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Portraits croisés1

Page history last edited by Fausta88 14 years, 9 months ago

FANS FICTIONS FRANCOPHONES

Entre elles

 

PORTRAITS CROISES

 

 

par Séverine MALRIC

 

Mail : lespetitspapiers@aol.com

 

 

 

 

 

 

L’histoire : Alice et Hélène, histoire mouvementée, saccadée, mais passionnée…

Note de l’auteur : Donnez moi votre avis, dur de se lancer alors besoin de savoir si ça suscite l’envie…merci

 

*********

 

16h23. Aéroport de New York.

 

Une espèce de tiédeur moite envahit le hall d’embarquement et gagne même les toilettes où je me trouve. Mon acharnement rajoute quelques degrés à la température déjà élevée qui se dégage de moi.

 

Je vais l’avoir. Il y a plutôt intérêt, je me rappelle encore le sourire de la vendeuse ravie de me l’avoir vendu ce maudit tailleur à 650$. Seulement deux jours que l’ai acheté et je suis déjà en train de le détester. Pourquoi on n’invente pas des vêtements qui absorbent les taches et les font disparaître. De quoi j’ai l’air moi maintenant avec cette immonde tache de café sur le bas de ma jupe juste au dessus des genoux. Alors je frotte, je frotte et au bout du compte m’aperçoit que j’empire la situation. Cette ridicule tache qui aurait pu passer inaperçue s’est transformée en une auréole bien visible entourée des marques de ce savon liquide plein de détergents mais seul ustensile que j’ai trouvé dans les toilettes.

 

Me rendant compte de l’inutilité de ma tentative « détachage rapide et efficace » je jette de colère le mouchoir tout imbibé de produit.

 

Je relève la tête et me regarde dans le miroir géant en face de moi. Je suis seule dans cet endroit. C’est plutôt agréable, la musique d’ambiance ne me décontracte en rien pourtant, mais le lieu me permet de faire le point.

 

Je réajuste mes cheveux tout défaits, m’examine un peu le visage et me trouve vraiment mauvaise mine.

 

Ça ne me réconforte pas davantage et je LA sens qui me rattrape à nouveau. ELLE c’est mon amie de toujours, celle qui me sera toujours fidèle : j’ai nommé madame l’angoisse.

 

J’avais pourtant réussi à la semer et c’est monsieur le stress qui avait pris sa place pendant tout le temps que je m’évertuais à arriver à l’heure à l’aéroport et n’avoir rien oublié.

 

Mais la, cette image que me renvoie le miroir de moi, mauvaise mine, mon heure de brushing ce matin complètement anéantie, et ce tailleur ridiculement taché et me donnant l’allure d’une pauvrette qui s’équipe en achetant des vêtements aux poids au marché aux puces…ne me rappelle que trop l’importance et l’enjeu de cette journée et ma volonté d’être au top du top.

 

Bravo angoisse, tu gagnes du terrain, mais comme d’habitude tu ne gagneras pas la partie, j’ai de la réserve et commence à savoir t’apprivoiser.

 

Voila maintenant 30 ans que tu cohabites avec moi, je ne t’ai découverte qu’il y a une vingtaine d’années et ai pu te parler et te dresser seulement depuis ma première psychothérapie il y a tout juste 5 ans.

 

Cinq ans déjà, cinq ans seulement je ne sais pas, je ne sais plus, trop tôt, trop tard, est-ce le bon choix ?

 

Je rentre en France aujourd’hui. Voilà maintenant 5 ans que je n’y ai pas mis le pied. Cinq ans que je ne peux même plus évoquer le moindre souvenir là-bas, cinq ans que l’Europe pour moi possède ses seules frontières maritimes du côté atlantique juste avec la Suisse, l’Allemagne la Belgique. La France s’est rayée de la carte de mes souvenirs.

 

Et pourtant j’y retourne.

 

Quelle décision mais surtout quel changement radical.

 

 

 

 

 

 

 

 

Voila seulement trois semaines que j’ai réintégré le vocabulaire français dans ma tête.

 

Mais surtout quelle coïncidence, quel coup du sort ! Un journal gratuit attrapé au vol en allant bosser à la sortie du métro, les pages qui se tournent avec le vent sans que je puisse les lire sur le trajet et cette page.

 

Un encadré noir page n°12 du quotidien gratuit, page que je ne regardais qu’occasionnellement juste en me disant qu’il y avait tellement peu de chance que ces annonces aboutissent et pourtant.

 

Et pourtant c’est bien à cette page que mon cœur a failli se craqueler, que mon monde s’est arrêté. J’ai pourtant réussi à regarder l’heure : 12h31.

 

Je me suis arrêtée sur le trottoir pourtant bourré de monde, bousculée, insultée par toute cette masse, en plein milieu, les yeux rivés sur cet encadré noir, avec juste un mot en tête, le seul que j’étais capable de lire, comprendre et dire

 

« Tu vois pas que tu gênes ? »m’hurla un type d’un genre plus que douteux

 

« Hélène »balbutiai-je.

 

Quelle machine incroyable que le corps humain…Alors que je pensais que plus rien ne fonctionnait à cet instant précis tellement le choc était brutal, toute la machine s’est mise en marche en mode émotion intense : les larmes d’abord ont commencé à couler en grande abondance, les tremblements sont ensuite apparus et puis c’est la sensation jambes qui flageolent qui a pris le relais et le final, sans lequel une émotion forte ne serait pas c’est bien évidemment les palpitations.

 

C’est là que je me suis rendue compte du choc, de la situation et me suis décidée à bouger et me retirer dans un coin.

 

Je suis entré dans le 1er snack ouvert, me suis assise sur un de ses bancs imbibés de graisse et de reste de repas des trois derniers jours, avec ce fabuleux parfum d’ambiance « graisse à frire, café trop chauffé et transpiration intense ».

