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Le bus

Page history last edited by Fausta88 14 years, 9 months ago

Entre elles

 

LE BUS

 

 

par Angélique

 

 

anatolia_7@yahoo.fr

 

 

 

 

 

J’ai toujours détesté les transports en commun. Ce en quoi je ne me différencie pas de la majeure partie du peuple. Debout en quasi permanence, écrasée contre des types qui puent la sueur ou l’alcool, coincée dans les perpétuelles grèves...

 

Non vraiment, je déteste tous les transports en commun. Quoi que, peut-être pas tous…

 

Il y a neuf mois, mes études de joaillerie étant terminées, il m’a fallu quitter la capitale et ma petite chambre de bonne située sur les abords du marais pour revenir chez papa-maman. J’ai bien trouvé une place dans une bijouterie, située en plein dans le quatrième arrondissement, mais en attendant de pouvoir me prendre un appart et retrouvé mes quartiers, il me faut réintégrer cette chèèèèère et si ennuyeuse campagne seine et marnaise qui m’a vu grandir. Moi qui m’était acclimatée aux folles nuits parisiennes, qui m’était assimilée à la vie d’une grande cité, le retour aux sources est plutôt dur !!

 

Quelques jours après mon arrivée je suis allée tout droit à la petite mairie de la commune pour avoir les horaires de bus, train, etc. Ô malheur ! Les trajets sont incroyablement longs ! Je suis une habituée du métro moi ! De la marche à pieds, des bus urbains, du tramway, voire du RER ! Des petites distances en somme !

 

La secrétaire, une petite bonne femme à la cinquantaine grisonnante et bienveillante, me renseigne :

 

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- Mais il faut aller à Coulommiers ! C’est-à-dire à quatre kilomètres d’ici !

 

- La plupart des usagers vont là-bas en voiture et laisse leur véhicule au parking de la gare.

 

- Dans ce cas là je ne vois pas l’intérêt de prendre le train ! Autant aller à Paris en voiture directement !

 

- Le train est moins fatigant et…

 

- De toute façon je n’ai pas de voiture ! Quelle est l’autre solution ?

 

La petite secrétaire commence à perdre patience. Il faut dire que je ne suis pas d’une amabilité exemplaire, je sais bien qu’elle n’y est pour rien, mais cette histoire de transport m’énervait dès le départ !

 

- Bon ! me répond-elle en soupirant. Le deuxième choix est le bus. C’est plus pratique pour vous en effet, et vous avez de la chance, l’arrêt est à trois minutes à pieds de chez vous.

 

- Où va-t-il ? Pas à Paris je suppose ?

 

- Non bien évidement, ce serait trop beau ! Le terminus est à Marne la Vallée. Là vous aurez le RER, la gare routière et un réseau de train pour la province…

 

- Marne la Vallée !! Mais c’est aussi le terminus du RER ! J’en aurai au moins pour une heure pour monter sur Charles de Gaulles - Etoile !

 

- Cinquante minutes mademoiselle !!!

 

La pauvre ! Je commence à lui courir sur le haricot !

 

- Et le bus ? Combien de temps pour aller jusqu’à Marne la Vallée ?

 

- Hmm, attendez je regarde…Cinquante minutes. >>

 

Une heure quarante aller, une heure quarante retour ! J’ai même plus la force de m’énerver tellement je suis abattue ! La bonne femme me donne le petit dépliant qu’elle consultait et là je retrouve immédiatement ma rage en voyant les horaires de passage : il n’y a rien entre 8h47 et 15h50 ! Le week-end c’est pire bien entendu ! Mais le coup fatal va m’être donné : j’explose littéralement à la vue de l’horaire du dernier bus.

 

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- Les gens ont fini de travailler depuis longtemps à cette heure là !

 

- Je ne vous parle pas d’horaire de bureau en l’occurrence ! Quoi ? Les ploucs ne sortent jamais par ici ? 19h40 ! Je rêve ! J’ai pas l’intention de me coucher avec les poules moi!

 

- Bon allez ça suffit maintenant ! Les ploucs comme tu dis t’on vu grandir je te le rappelle ! Et moi la première d’ailleurs ! Si la campagne te déplait tant, retourne vivre à Paris ! Et pour ce qui est des horaires de bus, si c’est pour te plaindre, téléphone au numéro inscrit sur le dépliant ! Je ne suis pas là pour subir tes coups d’éclat !! >>

 

Merde ! Je l’ai vraiment agacée la pauvre ! Elle m’a carrément foutue dehors ! Un peu plus et j’avais droit au coup de pied au derrière en accompagnement !

