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CRIS ET VOUVOIEMENTS5

Page history last edited by PBworks 16 years, 5 months ago

CRIS ET VOUVOIEMENTS

 

 

Par Tante Louise

 

 

 

Chap.1Chap.2
Chap.3Chap.4
Chap.5Chap.6
Chap.7Chap.8

 

 

Révélations

 

Les fêtes de Noël approchaient et Suzanne attendait avec impatience qu'Hélène la rejoigne. Elle était rentrée, les jambes coupées mais extrêmement heureuse de son week-end à Cannes. Elles étaient sorties, très peu, mais suffisamment pour qu'elles puissent récupérer un minimum entre chaque séance amoureuse. Suzanne s'était montrée insatiable avec son amante, réclamant tant et plus qu'Hélène dût la forcer à s'habiller pour prendre l'air en la menaçant de faire la grève du lit.

 

Seule dans l'avion qui la ramenait sur Paris, elle souriait en elle-même du bon temps qu'elles avaient passé. Sa compagne l'avait raccompagnée à l'aéroport, repoussant une dernière fois les assauts dont elle faisait l'objet, encore surprise de l'adoration que lui vouait la jeune blonde.

" La semaine va sembler reposante sans toi pour me tuer d'épuisement. "

" Vous êtes méchante ! Si vous n'acceptez pas l'amour que j'ai pour vous, autant arrêter tout de suite. " Répondit Suzanne un peu vexée.

Hélène s'empressa de la rassurer devant sa mine déconfite.

" Non mon amour. Mais… tu m'épuises. "

" J'aime vous faire l'amour Hélène. "

" J'aime que tu me fasses l'amour, mais mon cœur pourrait lâcher au rythme où tu me mènes ! "

" Petite nature… "

" D'accord. On verra pendant les vacances qui est une petite nature.. "

" C'est vrai ? "

 

Hélène lui fit un sourire épanoui.

" Oui, j'aurai eu le temps de récupérer. Prends des forces, tu en auras besoin ma douce ! On verra ce que dira ton cœur quand il partira à mille à l'heure, sans pouvoir récupérer ! "

" On verra ! Vous m'appellerez en Bretagne ? "

" Tous les jours si tu veux. "

" Vous savez ce que j'aimerais ? "

" Tout ce que tu veux ! Dis-moi ? "

" Vous m'appellerez tous les soirs, je m'endormirai avec votre voix. Promis ? "

" Promis ! Tu t'endormiras et te réveilleras avec ma voix. Ça te va ? "

Sans répondre Suzanne la serra dans ses bras. Les larmes aux yeux, elle n'osait plus regarder la femme qu'elle allait quitter une fois de plus.

" Suzanne, ce ne sera plus long ! Ne pleure pas ! "

" Vous me manquerez tellement Hélène ! ! ! " Un sanglot.

" Je t'aime mon amour. Ne pas t'avoir avec moi fait mal ! Mais…. "

" Oui ? "

" Te retrouver me fait tant de bien que j'accepterai n'importe quelle séparation pour avoir la joie de te revoir et te prendre dans mes bras ! J'aime nos retrouvailles ! "

" Serrez-moi plus fort ! "

" Tu ne m'embrasses pas pour dire au revoir ? "

 

Suzanne ne se fit pas prier, choquant une fois de plus une foule surprise, en donnant un baiser fougueux à son amante puis partit sans se retourner, le visage baigné de larmes.

 

 

Hélène arriva comme prévu le 24 décembre au soir, dans l'indifférence quasi générale. Après avoir embrassé ses parents, qui ne prirent même pas la peine de prendre de ses nouvelles, elle monta dans sa chambre pour se changer. Elle avait l'impression d'être une étrangère. Un peu comme le parent pauvre qui était invité au dernier moment, que l'on accueillait par bonté d'âme ou par pitié. - Une étrangère, ouais ! Quel accueil chaleureux ! - Désabusée, triste aussi, elle se changea et se jeta sur son lit, peu pressée de descendre retrouver les personnes qui étaient sa famille.

 

Elle jeta un coup d'œil autour d'elle. Rien. Le vide. Aucun souvenir personnel. Pas un poster, pas une photo, une peluche. Rien qui ne marque que cette chambre était la sienne. Elle se redressa d'un bond, attrapa son sac pour en tirer une photo de Suzanne. Elle la regarda longtemps en souriant - Et toi mon cœur ? Tu dois être heureuse de retrouver tes parents. Ils sont plus accueillants - L'esprit de famille ? Ça existe encore ? - Son sourire s'agrandit lorsqu'elle se remémora la voix douce de la mère de Suzanne qui lui avait répondu gentiment lors de son dernier appel.

" Vous venez bientôt n'est-ce pas ? "

" Oui, le 27 dans la journée. "

" Suzanne ne parle que de vous ! Elle est pressée de voir son amie, on ne la tient plus ! "

" Heu…Je serai contente d'arriver aussi ! "

" Parfait ! Toute la famille vous attend avec impatience.. A plus tard ! " - Je suis attendue ! Avec impatience, chez des étrangers. Des gens que je ne connais même pas ! Ah Suzanne, si tu savais la chance que tu as ! - Elle posa la photo sur l'autre oreiller en rêvant à sa fougueuse compagne, prête à s'endormir, envoûtée par le doux regard de sa compagne sur le papier glacé.

 

Elle ne résista pas au sommeil, pas pressée de faire front à l'indifférence oppressante qui l'attendait pour la soirée, se laissant couler dans la douce torpeur qui lui faisait oublier où elle était et qui elle était.

 

Un grand coup fut frappé sur sa porte la faisant sursauter. Pas un mot, juste un rappel à l'ordre. Habituée à cet ordre singulier, elle se leva pour s'habiller. Elle savait qu'elle devait être prête, au garde à vous, dès 19 heures dans le vestibule de la grande demeure. L'habitude jouait, comme un parfait petit soldat, elle se prépara rapidement, un dernier coup de brosse dans ses cheveux, un maquillage discret, un tailleur léger, sa veste, elle était fin prête.

 

Elle fit un dernier baiser à la photo qui la regardait toujours sur le lit et la glissa avec tendresse sous son oreiller - Joyeux Noël mon amour ! -

 

Toute la famille était déjà rassemblée en bas des escaliers, l'attendant. Elle sentit le regard exaspéré de son père posé sur elle alors qu'elle descendait les marches avec une envie folle de rembobiner le film en arrière. Elle respira discrètement un grand coup, se préparant pour une veillée qui promettait, comme tous les ans, d'être très longue. Elle sentait en une triste anticipation l'épuisement la gagner.

 

Elle tourna les yeux vers ses frères, tout en continuant sa descente, - c'est fou ce qu'ils lui ressemblent ! Ils ont le même regard méprisant et glacial. C'est pas possible ! J'ai dû être adoptée ! - Elle ne se rendait pas compte que la ressemblance la touchait aussi. Elle dévisagea ces visages si indifférents et pourtant si familiers. Les regards étaient froids, rien ne montrait que c'était le réveillon de Noël, un soir de fête, un soir de bonheur - J'étais peut-être comme eux avant… Tant de choses ont changé aujourd'hui. J'ai l'impression de ne plus être la même, décalée. De ne pas les connaître. Nous avons les mêmes gènes, le même sang - Pourquoi je me sens aussi différente ? -

 

Même les enfants étaient au garde à vous, sapés pour la grande parade, encostumés, endimanchés, embarrassés de leurs vêtements étriqués, maintenus par des poignes fermes sur les épaules. Elle eut pitié d'eux. - Noël ! Tu parles Charles, c'est sensé être leur fête et ils sont là comme des pingouins attendant qu'on les libère, un faux mouvement, envie de jouer et paf ! dans le pif ! -

 

" Enfin, tu daignes faire une apparition ! " La voix de sa mère la figea plus sûrement qu'un coup de fouet. " Tu sais que ton père n'aime pas attendre. Dépêche-toi, les autres vont arriver ! "

 

Définitivement soumise, elle vint se placer sans un mot auprès de ses frères qui l'ignorèrent d'un air réprobateur. Pas un salut. Pas une étreinte. Une chaleur polaire. - Contente aussi de vous revoir les gars. On se téléphone, on se fait une bouffe - Hélène réprima un sourire qui lui montait aux lèvres. - Pas le moment de rigoler Chérie, garde ton sérieux si tu ne veux pas d'ennuis. Allez un mauvais moment à passer. Dans trois jours je serai dans ses bras - la douce perspective lui remonta le moral.

 

Le carillon de l'entrée résonna dans le silence figé. Martha, leur gouvernante, petite femme potelée, guindée, dans sa tenue de soubrette, trottina à petits pas vers la porte pour accueillir les visiteurs. - C'est parti pour un tour ! - La famille débarquait au grand complet. Les effusions commencèrent, en baisers gluants et paroles sirupeuses. Les expressions figées en un masque de bonne humeur et de jovialité. Elle eut envie de vomir dans les bras des oncles et tantes, pomponnés et parfumés, aux odeurs rances des vieilles personnes qui sortaient des placards pour l'occasion. - Tu parles d'une fête, je vais encore me retrouver entre deux vieux barbons baveux qui vont en profiter pour me tripoter entre deux cuillères de purée ! -

 

Dans la masse compacte, elle remarqua son cousin Richard, magnifique de distinction et de discrétion. Il essayait d'éviter la nuée de chair embrassée d'un air dégoûté. Déjà, du haut de son mètre 80, il la repérait, reculée de la foule, et se précipitait vers elle en slaloms gracieux. Il lui lança un sourire éblouissant en la prenant dans ses bras avant de la faire tournoyer en l'air.

" Arrête ça Richard ! Tu vas me faire tomber ! "

" Hé, c'est pas tous les jours qu'on voit un si joli petit lot ! "

" Hep là ! Je suis ta cousine tu te souviens ! "

" Ouais, c'est dommage ! " Il la reposa sur le sol en riant.

" Ah ça fait du bien de voir un joli minois dans le coin ! T'as pas pu couper à la corvée hein ? "

" Et toi ? Pas de jolie brune, blonde ou rousse à ton bras ce soir ? "

" Non, je me suis rangé ma chérie ! "

" C'est pas vrai ? Le coureur de jupon repenti ! Laisse-moi rire ! "

" Sérieux. Je la fréquente depuis un an maintenant ! "

" Ouah ! Je connais ? "

" Non, une gentille petite prof de gym, toute douce, toute mignonne… A croquer ! "

" Tu l'as emmenée ? Je suis curieuse de voir la perle rare ! "

 

Richard avait d'un coup un visage fermé. Hélène remarqua la crispation de la mâchoire et comprit sans avoir besoin d'explication.

" J'ai compris ! Pas du même monde hein ? "

" Ouais ! Tu connais le truc, pas de mésalliance chez les Raven ! " Le mépris dans la voix fit de la peine à Hélène qui connaissait intimement le problème.

" Que comptes-tu faire ? "

" Je… "

 

Richard ne continua pas sa phrase. Déjà le père d'Hélène s'avançait vers eux, le regard bleu, identique à celui de sa fille, les fixait sévèrement. Il avait tout du général de grande armée. La moustache suffisante, relevée vers le haut comme un rappel à l'ordre. Sa crinière blanche, soigneusement brossée en arrière lui donnait un air léonin. Il s'avança à grands pas vers le couple en lançant d'une voix glaciale :

" Et bien mon Neveu ! On ne salue pas son oncle ? "

" Bonjour mon oncle, vous étiez tellement pris que j'attendais que vous soyez disponible. "

" Oui, bien. Tu as raison. Il faut être poli et laisser les aînés saluer en premier. " Il se retourna vers sa fille menaçant. " As-tu salué tout le monde ma fille ? "

" Oui ! " La réponse glaciale ne le surprit pas, il n'y avait rien entre eux en dehors du lien de sang.