 

J’ai essayé de respirer pour pouvoir me rendre bien compte de ce que je venais de voir. J’ai ôté mon manteau, ai roulé mon carré de soie dedans, ai attrapé mes lunettes dans mon sac et ai commencé à lire depuis le début :

 

 

 

 

« Et si c’était pour vous ? »

 

C’était le nom de la rubrique. Le principe est simple. Vous pouvez diffuser un message peu importe le contenu, dans la limite de ce que la censure de la presse américaine autorise, à une personne dont vous citez le nom ou pas, elle peut se reconnaître d’elle-même, et voilà. Vous avez bien évidemment l’adresse du site Internet où vous pouvez envoyer votre réponse si vous le désirez et c’est tout.

 

La plupart du temps, on y trouve des demandes en mariages pour les plus courageux et les moins gracieux, des déclarations d’amour, bien évidemment et de plus en plus des messages de paix, de retour à une vie moins hostile, des sermons au président, et aussi des demandes d’emplois, pourquoi pas : un mini CV en seulement 300 caractères, c’est plutôt audacieux.

 

 

 

 

Je connaissais le principe déjà en France ; ça s’apellait le happython. A l’époque, je le lisais chaque jour et nous en parlions parfois des heures avec les copines de la fac, à essayer de trouver quel message nous pourrions y mettre, à la fois drôle, profond et accessible à tous, un message universel où tout le monde aurait pu se reconnaître. Quelles belles âmes nous avions à l’époque. Résultats : quand nous nous sommes enfin lancées avec pour message : « c’est pour ça que je t’aime, toi, juste pour ce que tu es à l’instant où tu lis ceci… » aucune parution… nous pensions pourtant avoir fait bœuf et en étions très fières… Tout ça pour ça…J’en ris encore aujourd’hui

 

 

 

 

Mais à cet instant précis j’en ris moins, même pas du tout car ce que je continue à lire me ligature les muscles faciaux et m’empêche d’arborer la moindre expression de visage.

 

 

 

 

Il est 16h25. L’embarquement est dans 5 minutes, il va falloir que je revienne sur terre rapidement, que je rassemble encore le peu d’énergie que j’ai pour m’entasser dans cette foule de personnes pressées de rentrer au pays ou de partir en vacances et se bousculant comme du bétail de peur qu’il n’y ait plus de places…Quelle idiotie …et pourquoi on réserve nos billets alors ?

 

Ça fait partie des choses que je ne comprendrai jamais mais soit…je n’ai pas le temps de philosopher dessus…les minutes passent et une chose est sûre...l’avion lui ne m’attendra pas !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Je rassemble mes affaires, mon immense sac offert par mes collègues de travail qui il faut l’avouer pour le coup m’est très utile. Même si la joie ne l’a pas emporté quand j’ai déballé le papier qui l’entourait lors de mon pot de départ. Cet immense sac en une matière qui ressemblerait plus à de la tenture qu’à du noble tissu…et cette couleur certes très tendance dans le new York chic, ce jaune un peu ocre, bariolé…ces anses tressés qui me rappellent les napperons qui ornaient la maison de mon enfance, dignes chef d’œuvre de ma grand-mère…

 

Mais j’avais fait comme tout bon citoyen américain qui se respecte…le sourire jusqu’aux oreilles, esquissant même de l’émotion et les coins de l’œil commençant à s’humidifier...quelle bonne actrice. Où vais-je chercher tout ça ?

 

 

 

 

Je vérifie rapidement que tout y est : téléphone mobile, agenda mon indispensable partenaire, quelques magazines, des crayons qui se baladent dans le fond de mon sac, ma petite trousse d’urgence esthétique, mon passeport, carte d’identité et mes billets...ou plutôt devrais-je dire mon billet car il n’y a qu’un aller.

 

Pas de retour cette fois-ci. C’est dans un seul sens, je traverse l’atlantique et espère ne pas avoir à faire le chemin dans l’autre sens.

 

Et puis ce petit carnet noir qui me suit depuis déjà pas mal d’années, à qui je confie pas mal de mes interrogations, qui est le gardien de mes recettes favorites, qui gère mes rendez vous chez le gynéco, trop intime pour mettre dans mon agenda (lui-même déjà rempli de morceaux de moi mais malheureusement trop souvent consulté par quelqu’un d’autre que moi..), et qui loge également les cartes de visites de toutes ces personnes qui ne suscitent aucun intérêt pour moi mais qui peut-être un jour pourront m’être utiles.

 

Mais aujourd’hui, ce carnet prend de nouvelle fonction, je l’ai monté en grade, il a l’honneur et le privilège immense d’y chouchouter cette fameuse page n°12, bien confortablement, elle-même enveloppée dans une pochette en plastique confectionnée et ajustée par mes soins la veille.

 

 

 

 

Je suis donc équipée et me décide à y aller.

 

J’avance d’un pas ferme et décidé vers la porte d’embarquement. Il y a déjà foule c’était prévisible.

 

Juste au dessus du détecteur, un panneau « Vol n° 51 230 New York Paris, France // 16h30 ».

 

J’en ai la gorge nouée et m’aperçois que j’y suis. Seulement quelques mètres me séparent de ce renouveau, de ce retour en France, de ce plongeon vers l’inconnu ou vers le trop connu…

 

Je m’avance, un type est à côté du détecteur et me demande dans un anglais de banlieue de déposer tous mes effets personnels sur le tapis roulant dont il est responsable. Je m’exécute, y pose mon sac, vide mes poches des quelques cents qui s’y trouvent, retrouve d’ailleurs quelques objets dont je n’avais plus souvenirs au fond des poche de ma veste, mes lunettes de soleil et ma montre. Je me sens anxieuse, j’ai comme l’impression qu’en déposant mes affaires, je passe devant un tribunal auquel j’aurai à expliquer mon désir de quitter le pays, un juré que je devrais convaincre et assurer que ma décision est réfléchie et sans retour.

