| 
  • If you are citizen of an European Union member nation, you may not use this service unless you are at least 16 years old.

  • You already know Dokkio is an AI-powered assistant to organize & manage your digital files & messages. Very soon, Dokkio will support Outlook as well as One Drive. Check it out today!

View
 

aunomdedieu3

Page history last edited by Fausta88 14 years, 9 months ago

FANS FICTIONS FRANCOPHONES

Entre elles

 

Au nom de Dieu…

 

Auteur : Minuit

 

Contes_de_minuit@yahoo.fr

 

partie 3

 

 

Chapitre 17

 

 

 

Anne et Audrey passèrent le lundi ensemble. Anne dormait à Bourg-la-Reine. François, qui l’adorait avant sa relation avec Audrey, ne l’acceptait plus du tout. Pendant qu’Audrey se douchait, elle l’appela.

 

"Viens à côté de moi, François.

 

- Tu embrasseras plus maman, après ? demanda le gamin en s’asseyant avec elle sur le canapé.

 

- François, je ne vais pas te voler ta maman, tu sais. J’en ai déjà une.

 

- Ah ? Où elle est ?

 

- Très loin. A la Réunion. Il faut prendre un avion, pour y aller.

 

- J’ai pris l’avion une fois, avec maman.

 

- Je sais.

 

- Et pourquoi t’es pas avec ta maman, si t’en as une ?

 

- Eh bien, parce que je travaille ici. Tu sais, ta maman et moi, on s’aime, c’est pour ça qu’on est souvent ensemble et qu’on s’embrasse parfois. Mais elle reste ta maman.

 

- C’est ton amoureuse, alors ?

 

- Oui, c’est ça.

 

Audrey était arrivée sur ces paroles. Elle s’approcha du groupe formé par son amante et son fils et les entoura tous les deux de ses bras.

 

- Je vous aime tous les deux, François. Rien ne pourra changer ça. On est une famille, maintenant…"

 

Il sembla comprendre. Il décida d’inclure les deux femmes dans un jeu, pour leur montrer qu’il acceptait Anne…

 

Le mardi matin, elles se séparèrent, pour se rendre chacune à son travail, certaines de ne pas se revoir avant le lundi suivant. En effet, le 8 mai tombait un mercredi, cette année-là et ce jour étant férié, les autorités avaient décidé de chômer le reste de la semaine.

 

Dès le soir-même, son appartement fut une fois encore envahi de JEV en délire. Sandra fut sans doute la seule à comprendre pourquoi elle était moins enjouée que les autres fois. Ce même mardi soir, Nan, via Internet, piqua une crise à cause du site qu’elle avait soit disant créé pour le groupe : elle avait tout fait à sa tête, n’écoutant aucune suggestion, et du coup, le site ne plaisait à personne, et tout le monde le lui avait fait remarquer. S’en suivirent, ce soir-là, une série de messages incendiaires qui acheva une fois pour toutes de briser les relations avec Nan. Elle reprochait entre autre à Sandra, Anne et Audrey d’être trop souvent d’accord et trop liées.

 

Le lendemain, dès son réveil, elle appela Audrey, certaine que celle-ci serait déjà debout, réveillée par les enfants.

 

"Bonjour, mon amour, murmura t-elle pour ne pas être entendue des autres qui étaient dans son salon.

 

- Bonjour, toi. Comment vas-tu ?

 

- Tu me manques, Audrey.

 

- Hum, tu me manques aussi, figure-toi. Je n’arrive pas à croire que je vais passer tant de jours sans te voir.

 

- On est pathétiques, hein ?

 

- Oh oui, rit Audrey. Tu ne peux pas trouver un prétexte, pour venir me voir, aujourd’hui ?

 

- Voyons voir… Je ne tourne pas avant cet après-midi. Tu n’as pas un élément de décor ou de costume que je dois venir récupérer avec toi ?

 

- Bien sûr que si : ce bout de bois tout blanc, que j’ai trouvé dans le parc, l’autre jour. Je pensais qu’il ferait une excellente baguette magique, pour la scène avec Cédric."

 

On frappa doucement à la porte.

 

"Attends une seconde, Audrey… Oui ? Entrez !

 

Sandra passa sa tête par la porte et sourit.

 

- Je venais te réveiller. Je vois que c’est fait. C’est la miss ?

 

- Oui. C’est juste Sandra, mon ange."

 

Sandra s’allongea en travers du lit et Anne lui passa le combiné. Elle salua Audrey et discuta un peu avec elle, avant de repasser la ligne à Anne, qui se contenta de dire au-revoir et de raccrocher.

 

"Si vous voulez vous voir, proposa Sandra, on peut trouver un prétexte pour t’envoyer là-bas.

 

- Nous l’avons trouvé, répondit Anne en riant."

 

Elle exposa à son amie ce qu’elles avaient décidé et elles se rendirent dans la salle pour le petit déjeuner. L’ambiance promettait déjà d’être joyeuse, ces quelques jours durant. Les garçons ne tardèrent pas à arriver, et l’on put commencer à tourner les premières scènes. Comme prévu, Anne s’éclipsa sous un faux prétexte…

 

Le lendemain soir, le même manège recommença. Sans que les autres ne s’en aperçoivent, elle se faufila hors de l’appartement. Si on la cherchait, Sandra avait une toute prête une histoire de disquette urgente qu’Audrey avait oubliée, et qu’Anne devait absolument lui remettre avant le lendemain.

 

A Bagneux, où habitait la sœur d’Audrey, son mari et ses enfants, les deux jeunes femmes couchèrent d’abord François et le petit Max, à peine âgé d’un an. Puis, Anne mit Audrey au courant du départ définitif de Nan de leurs vies. Audrey convint elle aussi que ce ne serait pas une grande perte.

 

"Passons plutôt aux choses sérieuses, dit Audrey en attirant la jeune brune près d’elle.

 

- Et c’est quoi, les choses sérieuses ?

 

- C’est ça !"

 

Audrey l’embrassait à présent, et elle ne tarda pas à y répondre. Les mains de la jeune rousse s’aventurèrent sous le chemisier d’Anne et lui dégrafèrent son soutien-gorge. Elle lui caressait les seins, lentement et tendrement, tout en continuant à l’embrasser. Anne lui enleva le haut qu’elle portait encore…

 

"Anne, chérie, je ne peux pas faire ça ici : on est chez ma sœur ! Je n’y arriverais pas…

 

- Ce n’est pas grave… on peut toujours se contenter de ça."

 

Ce qu’elles firent, en effet. Allongées l’une sur l’autre, elles se caressèrent en se murmurant mille folies, comme seuls savent en inventer les cœurs amoureux. Il était minuit et demi, quand le téléphone sonna. A contre-cœur, Audrey alla répondre.

 

«Non, ne t’inquiète pas, tout va bien… Oui, elle est encore ici…. Ok, je le lui rappelle. Au revoir."

 

Elle raccrocha. Elle revint vers le canapé et s’assit sur le bord, sa main frôlant tendrement les seins d’Anne.

 

"C’était Sandra. Elle s’inquiétait.

 

- Tu devais me rappeler quoi ?

 

- Que tu tournes à Château-Gaillard demain matin. Très tôt…

 

- Quelle rabat-joie ! Mais bon, quand le boss parle…

 

Ce disant elle s’était levée pour se rhabiller. Elle aimait tourner ce film, malgré toutes les contraintes. Mais elle se rendait compte qu’elle aimait les week-end de tournage, parce qu’elle y était avec Audrey, et celui-ci ne lui était nullement agréable. Heureusement qu’elle avait pu voler ces quelques heures…

 

Les séquences tournées en extérieur leur prirent toute la matinée. D’accord avec Anne, Sandra avait choisi de tourner en priorité les scènes où apparaissaient Cédric, Raphaël, Lucie et Hervé.

 

"Quelque chose me dit que ces quatre là ne vont pas tarder à nous lâcher, avait dit la jeune blonde quelques jours plus tôt."

 

De fait, la situation était un peu tendue, depuis quelques temps, avec les quatre autres. Certes, que le tournage se passe dans la bonne humeur était une priorité, ils étaient là pour s’amuser, après tout, mais il fallait tout de même un peu de sérieux pour faire avancer les choses. La veille, Sandra avait poussé "une gueulante", lors d’une scène particulièrement difficile en intérieur. Christophe, Cerise, Raphaël, Evelyne et Prudence devaient tourner une scène de briefing en anglais. Cette langue n’étant pas la leur, ils devaient redoubler de concentration. Il avait fallu batailler pour obtenir un peu de silence, et une fois que la caméra tournait, le téléphone d’Hervé se mit à sonner. La même chose se répéta quatre fois : Lucie, juste à côté de lui, l’appelait, juste pour le plaisir d’interrompre le travail. Sandra avait piqué une crise et les avait mis dans le bureau en attendant la fin de la scène. Ce n’était qu’un des petits détails qui annonçait, aux yeux des deux jeunes femmes, le départ imminent des quatre acolytes.

 

Finalement, tourner en extérieur avait allégé l’humeur de tout le monde. Les scènes en intérieur étaient en général assez pesantes : dans un appartement de 75 mètres carrés, plongé dans la pénombre pour les besoins de l’éclairage, une petite quinzaine de personnes est difficilement gérable. Prudence et Evelyne mirent toute leur diplomatie et leur savoir faire pour dérider Sandra, laquelle du coup, était gênée par ces manifestations publiques d’affection et d’admiration.

 

Ils rentrèrent vers seize heures à Colombes. Sandra proposa à Christophe et Ophélie de le ramener chez eux ; ses sœurs l’accompagnèrent. Ayant un peu de temps devant eux, les autres décidèrent d’aller au centre commercial, se détendre un peu. Anne et Evelyne restèrent seules à la maison.

 

"Je peux te parler d’un truc, Anne ?

 

- Oui, vas-y…

 

- Tu sais, c’est pas si facile. Je… Christophe a quelqu’un dans sa vie ?

 

- Pas à ma connaissance, répondit prudemment Anne.

 

- Et personne n’a de vues sur lui, dans le groupe ?

 

- Tu sais, personne ne m’a fait de confidence dans ce sens, déclara Anne.

 

- Il me plaît beaucoup, continua la jeune fille de dix neuf ans. Je voulais être sûre de ne gêner personne en tentant quelque chose avec lui."

 

Anne se dit qu’elle aimerait être ailleurs : conseiller matrimonial n’avait jamais été son fort. En fait, elle n’était simplement pas douée en matière de relation humaine, et ce genre de conversation la mettait mal à l’aise.

 

"Je vois, murmura t-elle en essayant de trouver quelque chose d’intelligent à dire.

 

- Il est comme l’homme idéal, poursuivi Evelyne. Gentil, drôle, attentionné… Je l’aime bien, je crois. Et toi, avec Audrey, ça va ?

 

Anne crut recevoir une douche froide. Elles étaient à parler de Christophe et sans crier gare, la grande blonde lui parlait d’Audrey.

 

- Euh, oui, tout va bien, pourquoi ?

 

- Parce que j’ai des yeux : je sais que vous vous aimez, ça se voit comme le nez au milieu de la figure. Si les autres se posent des questions, moi je sais que vous êtes un couple.

 

- Tu le gardes pour toi, pour l’instant. Va savoir pourquoi, Audrey ne veut pas que ça s’ébruite."

 

Le vendredi soir, il ne resta à l’appartement que Sandra, Cédric, Raphaël, Evelyne, Aurore, Prudence et bien sûr Anne. Une dernière vérification des messages email de chacun avait permis de découvrir que Nan s’était encore lâchée sur le groupe : depuis quelques temps, elle n’arrêtait pas de les harceler, sous divers prétextes, et à les traiter de tous les noms. Elle les accusait d’être une "organisation sectaire sous la houlette de Sandra, secondée par Anne et Audrey". Les plus jeunes avaient répondu du tac au tac à la provocation, défendant Sandra avec une passion qui frisait le fanatisme et qui n’était pas loin de donner raison à Nan. Cette dernière, probablement à l’affût des réactions, s’empressa aussitôt de répondre, toujours accusant Sandra des pires méfaits, notamment, d’influencer de pauvres jeunes esprits. Après une réponse bien sentie de l’accusée, la tension avait besoin de se relâcher.

 

"Eh, Anne, tu as encore la caricature de Nan que tu avais faite ? demanda Sandra.

 

- Oui, pourquoi ?"

 

Quelques temps plus tôt, avant de se mettre avec Audrey, Anne avait dessiné une caricature de chacun des membres du groupe, et ceux qui l’avaient voulue avaient eue la leur sur un T-shirt. Celle de Nan n’avait servi à rien… jusqu’à présent.

