Entre elles

 

LE COUP DU CIGARE

 

 

par Angélique

 

 

"Rooohhh !... Non tu vas pas remettre ça !... J’veux pas d’un rendez-vous arrangé, c’est le genre de truc qui foire toujours ! Tu le sais !

 

-Oh allez quoi...Tu sais même pas ce que je te réserve...

 

-Hm...Je préfère pas savoir justement ! Avec toi je m’attends au pire !

 

-Ah bah merci de ta confiance, ça fait plaisir !... Allez...j’suis sûre que tu vas l’adorer...C’est tout à fait ton type !

 

-Qu’est-ce que t’en sais ?! J’te rappelle que la dernière fois que tu m’as présenté quelqu’un c’était un mec !

 

-Alors là c’était ta faute ma grosse !! Fallait me dire que t’étais homo, je pouvais pas deviner moi ! Et puis ça remonte à deux ans maintenant.

 

-J’te l’accorde...

 

-Allez...

 

-Non je sais pas, j’suis sûre que c’est un de tes plans foireux. Et elle, elle est homo au moins ?

 

-Bah bien sûr ! Je suis pas complètement débile non plus !

 

-J’sais pas trop...

 

-Allez...

 

-Mais et si...

 

-Allez...

 

-...Bon d’accord. Mais j’te préviens ! : si elle me plaît pas je m’en vais !

 

D’accoooooord, mais tu restes au moins dîner, c’est un minimum !

 

Héhé, ça ma poule ça dépend de ce que tu vas me préparer !

 

-Pffff, j’te connais depuis le temps t’inquiète ! Marc t’a fait ton plat préféré, et puis on sera pas que tous les quatre, j’ai invité Steph et Sophie, Lydie, Alice et les deux Pierres.

 

-Bon, ça va, t’as gagné, je resterai jusqu’au bout, t’as de la chance que...ATTENDS UNE SECONDE !! T’a pas dit à tout le monde que c’était un rendez-vous arrangé j’espère ?!!

 

-Meuhhhh non ! Pour qui tu m’prends ?! Officiellement, c’est juste une petite soirée entre amis.

 

-Tu la connais d’où d’abord ?

 

-On travaille dans la même boîte.

 

-Bon...très bien. J’ai plus qu’à me préparer si j’comprends bien ?

 

-On t’attend pour 20H. Il faut que je raccroche, Marc a besoin d’un coup de main en cuisine. A tout à l’heure.

 

-A tout’. "

 

 

 

Galère !! Je sais pas ce qu’elle me prépare mais ça me dit rien de bon cette histoire...En plus de ça j’ai l’oreille en feu ! Elle m’a tenu la jambe au téléphone pendant plus d’une heure ! Tout ça pour une rencontre que je sens à l’avance très embarrassante ! Marie à beau faire de son mieux ça marche jamais. L’enfer est pavé de bonnes intentions comme on dit...

 

Bon, en attendant il faut que je m’habille moi. Il est 18h24, j’ai une heure devant moi pour me préparer (toujours à la dernière minute celle-la !) et une petite demi-heure de marche pour aller là-bas.

 

En avant pour un bon bain.

 

L’eau est brûlante mais j’adore ça. Que vais-je mettre ? Même si je mettrais ma main à couper que cette soirée ne mènera à rien, Marie a dû se démener comme un diable pour me vendre de son mieux. Autant lui faire honneur. Seulement je ne suis pas le genre à me pomponner pendant des heures moi. Le maquillage et les fringues de filles ça n’a jamais été mon truc. Bon allez ne pas se prendre la tête : mon bon vieux 501, un p’tit haut moulant et ma veste de motard. Ca fera l’affaire. De toute façon, comme dit Marie, « Avec ta taille fine (moi je dirais maigrelette mais bon !), tes petits seins et ces longs cheveux qui te tombent sur les reins, tu auras toujours l’air féminine, même avec un vieux jogging informe ou une salopette de mec !» Elle a pas tort sur ce coup-là la Marie.

 

 

 

19h30. Quand faut y’aller faut y’aller...

 

En chemin je peux pas m’empêcher de me demander ce qu’elle peut bien savoir de mes goûts en matière de femme. La seule que je lui ai présenté c’est Lili. On n’est resté que quelques mois ensembles. Elle peut pas se baser sur une seule personne quand même. C’est bizarre...

