Traduction
INDISCRETIONS
Accord parental ignoré
Crédits :
Réalisation : XWPFanatic
Productrice exécutive : Tonya Muir
Scénario : XWPFanatic,TNovan et Tonya Muir
Traduction : Katell
Episode quatorze : Every Breath You Take
Il y a quelque chose qui me plaît quand on est en novembre et qu'il fait plus de vingt degrés dehors. Je savais qu'au fond, il y avait bien une raison pour laquelle j'aime vivre à Los Angeles. La voilà. Pouvoir me promener sur Rodeo Drive en manches courtes et en jupe a ses avantages. Depuis que j'ai rencontré Susan, je profite de tout.
De vraiment tout.
Du réveil dans ses bras le matin, à la pause déjeuner de trois heures qu'on vient de prendre, c'est vraiment sympa d'avoir quelqu'un de semi-régulier dans sa vie. Je jette un coup d'œil à ma montre en me dirigeant vers LaPerla.
Le shopping, ça n'a jamais été un de mes trucs préférés, mais de temps en temps, quand je suis d'humeur, j'aime bien aller dépenser un peu de mon argent si durement gagné. OK, je l'admets, parfois j'aime bien aller dépenser beaucoup de mon argent si durement gagné.
En faisant le tour des magasins, je m'aperçois que j'avais presque oublié ce que c'est que d'être attirante aux yeux d'une autre. Mais maintenant, je me souviens, et j'adore ça.
Trois cents dollars pour un déshabillé que je vais porter pendant une heure ? Oh, oui, je perds les pédales, mais après tout, pourquoi pas ? Il est très joli et je me sens bien dedans. Et ça sera encore mieux quand je l'aurai enlevé.
En revenant à la Mercedes (Rodeo Drive, c'est le seul endroit où je peux laisser mon bébé découvert dans la rue), quelque chose dans la vitrine de Bernini Sport attire mon attention.
Une chemise à manches longues en soie noire qui irait très très bien à Harper.
Après tout, je lui dois une chemise depuis l'histoire de la bibliothèque. En fait, je lui en dois deux de chemises. Je me souviens bien lui avoir en effet arraché les boutons avec les dents, même si je ne l'admettrai jamais devant elle.
Et puis Noël n'est pas loin.
Je soupire en entrant dans le magasin.
OK, une chemise en soie noire, une chemise en soie bleue et une chemise en soie cuivrée plus tard, je ne me sens plus coupable. La cuivre va lui aller super bien. Mais qu'est-ce qui m'arrive? Remets-toi, Kels, bon Dieu.
Je réarrange mes paquets et me dirige vers la voiture. Je mets tout ça dans le coffre, puis je fais le tour pour poser mon sac sur le siège du passager, où je trouve la boîte de fleuriste en aluminium noir.
Ma main tremble un peu ; je sors la carte de la boîte. Je sais ce qu'elle contient avant même de la lire. Ce petit jeu est allé trop loin. Je regarde autour de moi pour essayer de voir qui a bien pu mettre ça là, tout en tirant la carte de la boîte. "Nous sommes faits l'un pour l'autre. Ne le vois-tu pas ?"
Oh mon Dieu ! Je ne m'attendais pas à ça.
J'ai les mains qui tremblent franchement maintenant ; je soulève le couvercle de la boîte. Une douzaine de roses rouges. Ou, pour être plus précise, une douzaine de roses rouges mortes, qui ont presque viré au noir.
Je ne sais pas si je dois être morte de trouille ou avoir la nausée. Je replace le couvercle sur la boîte et monte dans la voiture.
Je reste assise là pendant un moment, à prendre de longues inspirations. Mes mains sont agrippées au volant comme si la voiture allait me protéger. Je jette un coup d'œil vers la boîte puis je tourne la clé dans le contact.
Mon portable se met à sonner, me faisant sursauter, et je tends la main vers mon sac. Je prends le téléphone et l'ouvre, tout en essayant de prendre une voix à peu près normale.
"Stanton."
"Kels, c'est Harper", me dit-elle, comme si c'était nécessaire, comme si je n'allais pas reconnaître sa voix.
"Oui…" j'arrive à articuler tout en regardant à nouveau la boîte.
"Il faut que tu reviennes au studio pour une heure à peu près."
"Euh… OK… je… je serai là dans vingt minutes", j'arrive à bafouiller tout en essayant de contrôler ma respiration.
