière semaine dans son esprit : le cadavre des enfants Hurley, les femmes de la prion de Mandan, le désespoir résigné qu’elle a senti dans la voix du Dr King. « Nous trouverons qui est derrière ceci. Et ils payeront. »

 

 

 

« Et j’espère que je serai du voyage, M’dame. » ajoute Larke. Martinez hoche la tête. « Moi aussi. »

 

« Ça viendra en son temps, je vous le promets. » Puis plus sèchement. « Pour le moment, vous restez ici. Cela devrait durer une demi-heure, guère plus. »

 

 

 

Alors que Koda regagne le centre de la prison, un haut parleur crépite au-dessus de sa tête. « Ça marche ? Oui, on dirait. »

 

 

 

 

Puis la voix d’Allen retentit, forte et claire. « Attention, attention. Ici le Colonel Margaret Allen, de l’Air Force des Etats-Unis. Nos forces tactiques réunies ont détruit les androïdes de cette prison. Nous sommes maintenant aux commandes du bâtiment. L’évacuation des prisonnières va commencer immédiatement couloir par couloir. Si vous avez besoin d’un médecin, avertissez les soldats qui vous emmèneront au réfectoire. »

 

 

 

Le haut-parleur redevient silencieux. Après quelques secondes, la prison reprend vie. Cette fois, c’est une acclamation qui retentit, telle le cri d’un oiseau de proie.

 

 

 

Koda retrouve la Colonel dans ce qui semble être la salle principale des gardiens. L’équipement électrique occupe un large comptoir, à côté de deux ordinateurs et d’une rangée d’écrans de surveillance qui montrent les cours enneigées de la prison. Toute l’opération a pris environ une heure. Allen interroge Koda. « Larke ? »

 

 

 

« Ça ira, grâce à l’aide de Martinez. » répond-elle. « Mais il sera mieux une fois arrivé à l’hôpital. »

 

 

 

« Bien. Les serrures sont électroniques ici. Nous n’avons pas les codes mais les interrupteurs d'urgence nous permettront de désactiver le système. J’aimerais que tu restes ici pour accueillir tous les groupes au cas où il y aurait une urgence médicale. » Allen s’arrête puis reprend plus doucement. « Tu as fait un sacré boulot, aujourd’hui, tu sais. Tu es faite pour ça. »

 

 

 

« Je sais. » répond Koda d’une voix si basse que c’en est presque un murmure. « C’est quelque chose qui était… là… toute ma vie. Presque comme un souvenir. »

 

 

 

 

 

« On en reparlera une fois rentrées à la base, quand le calme sera revenu. » murmure Allen. Sa voix reprend une assurance d’officier. « Andrews. Emmenez deux soldats de plus et accompagnez le Dr Rivers jusqu’à l’aile A. Aidez-la à récupérer tout le matériel médical dont elle aura besoin. Moi je vais faire appel à un autre Rivers, afin que les hélicos soient ici dans une demi-heure. »

 

 

 

Koda extrait son kit d’urgences de son sac et suit Andrews, Ramirez et Hanson le long du couloir A. Les femmes qui sortent des cellules semblent moins terrifiées que les prisonnières de Mandan. Sans doute parce qu’elles ont eu une bonne heure pour comprendre que les secours arrivaient et qu’elles ont pu faire ce qu’elles pouvaient pour aider à la défaite de l’ennemi. L’une d’entre elles, le visage encore rose d’excitation, saisit Andrews par le bras et lui donne un baiser sonore, puis montre le même enthousiasme envers Ramirez, Hanson et Koda. Quand une deuxième femme s’avance vers le Lieutenant, il la repousse gentiment mais fermement en direction du réfectoire. « Madame, s’il vous plaît, nous avons peu de temps. Nous apprécions, euh… votre gratitude, mais il faut qu’on se tire d’ici… si vous voyez ce que je veux dire,… Madame. »

 

 

 