 

A tous les coups elle me ramène la première homo qu’elle connaît, persuadée qu’elle est, que deux femmes lesbiennes mises en contact ne peuvent que se plaire !...

 

 

 

BINGO !!

 

Ô malheur ! Marie mais qu’est-ce que c’est qu’cet engin ?!! C’est bien c’que je pensais : elle me présente la première goudou qui passe. Et pas n’importe qui s’il vous plaît !! Une camionneuse pure et dure ! Cheveux courts, très très courts, silhouette carrée, musclée, elle est sapée comme un routier ! Pantalon large, chemise-gilet à larges carreaux rouges et noirs, et grosses chaussures genre Doc Marteens ! Et pourtant, des stéréotypes dans son genres on doit pas en trouver à tous les coins de rue !

 

Je vais te tuer Marie !!

 

Elle ose me faire ses grands yeux ronds de poupée étonnée :

 

" Bah quoi ? Tu la connais même pas ! Elle est très sympa je t’assure. Et drôle qui plus est !

 

-Mais t’as quoi dans la tête ?!! T’es dingue ?!! T’as vu l’engin ? Comment t’as pu penser une seule seconde qu’elle pouvait être mon genre ?

 

-Bah quoi ? Elle est homo...

 

Et voilà ! T’as encore mis les pieds dans le plat ma belle !

 

-Tu te souviens de Lili quand même ?

 

-Oui

 

-Ben Lili c’était exactement mon genre : féminine, jolie, presque distinguée. Ta copine elle est aux antipodes de Lili ! C’est tout le contraire de ce qui m’attire !

 

-Eh, tu vas pas partir hein ? Tu m’as promis de rester!

 

-Et toi tu m’avais juré qu’elle était ‘tout à fait mon type’, ce sont tes mots j’te signale!

 

-Bon d’accord j’ai p’t’être fait une bêtise...

 

-Et pas une petite crois-moi !

 

-Mais reste quand même s’il te plaît !

 

-J’vais avoir l’air de quoi moi ?! Je suis certaine que tu lui as parlé de moi en long en large et en travers, lui disant que ce soir elle allait rencontrer l’amour ou je sais pas quoi !

 

-Euh...

 

-Ben tiens, qu’est-ce que j’disais ! Je peux pas rester, vraiment, c’est trop embarrassant ton truc !

 

-Non s’te plaît t’en vas pas. Steph et Sophie vont arriver, on va passer une bonne soirée j’te promets. Et qui sait, elle te plaira peut-être, on sait jamais..."

 

Et la voilà repartie à me faire sa petite voix enfantine et ses grands yeux de chien battu...Mais ma pauvre Marie, moi je sais qu’elle me plaira pas quoi qu’elle fasse, faut que t’arrêtes de vouloir jouer les Cupidon...

 

Bon ça va je reste, mais plus jamais, PLUS JAMAIS !! , de rendez-vous arrangé !!

 

Elle me promet tout ce que je veux, le visage rayonnant et m’entraîne vers le salon. Le pire dans tout ça, c’est que je sais très bien que dans deux jours elle aura oublié ses belles paroles et elle réessayera de me marier avec une autre. Juste le temps pour elle de dénicher une autre goudou !

 

 

 

Je dois avouer que Marc s’est surpassé ce soir ! Son hachis parmentier est un vrai délice, et c’est pas le genre de plats qu’il doit cuisiner tous les jours dans son resto grande classe pour bourgeois friqués!

 

C’est vrai ma Marie, t’as raison, on passe une bonne soirée. Mais elle pourrait être encore meilleure si ta camionneuse ne sortait pas ses blagues de routiers à tous bouts de champs ! Cette femme rentre pile poil dans les petites cases ! A tel point que pendant un moment je me demande si tout ça n’est pas qu’une vaste blague. C’est tellement gros ! La demoiselle Claude est le stéréotype parfait de la butch : elle a une voix rauque, elle adore les grosses voitures, raffole des courses de MotoCross ! Ma pauvre Marie, ta copine est plus virile que ton Marco !

