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Portraits croisés2

Page history last edited by Fausta88 14 years, 9 months ago

FANS FICTIONS FRANCOPHONES

Entre elles

 

 

PORTRAITS CROISES

 

 

par Séverine MALRIC

 

Mail : lespetitspapiers@aol.com

 

 

 

 

Partie 2

 

 

 

 

Septembre 1999.

 

Je me trouvais dans un de ses immenses parcs que possède la ville. Il était tôt le matin, la fraîcheur de cette ville commençait à m’envahir. Il faut dire que j’étais dans un état de fragilité assez avancé. Cela faisait tout juste deux jours que je profitais enfin d’un vrai lit, un vrai toit au dessus de ma tête mais deux jours seulement et j’avais très peu dormi. Certainement aussi le fait de prendre ces substances, bien différentes desquelles je prenais en France, beaucoup plus forte celle-ci, moins chère c’est sur, mais plus forte, avec des effets bien plus prolongé et une sensation qui m’était en tout cas moins agréable mais me permettait de m’évader. De toute façon, la dépendance était déjà là, alors quoiqu’il advienne, arrêter et tenter de me sevrer dans ces conditions était voué à l’échec.

 

 

 

 

Il était à peine neuf heures mais à l’hôtel que j’avais réussi à trouver, il fallait impérativement quitter les lieux aux aurores, je suspectais des activités limites légales mais ne m’en souciais guère tant la joie de me glisser dans des draps le soir l’emportait.

 

Bien évidemment, pour me rendre dans ce parc, j’avais du me plonger dans cette foule, cette masse noirâtre se déplaçant sur ces immenses trottoirs. Tous pressés, tous figés, limites tétanisés, certains anxieux, d’autres pensifs, certains accrochés à leur téléphone, d’autre leur journal, et moi au milieu, la tête dans les nuages, essayant de capter au moins un regard pour me sentir vivante au milieu de toutes ces personnes. Et dire qu’il n’y avait pas si longtemps je faisais partie de cette population active, comme on l’appelle, et j’arpentais de la même manière les trottoirs de la capitale française. Tous les matins et tous les soirs. Certainement sans en exprimer davantage que la plupart de ces personnes, et certainement qu’il m’est arrivé de croiser sans m’en apercevoir des personnes qui cherchaient ce fameux regard comme pour les rassurer et que bien entendu je ne leur ai pas donné…

 

 

 

 

 

Je traverse donc plusieurs boulevards, à l’époque la hiérarchie de la ville, le nom des rues, son côté bien organisé, les rues numérotées m’échappaient complètement.

 

J’atterris juste dans un parc. A l’entrée de celui-ci, se trouve une petite roulotte, typiquement américaine vu l’odeur de sandwiches chauds, de volailles grillées qui s’en dégagent à cette heure. J’en ferais mon affaire et suis persuadée que leur café aura un minimum de goût et pourra au moins me réchauffer un minimum.

 

 

 

 

Ce parc me parait immense tant il est dépaysant. Toutes ces étendues de vert qui s’offrent à moi, l’herbe fraîchement arrosée, les oiseaux y élisent domicile également car on les entends chantonnant à chaque carrefour où se trouvent d’immenses châtaigniers. Le soleil se lève sur la ville et embellit le parc, réchauffant en même temps tout ce petit coin de nature dans lequel je me trouve.

 

Je profite de cet instant pour m’asseoir sur un banc, laissant mon visage et ma peau absorber tout ce dont elle a besoin : je chausse mes lunettes de soleil, étends mes jambes de tout mon long et ferme les yeux. Pour un peu je m’y croirais presque : le café de l’étoile. C’est la que je prenais tous mes petits déjeuners avant d’aller bosser à Paris. Et chaque fois que nous avions la chance d’avoir du soleil, je m’accordais une petite séance rapide de prise de soleil pendant une dizaine de minutes.

 

 

 

 

La nostalgie me gagne et je sens que si je continue cette séance qui ma foi pourrait être bienfaisante se transformera en un bain de larmes et ça n’est pas l’idéal pour commencer une journée qui plus est ma première journée de travail.

 

 

 

 

Mais de toute façon, le sort a également décidé d’y mettre un terme car mon état somnolent est perturbé par une voix.