Koda constate avec satisfaction que les femmes ne sont pour la plupart pas blessées ou alors superficiellement. Beaucoup ont des bleus, allant du gris-jaune au violacé, selon le moment où ils ont été faits. Une des prisonnières a une longue coupure peu profonde sur un avant-bras et Koda y appose une bande serrée en attendant de pouvoir recoudre la plaie une fois à la base. « C’est ma faute, Docteur. » dit-elle d’une voix douce avec l’accent traînant du Sud. « J'ai cassé le pied du tabouret en le tapant contre la porte. Si seulement ça avait pu être sur la tête d'un de ces salopards. »

 

 

 

En dépit d’elle-même, une pointe d’amusement efface un peu la colère de Koda. Comme dans son propre peuple, les femmes nées dans le Sud ont toujours été plus tenaces et solides. Cette ténacité aidera cette femme à survivre, comme elle a permis aux femmes Lakota de survivre à un siècle et demi de tentatives d’extermination.

 

 

 

Elle laisse la jeune Scarlett avec la Colonel et le reste de la troupe dans le réfectoire où les soldats servent des verres d’eau et de jus de fruits. Allen passe de groupes en groupes, parlant avec chaque femme, rassurant celles dont le regard est encore hanté et répondant aux questions quand elle le peut. Une des femmes, très pâle, ne cesse de demander : « Où sont les enfants ? Qu’ont-ils faits aux enfants ? »

 

 

 

Koda s’arrête avant de s’engager dans le couloir menant à l’aile D, afin d’écouter la réponse d’Allen. « Madame, je suis désolée. A première vue, les droïdes ont tué tous les enfants sauf les filles ayant dépassé la puberté. Vos enfants étaient avec vous quand ils vous ont capturée ? »

 

 

 

La femme est en hyperventilation et Koda s’agenouille devant elle avec la Colonel, afin de prendre son pouls. « Oui ! Mon Dieu, pourquoi vous ne voulez pas comprendre ? » Elle cherche de l’air avant de continuer. « Ils ont emmené aussi mes enfants ! Pourquoi vous ne les avez pas retrouvés ? Où sont-ils ? » Elle se met à hurler. « Où sont-ils ? »

 

 

 

Une autre prisonnière vient s’asseoir près d’elle et passe son bras autour de ses épaules. « C’est vrai, Colonel. Deb était avec ses enfants quand ils nous ont capturées au supermarché. Mais je ne les ai plus revus depuis ce jour-là. »

 

 

 

 

 

 

 

 

« Deb ? » intervient Koda avec douceur. « Nous chercherons vos enfants. Je vous promets que nous ne partirons pas d’ici sans les avoir trouvés ou sans être sûrs qu’ils ne sont pas ici. Pouvez-vous nous dire quel âge ils ont ? Des garçons ou des filles ? »

 

 

 

« Deux garçons. » répond l’autre femme. « De quatre et cinq ans. »

 

 

 

« Bien. » La Colonel se redresse et se dirige vers deux soldats en train de fouiller derrière le large comptoir. « O’Donnell ! Markovic ! » ordonne-t-elle. « Fouillez la prison et trouvez ces enfants. Pas les cellules, les autres s’en chargent déjà. Mais essayez les garages, les bureaux et les hangars. Exécution ! »

 

 

 

Koda retourne à son travail, qui consiste à évaluer l’état des prisonnières libérées de leurs cellules. Dans l’aile D, ils trouvent une femme accompagnée de sa fille, qui ne doit pas avoir plus de 13 ans. Leurs vêtements sont sales mais intacts- pas de déchirures ni de traces de sang. Leurs bras ne présentent aucune marque. Contrairement aux autres, elles se montrent réservées et ne semblent pas ressentir de colère. De la peur, de la confusion, mais pas de colère. « Je m’appelle Millie Buxton. » dit la femme d’un ton hésitant. « Mon mari est ici aussi. Vous l’avez trouvé ? »

 

 

 

« Ils ne vous ont pas touchées, n’est-ce pas ? » demande une femme aux cheveux noirs d’un air méprisant, avant que Koda puisse répondre. « Salope ! »

 