 

Il n’en est rien pourtant, je passe le détecteur, récupère mes effets personnels et suis invitée par l’hôtesse à me rendre à ma place en traversant ce long couloir vitré.

 

J’ai franchi le premier pas.

 

Le deuxième barrage celui-ci pour vérifier mes billets…oups...mon billet. « Je vous souhaite un agréable voyage Melle …Talien » me lâche l’hôtesse d’une voix si suave qu’elle me fait penser à une hôtesse de téléphone rose.

 

Je ne la remercie même pas…question d’habitude…certainement. Si mes parents me voyaient. Dans cette ville, j’ai appris à être hautaine, impolie, ingrate même parfois et aussi assez vénale. Autant de qualités qui me paraissent ici, maintenant d’énormes défauts dont je n’aurais pas de mal à me débarrasser dès mon arrivée en France tant il me pesait d’être devenue tout ce que j’ai toujours détesté.

 

 

 

 

C’est un autre couloir qui m’attend derrière cette hôtesse, beaucoup plus long, une moquette rouge au sol, bien usée, fatiguée de ce va et vient des populations. Vitré de chaque coté, et sur une longueur d’environ 100 mètres, on peut y apercevoir les dizaines d’avions prêts à l’embarquement avalant le maximum de passagers à la chaîne. On y aperçoit également les magasiniers qui chargent les soutes, les mécaniciens qui auscultent les avions à la dernière minute comme pour vous assurer que tout va bien. J’avance donc dans ce couloir, des dizaines de passagers me suivent, seuls ou en couple, en famille, toutes nationalités confondues mais à majorité française et j’en ai le ventre tout retourné d’entendre ma langue maternelle de tous les côtés. Des années que je n’avais plus entendu le vrai français, avec ses accents, ses connotations, ses sons si durs, si gutturaux par rapport au parler d’ici.

 

Et je m’imagine dans un film ou plutôt dans mon film, celui du flash back qui revient à mon esprit.

 

 

 

 

Aéroport de Roissy. 5 ans plus tôt. C’est dans le même type de tunnel que j’évolue, mais les larmes en plus, y allant contre mon gré, le coeur lourd, me retournant sans cesse pour l’apercevoir : son doux visage, ses yeux me transpercent le cœur. Nous sommes dans le même état de déchirement. Je vois ses mains qui s’agitent comme pour me dire « je suis là malgré tout, je t’accompagne jusqu'au bout ». Et quand la distance qui nous sépare est trop importante pour pouvoir l’apercevoir, je distingue juste une pancarte brandie où j’arrive à lire « bientôt…je t’aimerai… » avant d’être propulsée par la foule de passagers dans l’avion.

 

 

 

 

Mais là, aujourd’hui, j’aurai beau me retourner, je n’aurai pas de telles attentions. Je suis seule et n’ai surtout pas envie d’être accompagnée par qui que ce soit, bien au contraire. J’ai réussi à filer en douce sans que Carl s’en aperçoive, alors je ne vais pas me retourner de peur qu’il me court après et me ramène à la maison.

 

 

 

 

Carl, c’est l’homme qui partageait ma vie depuis plusieurs mois. Années ? J’en ai peur. Pourquoi ? Parce que non je ne l’aime pas, je ne pense pas l’avoir aimé d’ailleurs et il faisait plus office d’un gentil colocataire un peu trop envahissant à mon goût qui me demandait tout de même de lui faire des enfants.

 

Ce n’est pas le moment de penser à lui maintenant, j’aurai trop peur de le voir débouler derrière moi rien qu’en pensant à lui.

 

 

 

 

J’arrive enfin aux portes de l’avion. Deux hôtesses et le steward nous accueillent. Je me sens très gauche, ai l’allure d’une gamine qui effectue son premier vol. Et pourtant, je n’ai jamais autant voyagé que ces dernières années. J’avais même fini par adhérer à la carte grand voyageur tant ce mode de transport était devenu banal pour moi.

 

Mais là c’est différent. J’ai conscience que la situation qui me mène ici, dans cet avion et qui me remue autant les entrailles est l’un des plus grands changements qu’il m’ait été donné de faire. C’est ce qui explique mon angoisse palpable certainement par les gens qui m’entourent. L’hôtesse me demande même en m’accompagnant à mon siège si c est mon premier voyage et si je désire un calmant. Jusqu’alors, je n’ai pas encore réussi à desserrer les dents et je sens que ma gorge commence a s’obstruer tant cette inactivité ne lui est pas habituelle.

 

Je m’assieds donc dans ce confortable fauteuil, j’avais pris soin (ou serait-ce l’habitude ?) de réserver en classe affaire. On aura beau dire, mais le luxe et ce sectarisme de diviser la population jusque dans les avions en deux catégories ont tout de même quelques atouts non négligeables.

 

A côté de moi se trouve un homme d’une quarantaine d’années, peut-être moins, un costume sombre mais bien taillé, la cravate sur ses genoux histoire d’avoir l’air un peu décontracté. Je pense qu’on pourrait dire de lui que c’est un bel homme et son assurance dans le regard laisse à penser qu’il en a en tout cas bien conscience. Il me salue avec un de ces sourires qui m’horripilent tant ils sont chargés de sous entendu. Je lui réponds d’un hochement de la tête et crois même lui rendre son sourire.

 

 

 

 

« Respire…doucement…d’abord par le nez…une grande inspiration...puis tu contractes ton ventre…un...deux…trois…et tu relâches doucement par la bouche »

 

Je suis tellement stressée et plus je m’en rends compte, plus le stress monte en moi. Il faut vraiment que je me calme si je ne veux pas faire un arrêt cardiaque pendant le vol car tenir plus de 10heures comme ça me parait très difficile.