 

 

 

 

« Euh…excuse me… »,

 

La voix est grave, un peu tremblotante, manque d’assurance. L’accent est…étrange…méconnaissable. Bien que je n’aie encore visité aucun état de ce pays, je ne pense vraiment pas que cette voix soit d’ici...cette consonance me rappelle plutôt l’Europe…et je dirais même l’Europe de l’Est. Et oui, je sais ça peut paraître étrange d’arriver à distinguer rien que par un accent la provenance d’un individu mais j’ai eu l’occasion de passer beaucoup de temps en Europe de l’Est et me suis habituée à ce type de langue aux sons durs et non mélodieux.

 

 

 

 

Je relève la tête, ôte mes lunettes. Devant moi un homme, la vingtaine, le visage fin, un bonnet sur la tête. Il est assez chargé me semble-t-il, derrière lui une valise assez importante, il porte sur son dos un étui où je présume qu’il y loge une guitare.

 

Il se frotte les mains comme pour se les réchauffer.

 

Son accoutrement attire mon attention : il porte des vêtements d’une autre époque ou bien sont-ils simplement très usés, sales, je ne sais pas mais j’avoue que les couleurs sont audacieuses et assez bien accommodées. Son style bohème ne m’effraie pas et il a l’air sympathique. Pourquoi ne pas lui accorder audience ?

 

« Yes », mon accent n’est certainement pas mieux que le sien et je pense qu’il va avoir la même opinion de moi que j’ai de lui…

 

 

 

 

« Euh, i’m sorry, euh…I search..euh…i don’t know how we said…euh…i want to …go…to…euh...”et il se met à chercher quelque chose dans les grandes poches de son sweat.

 

Effectivement, on peut dire que la langue lui parait difficile et m’attends à ce qu’il dégaine son dictionnaire tant il a l’air perdu. Le problème c’est que s’il me demande de lui indiquer un chemin je ne pourrais pas l’aider car je ne connais pas du tout la ville, et la deuxième difficulté réside dans le fait que je ne sais même pas si je saurais lui expliquer ceci en anglais.

 

 

 

 

« I want to go…here » il a sorti une carte de visite ou plutôt une plaquette. Je me lève du banc pour me mettre à sa hauteur et inspecter le carton qu’il me tend.

 

Une maison d’artiste apparemment, destinée aux musiciens puisque le logo est constitué d’un méli mélo d’instruments.

 

Et je le reconnais. En effet, pour venir jusqu’ici je suis passée sur une grande avenue et me rappelle y avoir vu au loin cette enseigne lumineuse qui clignotait autant qu’elle le pouvait.

 

« Ah ..euh…yes …i can help you…Comment on dit déjà…Euh »…

 

“Oh, you speak French? Moi aussi!!”

 

Ouf, ça va me faciliter la tâche. Mais ce qui me dérange un peu c’est que son français est un peu pitoyable mais ça sera toujours mieux qu’en anglais.

 

« Vous êtes française ? » me demande-t-il avec un grand sourire comme s’il était rassuré de ne pas se savoir le seul étranger dans ce pays.

 

« Oui, je suis française, mais j’ai l’impression que vous venez d’ailleurs non ? » lui dis je avec un petit sourire car moi aussi je suis heureuse de pouvoir m’exprimer dans ma langue maternelle et suis en quelque sorte également rassurée. Je crois d’ailleurs que depuis les quelques semaines que je suis ici c’est à peu près une des seules conversations que j’ai avec quelqu’un et pour quelqu’un comme moi qui ai toujours besoin de parler, le mutisme de quelques semaines commençait à me laminer un peu.

 

 

 

 

« Oui, moi je viens de Tchèque République…Vous savez où ça se trouve ? »

 

Bien sûr que je le sais…J’avais pour habitude, il y a quelques années auparavant de m’organiser des voyages instructifs en guise de vacances et j’ai ainsi pu faire le tour de l’Europe. Ces voyages n’étaient en aucun cas des vacances comme on les imagine à cet âge : farniente, plage, soirée, etc.… Non, moi j’avais misé la carte de la découverte du patrimoine culturel de chaque pays et sans oublier bien sûr de faire le lien avec mes aspirations universitaires et je décidai donc chaque fois des lieux en fonction de leur importance historique.