 

 

 

 

Quoi qu’il en soit, le lundi matin, malgré mes grognements, je me suis retrouvée à l’arrêt de bus. Heureusement j’était toute seule, je les connaîs trop bien ces habitants de petits patelins perdus au fin fond de la cambrousse : tout le monde parle à tout le monde, et pour mon premier trajet ce n’était vraiment pas ce dont j’avais besoin ! Finalement les longs trajets possèdent un point positif auquel je n’avais jamais pensé : je peux finir ma nuit dans le bus. Mais ça ne dure qu’un temps, fini les nuits blanches de Paris by Night : je fais mes huit heures de sommeil comme une gentille collégienne ! Ce rythme métro-boulot-dodo de petite employée modèle n’a heureusement pas duré. Un mois plus tard, à la mi-août, mes amies sont revenues de vacances et j’ai pu retrouver avec joie les bars, pubs, boîtes et restos auquel nous étions accoutumées. Il était temps ! Il y a bien quelques lieux de fêtes par chez moi, mais les endroits homosexuels sont presque exclusivement parisiens. J’ai eu beau chercher, je n’ai rien trouvé de gay ou même gay friendly d’à peu près correct, et ma vie sociale et sentimentale commençait à en prendre un sacré coup ! Je n’ai rien contre les boîtes pour hétéros mais c’est plus difficile pour y trouver la femme de ma vie !

 

Cependant j’ai dû ralentir la cadence par rapport à ma vie d’il y a quelques mois : aller dormir chez les amis et donc me trimballer mes vêtements de travail et de soirée en plus de mon matériel ça devient vite fatigant. J’ai donc limité les orgies de fêtes et de danse aux simples week-end, me contentant des pubs et cafés en semaine. Heureusement que j’ai une petite bande d’amies qui m’ouvrent les bras en grand, au moins je peux passer les nuits, ou plutôt les matins, chez les uns et les autres, et ne pas m’inquiéter pour le trajet de retour.

 

 

 

 

Entre temps je retrouve ma campagne et ce cher bus ! « Tu t’y habitueras » me disait ma mère. Tu parles ! Je détestais de plus en plus au contraire !

 

Avec la rentrée scolaire les plannings des chauffeurs se sont fait apparemment plus réguliers. Je veux dire que pendant les vacances on ne savait jamais sur quel conducteur on allait tomber, chose à laquelle je n’avais jamais prêté attention.

 

Voir ou pas ce bon vieux Dédé tous les soirs au bus de 17h05 me passait franchement au-dessus de la tête ! Et puis un matin, j’ai vu la plus belle femme du monde…

 

Je revenais d’un week-end de fête ininterrompu, restaurants et pubs à gogo pour célébrer dignement mes vingt-deux ans, et c’est donc la tête dans le c.. que je suis montée dans le bus. Merci la rentrée scolaire ! Exit les vieux chauffeurs barbus aux regards vicieux ou mauvais, et bonjour à toi belle beauté blonde !

 

Un ange descendu du ciel à mon esprit encore embrumé par les trop nombreuses libations du week-end. Une pure merveille ! Femme de carrure, masculine à souhait, exactement comme je les aime. Cheveux courts coiffés en arrière, un visage ni trop fin ni trop rond, un grain de peau parfait, une silhouette quelque peu musclée et qui, à mon avis, se marie parfaitement avec son uniforme… Mais ce qui retient le plus l’attention chez elle ce sont ces yeux. Ces yeux…Des prunelles d’un bleu limpide, magnifiques, qui se marient à la perfection avec son teint doré. Un regard de cristal qui paraît dur et presque sans humanité tant il garde bien caché un mystère insondable... Cette femme me rend poète !

 

A part ce fameux regard elle peut paraître banale aux autres mais elle me plaît à moi. Je ne saurais pas expliquer exactement en quoi. Bien sûr je la trouve extrêmement belle mais il n’y a pas que ça, son attitude aussi m’attire : elle ne parle à personne, dit bonjour du bout des lèvres, observe tout et tout le monde d’un air presque désintéressé. J’ai très rarement entendu le son de sa belle voix, et je ne l’ai absolument jamais vu sourire, et encore moins rire !