"Ça va ?"
"Oui." J'arrive enfin à faire rentrer de l'air dans mes poumons et je lui mens. "Ça va. Je te retrouve dans vingt minutes."
Je m'assure de remonter la capote et de verrouiller la Mercedes, puis je la laisse sur ma place de parking dans le garage, rassurée de savoir que la caméra de sécurité passe toutes les trente secondes. Je prends l'horrible boîte noire, avec la ferme intention de m'en débarrasser le plus rapidement possible.
Lorsque les portes de l'ascenseur s'ouvrent, je rentre droit dans la cabine sans regarder et je me cogne dans un mur humain. Je pousse un petit cri tout en sursautant en arrière, ne comprenant pas trop ce qui se passe, et je sens une main se refermer sur chacun de mes bras.
"Kels, ça va pas ?"
Soudain, je comprends que le mur est ma partenaire et que ses mains m'empêchent de tomber en arrière, comme j'étais sur le point de le faire.
"Hein ?" Je cligne des yeux pour essayer de me concentrer.
"Ça ne va pas ?"
"Je ne sais plus, Harper." Je lève les yeux vers elle. J'ai besoin de faire confiance à quelqu'un, et il fut un temps où on se faisait confiance, toutes les deux.
Je lui tends la boîte noire.
Je prends la longue boîte noire de ses mains et je lève un sourcil. "C'est pas de la part du toubib pour les petits zenfants, hein ?" je demande, sarcastique. Je ne suis toujours pas dingue de cette Susan. Mais quelque chose dans les yeux verts qui m'observent me crient que l'heure n'est pas à la plaisanterie.
"Non. Le noir, c'est pas son truc."
J'ouvre la boîte, alors que les portes de l'ascenseur se referment derrière moi. Nom de Dieu.
"Ni les fleurs mortes", continue Kelsey. Elle tremble. "Lis la carte."
Je regarde autour de nous dans le garage ; ce décor ne me plaît pas. "Viens, on rentre, OK ?" J'enveloppe ses épaules de mon bras et j'appuie sur le bouton de l'ascenseur avec la main qui tient la boîte de roses desséchées. Mes instincts protecteurs sont de retour, et j'oublie très facilement nos discussions plutôt froides de ces dernières semaines.
Gail est plantée devant le bureau de Kelsey, exigeant l'attention de sa patronne, alors je la fais fuir d'un regard noir. Kelsey n'a pas dit un mot dans l'ascenseur, évitant de regarder la boîte noire. A présent, elle quitte la protection de mon bras pour aller s'asseoir derrière son bureau. Je ferme la porte derrière nous.
"Lis la carte", chuchote-t-elle à nouveau.
Les mots que je lis me font frissonner de peur, juste avant que la colère me prenne. "C'est le premier dans ce genre ?" je fais, brusquement.
Kelsey refuse de croiser mon regard. "Oui. Les autres, c'était plutôt des trucs mignons, comme quelqu'un qui m'admirait de loin."
"Tu les as tous gardés ?" Ma voix est toujours sèche. Je suis en train de laisser mes émotions m'emporter, et c'est elle qui prend tout.
"Non."
"Quoi ?"
"Non. J'ai jeté les premiers."
Je grogne de frustration. "Mais qu'est-ce qui t'a pris, bordel ? Ce sont des pièces à conviction."
Elle inspire profondément, et finit par lever les yeux. "S'il te plaît, ne me crie pas dessus", chuchote-t-elle. "Je n'en ai parlé à personne. Je croyais que c'était une passade inoffensive. Je ne voulais pas répondre, il n'y avait pas de signature ni rien d'autre sur les cartes, alors je les ai jetées. Je ne voulais pas que Susan les trouve et aille croire que je voyais quelqu'un d'autre. Harper, je t'en aurais parlé, mais…" Elle ne finit pas sa phrase.
Je secoue la tête, m'en voulant de m'être emportée. Elle est prête à me faire à nouveau confiance, à me laisser l'aider avec quelque chose qui lui fait peur, et je lui gueule dessus. "Je suis désolée. Mais je m'inquiète pour toi", je fais doucement. "Il faut qu'on appelle la police."
"Tu crois ? C'est peut-être une mauvaise blague. Je ne veux pas en faire une montagne."