" Bien, nous allons pouvoir nous mettre à table. "

 

L'ordre lâché, tout le monde se mit en branle, le père d'Hélène attrapant sa femme par le bras d'un geste de propriétaire suivi des aînés puis de ses fils et épouses. Hélène ferma la marche en soupirant avec Richard qui lui avait gentiment pris le bras. Les enfants avaient été relégués dans le salon pour y prendre leur dîner sans déranger les adultes.

 

Son cousin la retint en arrière quelques secondes le temps de lui chuchoter :

" Cool ! Je te promets qu'on va s'éclater après la messe ! Béa nous attend, je lui ai promis de t'amener pour faire sa connaissance. "

" Si on arrive à s'évader ! "

 

Le repas fut comme à l'habitude, glacial. Seuls les aînés avaient la parole, essentiellement le maître des lieux qui toisait sa progéniture tel un dieu du mont Olympe. Les fils se tenaient cois auprès de leurs épouses, regardant avec adoration leur père discuter des terres, des vignobles. Personne n'aurait eu l'idée de le contrarier dans son sempiternel discours. Qu'il ait tort ou raison il restait le seul et unique maître à bord et ne souffrait aucune insubordination. Ses propres frères et ses fils l'avaient compris plus jeunes à leurs dépens.

 

Seuls Hélène et Richard se regardaient en coin, un léger sourire ironique échangé lorsque le patriarche avait le regard détourné d'eux. Ils étaient presque en bout de table, chacun entouré d'un parent. Hélène flanquée de la mère de Richard observait à la dérobée les verres que sa tante vidait d'une main allègre, constamment resservie par le larbin de service. La femme n'allait pas tarder à tomber le nez dans son assiette tant son dodelinement se faisait plus prononcé. Hélène lança un coup de pied à Richard sous la table tout en donnant un coup de menton vers sa mère. Il fit un signe discret au garçon qui la servait constamment pour lui signifier d'arrêter en fronçant un sourcil sévère. La tante leva à peine discrètement son verre vers le serveur qui fit semblant de l'ignorer. Un hoquet bruyant et indigné s'échappa de sa gorge.

" Tout va bien Corinne ? " Demanda le patriarche qui avait remarqué le manège de son œil acéré, exercé à tout voir.

" Humph ! " Fut la seule réponse compréhensible qu'il entendit.

" Richard ! Ta mère est fatiguée, va l'aider à se reposer dans le boudoir ! "

 

Richard, galant, aida en silence sa mère à se relever, entourant son bras autour de sa taille pour l'empêcher de s'écrouler et l'emmena titubante vers le bureau que son oncle appelait pompeusement le boudoir. Lorsqu'il revint sa mère s'était déjà écroulée inconsciente sur le canapé de la pièce. Ignorant le regard courroucé de son oncle, il vint se placer auprès d'Hélène tout tendant les bras pour attraper ses couverts.

" Et bien mon neveu, la place près de monsieur le curé ne te convient pas ? " Jeta Monsieur Raven les yeux brillants de colère.

" Si mon oncle, mais j'ai préféré me rapprocher de vous pour mieux entendre la conversation. A l'église je m'approcherai de l'Autel pour entendre Monsieur le curé. "

 

Le sarcasme n'échappa à personne, surtout pas à Hélène qui eut un gloussement incontrôlable. Son père choisit de laisser couler. Son neveu était une tête brûlée, il le savait. Il trouverait bien un moyen plus tard pour le coincer et lui faire payer sa petite perfidie. Hélène sous la table tapota le genou de son cousin en lui glissant :

" Il va pas te louper ! "

" M'en fous ! Je préfère la compagnie d'une jolie donzelle à celle du vieux barbon ! "

 

Hélène réprima son éclat de rire en avalant une cuillère du potage infâme qu'on venait de lui servir.

 

Le temps traînait en longueur et la corvée tournait au cauchemar jusqu'à l'heure d'aller à la messe. Hélène du bout de ses doigts impatients faisait des petites boulettes de son pain. Richard, discrètement lui en chipa quelques-unes qu'il glissa sous son assiette. Du coin de l'œil, elle l'observait amusée - qu'est ce qu'il va encore faire cet idiot ? Oh ! Je sens les ennuis à plein nez ! - L'air de rien, Richard mit une des minuscule boulette entre son pouce et son index et tira en direction de l'assiette d'un des frères de sa cousine. La boulette atterrit directement dans la cuillère pleine levée et fût portée à une bouche inconsciente. Hélène réfrénait un rire dans sa serviette en voyant son cousin préparer une autre boulette, la couvrir de sauce de viande et refaire la même manœuvre vers un autre convive. La petite boule de pain atterrit cette fois-ci sur la cravate bleu lavande d'un des invités, descendit doucement en laissant une légère traînée de sauce sur le vêtement.

 

Les épaules d'Hélène commençaient à être secouées de rire. Elle inspira un grand coup, évitant de regarder vers son cousin qui maintenait une expression intéressée et polie sur son visage. Tout aussi discrètement, il assembla plusieurs morceaux en un seul plus gros qu'il imbiba de vin. Il retourna sa petite cuillère à l'envers, posa la mie imbibée sur le manche avant d'appuyer d'une main nonchalante mais ferme sur l'extrémité arrondie tout en repoussant d'un geste vif la cuillère sous son assiette pour la camoufler.

 

La boulette vola, comme au ralenti, Hélène la suivit des yeux pour la voir s'aplatir sur le front du prêtre surpris qui se recula brutalement en arrière sous la surprise. La chaise ne supporta pas le choc du recul et bascula entraînant le curé et la nappe à laquelle il s'accrochait désespérément. En une seconde, à la stupéfaction générale, tout vola ! La nappe, les assiettes, les verres, le curé… Tous les convives surpris se levèrent d'un bond. En criant, ne comprenant pas ce qu'il se passait soudain.

 

Richard pinça Hélène qui ne pouvait plus se retenir en un bruyant éclat de rire, toujours le visage impassible, il prit un air faussement inquiet avant de se diriger vers le prêtre affalé dans son siège par terre, n'arrivant pas à se démêler de l'amas de nappes et couverts. Obligeamment il se pencha pour tendre une main secourable au vieil homme suffoqué et offusqué.

" Laissez-moi vous aider mon Père ! "

" Que s'est-il passé ? "

 

La voix tonnante fit sursauter tout le monde, le maître des lieux furieux regardait fixement le prêtre et son neveu. Le prêtre, balbutiant, écarlate de honte lui répondit :

" Désolé ! Je suis confus ! Un insecte certainement ! J'ai eu peur ! "

" Vraiment ? Un insecte en cette saison mon père ? "

" Ou autre chose, je ne sais pas, veuillez m'excuser de tout ce…. "

" Ça ira ! " Le père d'Hélène fixait maintenant son neveu d'un air soupçonneux mais ne put être sûr de rien devant l'air innocent de l'homme qui aidait le prêtre à se relever. Il fit signe aux larbins de tout remettre en place d'un geste brusque tout en intimant à Hélène hilare :

" Ça suffit ma fille. Tu vas t'excuser auprès de Monsieur le curé de ton manque de savoir-vivre. Il n'y a rien de drôle dans cet incident ! Exécution ! "

" Pardonnez-moi mon Père ! " - Parce que j'ai pêché - la pensée insolente lui vint ironique.

" Il n'y a pas de mal ma fille. " Le regard du prêtre s'était fait venimeux lorsqu'il lui répondit mais il n'insista pas, préférant se faire discret pour le reste du dîner après l'humiliation qu'il venait de subir.

 

Les deux cousins se tinrent tranquilles jusqu'à la fin du repas. Au moment de partir pour la messe de minuit, ils se retrouvèrent tous les deux dans la voiture d'Hélène enfin tranquilles pour discuter.

" Bon, alors que compte-tu faire ? "

" Et bien ! Je compte me marier dès février. Le problème c'est que mes parents sont contre comme tu t'en doutes ! "

" Tu es tout de même leur fils unique ! Ils espéraient peut être un meilleur parti ! "

" Ouais ! Et devine qui ? "

" …. "

" La sœur de l'abruti qu'ils voulaient te faire épouser ! "

" Merde… ! C'est une idée fixe chez eux ! Qu'est-ce que ça leur rapporte ? "

" Une sacrée alliance en fait. Les terres Raven et Lebeau regroupées. Ton père aurait joint les deux noms au cru. Et pour l'avenir, il m'aurait fallu faire de beaux garçons Raven pour qu'il ne reste que ce nom. "

" Et le fils qu'est-ce qu'il est devenu ? "

" Personne ne le sait ! Ce n'était pas un homme de la terre ! "

 

Hélène se rappelait le jeune homme efféminé que ses parents voulaient lui faire épouser. D'un naturel timide, il ne lui avait pas fait une cour pressante, au contraire. Elle avait senti, comme pour elle que tout était arrangé et qu'il n'agissait que contraint et forcé. Elle se rappelait, aussi, le soulagement du jeune homme lorsqu'elle avait refusé le mariage, provoquant une tempête de colère chez son père.

" Comment est-elle ? "

" Qui ? La riche héritière ou la gueuse que je compte épouser ? "

" La gueuse ? Tu fais dans la poésie maintenant ? "

" Non, c'est ainsi que ton père l'appelle ! "

" Il n'a rien à faire dans l'histoire lui … "

" Si, il se serait associé avec mon futur beau-père et mon père pour créer un nouveau château."

" Bravo ! Bon elle est comment ? "

 

Ils arrivèrent à l'église.

" Tu verras tout à l'heure ! Et toi tes amours ? "

" Secret mon pote ! "

" Une autre Anne Lise ou un Jean trucmuche quelconque ? " Insista-t-il, tout à fait au courant des anciennes amours tumultueuses de sa cousine.

" Pas un Jean Machin-chose en tout cas ! "

" Super ! Tu me raconteras ? "

" Si tu es sage pendant la messe. Tu nous as déjà pas mal mis dans l'embarras ce soir ! "

" C'est plus fort que moi ! " Fit-il d'un ton plaintif. " Ne me punis pas, j's'rais trop malheureux. T'es la seule qui m'aime ! "

" Allez idiot, sinon ils vont envoyer les renforts nous chercher ! "

 

La messe se déroula calmement, Richard retenu par la main ferme d'Hélène qui repérait à l'avance la moindre intention de facétie de son cousin, lorsque soudain le bip de son téléphone portable se déclencha faisant se retourner toutes les têtes de l'assistance. Minuit pile, elle sortit discrètement l'appareil de la poche de sa veste puis baissa la voix pour parler pendant que le prêtre, quelques secondes interrompu, continuait son sermon.

" Oui ? "

" C'est Suzanne, Joyeux Noël ! "

" Salut mon cœur ! Joyeux Noël à toi aussi. " Hélène se leva pour se diriger au fond de l'église et se dissimula des oreilles indiscrètes derrière un poteau pour parler plus tranquillement à son amante.

" Vous êtes où ? J'entends des chants ! "

" A la messe ! "

" Oh ! Je tombe mal, je ne vous voyais pas dans une église. "

" C'est une tradition ici, on invite le prêtre à dîner, il nous invite à la messe. C'est ça d'être un notable ! "

" Ouah ! Ça se passe bien ? "

" Pas vraiment, mais nous avons eu des moments épiques avec mon cousin pendant le repas, ça valait vraiment le coup ! "

" Un cousin ? Il est sympa ? Il est mignon ? "

" Dis ma chérie, tu cherches un Jules ou quoi ? "

" Non, c'est pour vous faire marcher ! Il est comment ? "

" Beau comme un dieu, les yeux bleus, les cheveux noirs, grand… "

" Ouah ! C'est votre jumeau ou quoi ? "

 

Hélène laissa passer un temps en réfléchissant, une idée soudaine lui venait qu'elle préféra, troublée, chasser de son esprit.