 

"Tu peux nous la donner ? fit-elle sans répondre.

 

Allant vers une commode, Anne chercha l’objet réclamé et le tendit à la jeune femme blonde. Celle-ci, dès qu’elle l’eut en main, le tendit aux autres afin qu’elles le voient bien. Puis, d’un geste théâtral, elle déchira en deux l’image.

 

"Bon sang, c’est qu’une caricature, mais ça fait du bien, déclara t-elle en souriant."

 

Son geste eut l’effet d’une incitation : Evelyne, Prudence et Aurore s’empressèrent de lui prendre les deux bouts restants et de les mettre en miettes, dans de grands éclats de rire, sous l’œil éberlué d’Anne, de Raphaël et de Cédric.

 

Puis, Clémence disparut dans le bureau, où étaient stockés les accessoires du tournage. Elle revint avec un sari bleu, qu’on avait parfois utilisé comme fond, et le posa sur la tête de Sandra.

 

"Veuille, ô Grand Gourou de notre secte, accepter cet hommage de tes Disciples !"

 

Anne se saisit de son appareil photo, disant qu’elle ne pouvait manquer un tel moment. Evelyne s’empara de l’une des plumes d’autruches blanches qui ornaient un vase, aussitôt imitée par Prudence. Toutes deux s’agenouillèrent devant Sandra, qui s’était assise, morte de rire, tandis que Aurore, prenant une bougie, prit place à son tour au pied de sa sœur. Contre toute attente, Raphaël entra dans le jeu ; il tendit à la jeune femme un billet de cinq euros :

 

"Grand Gourou, voici ma contribution à la bonne marche de notre secte, dit-il en s’inclinant bien bas."

 

Il s’agissait en fait de sa cotisation pour les repas qu’il avait pris durant le week-end. Cédric seul semblait se demander ce qu’il faisait là et ne tarda pas à s’en aller.

 

Le lendemain matin, dimanche, ils ne tournèrent que quelques scènes, à l’appartement. Vers midi, Audrey appela.

 

"Vous pourriez tous passer, ce soir, dit-elle. Tu me manques, et je n’ai pas envie de passer une autre journée sans toi."

 

Anne passa l’invitation aux autres qui furent ravis d’accepter. Après le déjeuner, ils se rendirent à Château Gaillard pour boucler quelques scènes. Vers dix sept heures, ils étaient à Bagneux. Audrey les accueillit avec un large sourire.

 

"J’ai lu les mails de Nan, au fait. C’est du grand art. J’ai jugé qu’il était inutile d’y répondre, dit-elle.

 

- Moi, ça m’a vite gavée, répondit Aurore. Enfin, je pouvais pas la laisser dire tout ça de ma sister, non ?

 

- Enfin, c’est du passé, décréta Sandra."

 

Evelyne raconta comment elles s’étaient défoulées sur l’effigie de la pauvre Nan. François jouait dans la chambre de ses cousins.

 

"Je vous laisse deux minutes, dit Audrey. Enfin un peu plus, je dois faire prendre son bain à Max. Ophélie, y a le JAG, si tu veux regarder.

 

- Oui, j’allais te demander. C’est l’épisode où Mac porte cette robe rouge ! J’adore, répondit l’adolescente en allumant la télévision.

 

- Tu viens me donner un coup de main, Anne ?"

 

Sous le regard complice de Sandra, elles s’enfermèrent dans la salle de bains avec le petit Max, qu’Audrey lava vite, tout en parlant avec Anne.

 

"Tu lui donneras son repas, pendant que je fais prendre son bain à François, ok ?

 

- Euh… Je ne sais pas trop. Je ne suis pas à l’aise avec les bébés, tu sais bien.

 

- Max n’est plus un bébé, nia t-elle en mettant l’enfant dans les bras de sa compagne. Il a dix huit mois."

 

Elles passèrent dans la cuisine, prendre le nécessaire, et Anne posa le bébé dans sa chaise haute. Audrey lui tendit le plat contenant une purée de carottes et une petite cuillère avant de disparaître chercher son fils.

 

"On dirait que tu as fait ça toute ta vie, Anne, railla Sandra.

 

- C’est ça, moque-toi de moi…"

 

Elle n’aimait vraiment pas ça. Une fois son repas achevé, le bébé voulut qu’elle le prenne dans ses bras. Elle n’eut pas d’autre choix que de se résigner. François, propre comme un sou neuf, vint à son tour manger. Il était assez grand pour se débrouiller seul, et Audrey pu lire les réponses des mails qu’avaient envoyé les autres à Nan, tout en regardant le JAG d’un œil. Vers dix neuf heures, Sandra sortit, pour déposer Ophélie à la gare de RER.

 

"On va sur l’ordinateur, voir le site de la pizzeria qui est en dessous de chez moi, déclara Audrey aux autres. Ça nous avancera pour voir ce que nous allons commander pour ce soir : je vais imprimer les menus."

 

Devant un reportage, les autres hochèrent la tête sans leur prêter plus d’attention. Audrey alluma l’ordinateur avant de se retourner vers sa partenaire qui lui prit le visage entre les mains pour l’embrasser.

 

"Aurore risque d’entrer : elle n’est pas du genre discrète, protesta Audrey en se dégageant.

 

-Je sais…"

 

Elles se concentrèrent sur le site, mettant plus d’un quart d’heure à se décider à imprimer le menu, tant elles appréciaient de rester seules toutes les deux, à s’embrasser du bout des lèvres. Audrey était assise sur la chaise de bureau, Anne sur l’accoudoir de celle-ci et caressait le dos de son amie lentement. La porte s’ouvrit brusquement, les faisant sursauter.

 

"Euh, y a Sandra qui vient d’appeler, elle ne se souvient plus du code pour entrer, déclara Aurore en souriant. Vous faisiez quoi ? demanda t-elle en remarquant l’air coupable des deux femmes.

 

- Rien, on a enfin le menu, répondit Audrey, agacée, en appuyant sur la touche d’impression. Je vais lui ouvrir."

 

Le reste de la soirée, Audrey était de mauvaise humeur, ayant l’impression d’être constamment guettée dans ses faits et gestes. Elle préféra même s’asseoir dans un fauteuil du coin du salon, plutôt que d’être près d’Anne : elle ne voulait pas qu’un geste trahisse leur relation.

 

 

 

 

Chapitre 18

 

 

 

Grâce au week-end du 8 mai, le tournage avait bien avancé. L’équipe s’octroya deux week-ends de repos, chacun en avait bien besoin. Audrey avait emmené le vélo d’François à Colombes et ils étaient allés passer l’après-midi au parc des Chantereines. Audrey portait un blouson noir et des jeans, Anne un énorme pull rouge et François son manteau d’hiver : le froid était revenu subitement.

 

"Dites, on va aux jeux ?

 

- Oui, on y va, répondit Audrey à son fils. Cours devant !"

 

Elles souriaient en le regardant s’élancer dans la large allée, vers l’aire de jeux où d’autres enfants se trouvaient déjà. Alors qu’il se mêlait à eux, les deux jeunes femmes prirent place sur un banc et observèrent les petits.

 

"Je n’ai jamais réussi à jouer dans ces trucs, quand j’étais gamine, disait Anne.

 

- Pourquoi ? C’était excellent pourtant !

 

- Possible, admit la brune, mais je n’aimais pas jouer. Pas comme ça, du moins. Tous mes jeux se passaient dans ma tête. Aller me mêler à une bande d’enfants me paraissait dégradant.

 

- Oui, tu avais déjà une très haute opinion de toi, à cet âge-là !

 

- Exactement, répondit Anne en riant. A l’école maternelle, des enfants sont venus me chercher, pour jouer : je les ai renvoyés froidement. J’étais une sale peste, à l’époque.

 

- Tu étais déjà une sale peste, tu veux dire ? demanda Audrey d’un air innocent.

 

- Hé, je pourrais me venger !

 

- Comment ?

 

- En te chatouillant, ce soir !

 

- Des promesses, sans plus… Et je pourrais te rendre la pareille.

 

- Audrey, je ne suis pas chatouilleuse.

 

- Sauf en deux endroits, dit Audrey comme si elle récitait une leçon. Le genou, et étrangement l’oreille. Et partout, quand tu es fatiguée ou sexuellement excitée… Y a des situations que je peux arranger, tu sais ?"

 

L’arrivée d’un petit bolide dispensa Anne de réponse.

 

"Anne, maman, y a mon copain, il dit qu’y a un zoo au parc, avec des tigres. On peut aller voir ?

 

- C’est vrai, approuva Anne. Plus loin, il y a un cirque et une ménagerie. J’y emmenais souvent la petite Claire.

 

- On y va, lança Audrey. C’est génial, les gosses, ajouta t-elle pour Anne : ils ne se connaissent pas, et ils sont déjà copains…»

 

La longue marche dans le parc jusqu’au zoo fut prétexte à des courses poursuites entre Anne et François. Audrey, tenant le vélo d’une main, suivait avec l’appareil photo numérique et prit plusieurs clichés. Elle décida que sa préférée était celle où Anne éclatait de rire, alors que François, riant lui aussi, sautait pour lui attraper la main. Avant d’arriver à la ménagerie, ils passèrent devant un champ, où des chevaux paissaient tranquillement. François s’arrêta pour les observer un moment.

 

"Je pourrais en avoir un, maman ?

 

- Dans l’appartement ? Je ne crois pas non…"

 

Résigné, il haussa les épaules et Anne lui indiqua le chemin jusqu’au zoo. Derrière une grille, un dompteur dressait de jeunes tigres d’à peine quelques mois. Ils passèrent près d’une heure à les observer. Le spectacle amusa les deux jeunes femmes autant que l’enfant. Quand l’entraînement fut terminé, ils prirent la route du retour. Le soleil commençait à se coucher et il était temps de rentrer…

 

Pendant la semaine, elles furent toutes les deux prises par leur travail et ne purent se voir que le jeudi, chez Audrey. Sa compagne préparait à manger, tandis que François regardait pour la deux centième fois Toy Story. Anne avait fini par connaître le dessin animé par cœur. Il avait été inutile de proposer au petit garçon un autre film. Il adorait Buzz l’Eclair ! Elle regardait la rue, du haut de la fenêtre. Elle sentit le souffle d’Audrey dans son cou et deux bras qui s’enroulaient autour d’elle.

 

"Quelque chose ne va pas ? murmura t-elle.

 

- Tout va bien, mon amour. J’attendais que aies fini.

 

- J’ai fini. Le gâteau est au four et nous pouvons passer à table. François, on éteint, déclara t-elle en se tournant vers son fils. On va manger."

 

Le repas se passa à discuter légèrement : François racontait aux deux femmes les exploits de son héros.

 

Elles se rendirent après le dessert dans la chambre de l’enfant et lui lurent ensemble une histoire. Celle-ci terminée, Anne gagna la chambre d’Audrey : François avait beaucoup de mal à s’endormir, en général, et il valait mieux qu’ils ne soient pas trop nombreux dans sa chambre. En attendant qu’il s’endorme, Audrey restait près de lui. Anne alluma l’ordinateur. Elle jouait sur MSN Games, quand Audrey vint s’asseoir à côté d’elle.

 

"Il dort enfin.

 

- Il met de plus en plus de temps, en ce moment…

 

- Qu’est ce que tu fais ?

 

- T’en fais pas, j’ai mis le site dans tes favoris. Je viens de consulter mes mails : ma sœur m’informe qu’ils seront six, chez moi, en juillet.

 

- Et tu comptes recevoir tout ce monde-là ?

 

- Tu sais, ils seront moins nombreux que nous, lors des week-ends de tournage, sourit Anne tout en jouant à Jewel Quest.

 

- Et tu vas en faire quoi ?

 

- Je vais les faire rôtir, bien sûr. Tout le monde sait bien que je mange des chrétiens à chaque repas, répondit sinistrement la jeune femme. Sérieusement ? Je vais les balader dans Paris, je pense. Le mieux serait un centre commercial : chacun fera ce qu’il voudra, on se donne une heure de rendez-vous, et voilà.

 

- Deux jours, hein ?

 

- Hum hum. Enfin, si leurs parents arrivent à régler leur différent, là-bas…"

 

Elles parlaient des amis d’Anne qui devaient se rendre à Toronto, puis venir passer un week-end chez elle, en juillet. Audrey n’avait pas l’air enchanté de les voir débarquer.

 

"C’est quoi, ce différent ?

 

- A ton avis ? Même dans l’Eglise, ils râlent pour de l’argent. On m’envoie six gamins, mon frère et ma sœur compris, et certains parents veulent que je les promène, mais que je paye seule la voiture. Le Père Marc va leur passer un savon demain, je crois.