Je prends la chaise de l'autre côté du bureau, tournant la chaise avant de m'asseoir à califourchon dessus, les coudes appuyés sur le dossier. "Laisse-moi au moins parler à des copains flics et leur demander ce qu'ils en pensent. Ils voudront peut-être te poser des questions."
Elle reste silencieuse un long moment, son doigt traçant une ligne invisible sur le sous-main de son bureau. "Je suis sûre que ce n'est rien, Harper."
"Gourou, tes paroles et tes actes ne coïncident pas. Cette personne t'a vraiment secouée. Il faut qu'on fasse quelque chose."
"OK", acquiesce-t-elle en hochant la tête.
"Tu as remarqué quelqu'un qui te suivait ? Peut-être à la gym ou un nouvel employé dans ton immeuble ?"
"Non."
"Des coups de téléphone ?"
Kelsey est bien trop silencieuse après cette question.
"Nom de Dieu, Kels", je m'exclame avant de me rappeler que je dois rester calme. "Combien de fois ?"
"Je sais pas", fait-elle en haussant les épaules. "Il n'y a personne au bout du fil. En général, il raccroche, ou parfois il ne dit rien et je finis par raccrocher."
"Tu as la Présentation du numéro ?"
"Non."
Je lève les yeux au ciel, exaspérée. "Tu as essayé le numéro de rappel pour les appels manqués ?"
Elle fronce un peu le nez, ce qui est tout à fait charmant chez elle. "Ils te font payer pour ça. Quelle arnaque."
"Kels, c'est sérieux. Cette personne sait où tu habites. Tu as reçu des cadeaux chez toi aussi ?"
"Ouais."
"Erik est toujours en tournage, alors tu es toute seule ?"
"Ben, il y a Susan", dit-elle pour aider, ce qui me retourne aussitôt l'estomac.
J'ai horreur de parler de Susan. Pourquoi est-ce qu'on n'arrête pas de parler d'elle ? "Oh, ça va aider, ça. Elle se sert d'une spatule à langue pour gagner sa croûte."
Kelsey croise mon regard et sourit presque à ma remarque. "Toi, tu te sers d'une caméra pour gagner ta croûte."
"Exact", je conçois, "mais ça fera beaucoup plus mal quand j'en foutrai un grand coup à ce salopard. Une spatule, c'est nul."
"Je ne dirais pas nul, quand même", réplique-t-elle avec un regard concupiscent.
Je ne veux surtout pas savoir. Mais au moins, elle plaisante. Enfin, j'espère qu'elle plaisante. Une spatule à langue ?
"Tu crois que c'est un mec ?" demande-t-elle, lorsqu'elle voit que je ne mords pas à l'hameçon.
On a parlé de ça lorsque les premières fleurs sont arrivées ; j'en m'en souviens vaguement. "C'est l'impression que ça me donne", j'admets. "Je ne sais pas pourquoi."
Elle hoche lentement la tête mais ne fait pas de commentaire.
"Qu'est-ce que tu as reçu d'autre ? D'autres trucs dans ce genre ?"
"Non." Elle se lève et s'étire, les bras tendus au-dessus de sa tête. J'essaie de ne pas trop remarquer à quel point ça accentue ses atouts. "Des fleurs. Des animaux en peluche. Une boîte de chocolats."
"Tu les as mangés?"
Elle fait une longue pause et me lance un regard meurtrier. "Je ne suis pas complètement conne, Harper."
Oui, c'est vrai. "Où est le reste des cadeaux ?"
"Je crois que j'ai toujours un des nounours. Il est à l'appart. J'ai foutu tout le reste à la poubelle."
On se regarde à nouveau un long moment. Elle a l'air plus calme, elle ne tremble plus en tout cas. "Bon, voilà ce qu'on va faire. Je vais passer prendre le nounours ce soir et j'irai discuter avec mes potes." J'ai besoin d'une soirée au Rio, de toute façon. Quand je sors, je passe moins de temps à penser à Kelsey et mon clone toutes nues dans les bras l'une de l'autre.
"OK."
"Tu as peur, Kels ?"
Elle fait un geste de la main, comme si cela n'avait pas d'importance. "Nan, je suis sûre que ce n'est rien." Elle ment. On le sait toutes les deux, mais ça ne servirait à rien de le lui dire.