Andrews empêche la femme de poursuivre et l’emmène le long du couloir au moment où elle se prépare à cracher sur elles. Koda répond calmement. « Non, nous ne l’avons pas trouvé. Il était employé ici ? »

 

 

 

« Non. Prisonnier. Erin et moi étions en visite quand … c’est arrivé. »

 

 

 

« Et on ne vous a pas fait de mal ? »

 

 

 

 

 

« Non. Je sais ce qu’elle pense… J’ai entendu quand… » Millie jette un regard vers sa fille. « Quand les choses sont arrivées aux autres femmes. Mais nous, ils nous ont laissé tranquilles. Je ne sais pas pourquoi. J’en suis heureuse, … pour Erin, vous comprenez. »

 

 

 

Koda ne comprend pas vraiment même si une idée fait son chemin dans son esprit. « Si votre mari est ici, nous le trouverons, Madame Buxton. » Elle se retourne vers Andrews alors que les dernières femmes s’éloignent. « La dernière aile est bien silencieuse. »

 

 

 

Andrews hoche la tête. « On va emmener quelques hommes de plus au cas où. C’est l’endroit où on a surgi toute à l’heure non ? »

 

 

 

« Oui. Et je suis pratiquement sûre d’avoir vu une silhouette masculine depuis le plafond quand j’ai écarté la dalle. Il vaut mieux procéder de cellule en cellule. »

 

 

 

« Il faudra voir ce que le Colonel veut en faire. Personnellement, je suis pour les laisser mourir de faim, mais elle a peut-être d’autres intentions. »

 

 

 

Au final, ils en découvrent quatre. Ils ressemblent à leurs homonymes de Mandan, pleins de hargne. Mais le quatrième ne leur répond pas quand ils ouvrent sa cellule. Il reste pelotonné au sommet de sa couchette, les genoux repliés contre la poitrine. Seul le mouvement de sa respiration prouve qu’il est en vie.

 

 

 

« Ok. » lui dit Andrews, après que le prisonnier ait ignoré plusieurs fois ses propos. « Sortons-le de là. »

 

 

 

« Attendez une minute. » Koda pénètre en silence dans la cellule et s’approche de la couchette. « Mr Buxton ? »

 

 

 

 

Rien.

 

 

 

« Mr Buxton ? » essaie-t-elle à nouveau. « Millie et Erin sont inquiètes pour vous. Elles sont saines et sauves grâce au marché que vous avez passé avec les droïdes. Ils les ont laissé tranquilles. »

 

 

 

L’homme laisse échapper un gémissement, presque un sanglot. « Laissez-moi, s’il vous plaît. Ou tuez-moi. Mais ne leur dites pas… S’il vous plaît. Je ne veux pas qu’elles sachent… Dites-leur que je suis mort. S’il vous plaît ? »

 

 

 

Andrews s’approche et relève l’homme pour qu’il soit correctement assis. Des cheveux embroussaillés retombent sur son front et ses yeux pâles. « Ecoutez, Buxton. Vous ne pouvez pas décider. Je ne sais pas ce que le Colonel va vouloir faire de vous, peut-être vous tuer sur place, mais peut-être pas. Si j’étais vous, j’aimerais revoir ma femme et ma fille une dernière fois. Et je suis sûr qu’elles aussi. »

 

 

 

« Mr Buxton. Millie et Erin apprendront de toute manière ce que vous avez fait auprès des autres femmes. » Koda prend une profonde inspiration et tente de garder sa voix neutre. « Je ne sais pas si elles pourront vous pardonner. Dieu sait que les autres femmes ne le pourront pas. Mais vous l’avez fait pour sauver votre famille et ça comptera peut-être. Quoi que vous ayez fait, vous devez l’assumer. »

 

 

 

Finalement, il les accompagne mais garde la tête baissée. Allen les rencontre à l’entrée de la cafétéria et dévisage les quatre hommes avec de la fureur dans le regard. « Comme dans l’autre prison. Pour l’instant, enfermez-les dans ce bureau. » Elle leur désigne une petite pièce avec un comptoir où sont posés un ordinateur et ce qui ressemble à une pile de factures. « Hanson, si l’un d’entre eux tente de bouger ne serait-ce que le petit doigt, descendez-le ! »

 

 

 

 

 

Buxton relève la tête et soutient son regard. « Madame, ils m’ont dit que ma femme et ma fille étaient ici. J’aimerais savoir si elles vont bien. »

 

 

 

« Des otages contre ses performances. » commente calmement Koda.