 

- Tu l’aimes bien, hein ?

 

- Le Père Marc ? Oui, beaucoup. Il est plus comme un oncle pour moi que comme un prêtre. C’est un type bien. Un peu grande gueule, quand il le faut, mais prêt à donner sa chemise pour aider quelqu’un… Dis donc, je pense à un truc qui n’a rien à voir… Si on descendait à Bourges, le week-end prochain ?

 

- Et ça t’est venu comme ça ?

 

- Oui : j’en ai assez de Paris, de la ville et tout ça. J’ai envie d’un peu de nature.

 

- Oui, ça me plaît, pourquoi pas. Mais pour le moment, j’en ai assez de te voir jouer à ça, j’ai envie d’autre chose, vois-tu ?"

 

Avec un sourire coquin, elle entraîna sa compagne vers le lit. Anne n’opposa aucune résistance et se laissa faire.

 

Le samedi suivant, elles se levèrent à quatre heures du matin. François était chez son père. Anne conduisait à une allure modérée et en silence : il était encore trop tôt pour parler, selon elle.

 

"Tu détestes vraiment le matin ! J’ai rarement vu ça, se moqua gentiment Audrey. Si tu veux, on s’arrête à la prochaine aire de repos, et on prend un café.

 

- Excellente idée. Et en fait, je ne déteste pas tous les matins, tu sais. Ceux où tu me réveilles, je les adore.

 

- Je t’ai réveillée, ce matin !

 

- Oui, pour me sortir du lit.

 

- Ah ! tu aimes les matins où je te garde au lit, c’est ça ?

 

- Tu as compris l’idée. Au fait, il faut que tu passes ton permis, on pourra se relayer au volant."

 

Son café bu, Anne roula d’une traite jusqu’à Bourges. Il était à peine huit heures quand elles arrivèrent devant la résidence où habitait Sandra. Elles sonnèrent et attendirent. Cinq bonnes minutes plus tard, une voix endormie répondit :

 

"Oui ?

 

- C’est nous ! lança joyeusement Audrey."

 

On entendit un vague ronchonnement, puis l’ouverture de la porte du hall.

 

"On est vraiment des garces, sur ce coup-là, Audrey, dit Anne. On aurait dû la prévenir qu’on arrivait.

 

- Oui, mais ça aurait perdu tout son charme."

 

Les trois étages qui les séparaient de l’appartement de leur amie grimpés, elles restèrent quelques secondes figées devant l’appartement dont la porte était grande ouverte.

 

"Entrez, vous deux, je ne vais pas vous manger.

 

- Salut, firent-elle d’une petite voix mais avec sourire malicieux.

 

- Bon sang, les filles, vous m’avez fichue une de ces trouilles ! Je me demandais quel était l’abruti qui sonnait à une heure pareille. Et puis, j’ai pensé à vous, mais je me suis dit que ça n’était pas possible.

 

- Eh bien si. J’espère qu’on ne te dérange pas ?

 

- Non. Je dormais juste, mais ça fait plaisir de vous voir. Donnez-moi quelques minutes, le temps de prendre une douche et je suis à vous."

 

Pendant ce temps, Audrey alluma la télévision. Sandra revint peu après, plus réveillée.

 

"Café pour Anne, lait pour Audrey et moi, c’est ça ? demanda t-elle en dirigeant vers la cuisine. Qu’est ce qui vous amène, les filles ?

 

- On s’est dit qu’on allait quitter les joies de Paris le temps d’un week-end.

 

- Je vous comprends : depuis que je vis ici, j’ai l’impression de réapprendre à respirer."

 

Sur une suggestion de Sandra, elles se rendirent au château de Chambord. Anne se rendit compte qu’elle n’était pas encore très à l’aise avec la situation, quand elle réalisa qu’elle était en train de regarder de toutes parts, dès qu’Audrey lui prenait la main : l’un de ses cousins vivait dans la région et venait souvent au château. "Pourtant, je l’aime. Je serais prête à me battre pour elle, renier père et mère s’il le fallait." Elle avait du mal à comprendre sa réaction. Comme pour exorciser celle-ci, elle prit Audrey contre elle et l’embrassa langoureusement, tandis que Sandra, inconsciente de la situation, filmait la façade du château.

 

"Vous faites quoi, pendant les vacances, les filles ? demanda t-elle en se retournant. Oh, pardon !

 

- Ce n’est rien. Je ne sais pas, pourquoi ?

 

- Pour savoir. J’ai une semaine où je n’ai rien de prévu, en août. Si ça vous dit, on fait quelque chose ensemble.

 

- Mes parents vont dans le Sud de la France, dit Audrey. Ce qui fait qu’ils nous laissent la maison, pour la première fois de leur vie. Ma sœur et son mari vont en profiter une semaine, avant d’aller en Espagne. Si ça vous dit, on va là-bas.

 

- Pourquoi pas ? J’ai hâte de voir l’été arriver : je bosse comme une dingue, je suis tout le temps sur les routes, sans compter les voyages que je fais à Paris pour le film.

 

- Moi j’ai hâte que ce film soit fini, déclara Audrey. C’est pas qu’on s’ennuie, mais il commence à y avoir trop de tensions."

 

Anne savait de quoi elle parlait. Sandra était de plus en plus sur les nerfs, lors du tournage et devenait un tantinet autoritaire. Elles, de leur côté, en avaient toutes les deux marre de se voir épiées pour savoir où en était vraiment leur relation. Elle n’en parlait pas à Audrey, mais elle en avait assez de cacher la vérité aux autres. Elle décida qu’il serait vraiment temps qu’elles aient une conversation à propos de tout ça, quand l’occasion se présenterait.

 

Le ciel se couvrit et de grosses gouttes commencèrent à tomber. En courant, les trois jeunes femmes regagnèrent la voiture. Elles passèrent la soirée à organiser le prochain week-end avec les autres.

 

"Avec un peu de chance, je n’aurais plus besoin des quatre empêcheurs de tourner en rond, après ça, déclara Sandra en rangeant son calepin.

 

- Comment va ta grand-mère ? s’enquit Anne.

 

- Pas fort. Elle est toujours à l’hôpital. Mais je m’inquiète autant pour maman, avoua la jeune blonde. Elle n’est pas prête à voir sa mère nous quitter.

 

- Personne n’est prêt à ça."

 

 

 

Chapitre 19

 

 

 

Juin était arrivé. Tous les week-end du mois étaient consacrés au tournage. Anne passait la plupart des nuits de la semaine chez Audrey. Ces quelques heures par jour qu’elles arrivaient à s’octroyer pour elles deux représentaient pour la jeune brune les meilleurs moment de sa semaine, même s’ils étaient trop courts.

 

"Je te retrouve ce soir, dit-elle alors qu’elle se trouvait sur le seuil de l’appartement de sa compagne. N’oublie pas qu’on doit faire les courses pour ce week-end.

 

- Pas de problème, assura Audrey. Passe une bonne journée."

 

Anne l’embrassa, mais elle sentit une sorte de réticence dans la réponse d’Audrey. Elle la regarda bizarrement.

 

"File, tu vas être en retard, lui dit la jeune femme en lui souriant."

 

Dans les embouteillages, Anne ne cessait de penser à ce baiser. On aurait dit qu’Audrey voulait se dérober. Quelque chose n’allait peut-être pas. Elle se promit d’en parler à son amie le soir même.

 

Elle passa sa journée à essayer de savoir ce qui n’allait pas. Heureusement pour elle que le service de formation était calme ce jour-là : personne dans les couloirs, sauf le personnel habituel. Elle bénissait le calme pour une autre raison : depuis quelques temps, une immense fatigue s’était emparée d’elle, sans qu’elle ne puisse lutter. Elle était fréquemment sujette à ces crises d’anémie depuis l’adolescence et elle préférait attendre que cela passe tout seul : les médicaments qui lui étaient prescrits, dans ces cas-là, lui donnaient une faim monstrueuse que rien ne pouvait calmer. Résultat, elle mangeait comme quatre et prenait du poids.

 

Comme d’habitude, le trafic était infernal, entre la porte Maillot et la porte d’Orléans. Anne manquait singulièrement de patience, ce jour-là. Elle prit son portable et envoya au diable l’interdiction de téléphoner au volant.

 

"C’est moi, dit-elle à Audrey quand celle-ci répondit. Je suis coincée à Porte de Montrouge.

 

- Tu es presque là, alors.

 

- Si on veut, on ne bouge pas, maugréa la brune. Tu es prête, toi ?

 

- Anne, ça fait une heure que je le suis.

 

- Bon, dès que je sors de ce merdier, je te passe un coup de fil : attendez-moi devant la maison, que je n’ai pas à tourner cent cinquante ans pour trouver une place où me garer.

 

- Ok. Mauvaise journée ?

 

- Hum. Je hais les vendredi soirs. A tout à l’heure."

 

Une demi-heure plus tard, elle récupéra Audrey et François en bas de l’immeuble et ils filèrent au centre commercial. Ils décidèrent de dîner au McDo, pour la plus grande joie du petit garçon. Pendant qu’il s’amusait, dans la piscine de boules, Anne regarda Audrey. Elle sentait de plus en plus la jeune rousse distante.

 

"Qu’est ce qui se passe ? demanda t-elle sèchement.

 

- Rien, pourquoi ?

 

- Tu es bizarre, aujourd’hui.

 

- J’ai reçu de mauvaises nouvelles, vois-tu. Franck, tu sais, mon ami canadien ?

 

- Oui.

 

- Il m’a téléphoné, hier. Il doit venir en France, en août et voulait savoir si je pouvais l’héberger.

 

- Et c’est une mauvaise nouvelle ?

 

- Non. Disons qu’il a eu en plus un petit accident qui aurait pu lui coûter son pied. Pour l’instant, il a un plâtre.

 

- Ce n’est pas de chance.

 

- Non, admit Audrey d’un air songeur. Et mon frère a une tonne de soucis, avec son ex-femme. Elle veut s’arranger pour qu’il ne voit plus les gamins.

 

- Sous quel prétexte ?

 

- Je n’en sais trop rien, mais je t’assure que mon frère est dans tous ses états. Ah, il attend un autre bébé, au fait.

 

- Il a décidé de repeupler la France ? plaisanta Anne.

 

- On dirait, approuva Audrey avec son premier vrai sourire de la journée. Ça fait deux avec son ex, et trois avec ma belle-sœur.

 

- Votre famille est grande… Je me demande quand j’aurais des neveux et nièces, moi.

 

- Avoir un enfant à toi ne t’a jamais tenté ?

 

- Je ne sais pas. J’adore les enfants, mais j’ai une peur panique des bébés. Et puis on a François, ajouta t-elle en regardant l’enfant qui jouait.

 

- J’aimerais d’autres enfants, lança Audrey.

 

Un signal d’alarme sonna dans la tête d’Anne.

 

- Euh, ça sera un peu difficile : je ne suis pas équipée pour. Mais c’est vrai que ce serait sympa.

 

- Fille ou garçon ?

 

- Fille !

 

- Bah, j’aimerais un autre garçon, moi.

 

- Insémination ?

 

- Non, manière naturelle.

 

- Alors là, on a un vrai problème : je ne te prête pas, moi. Même pas pour que nous ayons un bébé.

 

- On est possessive, mademoiselle O’Hara ?

 

- Très, affirma Anne en souriant. Sérieusement, tu serais prête à envisager ça ?

 

- Pas tout de suite, éluda Audrey. Mais oui, je veux au moins un autre enfant. On en reparlera."

 

Elles en reparlèrent cette nuit-là. Anne trouvait l’idée séduisante, d’une certaine façon. Elles n’étaient juste pas d’accord sur le moyen de conception. Mais elles l’étaient sur le choix des prénoms…

 

Le lendemain était jour de tournage. Quand elle arriva, Evelyne prit Anne à part :

 

"Ecoute, je l’ai fait : je suis avec Christophe, maintenant. Je l’ai carrément appelé, pour lui dire que je craquais sur lui. Il était un peu surpris, mais le principal, c’est que nous soyons ensemble !"

 

Sandra et Audrey, qui n’étaient pas loin avaient tout entendu. Alors que Evelyne allait dire bonjour aux autres, les trois amies se regardèrent.

 

"Eh bien, pour une timide, elle sait y faire, siffla Sandra.

 

- Tu nous avais caché que tu savais quelque chose à ce propos, releva Audrey.

 

- Elle m’avait demandé de ne pas en parler.

 

- Il est temps de commencer, déclara Sandra. Tout le monde en place, on tourne la scène 19."