" Oui, il me ressemble beaucoup, comme toute ma famille d'ailleurs. Des clones ! Tous sur le même moule ! "

" Eh ben, ça doit valoir le détour ! Je croyais que vous étiez la seule à être magnifique… "

 

Le compliment toucha profondément Hélène.

" Magnifique ? "

" Ben oui ! Vous êtes splendide, magnifique, la plus belle femme que je connaisse ! "

" Suzanne arrête ! "

" Vous rougissez ? " - le fait est ! Petite chipie va ! -

" Un peu " Elle préféra changer de sujet. " Et toi, que fais-tu ? Pas de corvée de messe ? "

" Nan, on va veiller en jouant aux cartes ou autre chose ! Les enfants sont encore debout et je joue un peu avec eux. " Elle s'interrompit pour reprendre doucement. " Vous me manquez Hélène ! "

" Ne t'inquiète pas ma Chérie, je serai là dans deux jours pour te tenir dans mes bras ! "

" Vous pensez à moi ? "

" Oui, j'ai ta photo sous mon oreiller. Je lui parle quand je suis seule. "

" Qu'est-ce que vous lui dites ? "

" Des mots d'amour. Les plus doux. Tout ce que j'aimerais lui faire… "

 

" Oh ! Hum ! " Suzanne fut troublée.

" La messe va se terminer. Tu veux que je te rappelle demain matin ? "

" Oh oui ! Très tôt. J'aime entendre votre voix au réveil. "

" D'accord mon cœur. Souhaite un bon Noël à ta famille de ma part. Je t'embrasse. Je t'aime. "

" Je vous aime Hélène. Venez vite ! "

 

Hélène raccrocha et regagna sa place sous le regard goguenard de Richard.

" Salut mon Cœur ? " Lui chuchota-t-il pour ne pas en faire profiter l'assistance recueillie.

" Tais-toi ! " Légèrement gênée Hélène lui lança un regard menaçant.

" Une nouvelle Anne Lise ? " Insista-t-il avec moquerie sans tenir compte de la menace.

" Elle s'appelle Suzanne… Tais-toi maintenant. On en parlera plus tard ! Il y a quelque chose d'important qu'il faut que je te dise ! "

" C'est grave ? "

" Non. On verra plus tard je te dis. "

 

Richard avait observé le regard lumineux de sa cousine. Il avait noté le ton amoureux de la jeune femme lorsqu'elle avait répondu au téléphone. - Pas de doute, elle est amoureuse et cette fois ça a l'air sérieux -Il choisit de la laisser tranquille. Il comprenait ce qu'elle ressentait puisqu'il vivait lui-même la même chose. Les amours n'étaient pas les mêmes mais il leur était interdit pour tous les deux d'aimer ceux qu'ils voulaient. Elle lui parlerait en temps voulu.

 

La messe se terminait dans le calme et ils se faufilèrent discrètement avant la ruée vers la sortie. L'attrapant par les épaules il la tira vers le parking où était la voiture d'Hélène.

" Allez, je te montre le chemin ! "

" Je sais où tu habites tout de même "

" Tu ne sais pas où habite ma douce Béa ! "

" Ok ! " Hélène prit le volant et démarra avant que la foule des voitures n'ait eu le temps de les absorber. D'une main sûre elle conduisit sur plusieurs kilomètres avant qu'il ne lui indique un petit chemin à un croisement qui menait à une petite maison basse et encore éclairée.

" C'est là ! Arrête-toi près de la porte, c'est boueux par ici ! "

 

Elle obéit docilement, trépignant d'impatience de voir enfin la femme qui avait mis une laisse à son impétueux cousin. Certainement alertée par le bruit du moteur, une forme se dessina à l'embrasure de la porte. Hélène ne pouvait distinguer ses traits à contre jour mais distinguait parfaitement la jolie silhouette qui s'approchait.

 

Elle avait à peine eu le temps de s'arrêter que Richard bondissait hors de la voiture et sautait au-dessus d'une flaque d'eau pour prendre dans ses bras la jeune femme qui s'approchait. Sans bouger, Hélène les observait à la lumière des phares - Et bien ! Pfuit ! Pas de doute, il est amoureux le petit père ! - Sans trop savoir pourquoi cela lui fit chaud au cœur. La scène, aussi simple qu'elle soit lui parût vaguement familière, elle s'enfonça dans son siège pour essayer de se remémorer ses adieux à Suzanne à l'aéroport. - Oui ! Nous sommes pareils tous les deux ! Des sosies, des siamois, des clones … Non plutôt des frères et sœurs, plus encore que les miens. On ressent et on vit les mêmes choses -

 

Relâchant enfin la femme qu'il tenait embrassée, Richard l'entraîna vers la voiture tout en ouvrant la portière à la volée, surprenant Hélène dans ses rêveries.

" Tu comptes camper là cette nuit ? " Il lui tendit la main pour l'attraper et l'aider à sortir tout en maintenant la taille de sa compagne.

" Viens que je te présente ! "

 

Un grand sourire aux lèvres, Hélène se dégagea de l'habitacle et sortit pour se tourner vers le couple d'amoureux qui lui faisait face.

" Hélène, je te présente Béatrice ! "

- La perle rare ! - Sourit Hélène en s'approchant de la jeune femme, celle-ci dans un élan la prit dans ses bras et l'embrassa sans façon. - Encore une tactile ! -

" Je suis ravie de vous rencontrer. Richard me parle tellement de vous que j'en étais presque jalouse ! " La remarque gentille mais taquine fit rire Hélène qui lui retourna l'étreinte d'accueil.

" Et bien lui, il a refusé de me parler de vous ! " Lança taquine la grande femme brune en rigolant.

 

La jeune femme se tourna vivement vers Richard en lui tirant l'oreille.

" Tu as l'intention de me cacher longtemps comme ça ? "

" C'est pas vrai ! Je te l'jure ! Elle ment ! Nous n'avons parlé que de toi ! " Lança-t-il en essayant de protéger l'oreille qu'elle tenait. Ils se mirent à rire tous les trois.

 

" Allez tous les deux, ne restez pas plantés là. Il fait froid ce soir, on sera mieux au chaud pour discuter. "

 

Ils la suivirent alors qu'elle se dirigeait d'un pas vif vers la porte d'entrée, leur faisant signe de passer devant.

 

A la lumière Hélène se rendait compte que la jeune femme était plutôt mignonne, - Non jolie en fait ! - Elle portait des cheveux châtains frisés, coupés courts, autour d'un visage bien dessiné. - Mon cousin a vraiment bon goût ! - La jeune femme, pas très grande avait un corps bien proportionné et musclé. - Normal elle est prof de gym -

" Votre cousin est un menteur ! " Jeta la jeune femme qui l'observait aussi sans se cacher.

" Pardon ? " Surprise dans ses pensées, Hélène sursauta.

" Je dis que votre cousin est un menteur ! " Elle marqua une pause tout en détaillant de haut en bas la silhouette qui lui faisait face. Elle continua imperturbable :

 

" Ce qu'il m'a décrit de vous était un mensonge. Dans mon esprit vous étiez une femme quelconque. Sans beauté. Fade. Ce sont ses mots. J'ai pourtant l'habitude de son humour bizarre mais là il m'a bien eue ! J'ai l'impression de le voir dans un miroir. " Elle laissa passer un temps " En féminin et en mieux. Pas désagréable ! "

 

Hélène se mit à rougir violemment ne sachant trop quoi répondre. Elle avait l'impression soudaine d'être draguée par la compagne de son cousin et cela la perturbait. Sans voix, elle continuait à fixer Béatrice de ses yeux écarquillés. Richard vint à son secours :

" T'inquiète pas Hélène ! Elle est toujours comme ça ! Quand c'est beau elle le dit, c'est flatteur pour moi tu trouves pas ? "

 

Hélène commençait à reprendre pied, elle lança malicieusement :

" Et quand c'est moche ? "

" Je me tais. Vous avez de la chance vous me rendez bavarde. C'est bon signe ! " Lui répondit la jeune femme franchement dans un grand rire. D'une bourrade dans le bras de son fiancé, elle demanda :

" Du champagne, ça vous dit tous les deux ? "

" Du champagne ? On fête quoi ? "

" Noël idiot ! Et la rencontre avec ta jeune et très appétissante cousine ! "

 

Hélène se rendit compte que la jeune femme prenait un malin plaisir de sa gêne en continuant à la taquiner, souriant avec malice chaque fois qu'elle voyait monter un rougissement aux compliments. Elle attaqua, un sourcil menaçant relevé :

" Richard ! Dis à ta petite amie que si elle continue à me draguer je lui saute dessus ! "

" Oh ! Oh ! " Rigola Richard " La soirée promet d'être gaie on dirait ! " Il regardait sa compagne qui s'était reculée soudain inquiète.

" Tu l'as cherchée Chérie ! "

" Ouais ! hum ! Je dépose les armes ! On fait la paix ? " Demanda-t-elle avec un brusque sourire timide.

" Si on se tutoie ! "

" Ça marche ! . "

 

Ils s'installèrent confortablement. Hélène était assise dans un fauteuil en cuir souple faisant face au couple blotti sur le canapé. Ils discutèrent longtemps, avec un plaisir partagé de tout et de rien. Daubant sans retenue sur la famille, les traditions, les notables de la ville… Enfin, ils abordèrent le problème du couple d'amoureux :

" Bon ! Vous comptez faire comment pour le mariage ? "

" Mes parents ne veulent rien savoir. Ils refusent que je me marie avec Béa, alors on va passer outre ! "

" Et comment ? Tu sais les risques que tu prends ? "

" Oui, je serai déshérité, chassé de chez eux, je ne travaillerai plus nos vignes…Ils m'ont prévenu, tu t'en doutes ! "

" Et tout ça tu l'acceptes ? "

" Oui. Nous en avons longuement et sérieusement parlé avec Béa. " Il se tourna vers elle quêtant son approbation du regard, elle lui retourna avec un large sourire lumineux.

" Je trouverai un autre travail, ce n'est pas ce qui manque dans la région et nous nous installerons ici. Chez elle. "

" Chez nous ! " Rectifia la jeune femme.

" Tu ne crois pas que ton père et le mien vont te mettre des bâtons dans les roues ? "

Béatrice intervint durement :

" S'il le faut nous quitterons la région ! Je peux me faire muter n'importe où si je le demande. Et… " Elle laissa passer un silence en se mordillant les lèvres doucement. " Avec le bébé qui va arriver… "

Une seconde de silence interloqué. Le choc de la surprise. Puis un double cri accueillit son annonce.

" Quoi ? " - " Hein ? "

- Oh mon Dieu, je vais avoir des ennuis ! Qu'est-ce qui ma pris de lui annoncer ça comme ça ! Et devant sa cousine en plus ! J'en loupe pas une moi ! -

Elle regarda calmement son amant avant de continuer pince sans rire :

" Ben ouais ! J'ai peut-être oublié de le mentionner… Comme tu disais que tu en voulais un rapidement, je me suis mise au boulot. Enfin… disons … que je t'ai un peu mis à contribution… au début… j'ai fait le reste… "

 

Richard était blême. Il regardait ébahi, sans réaction Béatrice qui n'en menait plus large maintenant. La double paire d'yeux qui la fixaient la mettaient mal à l'aise. Elle se mit à se tortiller sur le canapé, prête à fuir l'homme qui la tenait dans ses bras. Elle se tourna vers Hélène quêtant un soutien quelconque mais les mêmes yeux clairs dilatés la regardaient.