 

 

 

En milieu de soirée je sens le problème poindre : je crois que je lui plaîs. Elle me lançait de drôles d’oeillades pendant le dîner. Et maintenant un regard que je connais bien hélas : c’est celui de la chasseresse qui a repéré sa proie. Et merde ! Merde, merde et merde !! Elle déplace sa chaise près de la mienne, j’vais être obligé de discuter avec miss muscles ! On vient de finir le dessert, je pourrais toujours me lever et partir, mais...non vraiment ça s’fait pas ! C’est pas poli et c’est vache !

 

Bon d’accord, Marie avait raison sur un point : elle est sympa. Mais c’est un trait de caractère très répandu, même les cons sont sympas.

 

Heureusement, elle ne me demande pas ouvertement si j’ai quelqu’un. Je ne saurais pas trop quoi répondre. Si je lui dis que je suis célibataire, elle va croire qu’elle à ses chances, mais dire que je suis déjà prise viendrait à faire mentir Marie. Mais elle ne pose pas la question. Que j’suis bête ! : Marie-la-marieuse s’est sûrement chargée de la renseigner ! Je lance un regard meurtrier à cette dernière qui fait mine de ne pas comprendre et me sourit de toutes ses dents. Toi ma fille tu vas me payer ça !

 

 

 

Il est 22h30, encore une petite heure et je pourrai déclarer en toute innocence qu’il se fait tard, et rentrer bien gentiment chez moi. A moins que la Claude veuille me raccompagner...Ô malheur, j’espère que non !!

 

Enfin un petit répit, le dîner est fini on repasse au salon. J’ai beau essayer d’esquiver, ma camionneuse réussit à s’asseoir à coté de moi. Entre temps, Marie m’a fait jurer de rester au moins jusqu’à minuit ! Galère galère...Pourquoi j’ai promis une chose pareille moi ?! Elle est maligne la maquerelle, elle sait que je tiens mes promesses, même les plus débiles !

 

Claude a repris son monologue sur les grosses cylindrées. Et tatati et tatata...faut voir la puissance de l’engin...et tatati et tatata...je t’emmènerai voir une course si ça te tente...et tatati et tatata... C’est vraiment gros là quand même ! C’est une blague c’est pas possible ?!! Une caméra cachée ??

 

Je suis au supplice Marie, ça se voit pas ?!

 

22H43 ! C’est tout ! Le temps passe trop lentement avec elle, j’en ai vraiment marre ! Si seulement j’avais pas promis à l’autre obsédée du coup de foudre !...

 

Bon je peux quand même faire un effort. Je lui pose des questions sur sa vie, ses goûts (même si c’est couru d’avance sur ce point !), son travail. Elle travaille dans la même entreprise que Marie, certes, mais cette dernière a omis de me dire que c’était côté chantier, et non secrétariat ! Ca m’aurait mis la puce à l’oreille. Allez, parle-moi de ta vie, histoire que je sois polie. Elle me soûle, elle me soûle !

 

Elle me drague d’une manière tellement ridicule en plus de ça. Et vas-y que j’te fasse des compliments creux sur tes yeux, tes cheveux, tes lèvres...Elle poursuit imperturbablement son monologue en ne me quittant pas du regard, me touchant le bras par-ci par-là. Technique qui à du lui valoir nombre de conquêtes faut bien l’avouer. Mais sur moi ça ne marche pas, désolée.

 

Je suis son petit discours distraitement, en essayant d’écouter les autres, qui, eux au moins, sont intéressants !

 

 

 

Je suis presque résignée à supporter ça le reste de la soirée quand : pataras !! C’est la goutte d’eau! Fatal error miss gros cylindres ! Je peux en supporter pas mal mais y’a des limites ! Y manquait plus que ça pour compléter la panoplie : Claude passe la main dans la poche intérieure de sa chemise et sort un énorme havane ! C’est complet !

 

OK ça suffit ! J’ai ma dose ! Terminé ! Je me lève d’un coup et file mettre ma veste. Non désolé Marie mais là, le coup du cigare, c’est trop !

 

J’embrasse tout le monde de loin, et prétextant un gros coup de fatigue, je m’excuse et rentre chez moi.

 

Elle a pas du comprendre c’qui se passait la Claude !

 

Sur le chemin du retour je ne peux pas m’empêcher de rire en repensant à cette soirée grotesque. Heureusement que mon humour reprend le dessus sinon c’était la colère !

 

C’est bien la pire que tu m’es jamais fait ! Haha !

 

Marie, je crois que ta carrière de marieuse est définitivement à l’eau !

 

FIN

 

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