 

 

 

 

Les mains crispées sur mon siège, je ferme les yeux et essaie d’appliquer les « bons » conseils emmagasinés lors de mes cours de détente relaxation. Je les ai suivis de façon ma foi assez assidue pendant 3 ans et n’ai jamais appliqué aucune de ces méthodes de respiration. A croire que j’allais là-bas pour rien. Mais finalement, rien ne se perd, la preuve. C’est uniquement grâce à cela que j’arrive à retrouver un semblant de calme et ne me rends même pas compte que toute cette gymnastique mentale m’aura épargné le stress des annonces de décollage. L’hôtesse me fait revenir sur terre, et me demande d’attacher ma ceinture. Je m’exécute et tente de placer le ceinturon dans son logement mais il y oppose une certaine résistance. C’est la, il fallait s’en douter que « Monsieur le bon samaritain au sourire enjôleur » a trouvé son rôle et m’aide en prenant bien soin de m’effleurer les cuisses au passage, ça s’appelle joindre l’utile à l’agréable. Il en est certainement très fier, me regarde et ose même le fameux clin d’œil. Je soupire, pas suffisamment fort pour qu’il m’entende mais je reste polie et le remercie. Erreur, ma pauvre Alice. Tu viens de lui donner le droit d’entrée.

 

 

 

 

« Je vous en prie…Et puis, puisque nous allons passer 10h côte à côte, autant se présenter. Etienne Ruides. » me dit-il en me tendant la main.

 

 

 

 

Et voila, quand je disais que la classe affaires avait des avantages, je ne parlais bien évidemment pas de ceux-là.

 

Je les connais par cœur ces gars-là. Ça commence par se présenter, vous poser quelques questions banales dont les réponses n’ont aucune importance mais qui leur laisse le temps de pouvoir vous examiner de haut en bas gratuitement, et puis, parce qu’il savent que le vol n’est pas éternel, se jettent à l’eau assez rapidement et vous font du rentre dedans jusqu'à épuisement.

 

J’imagine parfois même que quelques sadiques se paient des voyages soit disant d’affaires juste pour ça, et espèrent un jour pouvoir assouvir leur fantasme de s’envoyer en l’air...dans les airs.

 

 

 

 

Mais bon, je ne peux pas non plus faire un esclandre de suite et peut-être que ce monsieur qui pour l’instant n’a pas été si loin que ça, n’a aucune mauvaise pensée, je lui serre donc la main.

 

 

 

 

« Enchantée, Alice Talien. »

 

 

 

 

Il me regarde, les yeux écarquillés, comme si en prononçant mon nom, j’avais fait apparaître une horde de boutons répugnants sur mon visage.

 

 

 

 

« Alice Talien ? Ben ça alors…qui l’aurait cru ? Vous ne vous souvenez pas de moi. Etienne. Etienne Ruides. »

 

 

 

 

« Euh…désolée…je ne … » lui répondis-je en faisant mine de chercher

 

 

 

 

« Mais si. A la fac, on suivait les mêmes modules. Les cours de Monsieur Clark…Management et sciences humaines…vous vous souvenez … »

 

Il en est tout émoustillé, ce souvenir le ramenant certainement à ces années fac où il a du se prendre des cuites mémorables et fricoter avec un bon nombre de minettes, choses qui me paraissent plus difficiles vu le standing qu’il affiche aujourd’hui.

 

 

 

 

« Ah…oui » lançai-je avec beaucoup moins d’enthousiasme que lui.

 

Mais finalement ça me rassure assez de me dire qu’on pourra s’il a envie de se lancer dans une conversation sans intérêt avec moi évoquer ces souvenirs, refaire le parcours de nos vies plutôt qu’il me sorte son plan d’attaque en appliquant méthodiquement les 10 règles de base du dragueur invétéré.

 

 

 

 

La conversation s’arrête là, l’avion amorce le décollage, je suis plaquée à mon siège et fredonne dans ma tête la seule chanson qui me calme …. PJ Harvey, je sais ça peut être surprenant, mais « Beautiful feeling » éveille en moi une profonde sérénité et me permet de faire le vide. Tellement de souvenirs s’y rattachent.

 

 

 

 

Etienne me regarde, sent mon mal être, et se veut rassurant en étreignant ma main que je déplace aussitôt et me murmure « ça va aller ».

 

Bien sur que ça va aller. J’ai le droit de ressentir quelque chose dans cette maudite machine qui s’apprête à nous envoyer à des milliers de mètres au dessus de la terre avec un risque existant que l’un des réacteurs s’enflamme ou que le commandant de bord ne vire en pleine schizophrénie et décide de se crasher volontairement. Oui j’ai le droit d’avoir l’air un peu tendue sans que quelqu’un s’en inquiète car même si on a l’habitude il me semble plutôt naturel de ne pas être totalement à l’aise lors du décollage, tout comme a l’atterrissage et même pendant le vol !!!

 

 

 

 

Je bouillonne intérieurement et je déteste cette attention de mon voisin qui, il faut l’avouer n’était en aucun cas si déplacée que ça, mais je suis trop nerveuse pour le lui expliquer alors j’essaie de faire en sorte que tout se passe pour le mieux.

 

 

 

 

Nous y sommes, en plein milieu du ciel, au travers du hublot le paysage est aveuglant, mais en même temps saisissant : je vois New York d’une façon différente, je n’évalue pas la distance mais me rends compte que les buildings deviennent de toutes petites allumettes, les rues de simples traits de quelques millimètres d’épaisseur et tout cela entrecoupé par notre passage dans les nuages, d’un blanc qui laissent deviner le passage des rayons du soleil.

 

 

 

 

Je deviens plus sereine et aimerais me laisser à rêvasser, les yeux collés au hublot tant cet instant me ravi et me vide l’esprit.

 

 

 

 

Mon cher voisin ne me laisse aucun répit et me dit :

 

« Ça te fait toujours ça ? Tu avais l’air vraiment mal… »

 

Et il a même décidé qu’on était proche d’où le tutoiement.