 

C’est donc pour cela, que la plupart des voyages effectués étaient en destination de l’Europe de l’Est, la Pologne, la Tchécoslovaquie et donc maintenant la république tchèque, l’Autriche, l’Allemagne et bien d’autres.

 

 

 

 

« Oui, je connais, j’ai déjà été…en voyage là bas. Très joli pays… »

 

« Oui, mais très pauvre…Vous pouvez m’indiquer où ça se trouve s’il vous plait car j’ai un rendez vous à 9h00…et… ». Il regarde sa montre… « Oh, je suis en retard » Il a l’air désespéré.

 

« Oui mais je ne sais plus très bien, je l’ai aperçue ce matin, je suis passée devant…mais je ne sais plus dans quelle rue exactement. Si vous voulez on refait le chemin inverse ensemble et on tombera dessus ? »

 

Je pourrais m’abstenir de jouer les bons samaritains avec des inconnues surtout dans cette ville où je devrais être plus méfiante mais son air désolé et sa mine sympathique ont raison de moi.

 

Il acquiesce, attrape sa valise et me suit. Nous marchons vite tant je n’ai pas envie de le voir s’effondrer en pleurs à mes pieds à cause de son retard.

 

Nous traversons quelques rues, je sais que nous approchons de la destination mais ne parle pas de peur de nous ralentir.

 

Nous arrivons enfin dans cette grande avenue et de lui-même il aperçoit le logo clignotant.

 

« C’est ici ! » lui dis je avec un immense sourire, comme si je venais de découvrir un trésor. En ces temps, un rien suffisait à me rendre radieuse, illuminée mais un rien suffisait également à me faire plonger.

 

« Ok…merci. Vous étés très gentille… » dit-il en s’éloignant et en me faisant un signe de la main.

 

Je lui rends le signe et le regarde s’éloigner contente de mon action. Quelle sotte !

 

Mais à peine le dos tourné, je sens une main sur mon épaule. C’est encore lui.

 

« Euh…excusez moi encore…mais …je sais que j’exagère…mais mon anglais est vraiment horrible et…je ne sais pas si vous avez encore du temps…mais…je voulais savoir si vous pourriez m’accompagner au moins à l’accueil pour me présenter…je suis désolé d’agir comme ça…c’est pas dans mes habitudes…mais mon anglais… »

 

J’esquisse un petit rire.

 

« Bien sûr pas de problème. Je n’ai rien à faire alors si ça peut vous rendre service…Allons –y »

 

Et nous voila donc partis ensemble se présenter à la maison d’artiste qui à mon avis est surtout un studio d’enregistrement pour les musiciens pommés qui ne savent pas où aller.

 

Nous arrivons devant le bâtiment, vitré de part en part, haut de plusieurs étages. Le standing extérieur me semble correct et j’en suis convaincue en voyant l’intérieur des locaux. Des espaces très aérés, une moquette quasiment neuve, le silence est de prise une fois entrée à l’intérieur. Un immense bureau se trouve en face de nous avec à son « bord » une hôtesse le sourire incrusté sur le visage.

 

Mais au fait, que dois je dire, je ne le connais même pas…ne sais même pas ce qu’il vient faire ici.

 

« Euh…hello…euh… » ne sachant pas quoi lui dire d’autre je me retourne vers le jeune homme.

 

« Vous pouvez lui dire que j’ai rendez vous avec M. Ostero, à 9h00, que je suis désolé du retard et voila. Mon nom c’est Darsteweil, Jorge. »

 

« Ok. Euh, this man who doesn’ have a really good english, have a date with Mister Ostero at 9h00. He is in late but he doesn’t know this town so...His name is … »

 

“Darsteweil, Jorge » confirme-t-il derrière moi tant il sent mon hésitation.

 

 

 

 

L’hôtesse ouvre son carnet, nous sourit et nous demande de nous asseoir sur les beaux fauteuils, bien moelleux juste dans le petit salon qui se trouve sur notre gauche.

 

Nous nous y rendons donc et je me rends soudain compte que ma présence n’est plus d’aucune utilité.

 

« Bon et bien, bonne chance… » Je ne sais aucunement si c’est approprié mais c’est la seule phrase qui me vient à l’esprit.

 

« Oh, merci beaucoup, mais j’ai l’habitude, vous savez ». Et c’est vrai qu’il a l’air habitué car son allure me parait plus détendue, comme si le lieu ne lui était pas inconnu.

