LA FACE AVEUGLE DE L AMOUR26


LA FACE AVEUGLE DE L'AMOUR

 

 

 

par Dreams

 

 

Traduction : Emilie (happymeal@hotmail.fr)

 

 

Table des matières

 

 

 

57

 

« Bon sang, tu vas sûrement répondre à celle-là, » marmonna Julianne en regardant la carte qu’elle venait de piocher. Elles étaient réveillées depuis des heures, et après un petit déjeuner de fruits et de croissants, Kris avait proposé de jouer à un jeu de société. Julianne n’avait acheté qu’un Trivial Pursuit, qui gagna par défaut.

 

Mais Kris avait changé les règles. Au lieu de gagner des parts de camembert à chaque bonne réponse, la gagnante pouvait poser une question personnelle à l’autre. Julianne avait appelé ce jeu « Une vérité intellectuelle ou un jeu de vérité » lorsque Kris avait annoncé son idée. L’artiste avait simplement sourit. Et maintenant, Julianne était sûre qu’on allait lui poser une question à laquelle elle ne voudrait pas répondre.

 

« Oooh ! C’est en rapport avec l’art ? » demanda Kris, excitée. « Génial. Pose ta question. »

 

Julianne se racla la gorge. « Quelle peinture de Botticelli est appelée par les agités ‘Vénus sur une demi-coquille’ ? »

 

Kris sourit. « La Naissance de Venus » répondit-elle avec un air confiant.

 

Julianne leva les yeux au ciel et remit la carte au fond du paquet. « Ok, vas-y grosse maligne. Que veux-tu savoir ? »

 

Kris prit un air pensif en cherchant une question. « Est-ce que tu as une tache de naissance ? »

 

Julianne se sentit rougir. D’où venait cette question ? « Oui, » admit-elle.

 

« Vraiment ? Où ça ? » demanda l’artiste curieuse.

 

Julianne s’apprêtait à répondre, mais elle secoua son doigt. « Non, non. Tu n’as le droit de poser qu’une question. Et c’est fait, et j’ai répondu. Alors c’est mon tour. »

 

Kris se plia à la règle avec un air de chien battu. « D’accord, mais je t’aurai la prochaine fois. »

 

Rassurée pour le moment, et espérant qu’il n’y aurait pas de prochaine fois, Julianne lança le dé. Elle atterrit sur une case verte. Elle grogna. « C’est une question de sport, pas vrai ? Je n’y connais rien en sport. »

 

« Tant mieux, » répondit Kris avec un sourire satisfait. Elle prit une carte dans le paquet et lu, « Quelle équipe de sport professionnelle est surnommée ‘les Bleus des Broadway ?’ »

 

Julianne réfléchit longuement. « Broadway… Ils sont de New York. Alors, euh, les New York quelque chose. Euh, les Braves ! »

 

Kris cligna des yeux. « C’est insultant. Les New York Rangers. » Elle reposa la carte au fond et secoua la tête. « Les Braves ? Ils ne sont même pas de New York. »

 

« J’ai mentionné que je n’y connais rien, pas vrai ? J’aurais juré l’avoir dit. »

 

Kris lança le dé en riant. « Jaune. »

 

« Donne-moi les noms des deux pères fondateurs qui ont orné les deux premiers timbres vendus aux USA en 1847 ? » demanda Julianne dans l’espoir que Kris était aussi douée en histoire qu’elle en sport.

 

« Benjamin Franklin, » répondit Kris. « Et… » Elle se gratta le menton. « George Washington ? » prononça-t-elle avec un doute.

 

Julianne fronça les sourcils. « Comment connais-tu ce genre de choses ? » demanda-t-elle, impressionnée malgré le fait qu’elle perdait.

 

« Vous auriez dû rester à l’école, Mademoiselle Franqui, » la taquina Kris. « Hmm, où en étais-je ? Oh, c’est vrai. Ta tache de naissance. Où se trouve-t-elle ? »

 

Julianne soupira. « Sur une fesse. »

 

Kris sourit. « Oh vraiment ? Intéressant. »

 

Julianne espéra alors que la prochaine question de Kris ne serait pas ‘quelle fesse ?’ Avec un soupir résigné, elle lança le dé et atterrit sur une case rose. « Oui ! Parfait. »

 

« Quelle pièce de Broadway a venu des billets à partir d’une machine diseuse de bonne aventure Zoltar à FAO Schwarz ? » lut Kris. (NDLT : FAO Schwarz est une chaîne de magasins de jouets aux USA.)

 

« Big, » répondit Julianne sans hésitation.

 

« Bon sang, » Kris jura.