 

En quelques jours à peine, sans qu’elle ne fasse rien pour et avant que j’ai pu m’en rendre compte, cette femme est devenue une vraie passion pour moi. Je ne pouvais penser à rien d’autre durant la journée, je cherchais sa silhouette partout où je sortais, je rêvais d’elle la nuit. Cela se ressentait jusque dans mes dessins, dans mon travail. Jusqu’ici je peignais exclusivement de belles beautés brunes et sensuelles aux postures langoureuses, aux yeux verts, aux silhouettes menues et féminines. Mais bientôt mes habituelles odalisques sont devenues des amazones à la beauté froide, les longues chevelures d’ébène se sont transformées en casques d’or, les formes longilignes en physiques musclés, les émeraudes en saphirs...

 

*

 

 

 

 

Dans le bus j’avais pris l’habitude de m’installer le plus près possible d’elle, ou bien, sur un siège qui m’offrait la meilleure vue sur son visage. Je ne pouvais m’empêcher de la regarder, c’était plus fort que moi, détacher mes yeux de son reflet dans le rétroviseur était impossible. Elle n’a d’ailleurs pas tardé à remarquer mon petit manège, c’était prévisible ! Alors, quelques fois, je me faisais oublier le temps d’un voyage en allant m’asseoir au fond du bus. Ah, cruelle séparation ! Mais je ne voulais pas la mettre mal à l’aise. J’aurais pu me faire plus insistante, lui parler quelques fois, lui adresser des sourires sous-entendus...Mais non ! La seule idée de l’approcher m’euphorisait à tel point que j’en devenais muette et nigaude ! Surtout j’étais persuadée qu’elle n’aimait pas les femmes, j’ai toujours eu le chic pour m’amouracher des hétéros !

 

Au bout de quelques temps, j’ai cesser de sortir en semaine : rentrer chez moi tous les soirs et avoir ainsi l’immense bonheur de la voir chaque matin prévalait sur tout. Ca tournait à l’obsession ! Mes amies ont fini par comprendre, après une période d’hésitation, que la seule chose qui pouvait m’éloigner, même provisoirement, de notre CHER Paris et ses soirées animées, était une femme.

 

Bien sûr ! La ronde des fêtes était vitale pour la petite parisienne que j’étais devenue. Personne n’avait pu m’en soustraire jusqu’à présent, même cette petite campagne perdue de tout ne m’a pas retenue ! Il n’y fallait qu’elle...

 

Toujours est-il que cette passion, cette obsession plutôt, devait cesser. Je n’allais nulle part, ce qui n’est pas du tout mon genre, et encore moins avec les femmes ! Je m’en suis donc ouvert à ma meilleure amie, et lui ai parlé de mon « nouvel amour », et la seule chose qu’elle ai trouvé à me conseiller était de ne plus penser à ma belle conductrice, sortir à nouveau et donc, rencontrer d’autres ‘‘belles blondes’’. Conseil à la con ! Mais que j’ai suivi bien évidemment, c’était la meilleure chose à faire.

 

Je suis donc retombée, avec joie il est vrai, dans le ballet délirant du Paris festif. J’ai réussi à l’oublier quelques temps, ma merveille matinale, mais un jour ou l’autre il fallait bien que je rentre chez moi en semaine et donc reprendre le bus. J’aurais pu prendre le précédent mais je suis trop feignasse pour me lever une heure plus tôt ! <> Et c’était repartit pour un tour !...

 

Elle n’est plus là ! Ô malheur, elle n’assure plus le service du matin ! Ma petite voisine me dit que depuis une semaine c’est un jeune homme qui conduit le bus de 8h47. Merci à la bonne copine et ses conseils bidons ! Si je ne l’avais pas écoutée j’aurais pu voir ma belle une semaine de plus ! La petite voisine ne comprend pas mon abattement, <> Bien sûr bien sûr...Il est charmant, drôle même, et lui au moins dit bonjour et sourit aux passagers. Il a beau avoir toutes les qualités du monde, ce n’est pas ELLE !...

 

J’ai passé des mois épouvantables, je ne pensais pas qu’elle puisse me manquer à ce point ! Des mois à chercher son visage dans la foule, à regarder dans les bus qui passent si ce n’est pas elle qui conduit...Je refusais même de sortir le week-end ! Ma passion a fini par s’amenuiser mais pas au point de l’oublier complètement. La campagne a fini par m’engloutir...

 

*

 

Un jeudi soir, je rentrais du boulot plus tard que d’habitude, ayant fêté le départ en retraite d’un collègue à coups de Champomy et de tuc au paprika. La galère !