 

A midi, ils avaient réussi à finir une scène de briefing, malgré l’ambiance survoltée. Sandra et ses sœurs les quittèrent, promettant de revenir en début d’après-midi. Anne était en prise, au téléphone, avec l’un de ses cousins, qui voulait passer la voir ; elle n’était pas enchantée, vu le bazar qu’il y avait à l’appartement, mais ne voyait pas comment le refouler, alors qu’il arrivait de Tours.

 

"Il vient ou pas ? demanda Audrey quand elle la retrouva dans la cuisine.

 

- Je sais pas encore. Il a dit que s’il trouve un moyen de passer par ici, il le fera.

 

- Tu lui as dit que la gare est à cinq minutes à pieds ?

 

- Non. Qu’est-ce qu’ils fabriquent, là-dedans ? demanda t-elle en désignant la cloison qui séparait la cuisine du salon du menton.

 

- Trop de bruit ! Ils vont finir par réveiller François, pesta Audrey en prenant d’un pas vif la direction du salon. Vous vous calmez, là-dedans, hurla t-elle. Et vous me rendez ces jouets. Tout de suite."

 

Anne, qui avait suivi la jeune femme,fut abasourdie par la violence qui émanait d’elle. Hervé, Lucy et Raphaël avait pris les Action Man d’François, et s’amusaient à les faire agir devant la caméra que tenait Cédric. Anne eut un mouvement imperceptible des lèvres devant l’obscénité des gestes qu’ils donnaient aux poupées. C’était déplaisant, certes, mais ne méritait pas toute cette colère chez Audrey. Une remise à l’ordre plus calme aurait tout aussi bien fait l’affaire. La militaire prit les jouets de son fils et alla les mettre dans la chambre, dans un silence complet.

 

"Euh, qu’est-ce qu’elle a ? demanda Ophélie, ahurie.

 

- Rien. Faites moins de bruits quand François dort, et tout ira bien, assura Anne."

 

Elle l’espérait, en tout cas. Elle se rendit dans la salle de bains, et intercepta Audrey au passage. La jeune femme y entra avec elle.

 

"Hé, ça va ? murmura t-elle.

 

- Je suis sur les nerfs, admit Audrey. Ces abrutis m’agacent.

 

- Moi aussi. Mais… calme-toi, ok ?"

 

La femme rousse l’attira contre elle la serra fort dans ses bras.

 

"Je t’aime, dit-elle si faiblement qu’Anne se demanda si elle l’avait vraiment entendu."

 

La porte s’ouvrit sur Ophélie, qui resta une seconde interdite.

 

"Excusez-moi, dit-elle de sa voix joyeuse alors que les deux jeunes femmes se séparaient brusquement. J’ai besoin de la trousse de maquillage : on prend de l’avance, Sandra ne va plus tarder, maintenant."

 

Elle repartit aussi vite qu’elle était venue. La sonnerie de l’interphone poussa Anne à se retirer elle aussi. Intérieurement, elle rageait : quand Audrey et elle arrêteraient d’agir comme si leur relation était honteuse ?

 

Sandra et ses sœurs venaient d’arriver.

 

"Les filles, je peux vous voir ? fit Sandra en prenant Anne et Audrey par le bras et en les entraînant vers le bureau.

 

- Que se passe t-il ?

 

- D’après les médecins, ce n’est plus qu’une question d’heures, pour ma grand-mère.

 

- Mince… Tu veux que je ramène les petites chez elles, et on demande aux autres de rentrer ?

 

- Non. On finit ce qu’on peut finir. J’en ai discuté avec ma mère et mes sœurs, nous sommes toutes d’accord. Notre présence là-bas ne sert à rien, et être ici avec vous sera mieux pour la gamine, ajouta t-elle en parlant de sa plus jeune sœur. Je voulais juste vous prévenir que je risque d’être un peu… à cran."

 

Les autres, mis au courant par Cerise, furent, pour une fois d’une sagesse exemplaire. Jamais ils ne furent plus concentrés lors des prises de vues. Une fois au lit, Anne sentit toute sa crispation de la journée s’évaporer. Elle tenait, comme toujours, Audrey serrée contre elle.

 

"Je n’aurais pas pu le faire, murmura t-elle dans les cheveux de sa compagne.

 

- Quoi ?

 

- Ce qu’ont fait les trois sœurs : être là, normales, alors qu’elles attendent d’un instant à l’autre une mauvaise nouvelle.

 

- Je ne pense pas que j’aurais pu le faire non plus. Mais ça leur fait penser à autre chose… J’ai sommeil, Anne.

 

- Bonne nuit, mon ange.

 

- Bonne nuit, mon amour."

 

Ils étaient à Château Gaillard, quand le portable de Sandra sonna. Tous les regards étaient braqués sur elle. Elle s’était éloignée, pour prendre l’appel. Ses deux sœurs l’accompagnèrent. Les autres la virent raccrocher, et les trois jeunes femmes se serrèrent dans leurs bras. Elles restèrent longtemps ainsi, sans bouger. Quand Sandra revint, les traits de son visage n’avaient pas bougé.

 

"On rentre. Ma grand-mère vient de mourir. Ma mère nous attend."

 

Anne se contenta d’une légère pression sur le bras de son amie, puis s’éloigna. Elle ne voulait pas regarder en face la souffrance. Elle prenait toujours ses distances, dans ces cas-là, ceux où justement ses amis auraient le plus besoin d’elle. Douée d’une espèce de forme d’empathie depuis son enfance, elle était capable de ressentir les sentiments forts de son entourage : colère, souffrance, frustrations… Elle cherchait désormais à se protéger comme elle le pouvait…

 

Elle prit un maximum de paquets à charger dans la voiture. Elle s’en voulait de ne pas savoir être là pour Sandra et ses sœurs. En jetant un œil, elle vit qu’Audrey et les autres les entouraient. "J’ai encore pas mal de travail à faire sur moi, pensait-elle. Il y a des souvenirs qui sont durs à effacer…"

 

Chassant l’image de sa propre grand-mère, morte le jour des résultats du bac, elle attendit les autres sur le parking.

 

Audrey était montée avec Sandra et ses sœurs : celles-ci passeraient directement à Eragny et Sandra préférait avoir quelqu’un sur la discrétion de qui elle pourrait compter. La route du retour se fit plus ou moins en silence. A l’appartement, ceux qui utilisaient la voiture d’Hervé pour rentrer chez eux préparèrent leurs affaires, mais attendirent tout de même que Sandra revienne pour partir.

 

Sandra avait laissé ses sœurs à Eragny. Elle reçut les condoléances de ses camarades. Une fois qu’elles ne furent plus que toutes les trois à la maison, elle parla à voix basse à ses amies de la situation chez elle, avant de retourner soutenir sa mère.

 

 

 

Chapitre 20

 

 

 

Anne et Audrey ne purent accompagner Sandra pour l’enterrement : elles travaillaient toutes les deux. Elle rentra à Bourges sans avoir vu ses amies. Tout le monde avait été d’accord pour lui demander d’annuler le prochain tournage. Elle avait fini par accepter.

 

"Cela me permettra d’aller chez mes parents, dit Audrey. Ça fait longtemps que je n’y suis pas retournée, et ils commencent à se demander ce qui se passe.

 

- Tu pars quand ?

 

- Vendredi après avoir récupéré François, répondit-elle. Je vais en profiter pour organiser les dates pour août avec ma sœur."

 

Audrey était couchée sur elle, dans une attitude familière. Anne lui caressait lentement le dos et appréciait les frissons qu’elle faisait naître, goûtant un moment de paix qu’elles n’avaient pas eu depuis la semaine précédente. François dormait. La jeune brune poussa ses caresses un peu plus loin. Alors, Audrey se leva et alla se mettre devant l’ordinateur.

 

"Je dois répondre à quelques mails urgents, dit-elle."

 

Anne poussa un léger soupir de frustration. Plus le temps passait, plus Anne avait l’impression que Audrey se montrait distante. Si elle lui posait la question, elle n’obtenait d’autre réponse que tout allait bien, et pourtant elle savait qu’elle n’imaginait pas ce malaise qu’elle ressentait.

 

"Demain soir, tu viens ? interrogea Audrey.

 

- Tu as envie que je vienne ? fut la réponse un peu sèche d’Anne.

 

Audrey se retourna, surprise.

 

- Bien sûr ! Je te demandais ça parce que je risque de rentrer tard. Ma sœur et son mari ont un pot à leur boulot : un de leurs collègues est muté. Ils me demandent de surveiller les enfants."

 

Le lendemain, au bureau, Anne se demanda si elle allait rentrer chez elle ou finalement en rester à ce qu’elle avait convenu avec Audrey, autrement dit, se rendre chez la militaire. Le téléphone sonna vers treize heures. C’était l’objet de ses pensées.

 

"Je te dérange, mon amour ?

 

- Pas du tout, je n’ai jamais rien à faire ici.

 

- Ecoute, je t’ai préparé à manger, pour ce soir. Tout est dans le frigo. Tu viens, hein ?

 

- Oui, mon ange. Ta sœur compte rentrer tard ?

 

- Normalement non, ce n’est qu’un apéritif, je crois. A ce soir. Tu me manques.

 

- Tu me manques aussi."

 

Il était plus de minuit. Anne avait attendu Audrey depuis vingt deux heures, dans le noir. Elle entendit une voiture s’arrêter dans la rue. Par la fenêtre de la salle de bain, elle vit Audrey sortir de la 205 d’Annabelle, sa sœur. Les deux jeunes femmes parlèrent un instant sur le trottoir. Anne comprit que François était resté à Bagneux et qu’Annabelle se chargerait de le conduire chez la nourrice le lendemain.

 

Elle courut dans le lit, et fit semblant de dormir à poings fermés. Elle entendit la porte s’ouvrir et Audrey se rendre dans la salle de bain. Quelques instants plus tard, la jolie rousse entra dans le lit. Elle effleura de ses lèvres l’épaule dénudée de sa compagne, avant de s’allonger près d’elle.

 

"Je ne dors pas, murmura Anne.

 

- Tu m’as attendu ?

 

- Oui, avoua t-elle sans bouger.

 

- Ils sont allés dîner, après. Je suis désolée.

 

- Pas grave."

 

Anne n’avait pas bougé d’un pouce. D’habitude, elle dormait en enroulant Audrey de son bras gauche. Elle s’était couchée de l’autre côté, tournant le dos à sa compagne. Audrey se rapprocha d’elle et se colla contre son corps.

 

"Hey, t’es fâchée ?

 

- Non, j’ai sommeil.

 

- Tu ne me désires plus ?

 

- Hein ?

 

- Tu me tournes le dos. Heureusement que moi aussi, je peux te prendre dans mes bras, pour dormir. Je t’aime, tu sais.

 

Anne se retourna dans le lit et regarda Audrey dans les yeux ; le lampadaire de la rue les éclairait faiblement.

 

- Je l’espère, Audrey…

 

- Tu doutes de mon amour pour toi ?

 

- Je ne sais plus, avoua franchement Anne. Il y a des jours où tu es si… froide !

 

- Je sais. Je suis désolée… j’ai beaucoup de mal à me faire à notre situation. C’est si loin de ce que j’avais imaginé, dans ma vie !

 

- Et moi donc, Audrey ! Tu sais combien de sacro-saints principes j’ai envoyé promener pour toi ?

 

- Vu ce que tu m’as dit de toi avant, j’imagine, oui. Tu sais, quand j’ai rencontré le père de François, je pensais vraiment que j’allais l’épouser. Il m’avait offert une bague et tout ce qui va avec…

 

- Tu ne m’as jamais dit ce qui s’était passé.

 

- Le coup classique. J’allais faire une lessive. Dans sa poche, j’ai trouvé le mot que lui avait donné une EVAT (NDA : Engagé Volontaire de l’Armée de Terre). Ils étaient ensemble depuis ma grossesse. Je l’ai fichu dehors.

 

- Tu sais, si je pouvais, je t’épouserais, moi !

 

Audrey rit.

 

- Le mariage gay n’est pas encore prêt d’être accepté, tu sais ?

 

- Oui, mais la proposition tient toujours.

 

- C’est adorable.

 

- Mais c’est non.

 

- Ce n’est pas ça, je dis juste que c’est impossible. Mais je t’aime. Ça, j’en suis sûre. En ce moment, j’ai un peu de mal à y voir clair. Tu comprends ?

 

- Pas vraiment. Mais je peux essayer. Et faire avec."

 

Audrey ne tarda pas à s’endormir. Anne resta une bonne partie de la nuit à la regarder. Elle était si belle, endormie ainsi ! Des pensées pessimistes n’arrêtaient pas de tourner dans la tête de la brunette. Malgré les paroles rassurantes d’Audrey, elle sentait qu’un grand fossé se creusait entre elles.