 

« Pardon ? Non, c’est juste que parfois, … » Et puis à quoi bon me lancer dans des explications et justifications. Je vais le laisser croire ce qu’il veut tant j’ai envie qu’on me foute la paix. Je vous rappelle que j’ai d’autres choses à penser. Je vous rappelle moi monsieur, que je prends un tournant dans ma vie, je vous signale mon cher ami, puisque nous le sommes maintenant que je ne fais pas une simple visite de courtoise à ma famille en France, je vous rappelle tout de même que c’est d’une importance capitale ce qu’il se passe en ce moment …

 

Je sens une colère qui monte en moi, j’ai envie de lui lâcher tout ça…mais j’ai depuis longtemps maintenant appris à me contrôler et ne plus balancer les mots qui me viennent à l’esprit sans avoir un peu arrondi les angles.

 

 

 

 

Je reste donc courtoise et me dit que c’est le meilleur moyen de le lasser.

 

« Effectivement », fis je avec un sourire avoueur, « je suis assez souvent malade en avion ».

 

 

 

 

« C’est le moins que l’on puisse dire », déclame-t-il d’un ton de vainqueur.

 

 

 

 

« Un rafraîchissement ? ». C’est l’hôtesse. Une grande femme blonde, les cheveux impeccablement coiffés, lissés sur chaque coté de son joli visage bien ovale, la mine éclatante, le sourire radieux, des dents d’un blanc extraordinaire, son uniforme moulé pour elle et la perfection va jusqu'à la manucure de ses ongles et le son de sa voix si juste et si approprié à l’événement. C’est incroyable comme le recrutement des hôtesses de l’air doit être difficile. Elles sont très souvent ravissantes, l’air aimable et avenant, rassurantes comme le serait une mère, attentives à nos moindres désirs, notre moindre inconfort ou mécontentement et arrivent à combiner tout cela dans un costume qui, ma foi, me parait un peu « ringard » et pas des plus confortables mais très solennel tout le long d’un vol à je ne sais combien de mètres d’altitude. Alors que moi-même je pense avoir l’air de sortir tout droit de mon lit après avoir passé la nuit à fumer et descendu 4 ou 5 bouteilles de gin. J’ai la bouche pâteuse tant ma salive fait des allers retours entre ma bouche et mon œsophage et tant le reste de mon corps lui refuse tout autre mouvement. Les mains moites sont évidemment de circonstances et en rajoutent à ma charmante allure de paysanne déguisée en femme de la ville, sans oublier cette fameuse tache de café sur mon si beau et cher (ah ça oui !) tailleur.

 

 

 

 

« Volontiers. Alice, je t’en prie… »

 

 

 

 

Comme ce tutoiement m’exaspère et comme sa compagnie et sa joie d’être à mes côtés m’hérissent les poils. Allez ma pauvre Alice, au point où tu en es…et si tu te prenais une bonne cuite, là, à bord de cet avion, avec ce ringard à tes côtés qui va te parler de la fac, de ce prof, mais si rappelle-toi, et de cet étudiant que tout le monde appelait truc bidule, qui va s’esclaffer à chaque fin de phrase ponctuant toues ces dernières par un « ah…lala » ou un « que le monde est petit… »

 

Il ne manquerait plus qu’il te demande ce que tu fais là, où tu va, pourquoi faire et qu’au passage il te propose en sortant de l’avion, après qu’il se soit aperçu que tu avais un peu trop insisté sur la bouteille, d’aller boire un dernier verre et te donne même son numéro de téléphone au cas où…on ne sait jamais…un signe du destin nous a peut être fait nous retrouver ici…

 

J’imagine déjà la scène…et ne veux en aucun cas que ça se déroule comme cela mais en même temps, j’avoue qu’un petit remontant me fait fort envie.

 

 

 

 

« Euh…je voudrais juste un verre de vin rouge. Vous en avez ? »

 

« Bien sûr » acquiesce-t-elle. Alors nous avons … »

 

« Je vous laisse choisir, un bordeaux, c’est ma seule exigence. » et j’en profite pour trouver en elle tout ce que mon camarade ne possède pas, un sourire agréable, et une tranquillité qui m’apaise et m’aperçois même que j’excelle de courtoisie avec cette charmante femme.

 

 

 

 

« Je prendrais un whisky, on the rock, please ». A cet instant, je me rends compte que son accent est pitoyable et que ça ne fait certainement pas longtemps qu’il s’est installé aux Etats Unis.

 

 

 

 

Nos verres servis, je sens que plus personne malheureusement ne va venir nous importuner, je le sais, il le sait également et se lance donc dans ce que je redoutais le plus : l’interrogatoire. Raconte-moi ta vie et je te raconterais la mienne. Nous allons échanger des souvenirs que nous n’avons pas en commun puisque nous ne nous sommes quasiment jamais parlé, puis on s’extasiera ou pas de nos carrières respectives et parlerons ensuite d’avenir de nos projets etc etc…

 

 

 

 

 

 

 

 

« Alice Talien. Ça alors. Quelle coïncidence. » . Il prend son verre et le tend vers le mien pour certainement fêter nos retrouvailles.

 

 

 

 

« Alors, retour au pays. Les vacances ? »

 

 

 

 

Je ne m’attendais pas à ce qu’il en vienne de suite à ce sujet et espérais avoir le temps de lui concocter une petite histoire qui tienne debout et qui me permette d’échapper aux flots de questions qui suivraient s’il savait le réel but de mon voyage. Mais je suis prise de court. Et l’improvisation dans ces circonstances me parait dangereuse.

 

 

 

 

« C’est un peu plus compliqué que ça…Je…Je retourne en France ! »

 

Trop tard je l’ai dit.

 

 

 

 

« Ah ? Mais définitivement…enfin, je suppose que tu vis ici car la dernière fois que je t’ai aperçue, j’avais cru comprendre que tu étais installée ici depuis quelques années maintenant. »

 

 

 

 

Mon visage en pleine décomposition a du lui mettre la puce à l’oreille.