Sans réfléchir, je me lève et viens jusqu'à elle avant de la serrer dans mes bras. On ne s'est pas touchées comme ça depuis Omaha, mais je me souviens que ça l'avait réconfortée. C'est ce que je veux en ce moment. Elle se raidit un instant avant de se détendre et d'entourer ma taille de ses bras. Je pose la joue contre ses cheveux dorés. "Je te promets que je ne laisserai personne te faire du mal."
"Je sais", chuchote-t-elle. "Je te crois."
Et puis le moment disparaît et elle s'écarte de moi. Les murs remontent aussitôt et elle se transforme en Ms Professionnelle. Je n'aime pas trop Ms Professionnelle, mais j'ai beaucoup de respect pour elle. "Alors, pourquoi tu m'as appelée tout à l'heure ?"
Gary est là quand j'arrive. Il est toujours là. Il faut vraiment qu'il trouve autre chose à faire de son temps.
J'ai appelé Justin et Bear et je leur ai demandé de me retrouver sur place. On n'a pas poker ce soir, alors je n'étais pas sûre qu'ils seraient là. Je jette un coup d'œil et vois qu'ils ne sont pas encore arrivés.
Je m'assieds sur le tabouret à la droite de Gary, et tends la main par-dessus le bar pour attraper une cerise que je m'empresse d'avaler. Le barman me donne une tape sur la main, mais c'est plus par jeu que pour me punir.
"Whiskey ?" demande-t-il.
"Une bière. Une brune pression." Je n'ai pas réussi à boire un seul whiskey depuis Omaha. J'ai essayé la semaine d'après, mais tout ce dont je pouvais me souvenir, c'était le goût que ça avait sur la langue de Kelsey. Mon Dieu, ce que je ne ferais pas pour y re-goûter. Je me demande si tout chez elle est aussi bon. Mais je sais bien que oui.
"Ça va ?" Gary interrompt mes pensées qui n'ont rien de chastes. Il vaut mieux, remarquez. Penser à Kelsey de cette façon, ça ne m'apporte rien, à part encore plus de frustration. Et je n'ai pas envie de repartir avec quelqu'un ce soir.
Je pose un nounours en peluche bleue sur le bar, après l'avoir sorti de ma veste en cuir où je l'avait fourré.
Gary le regarde d'un air perplexe, puis se tourne vers moi. "Tu as fait mieux, question rencard. La semaine a été dure ?"
Oh, ce qu'il est drôle, ce con-là. "Ça te dit quelque chose ?"
"Ça devrait ?"
Je hausse les épaules. "Une amie à moi n'arrête pas de recevoir des trucs bizarres de la part d'un admirateur secret. C'était un des cadeaux."
"Pas si bizarre que ça", répond-il tandis que je prends une gorgée de la bière qu'on vient de poser devant moi. "Tu sais, Harper, parfois les gens courtisent les gens avec qui ils veulent sortir. Tout le monde ne peut pas claquer des doigts et trouver quelqu'un de tout nu qui leur tombe dans les bras."
Je ne peux retenir un sourire suffisant. "Ouais, mais si ça marche…"
"On va pas se plaindre", finit-il. "Tu l'as dit." Il secoue la tête, admiratif.
"Le cadeau du jour, c'était une boîte de roses mortes et un mot vraiment sinistre."
J'ai à présent l'attention de Gary. Il pose sa bière avec un bruit sourd. C'est alors que Justin et Bear débarquent. Je fais un récapitulatif pour eux, montrant du doigt le nounours bleu avec le sourire idiot.
"C'est qui, ta copine ?" Justin demande en faisant signe au barman.
J'hésite un instant. C'est absurde de vouloir protéger son identité ; je sais qu'elle est en sûreté avec ces gars-là, tout comme leurs secrets de poker sont en sûreté avec moi. "Kelsey Stanton."
Gary s'arrête et me regarde tout à coup ; la cacahuète qu'il vient de lancer dans sa bouche rebondit sur sa joue. "Tu déconnes."
"Non."
"Elle est trop connue, Harper ; ça pourrait être n'importe qui", fait remarquer Justin.
Merci, vieux. "Je sais."
"Elle est tellement froide. Pas étonnant que le nounours soit bleu." Gary aurait dû comprendre que ce genre de commentaires, il peut se les garder. Je lui lance un regard noir, pour le lui rappeler.
"Tu as le message ?" demande Bear, détournant mon attention.