 

Le lendemain, aucune des deux ne travaillait. Une fois de plus, Anne se sentait au bord de l’épuisement. Elle était restée couchée sur le lit, sans bouger. Au bout d’un moment, Audrey qui était levée depuis longtemps vint se coucher sur elle.

 

"Tu comptes rester longtemps comme ça ? interrogea t-elle en caressant le visage de son amante.

 

- Comment ?

 

- Vautrée dans mon lit.

 

- Hummm… Le temps que tu voudras encore de moi chez toi.

 

- Alors, tu es là pour longtemps, longtemps, longtemps…"

 

Elles récupérèrent François en fin de matinée. Ils allèrent tous les trois au cinéma, voir l’Age de Glace. C’était la première fois que le petit garçon allait au cinéma et au début, il avait peur. Mais vite, il se prit de passion pour le film. Ils déjeunèrent dans une crêperie à Montparnasse. Vers treize heures, Anne sentait qu’Audrey devenait de plus en plus nerveuse. Elles n’avaient pas pris la voiture ce jour-là.

 

"Bon, on trouve un arrêt de bus rapidement, décida Audrey, il faut rentrer.

 

- Pourquoi si vite ?

 

- François doit faire sa sieste.

 

Anne retint un soupir énervé.

 

- Tu sais, s’il la manque, pour une fois, il n’y aura pas mort d’homme.

 

- Il est infernal, quand il ne dort pas, tu le sais. Tiens, voilà un arrêt."

 

Sentant, tout comme Anne, l’énervement de sa mère, François ne tarda pas non plus à montrer des signes d’excitation. Une fois le bus arrivé, Anne souffla : peut-être qu’Audrey allait se calmer.

 

Vu l’humeur de sa compagne, elle décida de rentrer chez elle. Il fallait laisser un peu de temps à Audrey. Elle était de plus en plus nerveuse, ces derniers temps. Anne se demanda combien de temps ce climat invivable allait durer.

 

Au matin, elle avait un email d’Audrey :

 

Bonjour mon amour,

 

 

 

j'espère que tu as passé une bonne nuit. J'avais juste envie de te dire que je t'aime.

 

 

 

A plus tard mon coeur

 

 

 

Audrey

 

 

 

 

Chapitre 21

 

 

 

Elles étaient dans un bain chaud. Audrey était allongée sur Anne et elles regardaient le plafond.

 

"Je sais pourquoi j’ai quitté la Bourgogne, disait Audrey à Anne. Un week-end de temps en temps est largement suffisant pour voir mes parents. Ils me gonflent !

 

- Qu’est ce qu’il s’est passé ?

 

- Ils veulent que je me trouve quelqu’un. Un homme.

 

- Hum. Charmant.

 

- Mon père n’arrêtait de râler, parce que j’étais sur Internet.

 

- Je ne m’en plaignais pas, sourit la jeune brune en se souvenant des quelques heures qu’elles avaient passées sur la messagerie instantanée.

 

- Moi non plus. Maman lui a dit que je cherchais peut-être un homme, sur Internet.

 

- Vraiment ? gloussa Anne.

 

- Je lui ai dit que je ne cherchais pas d’homme. Tu sais ce qu’elle me répond ?

 

- Dis-moi, mon cœur ?

 

- "Ce serait le bouquet si elle se mettait à chercher une femme !"

 

Anne éclata de rire.

 

- Je te jure, j’ai failli lui dire que c’était déjà fait. Mais je me suis dit à temps que le climat était déjà assez tendu.

 

- Oh, je t’aime, mon Audrey… Il est temps qu’on sorte de là, ou on va rétrécir.

 

- Au lit, femme !"

 

Une fois de plus, les JEV, moins Lise qui avait eu un empêchement, étaient réunis à Château Gaillard. Le week-end s’était mal annoncé. A dix neuf heures, le vendredi, alors qu’ils allaient commencer des scènes dans la cave, Sandra était retournée à sa voiture chercher quelques éléments de décor. Elle était rentrée, en furie dans l’appartement, sans dire un mot à personne et était allée s’enfermer dans le bureau.

 

"Je ne sais pas ce qui se passe, a dit Cerise, mais je ne conseille à personne d’entrer là-dedans pour l’instant."

 

Tout le monde avait suivi le conseil avisé de la sœur de Sandra. Aurore et Christophe étaient sortis voir ce qui avait pu la mettre dans un tel état. Ils revinrent, catastrophés.

 

"Tout l’avant de la voiture et le bas de caisse ont disparu, annonça Christophe. Ils ne manquent pas de culot de faire ça presque en plein jour !"

 

Sandra émergea enfin du bureau.

 

"Merci de m’avoir laissé le temps d’avaler ça, annonça t-elle. Faut que j’aille une fois de plus au poste de police. Anne, faut vraiment que tu changes de quartier.

 

- Je t’accompagne."

 

Les policiers constatèrent les dégâts. Avant de les renvoyer vers le commissariat principal. En attendant leur tour, Sandra appela la compagnie qui lui louait la voiture et leur expliqua ce qui s’était passé. En effet, c’était une voiture de fonction qu’elle avait en leasing. Ils lui indiquèrent la marche à suivre pour envoyer le véhicule dans un garage agréé et pour louer une nouvelle voiture. Il était vingt deux heures quand elles quittèrent le commissariat.

 

Le lendemain, elles prirent la Fiat d’Anne pour aller à Roissy chercher une autre voiture.

 

Une heure et demi plus tard, elles étaient de retour. Sandra avait eu une petite Twingo verte à la place de sa Clio. Elle détestait les Twingo, mais était bien obligée de faire avec. Les autres les attendaient sur le parking, prêts à partir pour la Normandie. Sandra avait retrouvé sa bonne humeur.

 

"Bon, si vous faites bien attention à tous vos gestes, disait Christophe, je peux inclure la porte des étoiles juste là derrière, au montage. Je veux pas vous voir partir dans tous les sens, ou se sera impossible. Restez groupés."

 

Anne tenait le script, pour Sandra qui filmait. Christophe la relaierait pour la scène où elles mêmes étaient sensées traverser la porte. Tout allait bien jusqu’à présent. Hervé, une fois dans le champ après avoir simulé l’arrivée sur la planète, sortit son portable. Anne et Sandra échangèrent un regard exaspéré : ce n’était pas dans le scénario.

 

"Tu captes, Lucie ?

 

- Non, rien du tout, répliqua celle-ci en prenant son propre portable.

 

- Fallait prendre Goa’uld Télécom !"

 

Anne pouffa. Même Sandra ne put retenir un sourire.

 

"Je le garde pour le bêtisier, murmura t-elle à son bras droit. Bon, un peu de sérieux ! cria t-elle aux autres. On recommence ! Action !"

 

Ils avaient tourné les scènes de la recherche de l’antidote. Ophélie, Lucie, Prudence et Hervé étaient devant la caméra. Ils étaient dans la forêts, et Ophélie était tout simplement époustouflante dans son rôle d’enfant gâtée.

 

Toutes les scènes où devaient apparaître Hervé et Lucie étaient bouclées ou presque : ne restaient que celles où ils faisaient de la figuration.

 

Après le déjeuner pris sur l’herbe, Sandra réclama aux participants la cotisation pour les repas. Une fois de plus, Audrey, Anne et elle avaient avancé l’argent.

 

"Désolée, on ne paye pas pour tout, protesta Lucie. On n’a pas mangé chez vous, hier soir, mais chez Cédric.

 

- Ecoute, c’est pas notre problème. On ne vous a pas forcés à manger ailleurs : ce qui est convenu est convenu.

 

- Oui, mais on ne paye pas ce qu’on n’a pas mangé."

 

Sandra alla s’enfermer dans sa voiture, prit un calepin et commença à griffonner dessus. Un silence de mort régnait. Anne alla vers elle.

 

"Qu’est ce que tu fais ?

 

- Le décompte.

 

- Ok."

 

Le calme apparent d’Anne était en totale contradiction avec la flamme qui brillait dans ses yeux. La détermination qu’elle lut dans le regard de la jeune brune alarma Sandra. Elle-même était en colère, mais elle ne s’attendait pas à ce qui allait suivre. D’un pas extrêmement lent, Anne marcha vers le groupe qui la regardait venir.

 

"Elle fait quoi ? s’enquit Aurore.

 

- Les comptes, répondit Anne. Et moi, je fais les miens ici, devant vous. Quand on s’est lancés dans cette aventure, tout le monde était d’accord. Je reconnais que le tournage est parfois stressant, mais si nous voulons avoir un bon résultat, il faut de la discipline. Et tout le monde devrait être logé à la même enseigne. Vous voulez qu’on fasse les comptes, on va les faire. Ceux qui n’ont pas mangé de taboulé lèvent la main… personne ne bouge ? Ok. On devrait peut-être peser le poids des rations de ce que chacun a mangé. Puisqu’on y est, on va vous dire ce que nous coûte ce film. On ne vous demande qu’une petite participation aux repas, c’est tout. Nous, on paye le carburant, pour venir ici, pour ramener ou aller chercher certains d’entre vous. Chez moi, il y a l’eau des douches et de la vaisselle. Puisqu’on y est, des toilettes. L’électricité. Mon forfait internet, puisque vous l’utilisez pour lire vos mails. Il y a pour presque mille francs de costumes et d’accessoires qu’aucun de vous n’a jamais cherché à payer. Il y a les caméras. Sans compter les heures que je passe chez moi à tout ranger après votre départ.

 

- Tu rigoles, ou quoi, c’est le foutoir chez toi, ces dern…, contra Lucie.

 

- La ferme, je n’ai pas fini.

 

- Mais…

 

- J’ai dit la ferme ! Si c’est le foutoir, ces derniers temps, c’est que j’en ai marre de faire la boniche pour vous. Je nettoierais une fois que vous serez définitivement partis, je m’en fiche, je ne vis pas chez moi, la semaine. Toi, principalement, Lucie, tu devrais te taire : tu es la seule à fumer ici. Est-ce difficile de demander un cendrier ? J’ai trouvé un verre rempli de mégots dans le bureau, l’autre jour. Ensuite, le bruit que vous faites, à chaque fois est insupportable. Vous ne savez pas vivre et j’en aurais peut-être à payer les conséquences avec les voisins. Sandra !

 

- Oui ?

 

- Arrête de compter et viens ici. Je crois qu’ils sont conscients maintenant de la somme qu’ils nous doivent. Ils sont encore débiteurs. Et je ne veux pas entendre un seul de vous râler, ne serait-ce qu’une seule fois. Et ceux qui ne sont pas contents, ils ont intérêts à partir tout de suite."

 

Un silence quasi religieux avait suivi l’explosion de colère de la jeune femme. Sa voix, calme au début, était devenue cassante, jusqu’à l’interruption de Lucie, puis avait résonné comme un orage. Ayant dit ce qu’elle avait à dire, elle les regarda tour à tour. Ophélie, qui ne supportait pas les relations tendues et les situations de conflit baissait les yeux et jouait avec un bâton sur le sol. Prudence, qui était allée discrètement se réfugier derrière Aurore et Cerise. Toutes les trois avaient l’air de se demander ce qui venait de se passer. Christophe et Evelyne, l’un contre l’autre, la regardaient, médusés. Tel était d’ailleurs le cas d’Audrey et de Sandra. Sans compter ceux qui avaient déclenché cet accès de colère.

 

"J’ai dit que vous pouviez partir, répéta t-elle calmement. Personne ne vous retient. Et j’ai aussi dit que je ne voulais aucune protestation."

 

Lucie fut la première à se lever. Elle prit ses affaires. Raphaël, Cédric et Hervé l’imitèrent. Ils traversèrent la place silencieuse pour regagner leur voiture. La voix rocailleuse de la petite blonde parvint jusqu’à eux : "Si elle croit qu’on va la payer après ça !"

 

Les autres regardèrent la voiture démarrer et quitter le parking. Sandra lança un petit regard en coin à Anne avec un sourire penaud et malicieux à la fois :

 

"Tu sais, on avait encore une ou deux scènes à tourner avec Daniel.

 

- Tu regrettes leur départ ?

 

- Non.

 

- Punaise, ça fait un bien fou, déclara t-elle en laissant tomber sur le sol. Ça faisait un moment que je n’avais pas fait ça. Depuis décembre en fait.

 

- Et dire qu’on pensait que tu étais la plus diplomate de nous trois, ironisa Audrey.

 

- Diplo quoi ? ricana t-elle.