 

Après avoir refusé une énième invitation de mes amis, j’ai pris la direction du métro, et mes jambes à mon cou ! J’avais déjà raté le dernier bus trois fois cette semaine, je n’avais pas envie de recommencer une quatrième fois, ça coûte les taxis ! Je suis arrivée à Marne-la-Vallée complètement essoufflée, ouf je vais l’avoir de justesse ! Mais au moment de monter dans le bus, je manque la marche de peu : ELLE est là ! Je revois son visage pour la première fois depuis de longs mois et l’effet est toujours le même : euphorisant et tétanisant. Elle n’a pas changé, froide et lointaine, m’adressant un léger bonsoir accompagné d’un regard toujours insondable. Après quelques secondes de surprise, je reprend mes esprits et monte dans le véhicule.

 

Je n’ai pas vu le temps passéerce soir-là. J’avais beau essayer de me concentrer sur le livre que ma sœur m’avait prêté, mes yeux revenaient irrésistiblement vers elle. L’enchantement n’avait rien perdu de sa force...

 

Arrivée à mon arrêt il m’a fallu sortir de mes rêveries. Le bus s’est complètement vidé à la station précédente, je suis seule avec mon bel amour. Le temps de ramasser toutes mes affaires et de me lever, le bus s’est arrêté. Personne dans les petites rues, le feu est au rouge, le paysage est immobile comme d’habitude, je n’ai vraiment pas envie de descendre de mon petit nuage si c’est pour retrouver un décor pareil !

 

Je me dirige à l’avant du bus la mort dans l’âme, adresse un léger bonsoir à ma folle, si folle passion, et mets le pied sur la première marche quand j’entends sa voix qui m’interpelle pour la première fois ! :

 

<>

 

Pendant que je me retourne le cœur battant elle s’est levée. Je l’interroge du regard ne comprenant pas et avant que j’aie le temps de faire le moindre mouvement ou de prononcer la moindre parole, je sens ses lèvres sur les miennes. Elle m’embrasse, ELLE M’EMBRASSE !! Je ne comprends pas ! Elle ne m’a jamais souri, jamais parlé et tout à coup elle m’embrasse ! Et fougueusement en plus ! Mais mes pensées sont vite reléguées au dernier plan. Je ne peux que répondre à son baiser, savourer ses lèvres, accepter ses mains sur mes hanches, sur mes reins, sur mes fesses, ses bras m’encerclant, me chavirant. Je peux enfin prendre ce visage qui m’a tant fait rêver dans mes mains, le caresser, le palper, en ressentir toutes les perfections. Descendre jusqu’à ses reins, m’accrocher à elle, à mon rêve, ma passion, mon obsession...

 

Combien de temps dure ce baiser ? Je ne sais pas à vrai dire, plusieurs secondes ? Plusieurs minutes ?...

 

Ses lèvres finalement me quittent, mais son visage est encore proche du mien, proche comme j’avais espéré qu’il le serait un jour, je sens son souffle, elle sent mon trouble, elle me domine complètement. Je ne suis qu’une proie entre les mains de la chasseresse...

 

Mais ma belle amazone s’écarte, détache ses bras de ma taille, recule et reprend sa place derrière le volant. J’ai du mal à reprendre mes esprits, et mon souffle ! aussi facilement. J’attrape mes sacs jetés au sol quelques minutes plus tôt et m’apprête à sortir. Je ne peux m’empêcher de me retourner et de lui lancer un sourire et un regard interrogateurs. Ma conductrice n’a rien perdu de sa belle assurance mais je lui vois les yeux allègres et un sourire naissant au coin des lèvres. Tant pis, je ne cherche pas à comprendre. Au moins maintenant je sais vers qui vont ses préférences : on ne peut embrasser une femme comme elle l’a fait en étant totalement hétéro. Non, impossible !

 

C’est elle qui finalement me dit <>, le plus naturellement du monde! Je lui réponds en souriant cette fois et descend. J’ai regardé le bus partir, j’ai touché mes lèvres en souriant. Etait-ce un rêve ? La question n’a fait que passer furtivement dans ma tête. Non ce n’était pas un rêve, j’ai réellement été dans ces bras, j’ai réellement été embrassée par elle, j’ai réellement senti son corps sous mes mains, sa peau sur la mienne ! Je suis rentrée lentement chez moi, l’esprit plein d’images, de sensations et de délices.

 

J’ai hâte de prendre le bus demain...

 

 

 

 

FIN

 

 

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