Je le sors de la poche de mon jean et le lui passe. J'ai mis la carte dans une pochette en plastique, même si je ne m'attends pas trop à ce qu'on trouve des empreintes dessus. Je regarde la mâchoire de mon pote se serrer, et ça m'inquiète.
"Je peux le garder ?"
"Oui."
"Elle veut bien parler à la police ?"
"Oui", j'acquiesce. "Mais elle a un peu la trouille. Elle fait comme si de rien n'était, mais ces roses mortes, elle les a trouvées dans sa voiture. Elle a aussi reçu des trucs chez elle et au boulot. Ce type est tenace."
"Elle a gardé les autres cadeaux ?" Bear est beaucoup plus intéressé que les deux autres. Bien sûr, c'est normal, étant donné son job.
"Juste l'ours et les roses. Je n'ai pas apporté les roses mais elles sont dans mon bureau. Je peux te les apporter demain."
"Oui, j'aimerais bien", dit-il sérieusement.
Il m'inquiète. J'ai quitté l'immeuble de Kelsey juste quand Susan arrivait, mais je ne compte pas sur le docteur pour protéger ma partenaire. Elle saura la distraire, ça oui, mais pas la protéger. Je jette un coup d'œil aux deux autres et ils n'ont plus trop l'air intéressés, préférant une redif de Alerte à Malibu sur la télé du bar. C'est des mecs, après tout ; je les excuse pour leur manque de concentration prolongée.
"Tu viens ?" je fais à Bear, et il hoche la tête, poussant sa bière un peu plus loin sur le comptoir, avant de me suivre et de sortir avec moi dans la nuit noire et chaude.
"Qu'est-ce qui se passe, bordel, Bear ?" je demande une fois qu'on est seuls, enfin, à part Snake. Le gigantesque videur nous sourit, dent manquante bien affichée, dès qu'on sort. "Je me disais que c'était inquiétant, mais je ne m'attendais pas à ce que tu réagisses comme ça."
Il soupire et a l'air de réfléchir à sa réponse. "Tu sais cette affaire sur laquelle je bosse… les viols et les meurtres ?"
"Ouais ?"
"Une des femmes, la deuxième… on a trouvé un message écrit à la main sur les lieux du crime. C'était incompréhensible : des noms de rues et des commentaires sans queue ni tête. On pense qu'il a écrit tout ça pendant qu'il la suivait."
"Et alors ?" Je n'aime pas trop la tournure qu'est en train de prendre cette conversation.
"Ecoute, je suis pas graphologue. Et c'est même pas la même couleur d'encre ou le même papier, mais il y a quelque chose dans la note de ta copine qui me chiffonne. J'aimerais bien que notre analyste y jette un coup d'œil."
"Arrête tes conneries, Bear", je fais en riant brusquement. "C'est juste un mec jaloux d'elle et d'Erik. Un type qui l'a vue quand elle présentait le journal et qui la regarde faire les reportages maintenant. C'est un malade, oui, mais pas un violeur. Pas un meurtrier." C'est lui ou moi que j'essaie de convaincre, là ?
Il rit doucement et hoche la tête. "Tu as sans doute raison, Harper. Je suis paranoïaque. Ces crimes… ces femmes… c'était vraiment brutal. Je veux vraiment coincer le type et je vois des indices partout. Laisse-moi juste faire vérifier la carte. Je ne suis même pas sûr que ça ait un rapport. Mais on dormira mieux tous les deux, non ?"
"Ben, moi oui, mais je parie que tu espères que c'est le même type." Je ne suis pas idiote. Je sais que Bear serait super content s'il pouvait surveiller une victime potentielle de son tueur.
Bear s'arrête tandis qu'on revient vers le bar et me regarde. Son grand visage est étrangement expressif. "Harper, j'espère que c'est pas lui. Je ne voudrais pas que ton amie se retrouve associée à un type pareil."
Je sors un billet de cinq dollars de ma poche et le fourre dans sa main. "Paie pour ma bière." Je donne un coup de poing amical sur le bras épais de Snake. "Merci de veiller sur mon bébé."
Snake hausse les épaules. "Tout le monde a besoin de quelqu'un qui veille sur lui."
Tu l'as dit. Et j'espère qu'il ne va pas faire trop froid ce soir, parce qu'on dirait que je vais passer la nuit devant l'immeuble de Kelsey.