 

 

 

 

« Excuse moi, je suis peut-être un peu trop indiscret… »

 

 

 

 

Ma non réponse le lui confirme et il n’est pas non plus du genre à être lourd dingue et à persister. Il a même si j’occulte ce côté de lui, une certaine classe et j’imagine tout de même malgré tout le mal que j’ai pensé de lui qu’il possède un minimum de tenue pour comprendre que je n’ai pas envie de m’étaler sur le sujet.

 

Mais il est rusé et n’en reste pas là et se dit que si je n’ai pas envie de parler de moi, rien ne l’empêche de se raconter à moi.

 

 

 

 

« Et bien moi, vacances vacances…Retour vers la familia…Ça va me faire un bien fou…New York devient irrespirable ces temps-ci…Et j’avoue que quoiqu’on dise, on est toujours content de retourner dans sa famille, de retrouver nos vrais repères, ne serait-ce que celui de la langue, des plaisirs de la table et celui du vin » en jetant un œil sur mon verre qui est déjà presque fini.

 

 

 

 

Pour preuve de mon grand intéressement, je balance un simple « ah » bien décidée a lui faire comprendre que ma nuit a été courte, ma journée longue et que j’aimerais vraiment que tout cela cesse et pouvoir enfin me détendre si j’en ai le pouvoir et dormir un peu.

 

 

 

 

Mais monsieur Ruides est un grand orateur, et ce n’est pas mon simple désintérêt qui va l’empêcher de continuer.

 

 

 

 

« Et puis depuis toutes ces années que je n’ai pas vu mes amis. Ils construisent leurs vies de leur côtés, moi du mien et au final on perd un peu tout le monde de vue. Alors c’est la bonne occasion. Mais j’y pense…mais oui c’est ça…tu en es aussi ? »

 

 

 

 

« Pardon ? »

 

« Ben j’imagine que c’est pour ça que tu retournes en France. La coïncidence sans ça serait trop grande. Sur cette terre où nous sommes quand même quelques milliards, il y avait peu de chance qu on se retrouve assis l’un à côté de l’autre »

 

 

 

 

Je le savais, il va mêler le destin à tout ça et va plonger droit dedans. Je m’attends à tout moment qu’il nous trouve des points communs, des amis communs et qu’il puisse enfin se lancer dans sa leçon de séduction n°8.

 

 

 

 

« En fait, moi aussi je l’avoue j’ai un peu honte de faire le déplacement rien que pour ça, car un aller retour Paris New York juste pour une soirée…c’est un peu osé…surtout par les temps qui courent et cette psychose des transports aériens… »

 

 

 

 

Je ne comprends pas un fichtre mot que cet énergumène prononce et de plus, je déteste qu’on essaie de parler pour moi. Vraiment il m’exaspère mais en même temps il a éveillé ma curiosité.

 

 

 

 

« Euh, excusez moi,... Etienne ?... Je ne sais pas de quoi vous parlez réellement…J’ai peur que vous fassiez fausse route…je vais en France juste… »

 

 

 

 

« Je te parle de la soirée de ce week-end. Et puis on peut se tutoyer non ? Tu ne crois pas ? »

 

 

 

 

« Une soirée ? Non, vous faites bien erreur, je ne prévois aucune soirée où nous aurions une chance de nous retrouver croyez-moi, j’espère d’ailleurs bien que mes soirées seront beaucoup moins…beaucoup plus…enfin pas de soirées de retrouvailles dont vous avez l’air de parler »

 

 

 

 

« Ah ? » fit-il presque déçu de ma réponse.

 

« Pourtant ça aurait pu car finalement, tu devrais être des nôtres. En fait, je t’explique. Quelques amis que j’avais au lycée et qui m’ont suivi pendant mes premières années d’études en France à la fac ont formé un collectif, une sorte d’association, genre anciens combattants. Bon je schématise mais l’idée est là.

 

Voila maintenant 7 ans que cette association existe et ils se sont dit que ça serait sympa de se faire une superbe soirée sept ans après...et réunir un maximum de monde…et comme tu étais également à la fac certes pas la même branche que nous…mais bon ton copain de l’époque était dans ma promotion…j’ai fait le rapprochement…et pensais que tu étais sur la liste… »

 

 

 

 

 

 

 

Comme il me rend nostalgique à me parler de tout ça…

 

La fac, mon copain de l’époque,…et le reste…il ne manquait plus que ça…voila maintenant plus d’une demi heure que je n’avais pas pensé à ÇA et lui, il est là exprès pour bien me le rappeler…

 

 

 

 

« Et bien…tout un programme.. » lui répondis-je. « Ça doit être excitant de retrouver tous ces gens. Mais ça a du être assez difficile aussi j’imagine ? »

 

Oui, j’ai envie de savoir justement si ce fameux copain de l’époque y serait. Son prénom : Jules. Un amour, une vraie perle, le pauvre, comme j’ai pu le faire souffrir, comme je m’en suis voulue…

 

Et puis, ça m’intrigue car des associations d’idées me viennent à l’esprit et j’aimerais en savoir plus quant à la liste d’invités…

 

 

 

 

« Oui un travail de longue haleine…Retrouver les adresses, les numéros de téléphone, les adresses mails, contacter tout le monde,…Epuisant…Et puis sans compter les mariages et les changements de nom pour ces demoiselles qui n’ont pas facilité la tâche…j’imagine d’ailleurs que c’est pour ça que…on ne t’a pas conviée…car pourtant Jules sera bien là lui. D’ailleurs c’est étrange car j’imagine qu’il nous l’aurait dit si tu t’étais mariée. C’est le cas ? »

 

 

 

 

Et il en profite. Toutes les occasions sont bonnes pour en savoir davantage, le pire c est que je tombe dans le panneau.