 

« Ah… » Ma curiosité fait encore des siennes et j’ai envie de savoir. Peut être que sans le savoir, j’ai accompagné une future rock star dans sa première maison de disques et que dans quelques mois, quand il livrera dans la presse sa tragique et dramatique histoire et son épopée pour en arriver là, il me citera, moi comme celle sans qui rien de tout cela ne serait arrivé…

 

 

 

 

De là, il m’expliqua que son voyage ici n’avait rien d’une nouvelle vie ni qu’il venait tenter sa chance. Sa chance il se l’était déjà faite depuis longtemps, semblait-il et il venait juste ici pour du boulot. Un travail comme un autre. Questions de formalités c’est tout. Monsieur avait tout de même plusieurs cordes à son arc et derrière ses apparences, se cachait tout de même un homme apparemment doué de multiples talents et avec une carrière très prometteuse.

 

A la fois compositeur, et musicien, il s’adonnait également à la production et était souvent sollicité pour promouvoir ou simplement donner un petit coup de pouce à d’autres talents en herbe. Et c’est ce qu’il venait faire aujourd’hui.

 

Je pense qu’en temps normal, je me serais dit « encore un qui a la grosse tête » mais à son look plus qu’inapproprié, j’ai ravisé la question et me suis dit qu’il avait l’air de quelqu’un de bien.

 

Il me proposa très gentiment que si je voulais, je pouvais assister avec lui à l’entretien, qu’il me ferait passer pour une amie, histoire de voir comment ça se déroule. Mon attrait pour les artistes et la musique en général m’a bien évidemment amené à l’accepter.

 

C’est ainsi que nous avons passé la journée ensemble.

 

Plus de 10h à écouter, regarder M. Darsteweil divulguer ses bons conseils, à nous jouer ses meilleurs morceaux dans un endroit ravissant qu’il ne me tardait pas de quitter.

 

Il est pourtant arrivé la fin de la journée. 19h. La salle dans laquelle nous nous trouvions s’est vidée au fur et à mesure et je sentais que cette journée qui m’avait mise du baume au coeur et fait oublier tous les ennuis que j’avais auparavant allait se finir dans quelques minutes.

 

D’ailleurs, il ne fallait pas que je traîne de trop puisque aujourd’hui était également mon premier jour de travail et le service commençait dans 4h.

 

J’avais trouvé, par dépit, un petit boulot de serveuse dans un bar branché, night club à la mode, clientèle chic.

 

Modeste emploi mais pas trop mal payé et c’est tout ce qui m’importait. Aucune contraintes, juste être aimable et rapide. Pas le genre d’endroit où les clients se permettent de vous accoster. Clientèle select et discrétion obligatoire m’avait dit le patron. Mon allure un peu bourgeoise le jour de l’entretien avait du le convaincre car ce n’est ni mon non expérience dans ce domaine, ni mon anglais pitoyable, encore moins mon âge qui aurait pu me servir.

 

 

 

 

Jorge et moi nous retrouvâmes seuls dans cette grande salle qui paraissait bien calme, les murs ayant absorbé toutes les notes.

 

J’étais assise dans un coin de la salle, fauteuil duquel je n’avais quasiment pas bougé mais qui m’offrait une vue sur tout ce qu’il s’y passait.

 

Jorge rangea sa guitare dans son étui. « Je ne m’en sépare jamais » me lança-t-il.

 

« Ta préférée, j’imagine… »

 

« Oui, ma porte bonheur on va dire. Oui je sais ça fait cliché mais c’est comme ça…Si ça n’est pas celle la, je ne joue pas pareil, dur à expliquer comme sensation…. »

 

« Ça va ? La journée t’a plu ? Ça ne devait pas être très drôle pour toi, rester assise là dans ce fauteuil, tu aurais du partir si tu t’ennuyais… »

 

« Non, non, vraiment j’ai beaucoup apprécié. Merci beaucoup. »

 

« Bon et bien c’est parfait alors. Tu…tu …veux qu’on aille manger quelque part avant que tu t’en ailles car moi je suis affamé et j’imagine que toi aussi puisque nous n’avons pas pris un repas de la journée. »

 

« Euh…c’est que … »

 

Qu’allais je répondre ? Il était d’une compagnie agréable, j’aimais sa façon d’être simple, naturel. En même temps, il me paraissait difficile en connaissant sa situation de lui dire que moi je devais être dans moins de 4h dans un bar à déboucher des canettes, à enchaîner les « bonsoirs, vous désirez ? » et faire la plonge.