La première chose que je remarque en arrivant au bureau, c'est que Harper a une tête de déterrée. Elle a tiré ses cheveux en une natte serrée et ses yeux sont hagards. Elle boit du café comme si c'était de l'eau et j'ai peur de l'avoir mise encore une fois en pétard.
La raison pour laquelle je peux aussi bien l'observer, c'est parce qu'elle est assise sur ma chaise, les pieds sur mon bureau.
"On a un gros reportage ?" je demande en guise de bonjour.
Elle secoue la tête. "Tu vas bien ?"
Je crois que ça nous surprend toutes les deux. Elle a l'air épuisée et apparemment, ses défenses sont inopérantes. "Ça va bien."
"Pas de cadeaux ou de coups de fil ? Rien ?"
"Non." Elle commence à m'inquiéter et ça doit se voir sur mon visage.
"Je suis désolée", soupire-t-elle en se levant. "Gail va t'apporter ton thé. C'est dingue, il a fallu que je lui demande ! Elle est complètement conne ou quoi ? Même moi je sais que tu prends du thé tous les matins."
Je fais un geste de la main ; ça n'a pas d'importance. Gail, elle a pas fait l'ENA, ça, c'est sûr. "Merci." Elle hoche la tête.
"Tu as parlé à tes copains flics ?"
Elle s'immobilise un instant, ses yeux bleus écarquillés. "Un peu. Ils vont vérifier deux-trois trucs. Rien d'important."
"OK." Je l'observe un long moment. Je ne crois pas avoir jamais vu Harper aussi tendue. Ses longs doigts n'arrêtent pas de tripoter nerveusement la tasse dans sa main. "Ça va ? Je sais que tu as plein d'amis à qui parler, mais… je veux que tu saches que tu peux me parler à moi aussi. Si quelque chose ne va pas. J'essaierai de t'aider." Mon Dieu, j'ai l'air d'une imbécile. Les conversations de ce genre avec les amis, c'est pas mon truc. Pas étonnant que j'en ai pas, des amis.
Son regard s'adoucit aussitôt, mais l'inquiétude est toujours là. "Ça me fait très plaisir, Kels. Vraiment. Ça veut dire beaucoup pour moi. Mais ça va. J'attends un coup de fil, et je suis un peu nerveuse, c'est tout. Je ferais mieux de retourner dans mon bureau."
Elle est peut-être à tomber, mais je suis soulagée de savoir qu'elle est aussi bizarre que le reste du commun des mortels.
"Harper ?"
"Bear." C'est pas trop tôt. Il est presque midi. "Alors ? Le message ?"
Il ne perd pas de temps. "C'est pas ça. Tu peux respirer. Complètement différent."
Jésus, Marie, Joseph. Je me sens tout de suite soulagée. "Merci."
"J'aimerais quand même voir les roses. Ta copine a quand même un barge qui la suit partout."
"Ouais. On se retrouve pour le déjeuner ? Tu pourras lui parler directement", je propose, espérant que Kelsey n'a rien prévu avec Susan. "Et ne parle pas des soupçons de hier soir. Je ne lui ai rien dit."
"Pas de problème", acquiesce-t-il. Il accepte de passer d'abord à la chaîne.
Kelsey n'est pas aussi enthousiaste que ce que j'avais espéré.
"Tu fais quelque chose à midi ?" Je demande, mine de rien, essayant de comprendre sa réticence. C'est moi ? Je croyais qu'on avait passé ce stade. Enfin, du moins, je l'espérais.
"Non", dit-elle lentement.
"C'est purement business, Kels", je fais brusquement, me permettant de m'enflammer un peu devant son rejet. "Et mon copain sera là. Alors je saurai garder mes mains dans mes poches."
"Non", fait-elle rapidement en se levant. "Non, Harper, ce n'est pas ça." Elle passe la main dans ses cheveux et je sais qu'elle essaie de réunir son courage pour me dire quelque chose. "C'est juste que… si ce type me suit, je ne veux pas qu'il me voit parler à la police. Ton copain est passé à la télé avec tous ces meurtres et je ne veux pas que mon admirateur pense que j'ai cafté aux flics."
Je comprends un peu mieux sa peur maintenant. "Bien sûr, tu as raison. Je suis désolée." J'essaie mon plus beau sourire en coin, sachant que je n'aurais pas dû me mettre si vite sur la défensive. On essaie dur toutes les deux.
"Je peux lui parler ici ?"