 

" Hum… Dites quelque chose tous les deux ! "

" Tu es enceinte ? " Se décida Richard après un raclement de gorge bruyant.

" Oui ! De quatre mois ! " Une voix timide.

" De moi ? "

" Non, du Saint Esprit ! … Bien sûr idiot ! De qui d'autre ? J'ai pas l'habitude de sauter dans n'importe quel lit moi ! Don Juan ! "

 

Un sourire béat aux lèvres, il se tourna vers sa cousine.

" Je vais être Papa ! "

" J'ai entendu ! " Hélène savait qu'elle devait venir au secours de sa future cousine qui était complètement paniquée maintenant. " T'es content ? "

" Ah ça oui ! Plutôt ! C'est super ! "

 

Rassurée, Béatrice vint se blottir plus confortablement contre lui, il resserra son étreinte tout en l'embrassant fougueusement ce qui la fit rougir violemment.

" Heu ! On n'est pas tous seuls Chéri ! "

" M'en fous ! ! "

 

Il était tout guilleret soudain, il se sentait comme un petit chien qui fait la fête à sa maîtresse. Il passa sa main sur le ventre qui retenait tant de promesses pour le futur.

" Alors pas la peine d'attendre l'arrivée du Petit Jésus pour se marier hein ? "

" En février j'entamerai le 6ème mois, j'espère que ça ne se verra pas trop ! Ça me fait penser que tu avais quelque chose à demander à Hélène. " Elle déviait avec talent la conversation.

" Moi ? Quoi donc ? "

" Pour le mariage … "

" Ah oui ! Tu as raison. " Toujours avec son sourire idiot sur les lèvres il se retourna vers sa cousine.

" Tu veux bien être mon témoin ? " - Il fit une pause en réfléchissant avant d'ajouter. " Et la marraine ? ….Si Béa est d'accord bien sûr ! "

 

Les deux femmes sursautèrent, surprises d'autant d'à propos.

" Et bien ! Je sais pas ! Pour le témoin pas de problème mais pour être marraine tu t'y prends un peu tôt tu crois pas ? "

 

" Non ! Pas de problème ! Au contraire ! " Le couple répondit à l'unisson.

" OK, pas de problème pour moi. Ce sera une première ! "

 

Le moment d'euphorie passé, Richard questionna Hélène à brûle pourpoint. .

" Et ta nouvelle Anne Lise ? C'est sérieux on dirait . "

 

La question cueillit à froid Hélène qui sursauta surprise d'autant d'indélicatesse de la part de son cousin. Béatrice eut un petit sursaut qu'elle réprima vite et se rapprocha, soudain intéressée. - Tiens ! Tiens ! En voilà une nouvelle ! La cousine serait gay ! - Hélène se sentit rougir, elle jeta un regard en coin à sa future cousine, elle ne s'attendait pas à ce qu'il en parle aussi naturellement devant la jeune femme et fut instantanément déstabilisée, elle bafouilla :

" Pas Anne Lise - Suzanne et ouais c'est sérieux ! "

" Tu nous la présenteras ? "

" Invite-la à ton mariage ! Tu verras si elle te plait. " - Bon ! Pas de réaction négative de la future. Un bon point pour toi Béa, Richard a fait le bon choix on dirait - Elle continua :

" Je lui ai dit qu'on s'était bien amusés pendant le repas avec toi et elle m'a demandé si tu étais mignon. "

" Ah ouais ? Je l'intéresse ? Super, quand Béa sera indisponible avec son gros ventre j'aurai une ouverture ! Tu partageras avec moi ? "

Béatrice bondit sur ses pieds pour faire face aux deux autres. Elle tendit un doigt menaçant vers son amant en le secouant.

" N'y pense même pas ! " Puis se tournant vers Hélène pour faire le même geste.

" Hélène tu retiens ta petite amie loin de lui ou je lui arrache les yeux ! "

" T'inquiète pas c'était pour me faire marcher. Elle ne poserait même pas un cil sur ce grand imbécile. Il est trop moche ! Un vrai gibbon avec ses grands bras ! "

" Un gibbon moi ? Le fils d'Apollon ! Je suis un Dieu de beauté ! Quel culot ! ! " Il eut un roulement des yeux comique en se levant prenant la pose d'une statue grecque d'un lanceur de disque faisant rire aux larmes les deux femmes. Se rasseyant, il attrapa sa compagne pour la réinstaller contre lui avant d'ajouter plus sérieusement.

" Bon alors, raconte ! "

" Qu'est-ce que tu veux que je te raconte ? "

" Où as-tu rencontré ton petit bijou que tu nous caches ? "

" Je ne la cache pas. Enfin, pas à toi. J'ai rencontré 'mon petit bijou' au boulot. "

 

Le nom lui plaisait. Il collait parfaitement à sa compagne et vu la propension qu'elle avait en ce moment à lui donner des noms doux, celui-ci allait sûrement faire un bon usage avant longtemps. Elle roula le nom sur sa langue avec délice - Ouais, c'est mon petit bijou ! Ma pierre précieuse ! Tiens en voilà une super idée - Elle reprit :

 

" Si elle était là, elle te ferait tout un petit speech du style 'je l'ai draguée, elle a craqué, ça a marché'… Elle est plutôt bonne à ce petit jeu-là. "

Un rire accueillit sa déclaration.

" Elle a de l'humour alors ? "

" Imbattable. Même moi je me fais piéger à tous les coups. Elle a le don de me prendre à contre pied. La reine de la tchatche. Elle vous plairait à tous les deux. "

" Ça ne te pose pas de problèmes au boulot ? "

" Pas vraiment. Nous vivons dans deux mondes différents " Une pause " Trois mondes en fait ! "

" Pourquoi ? Parce que vous êtes obligées de vous cacher ?"

 

Béatrice intervenait pour la première fois dans la conversation. Elle était gentiment attentive à ce que disait la cousine, tout en notant le petit air triste qui était apparu soudain sur ses traits. Elle eut une envie brusque de la prendre dans ses bras pour la consoler.- Ça va pas la tête ? Qu'est-ce qui te prend ? C'est pas parce qu'elle est gay qu'elle ne peut pas avoir d'amie femme ! Elle est vraiment sympa et j'aimerais beaucoup que nous devenions amies. -

" Se cacher ? Oui et non, on fait attention c'est tout. Non c'est pas ça, pas vraiment. Un monde au boulot, un monde le week-end et un autre monde la semaine. "

" Vous ne vous voyez que le week-end ? "

" Oui. "

" C'est très con ! " Surprise par le mot favori de Suzanne, Hélène éclata de rire en étonnant le couple qui la regardait sans comprendre. Elle reprit son souffle pour leur expliquer.

" C'est un de ses mots préféré. En fait, je n'ose pas lui demander de venir plus souvent. J'aimerais qu'elle vienne s'installer à la maison. "

" Pourquoi ne pas lui poser la question ? Vous vous connaissez depuis longtemps ? "

" Septembre. "

" Et tu crois qu'au bout de quatre mois tu ne peux pas lui demander ? "

" J'en sais rien. Je ne sais pas ce qu'elle pense. Il y a des sujets que je n'aborde pas avec elle. "

" Elle t'intimide ou quoi ? "

 

Richard n'arrivait pas à imaginer sa fière et si glaciale cousine intimidée par quiconque. Hélène avait bravé le pire lors de sa liaison avec Anne Lise Kretzel sans jamais reculer. Ses amours avaient failli provoquer des catastrophes. Ses parents avaient coupé les fonds et les ponts, avec une incompréhension imbécile. Elle avait choisi de les ignorer, préférant faire ses propres choix. Elle y était habituée. Personne ne s'était occupée d'elle toute son enfance. Elle s'était sentie libre mais s'était tout de même confiée à son cousin, son ami. Richard découvrait une nouvelle femme en elle.

- Qui es-tu jeune femme pour troubler ainsi ma jolie cousine ? - Il fut interrompu dans ses pensées :

" Peut-être ! Je suis tombée raide dingue de Suzanne. J'en suis devenue complètement gaga ! J'ai l'impression d'être redevenue une adolescente ! Mais le début a été assez difficile et j'ai peur de retomber dans les mêmes problèmes. C'est dur d'avouer qu'on est amoureuse à une autre femme ! Surtout sans savoir si les sentiments sont partagés ! " Sa voix se brisa.

 

" Ben ma vieille t'es mal barrée ! On t'a changé le cerveau à Paris ? Une transplantation sans te prévenir pendant ta visite médicale ? Tu m'avais habitué à mieux dans tes amours !"

La tentative d'humour tomba à plat. Elle continua :

" Ils étaient peut être moins durables. Disons moins profonds ! Je n'étais qu'une gamine encore à l'époque ! Suzanne m'a appris beaucoup sur moi-même ces derniers temps. Je n'étais qu'une façade. Toi seul le savait hein ?" Sans réponse de son cousin elle continua tristement :

" Dommage que tu ne sois pas mon frère, on aurait pu échanger tellement tous les deux ! Tu comprends tout ! Ça m'aurait plû ! Tu veux pas qu'on échange nos vies ?"

Elle n'espérait aucune réponse à sa question.

 

Un doux moment silencieux d'intimité partagé entre les deux cousins passa. Des échanges de l'enfance, des souvenirs communs. Ils partagèrent ensemble, légèrement confus la douce confession, mais pourtant si vraie.

 

Béatrice ne connaissait pas la réputation du passé de froideur de sa nouvelle amie, elle lui proposa :

" Ramène-la, la prochaine fois, si tu veux je la sonderais. "

" Pas la peine, après tout je suis une grande fille. Et puis il est hors de question que je lui fasse affronter ma famille - En dehors de vous deux bien sûr. Je vais la rejoindre en Bretagne dans deux jours, je trouverais peut-être le courage de lui en parler. Mais c'est sympa d'avoir proposé. Pourquoi ne viendriez-vous pas tous les deux nous rendre visite ? "

" Ça tombe bien je dois monter voir des négociants mi-janvier, on pourrait en profiter pour venir te voir et rencontrer le petit bijou qui a volé le cœur de ma dure à cuir de cousine. "

" Bonne idée ! Si elle est sympa, elle pourra être mon témoin ! " Décida avec un sérieux calculé Béatrice.

" Ben vous deux vous allez vite en besogne ! "

" Comme ça je verrai si elle est une rivale potentielle. " Lâcha la jeune femme en agrippant son amant d'un bras possessif.

" Je lui mettrai une laisse ! Promis ! " Une pensée traversa la tête d'Hélène, elle se lança hésitante :

" Dis moi Béa, tu n'as pas l'air choquée de tout ça…"

" Tout ça quoi ? " Demandait Béatrice avec un regard innocent.

" Et bien … Moi… Suzanne… "

" Oh 'ça' ! Choquée ? Non ! A chacun ses expériences. C'en est une que j'ai connue plus jeune en vérité… sans regret… Alors, non, pas choquée ! "

 

Dans un grand éclat de rire elle admira les regards ébahis qu'échangeaient les deux cousins. - Je vous ai eus ! Un point pour moi mes chéris -

 

 

Hélène s'attendait au pire, son père avait demandé à la voir avant son départ. Cela faisait trois jours qu'elle traînait chez elle, désœuvrée. Elle n'avait revu son cousin qu'une fois et encore, ils n'avaient pas pu discuter, constamment dérangés par un frère ou autre. Elle traînait son ennui comme un boulet, pressée de monter dans sa voiture pour prendre la route de la Bretagne. Heureusement, elle parlait régulièrement à Suzanne qui lui répétait sur tous les modes et tous les tons à quel point elle lui manquait. A compter les jours, les heures - Bientôt tu ne compteras plus Chérie - Elle laissait son esprit dériver vers les yeux verts qui l'attendaient, rêvant de la prendre dans ses bras, de lui faire l'amour, de la bercer doucement et longuement. Un ordre aboyé brutalement la fit sortir de sa rêverie brusquement.