 

 

 

 

« Euh…c’est un peu compliqué mais non Officiellement, pas mariée et facilement retrouvable vous savez. Et puis, si Jules n’a rien dit c’est qu’il ne se doute même pas de ce que je suis, où je suis en ce moment, nous n’avons plus aucun contact »

 

« Ah pardon ! » dit-il d’un air gêné, comme s’il m’adressait ses condoléances.

 

« Oh non, non, y ‘a pas de mal. Et puis ce n’est pas dramatique, ce sont des choses qui arrivent… »

 

 

 

 

« Ok. Mais j’y pense, pourquoi tu ne viendrais pas y faire un tour. Je pense que ça fera plaisir à tout le monde et puis plus on est de fous, …tu connais le dicton…ça peut être sympa une petite soirée nostalgique…tu n’as rien a craindre…Qu’est ce qu’il m’arrive moi ? Je ne sais rien de toi et me voilà parti à t’inviter à une soirée. Je suis désolé, c’est juste que cette soirée me met dans un état d’excitation tant j’ai hâte d’y aller »

 

 

 

 

« Ça n’est pas grave. Mais effectivement, l’invitation est très gentille mais je ne l’accepterai pas je n’y ai pas ma place et beaucoup d’autres choses à faire pour mon retour. Mais euh, si tu croises Jules… »

 

 

 

 

Et voila, je me mets également à le tutoyer. Et s’il croise Jules, quoi ? Bien sûr qu’il va lui dire qu’il m’a croisée. Bien sûr qu’il va lui détailler la conversation…Bien sûr…

 

 

 

 

« Dis lui juste…Bonsoir pour moi ! »

 

 

 

 

Quelle idiote ! Comme si je n’avais que ça à lui dire. Comme si je n’avais pas envie de lui donner mon numéro, mon adresse, lui annoncer mon retour. Comme si je n’avais pas envie de le voir, de le serrer dans mes bras.

 

 

 

 

« Ne t’inquiète pas, je ferai la commission. D’autres messages ? » dit-il d’un air moqueur.

 

 

 

 

Il arrive à me faire sourire.

 

« En tout cas, c’est incroyable. » reprend-il.

 

« Tu te souviens d’Antoine ? Tu sais Antoine Alley. Forcément tu le connais major de promo. La bête du lycée et de la fac. C’est lui qui est à l’origine de tout ça. Il en a déployé de l’énergie pour organiser ça. Voila près d’un an qu’il s’y est affairé. Et puis il y a aussi Stéphane et Igor. Ses fameux acolytes qui apparemment le sont toujours. En fait, ils ont fonctionné comme le téléphone arabe. Ils ont juste contacté une personne de l’époque chacun de leur côtés en essayant de glaner des informations ici et là sur des amis communs à la fac…et ça a marché…chacun a usé de ses propres moyens et le deal était que chaque personne retrouvée devait à son tour retrouver une connaissance qui ne soit pas déjà sur la liste.

 

Moi ça n’a pas été très difficile, j’en ai juste parlé à mon associé, on était ensemble à la fac.

 

Mais d’autres ont été cherché plus loin. Certains ont créé des sites Internet directement en se disant que ça pouvait marcher, d’autres ont carrément harcelé les administrations pour récolter des informations types sécurité sociales, banques etc…Mais je crois que celui ou plutôt celle qui a le plus...comment dire…assuré ou en tout cas a usé d’ingéniosité c’est… »

 

 

 

 

Son flot de paroles me parait soporifique...je l’écoute mais cette déferlante de noms, de mots, commencent sérieusement à me fatiguer et j’en sais plus que j’en ai envie d’entendre. Qu’il en finisse, je vais juste finir la dernière gorgée de vin et ensuite je lui dirai qu’il faut que je dorme. D’ailleurs ce vin est délicieux, je le mène à mon nez, sent son parfum assez fort, j’aime le vin. J’ai toujours aimé ça et il me semble que ce bordeaux est de très grande qualité. Je fais tournoyer le liquide rougeâtre dans le fond de mon verre et mène le verre à ma bouche.

 

 

 

 

« Ah ça oui, c’est Hélène !! »

 

 

 

 

« … » Je m’étouffe et recrache tout en bloc sur mon tailleur et la tablette devant moi. Ai-je bien entendu. Hélène ?? Est-ce bien celle à qui je pense ?

 

 

 

 

« Ça va pas ? » me fit-il en me tapotant le dos.

 

 

 

 

« Si si désolée…je suis confuse »

 

Je dois être aussi rouge que le liquide qui s’est répandu et m’aperçois que le café plus le vin sur mon tailleur ça commence à faire beaucoup. Il me prête une serviette pour éponger mais je n’en ai aucunement envie. Peu importe le tailleur, peu importe l’allure dans laquelle je vais me trouver, Hélène, je n’entends que ça, ne vois que ça…je ne peux plus parler, juste bégayer.

 

 

 

 

« Tu veux qu’on demande à l’hôtesse de faire quelque chose pour ta jupe ? »

 

« Non merci…c’est…c’est pas grave…Tu viens de parler … d’Hélène ? »

 

Il acquiesce.

 

« Mais euh, dis moi si je me trompe mais Hélène… Hélène Tupos ? »

 

« Oui c’est elle. Tu la connais, ah je ne savais pas…En tout cas, Antoine m’a dit qu’elle avait fait des pieds et des mains pour retrouver quelqu’un dont elle ne veut pas révéler le nom. Elle lui a dit que ça serait une sacrée surprise pour quelques-uns d’entre nous. Mais apparemment, c’était quelqu’un dont elle n’avait plus de traces car sinon elle n’aurait pas engagé autant de démarches pour ça. »

 

 

 

 

« Tu m’intrigues. »

 

 

 

 

« Et bien, elle a fait des recherches au niveau international et le seul moyen de faire qu’elle a trouvé somme toute assez original, ça a été de passer un message dans des journaux. A l’échelle mondiale tu te rends compte. Moi, je suis persuadé que ça ne va pas marcher, ça reste somme toute assez difficile et la probabilité que cette personne tombe sur le message du dit journal, le jour de la diffusion…c’est assez …enfin je serais bluffé de voir si elle a réussi…Bon elle nous a juste dit qu’elle avait essayé de mettre le sort de son côté et qu’elle avait choisi pour date de diffusion l’anniversaire de cette personne en pensant que peut être… le 19 septembre…Tu n’es pas née un 19 septembre ? » dit-il en s’esclaffant.