"Oui. Je suis désolée, Gourou. J'aurais dû y penser." C'est vrai que j'aurais dû. Comment je suis censée garder les promesses que je lui ai faites si je n'arrive plus à réfléchir après une malheureuse nuit blanche ? J'ai eu des tas de nuits blanches avant. Bien sûr, je les avais passées à m'engager dans des activités stimulantes, pas à attendre, assise sur un parapet avec un thermos de café. Il faut croire que les activités stimulantes l'étaient davantage que le Maxwell Qualité Filtre. J'en suis sûre, en fait. Je suis toutefois contente de pouvoir témoigner du fait que Susan n'a pas passé la nuit avec Kelsey. Elle est partie un peu avant minuit et je me suis même retenue de lui fourrer une banane dans le pot d'échappement. Tiens, encore un truc qui a l'air dégueu mais ne l'est pas.
"Et si on commandait une pizza", suggère Kels. "C'est moi qui régale."
On dirait qu'elle m'a pardonnée.
Bear sourit nerveusement lorsque je lui présente Kelsey. "Ravi de vous rencontrer", réussit-il à bafouiller, tout en rougissant jusqu'à la racine des cheveux.
Kelsey lui sourit poliment, de toute évidence habituée à ce genre de réaction. "Merci d'être venu, Détective Brice."
"Appelez-moi Ted, je vous en prie."
"Non, appelle-le Bear", je fais. Je montre du doigt les deux pizzas qui attendent sur mon bureau. "Allez, mangez pendant que c'est chaud."
On s'installe autour du bureau pour se gaver de pizza. Elle est au peperoni, saucisse et bœuf. Kels fait la grimace lorsque je prends la première tranche et la porte à ma bouche. Je m'arrête, la bouche pleine. "Quoi ?"
"Y a-t-il encore quelque chose sur quatre pattes qui soit en sécurité avec toi dans les parages ?"
"Chér, même sur deux pattes, c'est pas en sécurité avec moi dans les parages", je réponds, avec mon sourire le plus concupiscent.
"Passe-moi une tranche", fait Kelsey, me surprenant. Qui aurait cru qu'elle pouvait flirter ? Elle flirtait, là, non ?
Bear rigole doucement me voyant mal à l'aise. "Ms. Stanton, quand avez-vous commencé à recevoir ces cadeaux ?"
"Appelez-moi Kelsey. Ça a commencé le lendemain de la cérémonie des prix du public… une douzaine de roses et une carte."
"Et combien en avez-vous reçu depuis ?"
"En gros tous les deux jours, depuis les trois dernières semaines. Des fleurs, des chocolats, des peluches, des ballons, des petits livres de poésie, ce genre de trucs. Tous avec la même carte : 'De la part d'un admirateur secret.' Jusqu'à hier où il a mis les roses mortes dans ma voiture." Elle frissonne, et ce n'est pas de froid.
"Tu as toujours la première carte, Kels ?" je demande, en me souvenant qu'elle l'avait mise dans le tiroir de son bureau.
"Je crois, oui. Tu veux que j'aille la chercher ?"
"Ça serait vraiment utile, si vous pouviez, Ms… Kelsey."
"Excusez-moi", dit-elle en s'essuyant la bouche et les mains. Je la regarde sortir, remarquant au passage les proportions parfaites de son corps. Bon Dieu de Susan.
Bear me surprend à la reluquer, mais a le bon sens de ne rien dire. "Nom de Dieu, Harper, ça veut dire qu'elle a reçu plus de dix cadeaux de ce malade."
"Chez elle, ou ici, et même dans sa caisse. Il l'a appelée chez elle, alors qu'elle est sur la liste rouge."
"Il faut qu'elle se protège."
Ça me fait rire. "Je crois pas qu'elle ait besoin de capotes."
Il se met à rire lui aussi, soulagé de cette détente. "Je vais en parler à Greg Komansky ; il s'occupe de l'Unité de Gestion des Menaces."
"Tu parles d'un euphémisme."
"Ben, on pouvait pas l'appeler Tarés Anonymes, quand même."
Je me demande ce que peut bien fabriquer Kelsey. Je jette un coup d'œil vers son bureau et je la vois, recroquevillée sur sa chaise, en larmes. "Bear !" Je m'écrie en me précipitant vers son bureau.
Sur le sol sont éparpillées des photos d'elle, de moi, et d'Erik et de Susan. Elle serre dans sa main une carte. Je la lui prends, essayant de n'en toucher que les coins, et je la repose sur le bureau. Elle dit : "Tu m'appartiens."