" Hélène. Ton père t'attend dans son bureau. Ne le fais pas attendre ! " La voix brusque de sa mère lui arracha une grimace. Sans se presser elle se dirigea vers le bureau. - On n'est pas aux pièces. Je ne suis pas un toutou qu'on siffle. Merde !- Néanmoins elle obéit à l'injonction. Elle entra dans le bureau sans frapper, par défi.

" Tu voulais me voir ? "

" Entre et ferme la porte ! " Encore un ordre, la voix glaciale habituelle. Il attendit, impatient qu'elle obéisse, la regardant froidement s'approcher.

" Assieds-toi ! "

 

Hélène s'installa, les fesses au bord de la chaise, prête à repartir au prochain ordre.

" Il faut que nous parlions sérieusement ! "

" De quoi veux-tu me parler ? "

" De toi, de ton avenir ici ou ailleurs ! "

" En quoi mon avenir t'intéresse ? "

" Ton avenir ne m'intéresse pas, celui de tes frères oui ! " Il lâcha sa réflexion sans un remord, ne surprenant même pas Hélène, habituée à ne pas exister aux yeux de ses parents. Il continua sans prêter attention à l'expression de détachement de sa fille.

" Je vais léguer la totalité de mes biens, maisons, terres, vignobles à tes frères. Ils travaillent ici. Ils sont l'avenir de la propriété. "

" Et en quoi cela me concerne ? "

" Tu n'as pas d'enfants et je doute que tu en aies jamais, ça retire déjà un problème ! "

" Ça c'est toi qui le dit ! "

" Ne me réponds pas ! Légalement je n'ai pas le droit de te déshériter, je sais que tu le mérites avec tes mœurs dissolues. Alors tu vas hériter d'un pourcentage sur les ventes de vin et de la petite maison de ta grand-mère. C'est elle qui le voulait. "

" La petite maison m'appartient déjà, je te ferais remarquer, même si tu en as l'usufruit pour tes employés. Quant à ton pourcentage tu peux te le garder. Je n'ai besoin de rien et surtout pas de ton argent. Je gagne suffisamment ma vie ! "

" Je n'ai pas le choix. J'ai vu mon notaire et il m'a expliqué quels étaient mes droits et les vôtres. J'espère que tu ne vas pas intenter quoi que ce soit contre tes frères. "

" Intenter quoi ? Ton argent ne m'intéresse pas je viens de te le dire ! J'ai appris très tôt à m'en passer, tu te rappelles ? "

" Parle-moi sur un autre ton s'il te plait ! Tu parles à ton père ! "

" Mon père ? Qui me convoque pour me dire qu'il veut me déshériter ? Un père qui s'est débarrassé de moi dès qu'il l'a pu ? "

" Nous avons fait ce qui était bon pour toi. Tu n'as pas jugé intelligent de nous écouter pour n'en faire qu'à ta tête. Tu aurais pu devenir quelqu'un de bien ! "

" Je ne suis pas assez bien pour toi ? Parce que j'ai refusé un mariage qui t'arrangeait ? "

" Il aurait mieux valu ce mariage que tes mœurs douteuses ! "

" Mes mœurs douteuses comme tu dis je les assume, je sais que ça ne te plait pas mais tu n'y changeras rien."

" Je pourrais t'obliger à revenir ici. "

" Ah oui ? Et comment ? "

" Je doute que dans ta société ils apprécient d'avoir une gouine comme DRH ! "

" Tu oses me menacer ? "

" Non, tu n'en vaux pas la peine ! Il serait préférable que tu évites à l'avenir de venir ici. Sauf bien sûr si tu changes de vie. Nous sommes des gens respectables et n'avons pas besoin des gens de ton espèce. Toi et ton cousin vous déshonorez notre nom. "

" Mon cousin ? Il n'est pas pédé aux dernières nouvelles ! "

" Non, évidemment, une tare suffit dans une famille , mais ce mariage est invraisemblable ! "

" Vraiment ? C'est de l'amour ! Tu n'y connais peut-être rien. Alors comme ça tu me chasses ? "

" Non je te donne un conseil. Change et tu pourras revenir au domaine ! Nous pourrons te trouver un mari respectable si tu le veux. Ta mère et moi méritons mieux de ta part ! "

" Bien ! Je pars ! Je vais faire mes adieux à mes frères et à ma mère. Je pense qu'il est inutile d'insister. Je me suis toujours sentie étrangère à cette famille de toute façon ! "

 

Sans un regard vers son père et sans un mot de plus, elle se levait déjà, prête à partir lorsqu'il la rappela :

" Attends ! Inutile d'aller leur dire au revoir. Je leur expliquerai ! "

" Quelle générosité de ta part, tu as peur que je leur dise que tu me fous dehors ? T'inquiète pas, ils s'en foutent tout autant que toi ! "

" Va-t-en d'ici. Tu n'as plus rien à y faire ! "

"Un poids en moins sur la poitrine hein ? Allez salut !"

 

Sans un mot de plus elle monta rassembler ses affaires dans sa chambre, elle jeta un long regard triste autour d'elle, s'imprégnant une dernière fois de l'odeur de son enfance puis redescendit vers sa voiture, évitant la salle commune ou sa mère se trouvait. Elle jeta son sac dans son coffre d'un geste rageur avant de démarrer pour partir sans un regard en arrière.

 

Le trajet fut difficile. Hélène ruminait les remarques de son père avec colère. Elle n'avait plus de famille. Non pas qu'elle ait jamais eu l'impression d'en avoir une, vu le manque d'entente, mais cette fois-ci c'était définitif. Son père n'avait pas mâché ses mots et lui avait fait clairement comprendre qu'elle n'était plus la bienvenue chez lui. Elle se sentait complètement déracinée maintenant. Une douleur lancinante lui vrillait le crane lui faisant fermer les yeux. Elle ne vit pas le virage brusque qui apparut et n'eut pas le temps de ralentir que déjà elle le prenait à grande vitesse, elle essaya de braquer sans résultat, le véhicule de location fit une embardée avant de s'encastrer dans le talus en face. Son front vint heurter le volant violemment avant de repartir en arrière. Puis, ce fût le noir complet.

 

" Elle se réveille ! "

 

Hélène émergea dans une chambre d'hôpital, complètement vaseuse, elle avait la tête dans du coton. Elle essayait de focaliser son attention sur son entourage sans vraiment réussir. Elle referma les yeux quelques instants avant de les rouvrir.

" Que s'est-il passé ? "

" Vous avez eu un accident de voiture. "

" Le virage ! "

" Oui, mais vous avez eu de la chance. Vous n'avez rien ! "

" Rien ? "

" Non. Une coupure et une grosse bosse sur le front c'est tout. Rien sur les radios. "

 

Elle se redressa doucement sur le lit, luttant contre le bourdonnement dans sa tête qui lui donnait le vertige.

" Je suis dans le cirage. "

" C'est normal. Ça va passer bientôt. Comme le tournis. Il faut juste vous reposer. "

" Peux pas. On m'attend ! "

" Voulez-vous que nous prévenions votre famille ? "

 

Le souvenir des évènements du matin la rattrapa.

" Pas la peine, je n'ai plus de famille. "

" Quelqu'un d'autre ? "

 

Elle n'était plus capable de réfléchir.

" Non. La voiture ? "

" Fichue d'après les pompiers. Ils l'ont vidée. Toutes vos affaires sont dans ce placard."

Elle laissa passer un soupir résigné.

 

" Je suis dans quel hôpital ? "

" CHU de Vannes ! "

" Plus très loin alors ! "

" Jusqu'ou alliez vous ? "

" Trebeurden. "

" Ça fait encore une belle route. Et sans voiture…. De toute manière vous ne pouvez pas repartir de suite. Il faut vous reposer. "

" On peut louer des voitures ici ? "

" Oui à la gare. Vous pourrez sûrement en louer une demain lorsque vous sortirez. "

" Je sors tout de suite ! "

" Ecoutez, ce n'est pas raisonnable. Vous venez à peine de vous réveiller. "

" Donnez-moi juste quelque chose contre la douleur et ça ira. "

" Je n'ai pas le droit de vous laisser partir si vite. "

" Vous ne pouvez pas me retenir contre mon gré. "

 

Déjà elle se levait avec difficulté, aidée par l'infirmière qui la soutenait gentiment. Le médecin insista.

" Il vous faut signer une décharge si vous voulez sortir maintenant. Restez encore quelques heures pour récupérer. "

" Non ! On m'attend. J'ai assez perdu de temps. Faites préparer tous les papiers que vous voulez je signerai. "

 

Le médecin la laissa en haussant les épaules. L'infirmière aida la jeune femme à se préparer et rassembler ses affaires en lui disant :

" Ecoutez, je finis mon service dans une demi-heure, si vous voulez je vous laisse à la gare, c'est sur ma route. "

" Cela ne vous dérangerait pas ? "

" Puisque je vous le propose. Et puis vous avez l'air vraiment pressée. "

" C'est sympa ! Vraiment. "

" Il n'y a pas de quoi, attendez-moi dans le hall quand vous serez prête. Je ne traînerai pas ! "

 

La jeune infirmière l'attendait à la sortie et la déposa à la gare, attendant d'être sûre que la femme pouvait louer un véhicule avant de vider son coffre dans l'autre puis de repartir. Avant de sortir de la gare, Hélène composa le numéro de Suzanne pour la prévenir.

" Bonjour mon cœur ! "

" Heu… Ce n'est pas Suzanne à l'appareil… " - Merde ! C'est sa mère ! Quelle conne ! - Hélène enrageait de sa stupidité. Elle n'avait pas attendu de reconnaître la voix à l'autre bout du fil.

" Hélène ? " La voix s'était faite hésitante.

" Oui ! Désolée ! " A peine un murmure, mal à l'aise.

" Vous vouliez parler à Suzanne, elle est à côté de moi. Ça n'a pas l'air d'aller. Vous allez bien ? "

" En fait non, pas vraiment, je viens d'avoir un accident. Rien de grave. Je voulais juste vous prévenir de mon retard ! "

" Etes-vous blessée ? "

" Rien de sérieux. De la tôle froissée. En fait, et bien…la voiture de location est morte. "

" Prenez le train, Suzanne viendra vous chercher à la gare ! "

" Non, j'en ai loué une autre. J'arriverai en fin de journée ! "

" Prenez votre temps et soyez prudente. Nous vous attendrons pour dîner. Je vous passe Suzanne, à plus tard."

 

Elle sentait une douce sympathie couler de la voix de la mère de Suzanne, ne notant aucune gêne ou colère devant le gentil surnom dont elle avait été affublée par erreur. Cela réconforta la grande femme brune qui avait plutôt mal commencé cette journée. Elle n'entendit pas la gentille taquinerie que lança sa mère à Suzanne avec un sourire indulgent.

" C'est une première, une amie qui t'appelle 'mon cœur' !" - Elle rit de la gêne de sa fille " Tiens je te la passe 'mon cœur' "

" Maman ! " Puis tournant son attention vers le téléphone " Hélène ? Que se passe-t-il ? "

" Pas grand chose. Une journée pourrie, un accident de voiture sans gravité pour moi mais pas pour la voiture et je viens de gaffer auprès de ta mère ! Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes ! " Elle se sentait sur le point de s'effondrer.

