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Tu es mon Autre3

Page history last edited by Fausta88 14 years, 9 months ago

FANS FICTIONS FRANCOPHONES

Entre elles

 

 

Tu es mon Autre

 

 

par Kaktus

 

 

Troisième partie

 

 

 

 

Les matins qui suivirent, Nicky m’accompagna à nouveau en ballade. Les premiers jours, je rentrai épuisée et passai mes après-midi à dormir, mais je sentais que mon corps se faisait très bien à ce nouveau traitement.

 

Nous parlions peu durant nos promenades. Même si la jeune femme m’intriguait, je ne posais aucune question. De toute façon, je n’ai jamais été très habile dans cet exercice, même avec mes clients.

 

Néanmoins, je me demandais pour quelle raison Nicky vivait aux Arolles et quels liens la rattachaient à Clotilde. Etait-elle une ancienne patiente ?

 

 

 

 

Le deuxième jour, lors d’une pause, elle me dit soudainement :

 

« Ne bouge plus. Reste exactement comme ça. »

 

Je la vis sortir son carnet de croquis, puis détournai mon regard, quand elle se mit à dessiner. Cela ne prit que quelques minutes et elle vint d’elle-même me soumettre le résultat.

 

« Je crois que je ne suis pas un bon sujet », grommelai-je, vaguement gênée de me reconnaître parfaitement sur son croquis.

 

« Il n’y a pas de mauvais sujets », répliqua-t-elle, « il n’y a que de mauvais dessinateurs. »

 

Elle me sourit d’un air espiègle. « Du moins, c’est ce que me disait mon prof aux Beaux-Arts. »

 

Puis elle bascula dans l’herbe et s’installa sur le dos, les bras croisés derrière la tête.

 

Contrecarrant à mes principes, je lui demandai :

 

« Pourquoi avoir choisi de faire de la bande dessinée ? »

 

Elle leva un sourcil étonné vers moi avant de répondre.

 

« Ah, c’est vrai, Prune m’a dit que tu avais lu mes bd. »

 

Contre toute attente, elle ne me demanda pas si ça m’avait plu.

 

« Je n’ai pas fait que ça, j’ai aussi illustré quelques bouquins. Disons que la bd, c’était surtout alimentaire au début. »

 

Elle sembla se perdre dans ses pensées et je supposai que le sujet était clos, mais elle reprit :

 

« Clotilde aimerait que je recommence à peindre, mais je ne suis pas encore prête. Bientôt, peut-être. »

 

Puis elle se releva et nous repartîmes.

 

 

 

 

 

Le surlendemain, c’est la pluie qui me réveilla. J’en profitai pour sauter le petit déjeuner et m’octroyer une grasse matinée. A midi, il pleuvait toujours et, comme les autres pensionnaires, après le repas, je m’installai sur la véranda, avec mon désormais habituel roman policier. L’ayant terminé plus rapidement que prévu, je remontai en chercher un autre dans la bibliothèque et choisis finalement de passer la fin de l’après-midi dans ma chambre. Je réussis à m’assoupir une nouvelle fois… A première vue, les ballades en forêt, si elles me réussissaient selon Clotilde, m’avaient tout de même fatiguée plus que je ne le pensais.

 

 

 

 

C’est un bruit de moteur qui me réveilla. J’allai me passer un peu d’eau sur le visage avant de revenir vers la fenêtre de ma chambre. Je fus surprise de découvrir une ambulance devant le chalet et, intriguée, je sortis dans le couloir. J’hésitai toutefois à m’engager dans l’escalier, me sentant vaguement mal à l’aise d’être à ce point curieuse. C’est à ce moment que le jeune anglais surgit devant moi. Sans réfléchir, je lui demandai ce qui se passait. Il me répondit dans un français approximatif, mais je parvins à le comprendre. Augustin Boral, le vieil homme amateur de papillons, venait de décéder d’une crise cardiaque.

 

 

 

 

Quand je descendis manger, une heure plus tard, je ne fus donc pas surprise de découvrir la petite Prune, assise à la table des deux mégères, toutes fières de leur rôle temporaire de nounous. Ni Clotilde, ni Nicky n’étaient présentes. Célestine vint me servir et je remarquai qu’elle paraissait affectée.

 

« Pauvre Monsieur Boral ! » s’épancha-t-elle auprès de moi. « Il allait mieux pourtant. Mais remarquez, c’est tout de même mieux de partir comme ça que de traîner une longue maladie. »

 

J’acquiesçai vaguement, peu touchée par le sort d’un homme qui m’était pratiquement inconnu.