 

Et puis, aller grignoter un morceau me laisserait le temps tout de même de me préparer avant d’aller au boulot.

 

 

 

 

 

Nous allâmes dans un snack, encore une fois aucune prétention de la part de mon nouvel « ami ». Il me raconta ses débuts, sa carrière, ses projets et le moins que l’on puisse dire c’est qu’il était ambitieux et avait déjà un avenir assez bien assuré. Malgré mon premier jugement, il était assez mûr et me révéla qu’il avait déjà dépassé la trentaine. 34 ans exactement.

 

Puis vient mon tour. Je lui racontai mon départ de la France, lui expliquant la situation délicate dans laquelle je me trouvais et finalement en vint même à lui raconter pour le job de serveuse.

 

Je sentais qu’il m’inspirait confiance malgré ses airs mystérieux. Et il avait également l’air d’y prendre plaisir puisque nous restâmes plus de deux heures à bavarder de nos vies respectives, à rire et à faire comme si nous nous connaissions depuis toujours.

 

 

 

 

« Mais euh au fait…serveuse…c’est ton métier ? Enfin je veux dire…je ne dénigre pas…mais tu as l’air plutôt ambitieuse, tu as fait des années d’études, et je ne peux pas être convaincu du fait que tu sois serveuse par vocation. »

 

« Non, effectivement, ça n’est pas du tout la voie que j’ai choisi ni celle que j’ai déjà pratiquée. Je ne suis pas vraiment dans le monde de la nuit. Je porte aujourd’hui tout comme toi plusieurs casquettes mais n’arrive toujours pas à choisir laquelle me correspond le mieux alors…je vadrouille de l’une à l’autre…et espère qu’un jour le choix se fera de lui-même. J’ai commencé à faire quelques années à la faculté d’histoire, la maîtrise, le doctorat et je pensait m’arrêter la, enseigner ma passion, être professeur. Mais plus j’en apprenais et plus je voulais en découvrir, j’avais une soif de savoir intarissable et avais peur de m’ennuyer dans l’enseignement. C’est d’ailleurs pendant ces années fac que je me suis découverte une autre…comment dire…pas une passion…peur être un talent…en tout cas en aucun rapport avec l’histoire…maquilleuse…et oui, rien à voir. Mais j’avais une amie qui travaillait dans le salon d’esthétique que sa mère tenait. Un été, cette amie n’a pas pu aider sa mère car elle s’était prévu un joli voyage avec son ami de l’époque et m’a donc proposé de la remplacer. Ça me permettait également de gagner un peu d’argent pour me payer des voyages autour de l’Europe et donc en apprendre encore et encore et m’adonner sans répit à cette découverte de notre passé.

 

Au début, l’esthétique, ce n’était pas vraiment mon credo. Je n’avais ni la patiente, ni la gentillesse adaptée mais j’étai rigoureuse et soignée, c’était ça qui primait. Contente de mon travail, la patronne du salon m’a proposé de travailler pour elle a temps partiel en combinant la fac et le boulot. J’ai accepté en y voyant seulement une opportunité pécuniaire. J’ai fait ça pendant un an. Et un jour, ma patronne, elle s’appelait Jeanne, m’a proposé de l’accompagner à un meeting, le rendez vous des esthéticiennes. Je me suis dit, ça va parler cire orientale, repousse des poils, vernis, et autres produits de tortures pour le corps pendant toute une journée, rien de bien passionnant. Mais elle m’a convaincue quand elle m’a dit qu’il y avait des stands de présentation à de nouveaux métiers, de nouvelles techniques et notamment celle du maquillage. Mais pas celui des bourgeoises de quartiers. Non. Le maquillage professionnel. Par curiosité et par goût du cinéma, je l’ai accompagnée. Et j’ai été sous le choc. C’est la que je me suis dit que je pouvais tout aussi bien finir prof a la fac de paris 12 en histoire spécialisée à l’époque moyen âgeuse que maquilleuse professionnelle et avoir tous les jours entre mes mains les plus jolis minois qui soient sur cette terre.