" Oui, j'ai cru comprendre ! C'est pas grave. " Suzanne regardait sa mère qui déjà s'éloignait l'air de rien, laissant à sa fille un peu d'intimité.

 

- Ben tiens, elle ne me demande pas de lui préparer un deuxième lit comme d'habitude lorsqu'une amie vient... Elles se téléphonent tous les jours... 'Mon Cœur' ! Ben voyons ! Toi ma fille tu nous caches quelque chose et je crois avoir deviné quoi... Bon je ferais mieux d'attendre la suite, ça risque d'être passionnant… La chère Tante Louise n'est pas si aveugle ni médisante que ça on dirait hein ? Papa va bien rigoler ce soir quand on se couchera... Ah ! Hélène ! Venez vite. Je suis curieuse de connaître la femme qui fait chavirer ma toute petite ! Ces vacances promettent d'être tout sauf ennuyeuses, on va enfin découvrir les amours de notre chère et tendre fille !

 

" Hélène ? Si vous n'en pouvez plus, ne venez que demain ! Vous pourriez trouver une chambre sur place. Où êtes-vous ? "

" A Vannes ! Il ne reste plus beaucoup de route maintenant, ça ira. "

 

Elle se tenait appuyée à un mur de la gare et regardait les gens aller et venir, pressés. Elle repéra d'un coup d'œil un homme qui se déplaçait vers elle, une démarche incertaine. - Celui-là, à tous les coups il est pour moi ! - Il se dirigeait vers elle en la fixant d'un air concupiscent tout en se léchant les lèvres d'une langue gourmande.

" Suzanne ? " Elle hésita " Je crois que je vais encore avoir des ennuis ! "

" Que se passe-t-il ? "

" Ne quitte pas une minute ! "

 

L'homme s'approchait toujours, les bras écartés pour l'empêcher de bouger. - C'est ma fête aujourd'hui on dirait ! - Il l'aborda avec vulgarité.

" Alors Cocotte, on s'ennuie ? "

" Qu'est-ce que vous voulez ! N'approchez pas plus ! "

" Viens par ici ma poulette ! On va s'amuser tous les deux !" - Il se croit dans son poulailler ma parole ! Bientôt il va m'appeler Poussin --

" Hélène, que se passe-t-il enfin ? "

" Rien, un emmerdeur qui a envie de s'amuser. " Répondit-elle au téléphone inquiet, l'homme continua avec un ricanement malsain.

" C'est à qui ces beaux yeux-là ? " - Je les ai payé en solde à Monoprix abruti ! -

" Ecartez-vous ! " Hélène commençait à fulminer contre l'imbécile aviné qui ne voulait pas comprendre.

" Tu dois t'ennuyer toute seule ma Poule ! "

Il se rapprochait dangereusement, prêt à se coller à elle. Elle ne pouvait pas reculer, presque plaquée contre le mur, ni bouger sur le côté, bloquée par les bras. Elle tendit une main en avant pour repousser l'assaut de l'homme qui la coinçait.

" Allez poupée, on va s'amuser ! " L'odeur fétide de l'alcool bon marché lui montait aux narines la suffoquant presque, elle fit une grimace dégoûtée. Il se pressa contre elle en lui soufflant au visage.

" Foutez-moi la paix bon sang ! Dégagez ! "

Les gens se retournaient pour regarder ce qu'il se passait, gardant leur distance, n'ayant même pas un geste de défense envers la grande brune qui était agressée, elle leur jeta un regard méprisant et dégoûté. - Y'en a pas un qui va bouger son cul ! -

" Hélène ! Partez ! " - C'est pas vrai ! je les attire comme des mouches ! -

" Peu pas, suis bloquée ! " Lança-t-elle au téléphone qui l'interpellait.

" Fais un p'tit bisou à ton Doudou ! " Le visage rouge, il approchait ses lèvres grasses et lippues vers son visage tout en se collant vicieusement sur elle. Furieuse, voyant que personne n'interviendrait, Hélène prit son élan de son bras et sans plus attendre lui balança son poing sur le nez, l'écrasant avec un bruit de craquement. L'ivrogne s'écroula en grognant, les quatre fers en l'air après plusieurs pas en arrière. Le sang commençait à couler doucement le long de ses lèvres et son menton. Il ne s'essuyait même pas, se contentant d'hurler.

" S'pèce de Salope ! Tu vas voir ! "

" Et merde… J'ai gagné ma journée aujourd'hui ! " Elle s'éloigna doucement de lui à reculons en continuant à le fixer de peur qu'il ne se relève pour l'agresser à nouveau, tout en parlant à Suzanne qui paniquait dans l'appareil.

" Je lui ai foutu mon poing sur le nez. Je lui ai peut-être cassé ! "

" Bien joué Hélène ! Fallait l'étaler ce connard ! "

" Oh non, ça recommence ! "

" Quoi ? "

" Ses copains qui rappliquent ! C'est pas vrai, ils vont pas envoyer la cavalerie ces cons !"

" Courez Hélène ! Tirez-vous ! "

" Je te rappelle ! "

 

Hélène n'attendit pas l'assaut final, elle prit ses jambes à son cou, poursuivie par la meute beuglante d'ivrognes qui se déplaçait maladroitement vers elle. En chemin elle trouva un chariot de transport de bagages, le retourna d'un geste violent avant de le lancer dans leur direction. Ils furent trois à tomber comme des quilles. - Strike ! - Elle regarda les hommes s'emmêler entre eux - enfin presque ! - et se remit à courir sans encombres vers la sortie.

 

 

Lorsque Hélène arriva enfin à proximité de la ferme il faisait déjà nuit. Elle avait à peu près réussi à évacuer le stress de la journée. Suzanne occupait le centre de ses pensées depuis plusieurs heures maintenant. Allait-elle lui demander de vivre avec elle ? Il faudrait qu'elle la sonde d'abord. Même si elles étaient très proches, elle n'était pas vraiment sûre que cela soit une bonne idée. Affronter encore une fois le risque d'être désapprouvés par les proches, les familles ou les amis ne lui plaisait pas vraiment, encore moins de pousser Suzanne à le faire. Quoi que faire le ménage dans son entourage lui convenait parfaitement.

- Que veut Suzanne exactement ? - La question revenait lancinante. - Une petite vie bien rangée ? Convenable ? - Quels que soient ses tabous, elle prenait avec philosophie ce qu'elle vivait. Où tout cela allait-il les mener toutes les deux ?

 

 

Elle gara la voiture dans la cour de la ferme hésitant à descendre, soudain intimidée. - A quel accueil je vais avoir droit avec ma gaffe de cet après-midi ? - Elle carra ses épaules pour se donner un peu de courage avant d'ouvrir sa portière pour sortir. Elle se dirigea vers la porte de la maison qui était grande ouverte, d'un pas lent sur le gravier qui crissait sous ses semelles, elle tapa des phalanges dessus attendant agitée que quelqu'un lui réponde. La maison avait l'air silencieuse. Aucune voix. Un pas calme se fit entendre depuis une salle à côté se dirigeant vers elle. Une petite femme trottina vers elle tout en la saluant avec une voix douce et posée.

" Bonjour, vous devez être Hélène ! "

Elle levait haut la tête pour pouvoir observer la femme qui lui faisait face tant elle était grande. Ses yeux rencontrèrent le bleu nerveux fixé sur elle. Une grimace apparut sur son visage.

" Oui, quelque chose ne va pas ? " Lança Hélène devant le regard que lui jetait la petite fermière.

" Ça doit faire mal ! " Hélène la regardait stupéfaite, n'y comprenant plus rien - De quoi elle parle ? - La petite femme fit un geste de la main vers son propre front avec un grand sourire.

" Cette bosse et cette coupure sur le front - C'est la bagarre dans la gare ? " - C'est vrai, je ne le sentais plus. Je dois être complètement défigurée et je dois lui faire peur maintenant. -

" Non, l'accident de voiture. Contre le volant. Je ne le sens plus. "

" Entrez, Suzanne est dans la grange avec son père. Une génisse en train de vêler ! " Elle entraînait Hélène vers la cuisine en lui faisant signe de s'installer.

" Ouah ! Je… Vous croyez que ?… "

" Vous voulez aller voir ? "

" Ben, si ça dérange pas … "

" Vous ne voulez pas vous détendre et vous asseoir quelques minutes avant ? "

" Je viens de passer ces dernières heures assise dans la voiture. Alors vous voyez… "

" Venez ! " La petite femme détailla la tenue de la femme debout d'un air spéculatif tout en enchaînant.

" Le jean ça va mais… vous avez des bottes ? "

" Des bottes ? "

" Oui, c'est assez boueux par là bas. "

" Heu, non Madame. "

" J'avais dit à Suzanne de vous prévenir. Ne m'appelez pas Madame ça me gêne, vous pouvez m'appeler Anne-Marie et mon mari Paul."

" Ben… "

" Vous chaussez du combien ? "

" 42 ! "

" Ça m'étonne pas ! Venez on va vous trouver ce qu'il vous faut " Elle attrapa Hélène par le bras pour la mener au vestibule. Farfouilla parmi plusieurs boites avant de trouver son bonheur.

" Enfilez ça ! " Elle lui tendait des chaussons épais de laine sans semelle. Hélène amusée enleva ses tennis pour enfiler les chaussons puis enfila une paire de bottes en caoutchouc neuves que lui avait tendu aussitôt après la petite femme. Elle ne put s'empêcher de lancer.

" Vous êtes prévoyante vous ! "

" Non justement, c'était pour mon fils, elles sont trop petites. Allez, ne traînons pas, j'en connais une qui ne doit plus tenir de vous attendre. "

 

Elle se mit sur le pointe des pieds pour essayer d'attraper une torche électrique en haut du meuble mais fut devancée par le long bras qui se tendit pour la prendre.

" Pratique hein ? Moi j'ai pas le bon gabarit. Ça fait rire mon mari."

" Ouais, ça sert. "

 

Elle dirigeait Hélène d'une main ferme vers la sortie en trottinant. Hélène ralentit le pas pour rester à la hauteur de la femme qui la guidait vers un grand bâtiment duquel des beuglements sourds sortaient. Une douce lumière habitait le grand hangar. Elle se laissa diriger vers le fond où plusieurs personnes étaient groupées autour d'une vache allongée qui avait apparemment fini de vêler. Un petit veau tremblotant et sanglant tentait maladroitement de se tenir en équilibre sur ses quatre pattes, tout en se faisant lécher par la large langue de la vache épuisée.

 

Deux hommes d'un certain âge étaient accroupis auprès d'elle, un autre debout appuyé sur un des montant des stalles regardait le veau en souriant alors que Suzanne, assise de dos sur un montant en bois, se tenait penchée observant toute la scène. Hélène se mit à frémir à sa vue. - Je ne vais pas me mettre à trembler à chaque fois que je la retrouve quand même ? -

 

Les deux visiteuses s'approchaient, le bruit de leurs pas étouffé par la paille sur le sol. Suzanne par un instinct quelconque se retourna brusquement vers elles. - Mon dieu, elle a les yeux derrière la tête ou quoi ? - Un sourire éblouissant accueillit la grande femme qui avait les yeux rivés sur les siens. D'un bond souple la jolie blonde abandonna son perchoir et courut vers la grande femme que tenait encore sa mère. Elle allait presque se précipiter sur le corps de son amante quand elle fut retenue au dernier moment par une timidité soudaine. Elle ralentit le pas, n'osant pas prendre la femme dans ses bras devant les spectateurs qui avaient relevé la tête. Elle calcula son pas pour le rendre plus nonchalant sans quitter le regard bleu qui la fixait avec une chaude affection et un sourire légèrement amusé aux lèvres.