 

 

 

 

Après le repas, j’allai m’installer un moment devant la télévision, mais les remarques ineptes des deux autres pensionnaires me chassèrent rapidement. Pour la première fois depuis mon arrivée aux Arolles, l’ennui vint pointer le bout de son nez. Je n’avais plus envie de lire, encore moins de dormir. J’allai passer un pull et m’assis dans un coin de la véranda, déserte bien évidemment.

 

 

 

 

Il ne pleuvait plus mais le temps était couvert, installant prématurément la pénombre du crépuscule. Une odeur agréable de résine et de terre humide flottait dans l’air. C’est un bruit inopiné qui me sortit de ma rêverie. Clotilde venait de surgir sur la véranda. Elle ne me vit pas et je ne fis rien pour indiquer ma présence. La directrice alla s’accouder sur la balustrade de bois, le visage tourné vers l’orée de la forêt. Après dix longues minutes où je me demandai s’il fallait que je bouge ou pas, elle quitta son poste d’observation et je la vis s’éloigner sur le sentier. A nouveau, ma curiosité fut la plus forte. Je me levai et à mon tour, m’approchai de la balustrade.

 

Clotilde allait à la rencontre de Nicky, qui venait de sortir de la forêt. Elle s’arrêta face à la directrice. Dans l’obscurité qui tombait, je ne pouvais vraiment distinguer les contours de son visage. Elles se parlèrent un instant. Puis, soudain, Nicky s’effondra sur ses genoux et je devinai plus que je ne l’entendis, un cri étouffé. Clotilde s’agenouilla aussitôt et je la vis étreindre Nicky. Elles restèrent ainsi pendant de longues minutes et je compris soudain que je n’avais guère envie qu’elles me trouvent à les espionner. Je tournai donc les talons et regagnai ma chambre, véritablement intriguée par ce que je venais de surprendre.

 

 

 

 

Le lendemain, le temps était à nouveau superbe. On aurait dit que la pluie avait lavé le ciel et le soleil y régnait en conquérant.

 

Je partis donc en promenade, m’attendant à trouver Nicky à notre point de rencontre habituel. Mais elle ne vint pas et je fis ma ballade seule, un peu désappointée. Je m’étais accoutumée à sa compagnie.

 

Je constatai qu’elle n’était pas attablée avec Clotilde et Prune, ni à midi ni au repas du soir et je me demandai si elle n’avait pas quitté les Arolles.

 

 

 

 

Le matin suivant, je me rendis à ma consultation dans le bureau de Clotilde. Nos rapports étaient devenus nettement plus cordiaux. J’appréciais sa franchise. Elle ne tournait pas autour du pot, comme le font parfois les médecins. Nous avions abordé le sujet de mon après-convalescence et elle avait d’entrée appelé les choses par leur nom, à savoir que je devais songer à m’inscrire aux Alcooliques Anonymes.

 

J’avais refusé tout net et elle n’avait pas insisté. Toutefois, je supposais que le sujet allait certainement revenir sur la table. Mais, à chaque consultation, nous parlions de choses et d’autres et nous trouvions des points communs. Et puis, nous étions sensiblement du même âge, avec semble-t-il, une éducation identique.

 

 

 

 

A la fin de la consultation, elle me surprit en m’annonçant d’un ton neutre que Nicky s’excusait de ne pas m’avoir rejointe pour ma promenade quotidienne.

 

« Elle m’a chargée de vous dire qu’elle serait au rendez-vous demain matin. »

 

Je ne pus empêcher la question qui m’échappa.

 

« Est-ce qu’elle va bien ? »

 

Mais Clotilde ne sembla nullement surprise. Toutefois, ses paroles amenèrent une rougeur désagréable sur mes joues et je jurai intérieurement contre mon manque de self control.

 

« Je sais que vous nous avez vues hier soir. »

 

Clotilde se pencha légèrement vers moi, accentuant encore mon malaise, même si son regard était chaleureux.

 

« Ne vous inquiétez pas pour Nicky. Elle va bien. »

 

Puis elle se renfonça dans son fauteuil, semblant chercher ses mots.

 

« Elle a … un passé plutôt douloureux avec la mort. »

 

Clotilde soupira avant de reprendre.

 

« Elle a perdu toute sa famille dans un terrible accident de voiture. »

 

Je restai interdite, ne sachant que dire.