 

J’ai donc arrêté mes études à la fac pour intégrer une école spécialisée. J’ai obtenu le diplôme en une année et trouver un boulot sans trop de difficultés. Là encore, pas de grandes stars de cinéma, pas de studio, juste une voiture avec une mallette bien garnie à l’intérieur. Et je me déplaçais d’immeubles en immeubles pour des castings, des films amateurs (j’aurais d’ailleurs préféré m’en passer vu les situations des tournages si tu vois ce que je veux dire) bref rien ne ressemblait à ce que j’avais imaginé. Mais comme on dit…tout vient à point…et mon heure est enfin arrivée après un an d’activités médiocres. Mon premier vrai tournage, ma première vraie actrice. Je me suis appliquée du mieux que j’ai pu. Et le résultat était satisfaisant. Mon employeur était ravi et tu dois le savoir, le bouche à oreille est la meilleure publicité dans ce milieu, nous avons donc enchaîné les plateaux télés, le cinéma et même le théâtre.

 

Et puisque j’avais du talent, je me suis remise à prendre des cours à la fac en management cette fois ci histoire de pouvoir ouvrir mon propre salon et ainsi espérer un jour être à la tête du seul salon recommandable pour le tout paris. »

 

 

 

 

« Et alors ? »

 

Il était pendu à mes lèvres et moi je m’emballais à raconter tout ça. Je laissais transparaître toutes les émotions que ces souvenirs faisaient remonter. Je me sentais bien en oubliant tout, même l’heure.

 

« Alors ? C’est ce que j’ai fait. Mais le résultat escompté…je n’ai pas eu le temps de m’en apercevoir...car après je suis partie pour les raisons que je t’ai expliquées tout à l’heure. »

 

Ma petite mine lui montra que la tristesse reprenait sauvagement le dessus et il eut un air compatissant.

 

« Et bien, en tout cas, quel parcours. Et effectivement, quelle diversité. J’aime les gens polyvalents, moi. Ils sont bien généralement ouverts d’esprits, et toujours en quête de découverte. Je suis exactement comme ça et crois moi tout cela combiné à la persévérance ça paie. J’en suis la preuve vivante. »

 

« Et tu comptes faire quoi maintenant, à part aller servir dans ce bar ou visiblement tu n’as pas du tout ta place ? »

 

« C’est bien la toute la question…l’histoire...le maquillage…je ne sais pas…peut être autre chose…peut être que mon destin a voulu que finalement le métier de serveuse soit celui qui me corresponde, qui sait… »

 

Nous rimes, je remarquai à cet instant sa bouche toute fine, sa dentition parfaite et son rire tout doux. Il avait finalement beaucoup de classe cet homme et je l’aurais beaucoup plus vu dans une costume d’un grand couturier mais…il avait son charme de cette manière là aussi…en tout cas, il avait un charme qui agissait car je trouvais sa contemplation fort agréable. Je pense que l’alcool m’a aidé aussi car tout en nous racontant nos vies, nous avons bu quelques bières, je n’aurais même pas su les chiffrer. Mais je sentais que je commençais à avoir chaud. Ce genre de situation n’était jamais bonne pour moi car sous l’emprise de l’alcool, je deviens incontrôlable et ne peux m’empêcher de m’embourber dans des situations très, très désagréables et aux conséquences bien désastreuses parfois.

 

Et cette fois ci je n’ai pas échappé à la règle.

 

« Mais tu sais…Euh...Ton prénom ? On ne s’est même pas présenté comme le veulent les règles de bonnes éducations… »

 

C’est vrai je connaissais son prénom mais lui pas du tout. Et ça ne nous avait jusque la posé aucun problème.

 

« Effectivement »

 

Il se leva, fit le tour de la table, m’invita à me lever et me tendit la main.

 

« Jorge Darsteweil. » fit-il en étouffant son rire.

 

« Enchantée. Alice Talien. » fis-je avec un large sourire.

 

Il me prit la main et contre toute attente, dans ce snack rempli des jeunes de banlieues et de chauffeurs de taxis, il se courba et me fit un baise main sans me quitter des yeux.

 

Ces lèvres sur ma main me firent tressaillir, j’étais un peu désemparée, déstabilisée.

 

 

 

 

Nous nous rassîmes. Je n’arrivais plus à décrocher de son regard.