 

- On utilisera les scènes qu’on a déjà, pour Daniel, décida Christophe. Ce n’est pas très difficile à les inclure. D’autant plus qu’il n’a plus grand-chose à dire, Sandra. Tu te souviens qu’on a fait en sorte qu’ils tournent en priorité.

 

- J’ai vraiment eu du nez, là-dessus."

 

Ils rentrèrent à Colombes en fin d’après-midi. Tout le monde dormait à l’appartement. Anne avait conscience que son éclat de l’après-midi était en grande partie due à la frustration qu’elle éprouvait face à Audrey et son silence impénétrable sur ce qu’elle ressentait. Mais l’important, pour elle, était qu’elle avait pu sortir cette colère qui la rongeait.

 

"Cédric a oublié ses chaussures, Anne, lui apprit la voix d’Aurore depuis le bureau.

 

- S’il ne réclame pas d’ici la fin du week-end, on les jette, déclara la jeune Créole."

 

Ses insomnies l’avaient reprises, depuis quelques temps déjà. Elle passait ses nuits à regarder le visage endormi de sa compagne, comme pour le graver en elle. Elle essayait de comprendre ce qui se pouvait se passer derrière ce front têtu, sans y parvenir. Le 21 juin, elles décidèrent de se rendre sur le Champ-de-Mars, pour la fête de la musique. Elles dînèrent chez Audrey et ils prirent tous les trois le métro. Les rues de la capitale, ce soir-là, étaient joyeusement animées. L’été semblait vraiment présent, cette fois.

 

"C’est agréable de marcher le soir, en cette saison, dit Audrey à mi-voix.

 

- Oui. J’avais oublié à quel point j’aimais Paris sous ce ciel là.

 

- Je n’avais jamais fait ça, avant. Je veux dire me promener comme ça, simplement, à profiter d’une belle soirée parisienne."

 

Anne ne répondit pas. Elle prit la main d’Audrey. Remontaient à sa mémoire des soirées identiques, avec celui qui avait été son meilleur ami. Il lui avait fait découvrir les plus beaux visages de Paris. Ce 21 juin, chaque coin de rue résonnait de notes de musiques et de voix joyeuses. Les deux femmes et François s’installèrent sur la pelouse du Champ de Mars. Audrey avait couché son fils dans sa poussette et fatigué, il dormait en dépit du bruit de la foule et des musiciens. Elle s’était nichée entre les jambes de sa compagne.

 

"Tu n’as pas peur qu’un de tes collègues nous voit ? murmura Anne à son oreille en ne sachant pas quel démon la poussait.

 

- Je m’en fiche. Et tu crois vraiment qu’il y a un autre imbécile à venir passer une soirée en face de notre lieu de travail ?"

 

Elle arborait un petit sourire satisfait, inconsciente du regard un peu triste d’Anne, qui l’emprisonna de ses bras. Cette dernière sentait que malgré tout, Audrey lui échappait petit à petit. Il était une heure du matin quand elles décidèrent de rentrer. Elles se couchèrent aussitôt, épuisée par le parcours du combattant qu’elles avaient effectué dans le RER. Le samedi soir, tous leurs collègues du JEV étaient à Colombes.

 

Une fois au lit, Anne attira Audrey contre elle et l’embrassa. Elle sentait le corps de sa partenaire se raidir.

 

"Que se passe t-il ?

 

- Rien. Mais il y a les autres à côté, et mon fils qui dort juste là.

 

- Je me souviens d’un temps où ça ne te gênait pas, grogna Anne en tournant brusquement le dos à la jeune rousse.

 

- Anne…

 

- Bonne nuit."

 

Inutile de préciser qu’elle ne dormit pas beaucoup. Ce malaise la rongeait littéralement. Elle secondait Sandra de son mieux, mais son esprit n’y était plus du tout. Anne ne savait comment en parler à sa partenaire si compliquée. Elle décida de le faire par le seul moyen où elle était douée : l’écriture. Elle s’attela à la création d’une fan fiction où elle écrirait, sous le couvert des personnages de la série, ses propres peurs et ses propres sentiments.

 

 

 

Chapitre 22

 

 

 

Avec ses collègues, Audrey était partie pour une semaine à Compiègne pour un stage commando. Anne mit à profit ce temps pour écrire son histoire. Sandra téléphona à Anne, le mercredi.

 

"Salut. Je me suis dit que comme tu étais toute seule, j’allais t’appeler. Comment ça va ?

 

- Très bien, c’est gentil. Et toi ?

 

- Pareil. Je viens d’avoir un mail de Christophe : il a trouvé quelqu’un pour jouer Teal’c.

 

- Enfin une bonne nouvelle !"

 

En effet, depuis le début du tournage, ils n’avaient trouvé personne pour jouer le rôle du Jaffa. Chacun était sensé chercher un acteur, mais trop prise par sa relation amoureuse, Anne avait compté sur les autres. Il avait été décidé d’inclure les plans avec Teal’c au montage, plus tard.

 

"Bref, il le ramène demain. C’est un de ses collègues de bureau. Du coup, j’ai revu tout le programme du week-end. Comme il ne pourra venir que deux fois, on fait toutes les scènes avec lui ce week-end et un autre en juillet."

 

Ce week-end là, le dernier du mois de juin, Audrey s’était rendue en Bourgogne récupérer son fils qui avait passé la semaine chez ses parents. Elle arriva à l’appartement en même temps que Prudence, à qui Anne fit distraitement la bise.

 

"Et moi, je n’ai pas droit à une bise ? réclama Audrey.

 

- Si, bien sûr, bafouilla Anne."

 

Il lui paraissait incongru de dire bonjour ainsi à la jeune femme, alors qu’elle ne l’avait pas vue depuis une semaine et qu’elle rêvait de la prendre dans ses bras. Audrey laissa échapper un petit rire gêné, puis elles entrèrent dans l’appartement. Les autres arrivèrent presque tous en même temps.

 

Elle profita d’un moment où personne n’avait besoin ni d’elle ni d’Audrey, après le dîner, pour entraîner sa compagne dans le bureau. Elle lui mit l’ordinateur sur les genoux.

 

"Lis ça, on parle après."

 

Audrey lut consciencieusement le long texte où Anne avait exprimé ses sentiments. A la fin, elle leva les yeux vers sa compagne, assise à côté d’elle sur le sol.

 

"Mon Dieu… c’est justement ça, le problème, Anne."

 

Anne avait terminé son histoire sur les mots : "faites que je me trompe, mon Dieu."

 

"Comment ça ?

 

- Je ne sais pas. Je n’arrête pas de me poser des questions depuis un bout de temps, sur nous. Tu sais, je t’ai dit qu’il était arrivé pleins d’incidents, autour de moi : l’accident de Franck, les problèmes de mon frère, la maladie de ma nièce… Je me demande si, simplement, Dieu ne serait pas en train de nous punir pour une relation coupable.

 

- C’est ridicule, Audrey, coupa Anne avec son manque de tact habituel quand on la contrariait.

 

- Non, Anne. Je sais que l’Eglise et la Bible condamnent l’homosexualité. J’ai peur, tu peux comprendre, ça ? J’ai peur pour mon fils, peur pour toi et pour moi, pour tous ceux que j’aime. S’il leur arrivait quelque chose à cause de moi, je ne me le pardonnerais pas.

 

- Audrey, j’ai grandi dans une famille de catholiques pratiquants, membre du Renouveau Charismatique. Je peux te dire, sans mentir, que je connais la Bible presque par cœur : je la lis tous les jours depuis que j’ai quatorze ans. Bon, c’est vrai que le visage que j’ai de Dieu n’est pas toujours orthodoxe. Mais je sais une chose : Dieu est amour. Il ne punit pas, Audrey.

 

- Ce n’est pas ce que dit la Bible.

 

- L’Ancien Testament, il est vrai, nous montre un visage de Dieu vengeur. Mais Jésus, dans l’Evangile, nous en a fait découvrir un autre : celui du Père. Saint Jean a écrit : Dieu est amour. Audrey, s’il est amour, l’amour vient de lui. Comment condamnerait-il ce que nous éprouvons l’une pour l’autre, si cela vient de lui ?

 

- Je ne sais pas. Je ne sais plus, Anne. Tous ces signes…

 

- Des hasards, rien de plus. Audrey, il y a une chanson, que j’ai apprise, dans mon adolescence au Renouveau, qui dit "C’est vrai, tel que je suis Dieu m’aime." Et j’y crois.

 

- Je voudrais y croire. Mais… laisse-moi du temps, pour réfléchir à tout ça. On ralentit un peu, ok ?

 

- On ralentit ?

 

- On essaie d’oublier, pour l’instant qu’on est amantes. On reprend les bases de notre amitié. On la reconstruit et on réapprend à se connaître… Je suis désolée, Anne… J’ai besoin d’un peu de temps.

 

- Jolie façon de dire que tout est fini, dit Anne amèrement en se levant."

 

Laissant Audrey dans la chambre, elle contourna le salon où se trouvaient les autres pour se rendre à la cuisine. Sans réfléchir, elle ouvrit la porte d’un placard et sortit une bouteille de whisky à moitié entamée. Elle n’y avait pas touché depuis des mois. Sans prendre la peine de le verser dans un verre, elle avala une grande gorgée. C’était comme si elle n’avait pas pu retenir le geste. Le liquide âpre et doré la brûla. Moins que la douleur qui cognait son cœur, cependant. Audrey la quittait.

 

Audrey la quittait. Ces mots scandaient en elle. Elle avala une autre gorgée. L’alcool était un vieux démon. A l’époque, juste avant que Catherine, son amie d’enfance la secoue, elle avait fui ses problèmes d’argent, en se réfugiant dans l’inconscience que procurait l’alcool. Déjà, elle en sentait les effets. Une légère torpeur s’emparait d’elle.

 

Audrey la quittait. Elle avait appris à aimer la vie, depuis cette nuit d’avril en Normandie. La vie la rattrapait. Elle sentait les larmes qui lui brûlaient les joues. De loin, comme dans un rêve, elle entendait les autres parler dans le salon. Elle porta de nouveau la bouteille à ses lèvres.

 

Audrey la quittait. Elle se laissa tomber sur le sol. Dans un geste vieux comme le monde pour chasser ses pensées, elle se balançait lentement. Sandra entra à ce moment-là. Anne ne la regardait pas.

 

Audrey la quittait. Sandra ferma la porte et vint s’asseoir à côté d’elle. Elle sentit un bras autour de ses épaules et une main lui arracher la bouteille.

 

"Je peux t’aider ?"

 

Je peux t’aider, et non pas que se passe t-il. Dans le brouillard qui obscurcissait déjà ses pensées, Anne apprécia la nuance. C’était l’amitié, qui poussait Sandra, pas la curiosité.

 

"Oui, rends-moi cette bouteille.

 

- Non. Quoi qu’il se soit passé, ce n’est pas la solution. Tu veux que j’aille chercher Audrey ? Où est-elle ?

 

- Plus loin de moi que si elle était au pôle Nord.

 

- Je suis là, Anne, murmura Audrey en marchant vers elles."

 

Anne n’avait même pas remarqué que la porte s’était de nouveau ouverte et refermée. Audrey s’assit elle aussi près de Sandra et d’Anne.

 

"Anne, je suis désolée, supplia t-elle en lui prenant les mains. Crois-moi.

 

- Je vous laisse, déclara Sandra."

 

Audrey attendit que la jeune femme blonde soit sortie pour continuer.

 

"Hey, regarde-moi, dit-elle tendrement. Je ne t’ai pas dit que c’était fini. Je ne le sais pas moi-même. J’ai besoin de temps, Anne. Et j’ai besoin de toi pour m’aider à passer ce cap. Viens te coucher. Tu as une tête à faire peur.

 

- A qui la faute ?"

 

Anne se leva, consciente qu’elle n’avait rien de mieux à faire que d’aller se coucher. Elle se coucha au bord du lit, en proie à une crise de larmes. Audrey était à côté d’elle, n’osant pas faire un seul geste. Anne gardait les yeux ouverts. Au bout d’un temps qui lui sembla très long, le silence se fit peu à peu dans l’appartement. Audrey semblait s’être endormie, elle aussi. Anne se leva et retourna à la cuisine. Elle ne savait pas depuis combien de temps elle était là. La bouteille était vide, quand Audrey vint la chercher et la remettre au lit. Enfin, elle supposa que c’était la jeune rousse, car elle n’en avait plus aucun souvenir, au matin, quand elle se réveilla, la tête lourde.