 

La directrice me regarda alors droit dans les yeux, avec intensité.

 

« Le chauffard, responsable de l’accident, était ivre. C’était mon mari. Il est mort lui aussi ce jour-là.»

 

 

 

 

C’est ainsi que j’appris le début de leur histoire. Clotilde, puis un peu plus tard, Nicky dans une moindre mesure, entreprirent, pour la première fois semble-t-il, de raconter ce qu’elles avaient vécu.

 

Pourquoi à moi ?

 

Je ne le leur ai pas demandé, mais je m’en doute un peu. Elles le firent chacune à leur manière, me livrant sans fausse pudeur et avec honnêteté, tout ce qu’elles avaient traversé.

 

J’en suis ressortie transformée. Si c’était leur but, il fut réussi.

 

 

 

 

Ce récit va changer maintenant de tournure. Ce sont leurs voix que je vais retranscrire et de temps à autre, la mienne reviendra faire quelques liens.

 

Je l’ai dit dès le début, c’est leur histoire qui importe, pas la mienne.

 

 

 

 

***

 

 

 

 

 

 

 

 

CLOTILDE

 

 

 

 

La première fois que j’ai rencontré Nicky, c’était au bord du torrent qui coule pas loin d’ici. J’étais en congé maladie depuis plus de six mois déjà, ne parvenant pas à reprendre le dessus.

 

Jacques, mon mari, possédait un petit chalet, sans grand confort, où il nous arrivait de passer des week-ends. Après l’accident, je m’y installai. Notre appartement était trop grand pour moi… Il évoquait trop de souvenirs. Tout m’y évoquait sa descente aux Enfers. Et la mienne…

 

 

 

 

Nous nous étions connus à la fac de médecine et étions mariés depuis sept ans. Il était devenu chirurgien tandis que j’avais préféré rester généraliste. Le contact avec les malades me plaisait, et j’avais ouvert un cabinet de consultations commun avec trois autres médecins. Cela marchait plutôt bien, je l’avoue. Si bien d’ailleurs que j’étais débordée de travail. Quant à Jacques, il avait des horaires très irréguliers et il nous arrivait de ne pas nous croiser pendant plus d’une semaine.

 

 

 

 

Nous avions toujours aimé « faire la fête » si je puis dire ça comme ça. D’ailleurs, nous nous étions rencontrés dans une de ces soirées estudiantines qui finissaient inévitablement en grande beuverie…

 

 

 

 

Peu après notre mariage, Jacques insista pour monter sa propre petite cave, comme il l’appelait. Il aimait le vin, mais aussi l’alcool fort, tel le scotch ou la vodka et nous primes rapidement l’habitude d’en boire à tous les repas. Quand nous sortions avec des amis, c’est moi qui conduisais, car mon mari ne restait que rarement sobre. Environ six mois avant l’accident, je dus me rendre à l’évidence : Jacques n’avait pas seulement des habitudes de boisson, il était tout simplement alcoolique. Je tentai de lui en parler, surtout parce que j’avais peur qu’il ne soit coupable d’une erreur médicale. La discussion se termina très mal. Il me hurla dessus, fou de colère. Selon lui, je devais d’abord me regarder en face avant d’insinuer quoi que ce soit à son sujet.

 

« Si je suis alcoolique, tu l’es aussi, ma chérie ! » m’assena-t-il en guise de magistral point final.

 

 

 

 

Et c’était vrai. Je ne valais pas mieux que lui. Au fil des ces sept années, notre relation s’était détériorée. Par manque de dialogue et de temps passé ensemble. Nous nous étions irrémédiablement éloignés l’un de l’autre et la seule solution que j’avais trouvée pour sauvegarder un semblant de lien entre nous, avait été de l’accompagner dans sa dépendance.

 

 

 

 

Ce jour-là, j’aurais dû me reprendre, j’aurais dû commencer à lutter, peu importe la façon. Mais je n’en ai pas eu le courage…

 

 

 

 

Quelques mois plus tard, Jacques heurtait de plein fouet une voiture occupée par quatre personnes qui furent tuées sur le coup. Lui resta dans le coma une dizaine de jours avant de décéder. Au moment de l’accident, il avait plus de deux grammes d’alcool dans le sang. Ce soir-là, j’étais rentrée plus tôt. Une amie m’avait raccompagnée, j’étais trop saoule pour conduire…

 

 

 

 

Le jour de l’enterrement, je bus mon dernier verre d’alcool. Je n’y ai jamais retouché depuis. Les mois qui suivirent furent difficiles. Je faillis rechuter plusieurs fois mais je tins bon. Il avait fallu que, par ma faute, cinq personnes meurent, pour que je prenne pleinement conscience de ma dépendance. La culpabilité devint ma grande amie, celle qui, jour et nuit, m’accompagnait, quoi que je fasse.