 

« Donc Alice…je me disais qu’il était quand même bien dommage qu’une personne comme toi…qui combine autant de talents et, on peut le dire d’expériences, soit obligé d’aller faire la soubrette juste pour gagner de l’argent. Tu fais partie de ceux qui peuvent vivre de ce qu’ils aiment. »

 

« Oui », coupai-je, « mais pas de ceux qui le peuvent en tout cas… »

 

« Ecoute, je fais rarement ce genre de chose car je me trouve prétentieux à faire valoir mes connaissances et tout…mais en même temps je sais reconnaître quelqu’un de talents...tu me sembles intelligente et avec de l’expérience alors…je pourrais….si tu veux essayer de trouver chaussure à ton pied…je connais pas mal de monde dans le milieu...y’a beaucoup d’escrocs…mais y’en a des biens aussi. «

 

« Je te coupe de suite, je ne suis pas une opportuniste et j’aime bien me débrouiller seule tu sais. »

 

 

 

 

 

« Et puis, nous venons à peine de nous rencontrer, je ne te connais pas, tu ne me connais pas et malgré tout, il faut l’avouer, je reste tout de même assez méfiante…Non pas que tu aies l’air de quelqu’un de sournois ou autre...mais bon »

 

 

 

 

Cette charmante soirée commençait à prendre une tournure qui ne me plaisait pas. Cette rapidité, cette trop proximité, cette gentillesse même de la part de Jorge me semblait soupçonneuse.

 

 

 

 

« Excuse moi, Alice, je ne veux pas te froisser ni te vexer. Je comprends ton envie d’y arriver par tes propres moyens. Je te disais juste que, voila, parfois la vie est bien assez compliquée et dure pour que l’on accepte parfois d’attraper les mains qu’on peut nous tendre. Maintenant, si je te parais douteux, pas de problèmes, je le comprends. Je vais juste te laisser ma carte au cas ou, si un jour tu as besoin, tu sais que je pourrais t’aider. Et puis, je ne te proposais pas un boulot, te disais juste que je connaissais du monde dans le milieu et pouvais juste te donner des contacts… »

 

Il avait l’air assez touché de mon refus catégorique et assez triste de ce jugement un peu rapide que j’avais eu de sa proposition.

 

 

 

 

Il me tendit la carte, je la pris, me levai de mon siège comme pour conclure la soirée sur cette maladresse. Il en fit autant, régla l’addition et nous sortîmes. La jolie journée ensoleillée avait laissé place à la pluie et nous nous retrouvâmes donc tous les deux sur le trottoir, la pluie balayant nos visages.

 

 

 

 

« A quelle heure commence ton service ? » me demanda-t-il.

 

« Et bien à 23h. J’ai juste le temps de retourner à l’hôtel pour me préparer. »

 

« Bien. Moi aussi il faut que je rentre à mon hôtel. Je te déposerai sur le chemin. »

 

Il héla un taxi.

 

A bord de celui-ci, je me sentais complètement idiote et plus les minutes passaient, moins j’avais envie d’aller à ce foutu bar pour assouvir la soif de ces dizaines de PDG trop fêtards, et plus je regrettais de ne pas avoir réfléchi davantage à la proposition de Jorge. Mais il était maintenant trop tard pour faire demi tour. Je ne pouvais pas lui dire « Finalement, j’aimerais bien que tu me trouves du boulot, car oui c’est difficile et oui moi aussi j’aime bien parfois quand la vie me fait des cadeaux et le tien a l’air convenable… »

 

Mais encore une fois, la dose de gentillesse qu’avait reçue Jorge à sa naissance était inépuisable. Arrivé devant l’hôtel, il me dit :

 

« Bon écoute, c’était peut être maladroit cette façon d’annoncer les choses mais ne restons pas la dessus. Ce que je te propose, c’est que tu ailles faire ton service ce soir. Sur ma carte tu as mon numéro de téléphone. Je vais te noter mon hôtel et le numéro de la chambre. Demain, si tu le souhaites, appelle moi. Nous déjeunerons ensemble et tu me diras comment ça s’est passé. A partir de là, tu auras le temps de réfléchir à ce que je t’ai dit et surtout tu auras pu comparer avec ton nouveau job. Les cartes sont dans tes mains. Soit tu saisis ta chance et profite un peu des autres en tout cas de ceux qui peuvent t’aider, soit tu restes sur ta position et dans ces cas nous ne nous reverrons jamais. Tu es entièrement libre de tes choix. Je ne veux pas te faire peur. C’est juste que j’ai passé une bonne soirée avec toi, tu es sympa et ça ne me coûte rien que de t’aider. D’accord ? »

 

« Ok, Jorge. Pas de problème. J’y réfléchirai. »

 

Je sortis du taxi en lui faisant signe et regagnai mon hôtel minable.