 

« Je vois. » Les traits de Allen se radoucissent imperceptiblement. « Nous allons les ramener à la base. Ils ont droit à un jugement. Andrews, Rivers, venez avec moi. Hanson, vous les surveillez. Ils prendront place dans le dernier hélicoptère afin que ces pauvres femmes n’aient pas à voir leurs visages pouilleux. »

 

 

 

Koda et Andrews suivent le Colonel vers la cafeteria. Ils entendent le bruit reconnaissable des pales des hélicoptères qui s’approchent, se transformant rapidement en un véritable tumulte au-dessus de leur tête. Depuis la porte, Koda voit la neige être projetée dans l’air juste avant que les appareils atterrissent. Ils sont une douzaine, pour la plupart des Black Hawk et des Apaches. L’un d’entre eux arbore une croix rouge sur son côté. Au moment où le rugissement des rotors devient pratiquement insupportable, les engins stoppent.

 

 

 

« Montez ! » crie Allen. Les prisonnières se précipitent vers les hélicoptères, et y grimpent avec l’aide des soldats qui les ont sauvées. Deux brancardiers vont chercher Larke dans la cuisine, accompagné de Martinez. On emmène aussi les corps de Johnson et Reese, enveloppés dans des couvertures. Le droïde captif rejoint les prisonnières, traîné par les menottes qui entravent ses mains et ses pieds.

 

 

 

Quand tout le monde est à bord, Allen grimpe dans l’hélicoptère médical, suivie de Koda. « Décollez, Rivers ! » crie –t-elle. « Et donnez-moi votre micro. »

 

 

 

Manny obéit. Il salue Koda d’un geste de la main. « Makshké ».

 

 

 

 

« Schic’shi. » lui répond-elle, trop fatiguée pour faire plus que lever brièvement le bras. Elle s’appuie contre l’appareil et sent les vibrations du rotor dans chaque parcelle de son corps. Elle devrait bouger, se dit-elle, mais ses muscles refusent d’obéir. Le Black Hawk oscille un instant avant de prendre l’air. Sur cet engin, l'endroit le plus confortable est celui où Koda est à moitié affalée, ou alors c'est dans une des civières suspendues par de grosses sangles de l'autre côté de l'appareil, ou encore le siège du pilote.

 

 

 

Par-dessus le fracas de l’appareil, elle entend Allen crier dans son micro.

 

 

 

« C’est bon. Vous pouvez y aller. »

 

 

 

Koda ferme les yeux pendant que l’hélicoptère continue son ascension, virant ensuite vers le nord ouest. Quand elle les rouvre, elle aperçoit la lune qui fait scintiller la neige au-dessous d’eux. Les étoiles brillent de mille feux cette nuit. Elle reconnaît Orion et son chien, le Bélier et le Taureau. Soudain, il lui semble que deux étoiles se déplacent à grande vitesse et ce n’est que lorsqu’elle voit la ligne rouge et verte qui les suit qu’elle les reconnaît. Des bombes.

 

 

 

Elle les voit descendre au-dessus de la prison qu’ils viennent de quitter, leur système de combustion brillant comme deux petits soleils dans l’obscurité. Puis des fleurs enflammées apparaissent là où elles sont tombées. Koda fait un signe de tête à Allen. Elle sait qu’ils révèlent ainsi un avantage tactique à leurs ennemis, mais au plus profond de son âme, elle sait aussi que le feu est nécessaire pour effacer l’enfer de cet endroit. Elle s’appuie à nouveau contre la paroi de l’appareil et se laisse noyer par l’obscurité.

 

 

Table des matières

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