 

 

 

 

 

 

 

19 septembre 1974 précisément. 13h52. Maternité de Saint Antoine. Boulogne Billancourt. 94.

 

 

 

 

Une annonce, un message, dans un journal, le 19 septembre, jour de mon anniversaire.

 

Je pense que mon cœur s’est arrêté de battre. J’oublie tout, jusqu'à mon prénom.

 

 

 

 

« Tu m’excuses une minute… » lui dis-je d’un air troublé.

 

 

 

 

« Bien sûr »

 

 

 

 

Je rassemble mon énergie puisée de je ne sais où, je prends mon sac et me traîne tant bien que mal à travers les allées pour atteindre les toilettes de l’avion. Je m’enferme dans la cabine et m’assois sur le siège en prenant soin au préalable de refermer le battant. Et je m’effondre. Les coudes sur les genoux, je me tiens le front avec mes mains et sens que j’ai chaud, trop chaud, des gouttes de sueurs perlent sur mon front. Je suis abasourdie. J’attrape mon sac et en sort le fameux carnet noir. J’en sors délicatement la pochette plastifiée contenant la « pièce à conviction ».

 

 

 

 

Je le ôte de sa pochette et déplie la feuille de journal entièrement sur mes genoux. Elle est intacte, pas un pli mais usée tant je l’ai lue relue et manipulée dans tous les sens.

 

 

 

 

Je relis :

 

 

 

 

« Neewsday – 09/19/04 – addictions »

 

 

 

 

« you’ve got a message… »

 

« And if it’s for you ? »

 

 

 

 

“Comme une bouteille à la mer, je le lance éperdu, ne sachant si tu le liras, si tu le comprendras, si tu te l’approprieras. Il est temps de se l’avouer…Ça y est les choses ont changé. Besoin de toi à mes côtés. RDV Georgia’s ROOM à côté de notre Apollon 15 octobre 18h40…évidemment »

 

 

 

 

 

Evidemment. C’est cette dernière phrase qui avait attiré mon attention et fait que je l’avais lu. Et le fait aussi que ce soit publié en français. Georgia’s ROOM. Apollon. Et 18h40…Toutes ces coïncidences. Ça ne pouvait être qu’elle. Ça ne pouvait être que pour moi. Je n’avais même par cherché à savoir si un autre lieu au monde pouvait s’appeler Georgia’s room. Car il faut bien l’avouer, la consonance française…Pas vraiment ça…

 

 

 

 

 

 

Bon, bon. Ne pas s’éparpiller. Il faut que je reprenne mes esprits. Et puis quoi ? Serais-je surprise ? Ne serait-ce justement pas pour Hélène que je suis dans cet avion ? Alors quoi ? Oui c’est troublant, oui je ne m’y attendais pas et oui j’ai peur. Car j’avais encore l’espoir de me dire que ce message n’était pas pour moi, mais celui d’une autre « Hélène » pour une autre « Alice ».

 

Enfin je ne sais pas si espoir est le mot qui convient mais ce malentendu aurait pu m’éviter toute l’angoisse qui pèse sur moi actuellement et toute celle qui est certainement à venir.

 

De toute façon, je ne peux pas reculer, demander à l’hôtesse si on peut arrêter l’avion rien que pour moi et rentrer à la maison me parait…comment dire…un peu audacieux. A ne pas tenter, c’est une certitude.

 

Et puis, la maison. Quel est le pire entre l’enfer et l’enfer ? Car oui, cette maison, la mienne d’ailleurs, il est bien évidemment hors de question que j’y retourne. Ah ça non, Carl, tu peux être sur que je ne te ferais pas ce plaisir-là.

 

 

 

 

Carl, c’est comment dire ? Carl est mon fiancé parait-il, c’est l’homme qui pense que nous finirons nos jours ensemble, que nous vieillirons côte à côte, tout en s’aimant évidemment, de plus en plus, entourés de nos ravissants bambins, dans notre charmante maison. Carl envisage même la résidence de vacances dans un ou deux ans. Carl veut se caser. C’est surtout ça la vérité. Et tant qu’a faire, puisque c’est sommes toute un homme assez noble et d’un niveau intellectuel respectable, autant que ça soit avec une femme comme moi.

 

 

 

 

Mais Carl est un homme. Carl ne sait pas aimer. Il ne sait même pas qu’il n’est pas aimé. Et c’est bien là tout son malheur. Non mais vraiment, s’imaginait-il que j’allais rester raide dingue amoureuse de lui après tout ce qu’il s’est passé ?

 

 

 

 

J’aimerais ne pas avoir à en parler, à faire comme si c’était du passé et que je pouvais tourner la page. Mais il est des choses dans une vie qui ne s’oublient pas, qui vous marquent à vie, qui vous emprisonnent, des boulets à votre âme, que vous traînez et dont vous savez que jamais vous ne vous en détacherez.

 

J’ai rencontré Carl quelques semaines après mon arrivée à New York. Il faut avouer, et ça n’est certes pas une excuse mais une circonstance non négligeable, qu’à cette époque j’étais complètement perdue, dans un flou total.

 

Mon usage de la drogue qui s’était intensifié alors, n’aidait pas non plus dans mes choix et mon discernement en était plus qu’altéré.

 

 

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