 

Avant même d’ouvrir la porte de ma chambre, ma décision était toute prise.

 

Bien sur que j’allais le rappeler demain, et non je n’irais même pas tenter la comparaison et n’irais donc pas servir ce soir. J’irais juste dans mon lit à rêvasser à ce peut être nouvel avenir, nouvelle chance en me faisant des films sur telles ou telles possibilités de carrières.

 

 

 

 

C’est ainsi qu’a commencé notre histoire avec Carl. En fait, Carl était son nom d’artiste. Jorge faisant vraiment trop occidental, son manager avait préféré quelque chose de soi disant plus tendance et Carl avait été le grand gagnant. Et c’est étrange car même moi, je finis par l’appeler Carl, tant il me détestait d’être intime au point de l’appeler par son véritable prénom.

 

 

 

 

Le lendemain de cette rencontre, je l’ai rappelé. J’avais pris soin de prendre mon book avec mes plus belles œuvres et le déjeuner prit vite l’allure d’un entretien où l’on établit la liste d’adresses à contacter, le parcours à mettre en avant. Nous en arrivâmes même à jouer des coups de téléphone de Jorge et je décrochais en quelques minutes plusieurs entretiens.

 

 

 

 

Après quelques semaines de collaboration intense avec Jorge, je finis par décrocher mon premier boulot.

 

Je passai le reste du temps avec Jorge qui me présenta les personnes qui l’entouraient, ses amis, ses collègues musicaux comme ils les appelaient.

 

Nous passâmes de très bons moments et j’avais le goût des soirées entre potes de quand j’étais à la fac à chaque fois que je me retrouvais parmi eux. Je me sentais comme avec d’anciens copains et nous avions toujours des tas de choses à raconter.

 

Carl et moi devenions de plus en plus proches, complices mais sans jamais la moindre ambiguïté pour moi. Mon histoire passée étant encore trop présente en mon esprit.

 

 

 

 

Et puis, un beau jour, Carl m’a annoncé qu’il devait repartir dans son pays et qu’il ne reviendrait pas avant quelques mois mais que je devais lui promettre qu’on resterait en contact.

 

 

 

 

Ce que je fis, moi non plus je ne voulais pas perdre contact, c’était devenu un ami, quelqu’un de formidable, beaucoup de qualités et qui m’apportait beaucoup de bonheur et était très rassurant. La séparation allait être dure car mis à part lui, je ne connaissais personne dans cette grande ville.

 

 

 

 

Quand il partit, je me sentis très nostalgique de toutes ces soirées que nous avions passées ensembles mais je repris vite le dessus. Et puis Carl m’envoyait régulièrement des mails pour prendre de mes nouvelles et me donner des siennes.

 

 

 

 

Moi, j’allais de mieux en mieux ma situation se stabilisait tout doucement. J’avais trouvé un appartement en plein centre de New York. Il était assez grand, dans un état plus que convenable. Je possédais une immense pièce type loft, avec un très joli parquet et des murs en pierre qui dépaysaient complètement de l’architecture de la ville. Ma chambre était assez grande pour y loger mon lit, ma jolie commode Louis Philippe et même mon bureau.

 

 

 

 

Je me sentais bien et commençais à retrouver l’envie. L’envie d’avancer, de reconstruire, de devenir quelqu’un d’autre ou peut être celle que je n’avais pas eu l’occasion d’être jusque là. La ville me convenait également. Je sentais qu’elle me correspondait dans son rythme intense, et au fur à mesure, même ses citoyens me parurent plus abordables et je commençais grâce à mon travail à me faire un léger cercle d’amis. La nouvelle vie d’Alice Talien pouvait commencer. Les fondations étaient posées, ne restait qu’à construire les murs et faire la décoration.

 

 

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