 

 

 

 

Je m’étais installée dans le chalet, passant mes journées à ne rien faire, m’isolant volontairement du reste du monde. J’aurais pu retourner au cabinet et me vider dans le travail, mais je n’en avais pas la force ni l’envie.

 

 

 

 

Un beau jour, je suis donc tombée nez à nez avec Nicky au bord du torrent. Elle était assise sur un rocher en train de regarder couler son sang… Elle venait de se couper avec le canif qu’elle utilisait pour tailler une écorce. Elle ne me vit pas approcher. Son regard était fixé sur sa main. Elle ne bougeait pas, ne semblant éprouver aucune douleur. Quand elle leva la tête vers moi, ses yeux ne reflétaient rien, pas même de la surprise.

 

Je m’agenouillai auprès d’elle en lui disant que j’étais médecin et que j’allais arranger ça, J’avais toujours une trousse de secours dans mon sac à dos. Je pansai sa plaie, qui était assez profonde. Je lui expliquai que si cela saignait encore le lendemain, il faudrait qu’elle aille chez un médecin faire un ou deux points de suture. Mais elle ne me répondit pas. Pas une seule parole ne franchit ses lèvres. Je me sentais vaguement mal à l’aise mais continuai de soigner son doigt tout en l’observant, l’air de rien. Du sang avait taché son jean, qui était déchiré par endroits. Elle portait un sweat-shirt bleu clair, qui lui aussi devait avoir connu des jours meilleurs. Une masse de cheveux blonds entourait son visage dont les traits fins ne révélaient rien, hormis de l’impassibilité. Néanmoins, derrière ses lunettes, ses yeux, d’un bleu délavé, suivaient chacun de mes mouvements.

 

 

 

 

Je finis par me relever. Je m’attendais à un merci ou au moins un geste de la main. Mais la jeune femme en face de moi semblait décidée à rester totalement muette. Je lui dis au revoir, volontairement sèche, sans résultat. Je m’en allai avec un haussement d’épaule. Mais je ne pus résister et jetai un coup d’œil en arrière avant que le sentier ne fasse un détour ; elle ne m’avait pas lâchée du regard.

 

 

 

 

 

Je recroisai à nouveau le chemin de Nicky quelques semaines plus tard, un jour où j’allais vraiment mal… Le hasard d’une promenade sans but m’avait amenée au sommet d’une petite colline escarpée dont l’un des versants tombait en une falaise à pic. On était au début de l’été mais la journée était grise et le vent, au sommet de cette colline, était beaucoup plus prononcé que dans la forêt que je venais de quitter.

 

Je m’étais approchée du bord, très près du bord… Les rafales étaient parfois assez fortes pour me faire tanguer, mais je ne reculai pas. Tout au fond de moi, une petite voix me disait que si je tombais, tout serait réglé. Plus de culpabilité, plus de remords. Juste la paix.

 

Je sais, et le savais aussi à ce moment-là, que je n’aurais jamais la force de le faire, même si c’était tentant.

 

 

 

 

Et, soudain, on me tira en arrière. Quelqu’un me saisit à bras le corps et je me retrouvai à plat ventre dans l’herbe, me cognant durement les coudes sur une grosse racine de pin. Je jurai et me retournai vivement pour voir qui m’avait agressée de cette manière.

 

Et elle était là. La même jeune femme blonde.

 

Mais cette fois-ci, elle avait perdu son impassibilité. C’était indubitablement de la colère que je lisais sur ses traits. Je la vis sortir un bloc notes de la poche arrière de son jean et saisir le crayon qui pendait au bout d’une cordelette passée autour de son cou. Elle écrivit quelque chose, arracha le feuillet et le jeta à mes pieds avant de s’en aller sans me regarder.

 

Vous avez pensé à ceux qui restent ? Il y a toujours quelqu’un qui reste !!

 

Je lus les mots plusieurs fois.

 

Ils étaient vrais.

 

Je ne savais pas qui était cette jeune femme mais j’eus l’impression qu’elle me comprenait.

 

 

*****

 

 

 

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