"Viens là", je fais tout en la prenant dans mes bras. Elle se blottit aussitôt contre moi. Les limites disparaissent au cœur de la crise, comme c'est toujours le cas entre nous. Je la serre fort contre moi, et la berce doucement, tout en chuchotant des mots apaisants à son oreille.
Bear est en train de ramasser les photos d'une main gantée. Il a la trouille, je le vois bien. Et il est pas le seul.
"Il faut qu'on fasse venir Komansky, et tout de suite, Harper. Je veux un rapport écrit. Il faut qu'elle commence à écrire un journal des incidents et qu'elle nous les signale tous. Et il est aussi temps de prendre un garde du corps."
"Non, pas de garde du corps", proteste Kelsey contre moi.
Je ne la lâche pas. "Si, un garde du corps. Moi."
"Toi ?" répète-t-elle.
"Moi."
Elle me regarde un long moment, ses yeux verts encore humides de larmes. "OK."
"Très bien. C'est réglé." Et ça veut dire pas de Susan. Enfin, j'espère.
Bear nous interrompt en se relevant. "Je vais emporter tout ça au poste, Harper. Je t'appelle plus tard."
"Merci, vieux", je fais par-dessus l'épaule de Kelsey. C'est si bon de la tenir comme ça.
Mais elle s'écarte bientôt de moi, essuyant ses larmes avant de tendre la main vers le téléphone. "Il faut que j'appelle Susan", explique-t-elle.
Et merde.
"Pour lui dire de ne pas venir ce soir. C'est dangereux."
"Oui, c'est dangereux", j'acquiesce aussitôt. Parce que si elle vient, je serai là. Dangereux pour elle, pas de doute.
"Merci, Harper."
"Hé, à quoi ça sert d'avoir une partenaire ?" Malheureusement, c'est toujours au sens non-sexuel du terme.
Je me retourne vers le dossier du canapé. Kels m'a offert la chambre d'amis, mais si je ne peux pas être avec elle, alors je veux être aussi près que possible de l'entrée de l'appartement.
Alors je me tape le canapé. Kelsey a bon goût et c'est plutôt confortable pour un canapé. J'ai dormi sur bien pire, avec et sans compagnie. L'oreiller, c'est un du lit de Kels et je dois bien admettre que ça me distrait tellement que je n'arrive pas à dormir.
Je reconnaîtrais l'odeur de son shampoing n'importe où, et c'est pas ça. Susan a dû être la dernière personne à se servir de cet oreiller. Je le balance à l'autre bout du canapé. Je roule en boule une des deux couvertures et je la place sous ma tête.
Je me retourne à nouveau et jette un coup d'œil vers la porte de la chambre, et remarque que la lumière est toujours allumée. Elle a laissé la porte légèrement entrouverte avant d'aller se coucher. Je regarde ma montre. Une heure du matin. Elle est allée se coucher il y a des heures.
Je me lève et m'avance jusqu'à la porte, avant de frapper doucement. "Gourou ?"
Pas de réponse. Je pousse la porte et je la trouve endormie. Elle est blottie tout contre les couvertures et, en m'approchant, je vois bien qu'elle a pleuré. Mon Dieu, elle doit être terrifiée.
Je sais que je ne suis pas fan de Susan, mais je ne peux pas non plus m'empêcher de me sentir coupable de ne pas la savoir là pour offrir à Kelsey le réconfort que je ne peux pas lui donner. Enfin, qu'elle ne veut pas que je lui donne, en tout cas. Dieu sait que je voudrais, moi.
Un livre est posé sur le lit à côté d'elle : Minuit dans le jardin du bien et du mal. Au moins, elle a excellent goût en matière de lecture. Rien de mieux d'un bouquin qui se passe dans le Sud profond. Toutefois, c'est peut-être pas le meilleur choix d'histoire en ce moment pour elle.
Je prends le livre et le repose sur la table de nuit, puis laisse mes doigts effleurer ses cheveux une seule fois. Ils sont aussi doux que dans ma mémoire et je m'attarde un peu plus longtemps qu'il n'est nécessaire. "Personne ne te fera du mal tant que je serai là, Kels. Je te le promets."
J'éteins la lumière, sors de la chambre et referme la porte derrière moi.
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Table des matières et suite.
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