 

Christophe arriva alors qu’elle sortait de la douche et il leur présenta son collègue, Matthieu. Il devait avoir une trentaine d’années. Il s’était passé et repassé des épisodes de Stargate, qu’il ne connaissait pas beaucoup, afin de s’imprégner du personnage qu’il allait incarner. Tous ces détails semblaient insignifiants à Anne. Elle avait mal au cœur (dans les deux sens du terme) et à la tête. Le bourdonnement incessant des autres l’agaçait. Elle aurait voulu se trouver seule et à mille lieues de là.

 

"Je me suis rasé le crâne exprès pour vous, déclara t-il en souriant."

 

Dès les premières prises de vues, il montra aux JEV qu’il était très convainquant, dans le rôle de Teal’c. Christophe avait fait un moulage du tatouage, qu’ils eurent un mal fou à coller sur le front de son ami. Alors qu’Audrey restait avec les autres, pour aider Sandra, Anne s’était enfermée dans sa chambre. Elle savait qu’elle dépassait la limite qu’elle imposait elle-même autrefois aux membres de sa petite troupe de théâtre : "Je ne veux pas que vos histoires personnelles influent sur votre travail. Vous avez pris un engagement et vous le respectez. Je ne veux rien savoir d’autre, disait-elle." Mais il lui semblait que sa vie s’écroulait et elle n’avait pas le cœur à se joindre aux autres. Le rire d’Audrey, qu’elle entendait parfois était comme un coup au cœur à chaque fois. Elle refusa d’aller dans le salon pour manger. Audrey vint dans la chambre, coucher son fils et lui adressa un petit sourire triste. François, épuisé par une matinée de jeux avec Aurore ne tarda pas à s’endormir. A quatorze heures, alors que les autres se préparaient à partir, Sandra vint la voir.

 

"J’ai dit aux autres que tu étais malade. On va tous à Château Gaillard, et Audrey reste avec toi. Elle m’a dit que vous deviez parler.

 

- Ok.

 

- Courage, petit scarabée."

 

Sandra l’avait surnommée ainsi depuis qu’elles se connaissaient sur Internet. C’était, dans Stargate, l’un des surnoms du docteur Jackson. Sandra affirmait à Anne qu’elle ressemblait beaucoup à ce personnage, avec sa passion pour l’Egypte et les mythologie du monde entier, l’Histoire, le nombre de langues qu’elle parlait, l’habitude qu’elle avait de noter tout ce qui se passait autour d’elle et son côté idéaliste. Leurs échanges ressemblaient d’ailleurs parfois à ceux de Jack et Daniel de la série. Le surnom arracha à Anne un pauvre sourire. Sandra partit en refermant lentement la porte. Anne entendit le départ de la petite troupe.

 

Anne se leva et se rendit dans le salon. Tous les meubles avaient été poussés dans un coin, pour installer la longue "table" de briefing. Audrey était sur le canapé. Elle n’était pas plus à l’aise qu’Anne. Cette dernière s’assit près d’elle et voulut lui prendre la main. Audrey la retira aussitôt.

 

"Pourquoi tu n’en as jamais parlé ? lança Anne.

 

- Je ne savais pas comment faire. Tu sais, je n’ai jamais su communiquer, contrairement à toi.

 

- Tu te fiches de moi, là ! La Princesse de Glace et son légendaire mutisme, ça te dit quelque chose ?

 

- Je sais. Tu as du mal, en société. Mais ce que je veux dire, c’est que toi, tu n’as pas peur de dire ce que tu ressens.

 

- Tellement que je n’ai pas trouvé d’autre moyen qu’une stupide histoire pour te dire le malaise que je ressentais entre nous !

 

- Je ne t’ai pas aidée. Mais tu as tout de même fait quelque chose pour ouvrir le dialogue…

 

- Génial, le résultat !

 

- Je t’ai dit que j’étais désolée !

 

- Oui, et ça change quoi, hein ? Tu ne veux même plus que je te touche, ne serait-ce que la main ! Tu as toujours eu honte de cette relation, Audrey.

 

- C’est faux ! Je me suis toujours affichée avec toi, dans la rue.

 

- Oui, devant des tas d’inconnus. Jamais devant tes amis.

 

- Il y a des mineures avec nous. Si leurs parents savaient pour nous, ils leur interdiraient peut-être de nous voir.

 

- Des excuses, Audrey ! Voilà ce que c’est ! tu n’assumes simplement d’être lesbienne.

 

- C’est possible. Mais je veux trouver une solution !"

 

Elles se disputèrent violemment, Anne étant incapable d’accepter le point de vue d’Audrey sur leur relation. Elles finirent en larmes, toutes les deux. Leur discussion avait réveillé François qui vint les trouver. Il était consterné. Il voyait les deux femmes en larmes, se déchirer mutuellement.

 

"Arrêtez ! Arrêtez de pleurer, supplia t-il. Embrassez-vous sur la bouche et tout sera fini."

 

Anne détourna le regard, dans un sanglot déchirant, alors qu’Audrey serrait son fils contre elle.

 

"S’il te plaît, maman, arrête de pleurer. Et toi aussi, Anne…"

 

Anne essuya ses larmes, et caressa du doigt la joue de l’enfant.

 

"C’est fini, mon chéri. Nous ne pleurons plus.

 

- Alors embrassez-vous, insista t-il comme si du haut de ses trois ans, il pressentait la rupture et voulait y remédier.

 

- Ça aussi, c’est fini, murmura t-elle en sentant venir de nouvelles larmes…"

 

Elle laissa Audrey et son fils. De la salle de bains, elle entendait leurs voix étouffées. Elle se lava longuement le visage. Les autres n’allaient pas tarder à rentrer. Elle leur avait assez montré un visage défait.

 

Sandra passa un moment dans leur chambre, le soir. Elle voulait savoir si elles étaient en état de tourner quelques scènes en extérieur avec Matthieu, le lendemain. Aucune des deux n’en mourait d’envie, mais elles savaient que le projet devait avancer, malgré tout et elles acceptèrent. La caméra ne mentit pas sur leur état d’esprit de ce dimanche : toutes deux avaient des cernes, les traits tirés et jouaient avec moins d’entrain que d’habitude… Ayant d’autres scènes à tourner et constatant le manque d’entrain de ses deux amies, Sandra leur proposa de rentrer chez elles si elles le voulaient.

 

Dans la voiture, Anne proposa à Audrey de la ramener à Bourg-la-Reine.

 

"On ne s’en est pas trop mal sorties, en fin de compte, ajouta t-elle en faisant référence aux prises de vue.

 

- Oui, ça a été. Je me demande juste à quoi on va ressembler, sur la bande. On a de sales têtes.

 

- Je sais.

 

- Je ne t’ai pas encore dit. Mes supérieurs envisagent de m’envoyer à Rennes, dans un an ou deux.

 

- Je savais qu’il ne fallait pas que je tombe amoureuse d’un militaire.

 

- On aura le temps de s’arranger, d’ici là, sourit Audrey.

 

- Si on arrive à se sortir de cette crise, Audrey, on pourra tout surmonter."

 

La jeune rousse lui sourit et approuva.

 

"Je suis sur la réserve, annonça Anne en regardant son compteur.

 

- Anne ! Nous sommes en pleine campagne ! Il n’y a pas une station avant des kilomètres.

 

- On tiendra jusqu’à la station. Fais-moi confiance.

 

- Oui, je ne sais pourquoi, cette phrase m’a toujours alarmée. Pourquoi ne fais-tu jamais attention à ton niveau d’essence ?

 

- Je n’en sais rien. Tu sais, une fois ça m’est arrivé au fin fond de la Plaine des Sables.

 

- Qu’est ce que c’est ?

 

- Une vaste étendue désertique, à la Réunion. Quand tu es y es, tu as l’impression de te trouver sur la Lune, ou sur Mars. C’est magique. Il paraît que beaucoup de films ont été tournés là-bas. Bref, pour y aller, tu dois parcourir des kilomètres de route de montagne, traverser des forêts… Tu longes des cratères et au bout d’un moment, tu redescends vers une vallée aride. Les couleurs de la terre vont du rouge au noir, en passant par toutes les teintes intermédiaires. J’y étais allée avec ma sœur et une de nos amies Australiennes. Arrivée en bas, j’ai vu le voyant qui s’allumait.

 

- Aïe. Tu as fait quoi ?

 

- J’ai paniqué. En silence : je ne voulais pas alarmer les autres. J’ai prié pour que nous puissions atteindre le village de Bourg-Murat : une heure de route, à vrai dire. Ne me demande pas comment, j’y suis arrivée. En roulant au point mort dans les descentes. J’ai aussi prié pour que la station soit ouverte, c’était un dimanche !

 

- C’est digne de toi !"

 

Le lendemain, malgré son envie de s’enfermer chez elle, Anne dû se rendre au bureau. Elle agissait comme un automate et elle en était consciente. Nul n’aurait su dire qu’elle allait mal. Tout au plus supposa t-on que ses insomnies l’avaient reprises. En ouvrant son courriel, elle avait un message d’Audrey.

 

 

 

Anne mon amour,

 

 

 

je suis désolée de t'avoir fait tant souffrir ce week end. Saches que j'ai beaucoup souffert moi même. Comme je te l'ai dit j'aimerais qu'on ralentisse un peu les choses parce que j'ai besoin d'y voir plus clair. Ce qui ne veut pas dire que je ne veux plus te voir bien au contraire. J'aimerais qu'on se fasse ces week-ends rien que nous deux comme on avait dit. J'aimerais qu'on aille au cinéma, au restaurant, aux musées... et j'aimerais que toutes les deux nous parlions de ce que nous ressentons dès qu'on en aura besoin. Je ne veux plus que le manque de communication nous amène aux extrémités de ce week-end. J'aimerais aussi qu'on étudie le Nouveau Testament toutes les deux. Je ne l'ai jamais lu. Je croyais aussi en un Dieu d'Amour mais quand tous ces évènements ont commencé, je me suis souvenu de l'Ancien Testament et le doute s'est immiscé en moi. J'aurais du t'en parler tout de suite au lieu de me renfermer mais je manque beaucoup de pratique. Mais j'aimerais essayer de m'améliorer Anne.

 

Je ne peux pas te promettre que j'y arriverais de suite, je ne peux pas te promettre de ne plus avoir peur ou de ne plus douter, je ne peux pas te promettre de ne plus te faire souffrir...

 

Mais je veux que tu saches que je t'aime et que j'aimerais recommencer lentement et sûrement à bâtir quelque chose de beau et de solide avec toi.

 

 

 

Je t'aime,

 

 

 

Audrey

 

 

 

Chapitre 23

 

 

 

Anne n’osait plus s’imposer à Audrey. Elles restèrent trois jours sans se voir. Audrey lui demanda de passer la nuit chez elle, le mercredi soir. Anne était partagée. Mais elle s’y rendit quand même. Elle se trouvait pathétique d’accepter ce qu’elle ressentait comme un geste de charité mal placée. Elle ne travaillait pas, ce mercredi là et arriva à Bourg-la-Reine avant Audrey. Elle préférait être celle qui se trouvait déjà sur place, ne sachant pas comment se dérouleraient les retrouvailles.

 

Elle entendit les pas de sa compagne et de son fils dans l’escalier de bois. Elle entendit la clé tourner la serrure et la porte grincer en s’ouvrant. Elle s’était appuyée contre la porte du salon, fermant les yeux, ne sachant à quoi s’attendre. Ce fut François qui se jeta sur elle, content de la revoir. Elle l’embrassa et il courut dans sa chambre où il avait sans doute à faire. Se relevant, Anne croisa le regard d’Audrey. Il y avait une certaine timidité, dans ce regard. Audrey vint vers elle et la serra dans ses bras, longuement…

 

Il fallut à la brunette un long travail personnel pour accepter ce nouveau tournant de leur relation. Elle savait qu’elle avait perdu son bonheur mais elle apprenait petit à petit à s’en contenter d’un autre.

 

Trois semaines durant, elles vécurent ainsi. Etrangement, elles s’étaient d’une certaine façon rapprochées. Anne venait chez Audrey tous les soirs. Elles passaient de longues heures à discuter, mais n’abordaient pas la question qui les avait séparées : la religion. Anne avait peur que se sujet devienne plus un fossé entre elles qu’un lien. Elle avait juste prêté à Audrey quelques livres qu’elle possédait, notamment "l’Histoire d’une âme" qui était son livre de chevet habituel : elle y avait découvert une théologie personnelle qui lui convenait, la voie d’enfance face à Dieu. Elles dormaient côte à côte, sans se toucher. Une nuit, elles se réveillèrent brusquement. Elles s’étaient embrassées durant leur sommeil.

 

"Tu m’expliques ce que tu viens de faire, là ? demanda Anne choquée.