" Tu ne dis pas bonjour ? Petite mal élevée ! "

- Oh et puis je m'en fous, j'ai trop besoin de ses bras ! - Ne tenant plus elle agrippa la taille de son amie de deux bras fermes, laissant sa tête se poser doucement contre l'épaule offerte. Hélène resserra son étreinte, le geste effaçait tous les évènements de la journée. " Tu n'embrasse pas ton amie ? " La taquinerie sortit de la bouche hilare de sa mère.

" Non ! je suis trop sale ! Plus tard ! " - Petite maligne va ! - la mère n'insista pas, observant la scène avec une compréhension gentille.

" Vous avez loupé le meilleur Hélène ! " Lança Suzanne, blottie contre elle, la respirant avec contentement.

" Ah oui, c'était intéressant ? "

" Ouais, c'est bien fait pour vous ! Fallait arriver plus vite ! " Elle n'avait toujours pas relâché la femme qu'elle tenait enlacée, juste desserré légèrement son étreinte pour se reculer et observer le visage qui lui souriait tendrement.

" Tu me raconteras d'accord ? "

" Suzanne, montre à ton amie la chambre pour qu'elle puisse s'installer et se changer, elle doit être épuisée de sa route, laisse-la respirer ! "

 

Suzanne se recula à contre cœur du corps accueillant qui la tenait. Elle prit la main chaude dans la sienne et l'entraîna presque en courant à la sortie de la grange. Avec un regard d'excuse vers la mère qui soupirait doucement, Hélène la suivit. Sans ralentir, elles allèrent vers la voiture qu'Hélène avait loué.

" Clefs ! "

" Hein ! "

" Ouvrez ce coffre ! Sortez vos affaires ! Suivez-moi ! " L'impatience et l'urgence de la voix firent sourire la grande femme qui obtempéra.

" Bien Chef ! " Elle eut à peine le temps de sortir son sac que Suzanne l'attrapait de son autre main et l'entraînait vers la maison, montant les marches quatre à quatre en la tirant derrière elle. La jeune blonde ouvrit une porte à la volée, jeta le sac brusquement sur le sol et poussa une Hélène stupéfaite d'une bourrade sur le lit avant de se jeter dessus et de la couvrir de baisers.

" Hé ! "

Ses lèvres furent scellées par un baiser si profond et passionné que la grande femme brune se tut pour profiter de l'intensité des émotions qui la dévoraient. Les mains de sa compagne se promenaient partout, la perturbant, elle sentait l'urgence du désir monter en elle et se recula pour murmurer d'une voix rauque.

" S'il te plait mon cœur… " La jeune blonde releva la tête pour la fixer avec une telle intensité que l'autre dût fermer les yeux à l'impact qu'elle recevait. " Attends un peu. Laisse-moi récupérer. "

 

Totalement emportée par sa passion la jeune blonde admirait sans retenue le visage qui lui faisait face, détaillant chaque parcelle, elle tendit un doigt doux vers la bosse surplombée d'une plaie pour la caresser, laissant son doigt en frôler les contours. Muette d'amour, les larmes lui vinrent aux yeux sans prévenir, surprise Hélène la serra dans ses bras, laissant passer le déluge d'émotions avec une patience infinie. Se détendant enfin un peu, Suzanne se redressa en retenant toujours Hélène fermement sous elle.

 

" Ce soir nous ferons l'amour longtemps. Trop de temps perdu ! Nous parlerons plus tard !"

 

Elle recommençait à faire pleuvoir des petits baisers partout où elle pouvait accéder, sentant la respiration de sa compagne s'accélérer. Elle glissa ses deux mains sur la peau nue sous le pull épais déclenchant un sursaut vif.

" Ouille ! Tu es gelée ! "

" Vous allez me réchauffer ! " Elles les laissa glisser du buste à la poitrine, appréciant le frisson déclenché avec une moue moqueuse, provoquant le durcissement des seins en insistant. Elle pencha la tête de côté pour observer la réaction de son amante.

" Nous n'allons pas tarder à dîner ! "

" Alors relâche-moi. Ne commence pas ! "

" Si ! Un petit câlin ! "

" Tu appelles ça un câlin toi ? " Hélène essayait en vain de se débattre des mains sournoises qui se baladaient partout sur elle.

" Oui, un câlin coquin ! "

" Espèce de petite allumeuse ! "

Suzanne glissa ses jambes entre celles de son amie coincée qui commençait à réagir fortement maintenant..

" Ouais ! " Elle se frotta tel un chat sur Hélène en se tortillant en riant sur elle. " Une allumeuse qui vous éteindra après le dîner. "

 

D'un saut rapide du lit, elle abandonna sa compagne complètement étourdie de sensations sauvages.

" Reviens ici ! "

" Pas possible ! Mes parents vont nous attendre pour manger ! "

" Qu'ils attendent ! Viens ! " Hélène se leva pour la reprendre dans ses bras mais la jeune blonde se glissa souplement hors de portée en filant vers la porte en riant.

" Plus tard ! "

" Oh ! Espèce de …. " Hélène n'eut d'autre choix que de suivre, essayant de reprendre figure normale.

 

Les parents de Suzanne étaient gentiment attentifs au bien-être de son amie. Ils lui posèrent des questions sur son voyage, son accident, l'incident de la gare, sans insister, sans la tourmenter. Le père parlait peu mais écoutait tout, opinant de la tête pour marquer son opinion. Pour la première fois depuis des jours Hélène se sentait parfaitement à l'aise avec eux. Elle retrouvait chez ces personnes le même humour taquin de sa compagne. Le même regard malicieux qui la guettait à la moindre de ses paroles. Ils parlèrent peu d'eux-mêmes préférant la questionner délicatement sur elle, ses vacances. Arrivés au sujet de ses propres parents si son laconisme les surprit ils ne firent aucun commentaire, respectueux de son silence. Si problème il y avait entre eux, elle se confierait à Suzanne ou se tairait. Cela ne les regardait pas. L'essentiel était qu'elle se sente chez elle. Assise sur le banc de la cuisine, elle mangeait avec appétit tout ce qu'on lui servait. Simple. Bon. Elle avait les jambes prises en étau par celle de Suzanne qui se tenait contre elle. Sa présence lui faisait du bien. Un long silence arriva qui ne gêna personne pendant lequel Suzanne, aidée de sa mère débarrassa la table et prépara des tasses pour le café, elle refusa l'aide de sa compagne qui s'était levée aussi pour prêter main forte.

 

" Si vous n'êtes pas trop fatiguée, vous pourriez aller prendre l'air à la plage pour vous dégourdir les jambes ! C'est à cinq minutes à pieds ! " suggéra la femme plus âgée en regardant Hélène. - Pitié ! Non pas tout de suite ! Suzanne ne me laisse pas comme ça ! -

 

Suzanne admira le visage crispé de sa compagne qu'elle avait aguichée sans vergogne pendant toute la durée du repas, lui caressant le haut des cuisses discrètement sous la table.

" Bonne idée maman ! " Et se retournant vers une Hélène décontenancée. " Qu'en pensez- vous ? "

" Heu ! ! ! " - Suzanne ! S'il te plait … Trouve une excuse… Montons ! - Elle remarqua le sourire moqueur de la jeune blonde devant son regard désespéré - Elle me mène en bateau cette Chipie, je suis morte ! -

 

" Vous êtes peut-être trop fatiguée par la route ? " Enfin une parole qui sauve de la bouche du père.

" Mais non Papa ! Il faut qu'elle prenne un peu l'air justement ! "

- Je me vengerai gamine ! - " Et bien en fait oui ! Je suis un peu fatiguée. Mais allez- y tous les trois, je me reposerai en attendant… La journée a été plutôt longue et mouvementée !"

 

Suzanne eut un sursaut en voyant que sa plaisanterie tournait à son désavantage, elle jeta un regard surpris à sa compagne. - Ah non ! Vous n'allez pas me faire ce coup-là ! -

" Excellente idée ! " Relança le Père qui comprenait soudain le manège de sa fille en découvrant le regard qu'elle lançait à la jeune brune qui se détendait - Toi tu es en train de la faire tourner en bourrique - attends un peu ! - Il continua un sourire espiègle vers sa fille.

" Allez Suzanne ! Prépare-toi à une longue balade. Je trouve que tu manques d'exercices ces derniers temps ! " Il nota le regard de compréhension de sa femme qui renchérit.

" Ton père a raison Chérie. Il faut laisser reposer ton amie et toi tu as besoin d'air iodé… "

" Mais… "

" Taratata Chérie, ne discute pas ! "

 

Suzanne jeta un regard meurtrier à son amante qui commençait à s'amuser comme une folle. - Je t'ai eue mon Cœur ! -

" Allez Hélène, un petit tour avec nous ? "

" Nan, trop fatiguée… "

" Hélène …. " La voix suppliante. La grande femme brune ravie d'avoir piégé son amie fit, par pitié, marche arrière pour venir à son secours.

" Oh et puis après tout, je suis un peu énervée. Une petite balade ne me fera pas de mal. Je serai fatiguée plus sainement en rentrant. Allons-y ! "

 

Elles se dirigèrent vers la chambre pour se vêtir et Suzanne lui lança.

" Vous avez failli m'avoir… "

" Toi aussi, une petite vengeance pour ce que tu m'as fait depuis que je suis arrivée. "

" Et bien, c'est pas terminé ! Un bon bol d'air vous fera le plus grand bien pour la suite… "

" Des menaces ? "

" Une promesse ! "

 

 

Les filles partirent en avant, bras dessus, bras dessous, Suzanne guida sa compagne le long de la plage lui faisant découvrir le paysage sauvage autour d'elles. La nuit était claire et étoilée et les deux amantes profitaient de l'air frais et pur qui les entourait.

 

Les parents de Suzanne étaient restés en arrière, assis sur la digue, côte à côte, discutant gentiment de leur fille. Anne Marie s'appuyait sur l'épaule rassurante de son mari qui lui tenait la taille pour la réchauffer, elle demanda :

" Qu'en penses-tu ? "

" Rien ! "

" Dis-moi ? "

" J'en pense qu'Hélène est assez grande pour se défendre contre cette petite chipie et que celle qui tournera en bourrique n'est pas celle qu'on pense ! "

" C'est tout ? "

" C'est tout ! "

" Tu penses que c'est sérieux entre elles deux ? "

" Ouais ! "

" Et ? "

" Toujours rien ! Quand nous nous sommes mariés nous n'avons pas aimé la désapprobation de nos parents. Alors ne faisons pas la même chose ! "

 

Anne Marie resta silencieuse un moment.

" Suzanne vouvoie Hélène… "

" Oui et Hélène tutoie Suzanne… Pourquoi pas ? Peut être que dans l'intimité c'est différent. "

" Notre Suzanne a peut être trouvé ce qui lui manquait depuis si longtemps. "

" Je le crois,… mais… je ne sais pas si elle en est consciente ! "

" Elles ne sont pas très discrètes tu trouves pas ? "

" Pour quoi faire ? Ça doit être assez dur pour elles. " Il laissa passer un temps de réflexion intense avant de continuer.

" Je crois qu'Hélène nous cache quelque chose ! "

" Oui, je l'ai senti aussi. Quand elle nous regarde tous les deux, elle a cet air triste ! "

" Désespéré plutôt ! "

" Qu'est-ce qui cloche chez elle d'après toi ? "

" Pas chez elle, dans sa famille peut-être. Ou des amours passées… "

" Tu crois qu'on peut l'aider ? Je veux dire… si elle veut se confier ! "

" J'sais pas. En tout cas il faut tout faire pour qu'elle se sente bien ici. Elle en a besoin. "

Anne Marie eut un sourire en coin vers son mari.