 

- C’est toi qui m’as embrassée.

 

- C’est toi.

 

- Disons toutes les deux, alors…"

 

Audrey se pencha sur Anne et la regarda tendrement.

 

"Je t’aime. Tu le sais ?

 

- Je t’aime aussi."

 

Audrey déposa un léger baiser sur les lèvres de sa compagne, puis s’assit dans le lit, le dos contre le mur. Anne se tourna vers elle, appuyant sa tête contre sa main, son coude sur le lit.

 

"On en est où, là ? s’enquit-elle, un peu perdue.

 

- Je pense qu’on est revenues au point où on en était avant que je ne fasse ma crise. Mais je sais pas si je suis prête à faire de nouveau l’amour…

 

- Je ne te demande pas tant pour l’instant. Je suis heureuse que tu n’aies plus peur de me toucher, déjà."

 

Pour le prouver, Audrey se coucha sur Anne et l’embrassa passionnément. Si elle ne savait pas si elle était prête à refaire l’amour à sa compagne, son corps se chargea de régler la question pour elle. L’aube les trouva nues, enroulées l’une sur l’autre, repues d’amour.

 

Elles avaient retrouvé une faim viscérale l’une de l’autre. C’était comme si elles rattrapaient le temps perdu à se poser des questions. Un dimanche après-midi, alors que François faisait sa sieste dans sa chambre, elles passèrent des heures à faire l’amour sur le canapé. Elles avaient toutes les deux les larmes aux yeux, tant la communion fut intense, ce jour-là. Epuisées, elles s’allongèrent l’une sur l’autre pour se reprendre, avant le réveil de l’enfant, quand on sonna à la porte. Anne sauta dans son jean, enfila un T-shirt en vitesse pour aller voir de quoi il s’agissait. Audrey s’habilla tout aussi vite.

 

Anne ouvrit la porte. Elle était persuadée qu’elle devait sentir le sexe et la sueur à des kilomètres à la ronde. Une jeune femme voilée se tenait sur le seuil. Anne lui fit la bise, en essayant de ne pas trop se poser la question de savoir si sa cousine comprendrait ou pas qu’elle venait d’interrompre un moment particulier. La jeune musulmane entra et fit aussi la bise à Audrey. Anne fit les présentations.

 

"J’ai essayé de t’appeler tout l’après-midi, dit la visiteuse. Ça ne répondait pas. J’étais inquiète alors j’ai dit à Ahmed de m’emmener te voir. Tout va bien ?

 

- Oui, Charlotte. J’ai baissé le volume du téléphone : le fils d’Audrey fait sa sieste à côté.

 

- Je suis rassurée. Je ne reste pas longtemps, nous allons à l’aéroport, accompagner la sœur d’Ahmed qui rentre en Algérie. Je voulais t’inviter à dîner demain : je pars accoucher à la Réunion, et je ne suis pas sûre qu’on aura l’occasion de revoir d’ici longtemps."

 

Le ventre de Charlotte témoignait en effet de son état. Anne promit de venir et sa cousine repartit aussitôt.

 

"Pourquoi elle m’a fait la bise, elle ne me connaît pas ?

 

- C’est comme ça, à la Réunion.

 

- Elle a interrompu un moment de rêve…

 

- J’espère juste qu’elle ne s’en est pas rendue compte."

 

Le dimanche 26 juillet, elles suivirent la messe papale des JMJ de Toronto à la télévision. Alors que celle-ci se terminait, et que le pape annonçait celles de Cologne, dans trois ans, Anne se coucha sur Audrey.

 

"On ira ensemble. Ok ?

 

- Oui, on ira, toutes les deux."

 

Deux jours plus tard, Anne allait à Roissy chercher le groupe Jeunesse Espérance. Ils sortirent de la salle des bagages, groupés autour de Marie, la sœur d’Anne. Ils portaient tous un immonde T-shirt orange estampillé JMJ. Anne était contente de les revoir. Il y avait là son jeune frère, Jacky et Marie, bien sûr. Puis, le musicien de leur groupe, Pedro, un jeune métisse de vingt deux ans. Venait ensuite Angélique, la meilleure amie de Jacky. C’était une petite métisse chinoise de dix sept ans, aux cheveux couleur de miel. Ensuite, Andréa, la petite amie de Jacky et enfin Stéphie, toutes deux jolies "cafrines", comme on disait à la Réunion pour les Créoles noires.

 

"Oh, Anne, on a plein de choses à te raconter, s’écria Angélique en lui sautant dans les bras. C’était génial. Bon, on n’arrivait pas trop à se débrouiller en anglais, mais Marie était là pour traduire. Andréa n’était pas contente avec moi, à un moment, parce que j’étais logée dans la même chambre que Marie, mais Marie nous a réconciliées. On a visité les chutes du Niagara même si on n’avait pas le droit et on a vu le pape.

 

- Bonjour, Angie, salua Anne en riant, heureuse de retrouver le babillage souvent décousu de la fillette.

 

- Salut Anne. Comment vas-tu ? demanda Andréa. Faut que je raconte ce qui s’est passé, ou je vais encore passer pour une mégère.

 

- On verra tout ça à la maison. Salut, Marie. Ils t’ont donné du fil à retordre ?

 

- Ne m’en parle pas. Mais c’était génial quand même.

 

- Bonjour petite sœur. Comme tu le vois, on revient du Québec, dit son frère en guise de salutations en prenant un très fort accent québécois."

 

Ils s’engouffrèrent dans le minibus qu’Anne avait loué et la route de Roissy à Colombes fut placée sous le signe de la musique. Le joyeux petit groupe avait encore le cœur aux JMJ et chantaient en tapant des mains, accompagné par le tambourin d’Angie et la flûte de Pedro. Anne sourit, au volant. Ils lui manquaient.

 

A la maison, ils déballèrent leurs affaires et chacun avait un petit souvenir du Canada pour la jeune brune.

 

"On fait quoi, ce soir ? demanda Pedro pendant le déjeuner. Je ne suis jamais venu en France, alors, j’aimerais bien voir quelque chose.

 

- C’est prévu. Avant d’entamer une visite de Paris je vous emmène dîner au quartier Saint Michel. Une de mes amies se joindra à nous.

 

- Anne, tu me connais, je ne mange pas grand-chose, rappela Angélique.

 

- Je sais. Tu mangeras bien des frites, non ?

 

- Oui, ça va. A Montréal, je ne mangeais presque rien : je n’aimais pas trop leur nourriture. Et puis, à Toronto, on est tombées dans une famille d’accueil chinoise. Qu’est ce qu’on mangeait bien ! Marie, à Montréal, elle était chez une vieille femme qui ne lui donnait à manger que du pain et des œufs et ne l’emmenait visiter que des églises. Elle en avait un peu marre.

 

- Tu m’étonnes, acquiesça Marie. Mère Supérieure, comme nos amis ici présents l’ont surnommée semblait penser que poser son regard sur autre chose qu’un édifice religieux lui ravirait son ciel.

 

- Il y a des gens que trop de religiosité rendent fous, approuva Anne. Enfin, le principal est que vous soyez contents de votre séjour.

 

- J’ai eu un peu de mal à les tenir, parfois, dit Marie malicieusement en couvant le petit groupe des yeux. Mais dans l’ensemble, ils se sont bien comportés.

 

- Angélique accaparait Marie, se plaignit Andréa.

 

- Non, c’est toi qui le faisais. Tu pouvais te débrouiller toute seule, toi, tu parles anglais, et tout. Moi, je suis bête, c’est pas ma faute, mais il me faut quelqu’un pour me seconder.

 

Anne, Marie, Jacky et Pedro éclatèrent de rire. Ce n’était pas la première fois qu’Angie se traitait de bête. Il était vrai qu’elle était un peu naïve, qu’elle utilisait souvent un mot pour un autre et qu’elle mettait plus de temps que les autres à comprendre ou s’adapter. Mais elle n’était pas si "bête", après tout. Un peu trop gâtée, disait Anne et Marie, quand elles en parlaient. Le repas terminé, Anne et Marie s’isolèrent dans la cuisine, pour faire la vaisselle et bavarder un peu, tandis que le groupe, dans le salon, chantait sur l’air de "Si les hommes étaient une bande de frères", accompagnés de la guitare de Pedro et du tambourin.

 

"Tu ne peux pas savoir comme ça fait du bien de les revoir, confia Anne à sa sœur. Stéfie est très effacée, non, par rapport aux autres ?

 

- Elle a du mal à s’intégrer. Si tu veux mon avis, le contact passe mal avec les autres parce qu’elle veut trop en faire. Elle joue à la sainte. Ça énerve tout le monde.

 

- Je comprends. Que dis-tu de les emmener aux Quatre Temps, cet après-midi ?

 

- Excellente idée. Je suis sûre qu’ils ont encore de l’argent à dépenser, et moi, ça me laissera souffler un peu. J’ai envie d’aller chez le coiffeur."

 

Anne et Marie allèrent donc chez le coiffeur pendant que les autres arpentaient le centre commercial. Le soir, Anne les conduisit à Bourg-la-Reine, où ils prendraient le RER pour se rendre à Paris. Audrey semblait un peu perdue, au milieu de ces jeunes inconnus. Anne se demanda comment elle avait pu être à l’aise, à leur première rencontre.

 

Le restaurant était l’un de ceux qui longeaient les ruelles étroites et pavées de Saint Michel. Anne et Audrey y étaient déjà venues. Elles prirent place l’une en face de l’autre, tandis que les autres se mettaient autour.

 

"Alors, et ces JMJ ? demanda Audrey. On a regardé la messe, à la télé, Anne et moi.

 

- On a vu le pape de très près, assura Angie. Ben oui, on était au premier rang.

 

- Il est très émouvant, approuva Andréa.

 

- En tout cas, dès qu’on rentre, on refait des actions pour avoir de l’argent pour aller en Allemagne ! Tu nous écris une nouvelle pièce de théâtre, Anne ? La dernière fois, on a récolté pas mal d’argent, grâce au "Pied de Riz».

 

- J’y travaille, promit Anne.

 

- C’est quoi, un pied de riz ? demanda Audrey. Encore une de vos expressions créoles, non ?

 

- Oui. Tu sais que le riz est la base de l’alimentation créole. Un pied de riz, c’est une fille avec une jolie dot, pour un garçon paresseux et ambitieux.

 

- Et c’était Anne, le pied de riz, dit Angie. Au début, je jouais le rôle, en l’attendant. Et Jacky, c’était le coureur de dot. Le père Antoine ne les a pas reconnus. Il a demandé à maman qui était la petite fille qui jouait Arlette, quand ils étaient en train de se faire des bisous. Quand il a su que c’était Anne, il était mort de rire. Elle portait des chaussures compensées qui lui donnaient au moins quinze centimètres de plus, deux couettes, une mini jupe écossaise et un horrible maquillage.

 

- J’aurais donné cher pour voir ça, riait Audrey.

 

- N’y pense même pas ! contra Anne. J’étais mal à l’aise, dans cette mini jupe : il y avait les prêtres, juste en bas de la scène. J’ai dû faire avec et faire ce qu’on attendait de moi : être une vraie greluche !"

 

Le reste de la soirée se passa joyeusement. Ils se rendirent ensuite à Alésia, pour attendre le noctambus qui devait les ramener à Bourg-la-Reine. Le petit groupe assis sous un abri bus, Anne et Audrey s’étaient éloignées un peu.

 

"Ils sont amusant, remarqua Audrey. Je ne comprends pas toujours ce qu’ils disent, mais on voit qu’ils sont très unis.

 

- Je leur avais dit de faire attention à ne pas trop parler créole. Mais on ne les refera pas, je le crains. Tu sais quoi ?

 

- Quoi ?

 

- J’étais très contente de les revoir, mais là, juste là, j’ai envie d’être à la maison, avec toi, un bain moussant, des chandelles et beaucoup d’imagination.

 

- Et d’énergie, sourit malicieusement Audrey. Hum, le programme me tenterait aussi."

 

Marie vint vers elles et elles changèrent de conversation. Marie et Audrey semblaient bien s’entendre, mais Anne devait s’avouer que Marie avait un contact facile avec les gens et qu’elle arrivait à se rendre sympathique à tout le monde…

 

Enfin, le bus qu’ils désespéraient de voir arriver pointa son nez et ils s’y engouffrèrent tous… En dépit de la nuit avancée, une fois qu’Audrey fut chez elle, Anne céda au désir de Jeunesse Espérance et les emmena faire un tour en voiture de Paris…

 

Elle les mit dans l’avion le lendemain soir avant de se rendre chez Audrey.

 

************

Comments (0)

You don't have permission to comment on this page.