" Notre fille a l'amour gai on dirait ! "

" Oui, ça fait plaisir ! "

 

 

Suzanne silencieuse guidait sa compagne par la main vers la mer qui léchait le sable sous leurs pieds. De tenir la main chaude dans la sienne la rassurait. Elle donna une petite pression qui lui fut rendue gentiment. Elle enlaça ses doigts aux autres. Elle avait soudain ce sentiment d'appartenance à quelqu'un qui lui faisait battre le cœur avec délice. Elle se retourna vers Hélène, après s'être assurée qu'elles n'étaient pas observées, la regardant intensément.

" Ça va ? "

 

Hélène l'encercla de ses bras, la serrant doucement contre elle tout en enfouissant son nez dans le cou de son amie.

" Oui, ça va mieux ! " Sa voix était basse, trop calme, mettant la puce à l'oreille de sa compagne qui pouvait détecter maintenant les sentiments qui traversaient le corps contre le sien.

" Vous voulez en parler ? "

" Pas maintenant, laisse moi profiter du moment. "

 

Suzanne releva les bras pour prendre le visage d'Hélène dans ses mains. Elle les glissa vers la nuque pour l'attirer doucement. Le baiser échangé fût doux et rassurant.

" Désolée de vous avoir allumée pendant le repas. "

" Je préfère être caressée sous la table par toi que d'être coincée par un clochard puant. "

" Oh ! Ça a du être quelque chose hein ? "

" De quoi ? Tes caresses ou … "

L'autre ne la laissa pas finir en l'embrassant plus profondément .

" Hélène ? "

" Oui mon amour ? "

" Je vous aime... Vraiment ! "

 

Hélène absorba la confession avec un profond sentiment de soulagement.

" Sans conditions ? "

" Aucune. "

" Tes parents ? "

" Heu… J'en sais rien. Ils disent rien ! "

" Ils désapprouveraient ? "

" J'sais pas ! "

" Es-tu prête à assumer tout cela ? "

" Avec vous oui ! " Elle laissa passer un temps, en regardant perplexe sa compagne qui la fixait.

" Mais.. Je ne sais pas si je suis prête à perdre tout ça… Pas tout de suite. Il me faut du temps." Son regard avait cette lueur étrangement sincère. Elle fit un grand geste en cercle montrant la plage, la mer, la digue où étaient ses parents enlacés.

 

Vaguement déçue, Hélène se recula, - Assumer, ouais, mais pas à n'importe quel prix ! Le mien est déjà assez cher à payer ! Perdre sa famille, surtout une famille comme la sienne doit être vraiment dur. Tu es encore trop fragile mon cœur. M'aimeras-tu encore quand tu auras tout perdu ? -

" Tu as le choix. Tu auras toujours le choix, quel qu'il soit. Tu es libre mon amour. "

" Je ne veux pas être libre Hélène ! Je n'ai besoin que d'une chose ! "

" Quoi donc ? "

" Leur consentement ! J'en ai besoin pour être bien. Avec vous pour toujours si vous voulez de moi ! "

" Je t'attendrai ! " Puis plus calmement. " Le temps qu'il faudra. "

 

Le sérieux de la réplique surprit Suzanne qui agrippa violemment sa compagne pour la serrer dans ses bras. Les larmes menaçantes lui piquaient les yeux.

 

" Ce ne sont que des week-ends et parfois des vacances ! " Hélène avait une voix désabusée pourtant, la triste vérité la submergeait.

" Nous pourrions avoir plus si nous le voulions ! "

 

Suzanne guettait la réaction qui ne vint pas, Hélène attendait que Suzanne approfondisse le sujet d'elle-même, ce qu'elle fit avec réticence.

" Je pourrais venir plus souvent vous voir, ou le contraire… Hum, Hélène nous n'en avons jamais parlé jusqu'à maintenant. Voulez-vous me voir plus souvent ? "

" Et toi ? "

" Ne répondez pas par une question ! Oui, je le veux… Tout le temps en fait. "

" Je le veux aussi. Ecoute ! Laissons passer ces vacances pour en profiter toutes les deux. Au retour nous pourrons en reparler. En dehors de tout cela, nos familles, nos vies… Tu veux bien ? "

" Oui. Et plus tard vous me direz ce qui vous travaille ce soir ! "

" Je suis si transparente que cela ? Et bien.. je… "

Suzanne lui mit un doigt sur les lèvres.

" Pas ce soir Hélène, pas ce soir… Plus tard ! Que nous deux ce soir ! "

" Nous deux…. Et tes parents… " lui rétorqua Hélène soulagée avec un rire ravi.

" Oui, en parlant de mes parents, ils doivent nous attendre le cul gelé sur la digue, allons-y "

" Il vaut mieux le cul gelé sur la digue que le cul gelé dans une flaque d'eau sur un trottoir, tu ne trouves pas ? "

" Hélène ! Comment je vous aurais connue sans cela ! "

" Tu as raison, ça vaut le sacrifice d'un derrière trempé ! "

 

Elles s'éloignèrent en riant de la mer pour rejoindre le couple qui les attendait.

 

" Alors Hélène, la vue vous a plu ? "

" Mieux que ça ! Je me sens tellement mieux ici ! "

 

Le couple échangea un sourire.

" Rien ne vaut l'air de la Bretagne et l'amitié des Bretons ! "

" Entièrement d'accord. "

 

 

 

 

Dans la maison, Suzanne resta avec ses parents en bas le temps qu'Hélène fasse sa toilette. Elle entendit le bruit de la porte de sa chambre qu'on refermait. - Heureusement qu'ils ne sont pas à l'étage. Ils auraient de mauvaises surprises ! - Elle se sourit à elle-même.

 

Anne Marie en voyant sourire sa fille questionna.

" Tu as l'air gai, c'est l'arrivée de ton amie ? "

" Oui. Je suis bien avec elle ! "

 

Elle ne vit pas l'échange de clins d'œils entre ses parents.

 

" Mieux qu'avec Ma Jo ? "

" Maman, c'est pas pareil ! "

" Et pourquoi ? Elle avait l'air d'aimer venir ici aussi ! "

" Oui mais Ma Jo ce n'est qu'une am… " Elle se mordit la langue, ravalant ce qu'elle avait failli dire - Merde ! Qu'est-ce que je dis moi ? -

 

" Qu'une amie ? " Insista doucement le père qui continuait le jeu commencé par Anne Marie.

 

" Et Hélène c'est un peu plus… " Renchérit la mère.

 

" Même un peu plus que plus… " Rajouta le père.

 

" Disons que c'est une amie particulière ! " Rigola la mère.

 

" Une très bonne amie particulière ! " Ricana le père.

 

" Une particulièrement bonne 'petite amie'. " Explosa la mère finissant le jeu.

 

Suzanne n'y tint plus, elle se mit à crier.

 

" Arrêtez tous les deux ! "

 

Ils explosèrent de rire en voyant la mine déconfite de leur fille. Elle fixait ses pieds, rouge de honte d'avoir été si facilement mise à nue par ses propres parents, alors qu'Hélène n'était présente que depuis quelques heures.

Anne Marie se calma plus rapidement que son mari et s'approcha doucement de sa fille pour l'attraper par l'épaule en un geste apaisant.

" Chérie ? "

" Quoi ? " Elle se sentait humiliée, trompée.

" Tu oublies que Tante Louise est venue nous voir depuis son voyage à Paris... Elle nous a parlé de ta 'Petite amie'. "

" De quoi elle se mêle celle-là ? "

 

Suzanne luttait, furieuse contre sa tante, honteuse vis-à-vis de ses parents. Elle ne trouvait plus les mots. Que pouvait-elle expliquer ? Les moqueries de ses parents la déstabilisaient.

 

" Tu oublies qu'Hélène m'a appelé 'Mon cœur' à ta place ? "

" Oh, maman ! S'il te plait… Oublie ça "

 

Paul Lange vint au secours de sa fille avec gentillesse.

" Suzanne, ne t'inquiète pas. Il n'y a pas de problème pour nous. On te charriait c'est tout. "

 

Suzanne ne pouvait pas se résoudre à redresser la tête, surmonter sa honte. - Ils ont tout compris ! Ils savent ! Quoi ? Qu'est-ce que tu dis Papa ! -

 

Elle se redressa d'un coup en fixant son père incrédule avant de reporter son regard sur le visage de sa mère qui la tenait toujours dans ses bras.

" Quoi ? "

" Tout va bien ma Chérie. Va te coucher. Hélène t'attend. On en reparlera plus tard si tu le veux. "

 

Elle embrassa sa fille en la chassant d'une claque sur les fesses.

 

Suzanne, avait l'esprit vidé. Elle monta les escaliers en trombe pour rejoindre la femme qui l'attendait, assise sur le lit, inconsciente de la scène qui s'était déroulée quelques secondes plus tôt. Elle se redressa inquiète en voyant l'expression perdue qu'affichait la jeune blonde en entrant.

" Que se passe t-il Suzanne ? "

 

Suzanne s'était arrêtée net au milieu de la chambre. Figée, la respiration haletante. Hélène s'approcha d'elle en lui posant les mains sur les bras, notant la tension qui l'habitait.

" Dis-moi ce qu'il se passe ! On dirait que tu viens de voir un fantôme ! "

" Ils savent… " Ce fut tout ce qu'elle put articuler.

 

Hélène avait compris. Pas besoin d'explications. Elle serra un peu plus contre elle le corps tremblant et dépassé par les émotions qui la submergeaient,

" Ma gaffe avec ta mère ? "

 

Un hochement de tête.

" Ça ne veut pas dire grand chose… Juste un nom gentil. "

" Tante Louise… "

" Oh ! Je l'avais oubliée celle-là ! "

 

Suzanne commençait à se détendre, elle regarda Hélène avec un amour profond. La grande brune lui prit le visage entre les mains pour lui demander.

" C'est trop tôt hein ? "

" Pas vraiment. "

" Voyons Suzanne, ce sont tes parents. Je sais que tu les adores. Je ferais peut-être mieux de leur parler, essayer d'arranger les choses. "

" Non ! "

" Ou partir pour ne pas créer de conflit entre vous. "

" Non ! "

" Je comprendrais si tu me le demandais ! "

" Non ! "

 

Suzanne s'était mise à caresser sa compagne doucement, tout en continuant sa litanie de refus.

" Enfin Suzanne, il faut essayer d'arranger… " La jeune blonde lui coupa la parole, un doigt sur ses lèvres.

" Ils comprennent ! "

" QUOI ? "

" Et bien, en fait, Ils se marraient comme des tordus quand ils m'ont annoncé ça. "

" Ils… Oh Merde ! "

 

Sur le coup de la surprise, Hélène en perdait son latin. Son esprit travailla à toute vitesse, essayant de capter toutes les implications de ce que venait de lui révéler son amante.

" Ça ne leur pose pas de problème ? "

" Ben non ! On dirait pas ! "

" Ben ça alors ! " Soufflée puis tout d'un coup intuitive. " Tu as ce que tu attendais non ? "

" Quoi donc ? "

" Leur consentement…. "

 

Le regard vert brillant se fixa su le bleu lumineux pour s'y perdre.

" On dirait bien hein ? Autant pour tantine… "

" Tu sais Suzanne, je vais me sentir gênée demain quand il faudra descendre… "

" Demain sera un autre jour. " Elle entraîna sa compagne vers le lit doucement, s'allongeant en l'attirant sur elle.

" J'ai des bosses et des plaies à guérir… "

" Et moi du temps à rattraper ! "

 

Si le baiser échangé fût doux pour commencer il ne tarda pas à devenir plus sauvage d'impatience partagée.

 

 

 

*********

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