 

Julianne se frotta les mains avec jubilation. « Hmm, que pourrais-je te demander ? » Ça devait être quelque chose de diabolique. Très diabolique. « As-tu déjà rêvé d’une femme avec laquelle tu étais plus qu’amicale ? »

 

Kris rougit en entendant la question et regarda obstinément le plateau de jeu. « Euuuh… Oui. »

 

Julianne était curieuse maintenant. « Oh vraiment ? Quand ? »

 

« Raté, tu as posé ta question. À mon tour, » contra rapidement Kris. « Bleu. »

 

Julianne leva les yeux au ciel. Elle aurait sa réponse au prochain tour. « Ok, quel pays d’Asie abrite la plus grande population musulmane au monde ? »

 

« Euh, » Kris regarda les alentours dans l’espoir d’y trouver la réponse. « La Chine ? »

 

« Tsk, tsk, Indonésie, » répondit Julianne. Elle lança le dé. « Jaune. »

 

« J’espère que tu es nulle en histoire, » marmonna Kris. « Qui a dit à Milk Wallace en 1964 : ‘Ils vont me tuer… J’en sais trop sur Elijah’ ? »

 

« Malcolm X, » répondit Julianne.

 

Kris leva les yeux au ciel. « Je te déteste. »

 

« Bien sûr. Alors, raconte-moi ce rêve ? » demanda Julianne avec un sourire.

 

Kris secoua la tête. « Je ne te dirai pas. »

 

« Alors tu devras accepter un défi, » annonça Julianne.

 

Kris accepta avec un soupir. « D’accord. Quel est le défi ? »

 

Il y avait tant de possibilités, pensa Julianne avec suffisance. « Je te mets au défi de danser avec moi dans un bar lesbien vendredi soir. »

 

Kris pencha la tête sur le côté, regarda Julianne avec curiosité, et sourit. « Ok, » répondit-elle. « Ça m’a l’air intéressant. Je croyais que tu allais me faire courir sur le palier avec une culotte sur la tête en criant ‘au feu !’ »

 

Les yeux de Julianne s’écarquillèrent et elle eut un sourire étincelant.

 

« N’y pense même pas, » l’avertit Kris avant de s’emparer du dé. Elle le lança. « Oui, rose. C’est parti pour l’art. »

 

« Quel film d’aventure de 1991 était d’abord prévu pour Meryl Streep et Goldie Hawn ? »

 

« Thelma et Louise » répondit facilement l’artiste. « Leigh m’informe sur ce genre de choses. »

 

Julianne marmonna dans son coin. « Ok, envoie. »

 

« Quelle est la dernière personne pour qui tu as craqué ? » demanda Kris.

 

Julianne se figea lorsqu’elle entendit la question. Elle voulait lui avouer. C’était tellement tentant. Mais elle ne pouvait pas. Elle ne voulait pas affronter les conséquences qu’entraînerait cette révélation. Elles semblaient se multiplier ces derniers temps. « Je plaide le cinquième amendement. »

 

« Oh allez. » tenta Kris. « Dis-moi. C’est Naomi, n’est-ce pas ? »

 

« Mes lèvres sont scellées, » répliqua Julianne à l’agonie. Comment le prendrait Kris ? Paniquerait-elle ? L’actrice n’était pas assez forte à cet instant pour le découvrir.

 

Kris soupira, déçue. « Ok. Alors je te mets au défi de t’inscrire à un site pornographique lesbien. »

 

Julianne la fixa. « Tu rigoles. »

 

« Non. C’est l’un ou l’autre, Sparky, » répondit Kris avec un sourire.

 

Julianne grogna et s’empara de l’ordinateur. « Je n’en reviens pas que tu me fasses faire ça. »

 

« Tu ferais bien de préparer ta carte de crédit, » ricana Kris. Elle traversa le lit en rampant, repoussa le plateau de jeu et s’installa derrière l’actrice pour distinguer l’écran. « Je dois superviser l’opération. »

 

Julianne fut distraite un court instant par la proximité de l’artiste. Elle voulait se reculer, sentir la douce chaleur qu’elle savait pouvoir trouver là. Au lieu de cela, elle se connecta à Google et entra les mots ‘porno lesbien’. Après une tonne de clics et de fermetures de fenêtres de pub, elle parvint à trouver un site où s’inscrire. « Si ça apparaît à la une de The Enquirer demain, je vais… »

 

« Tu vas quoi ? » Kris la défia avant de se pencher en avant pour poser son menton sur l’épaule de Julianne.

 

Je vais t’embrasser, Julianne pensa, son cœur battant à tout rompre dans sa poitrine. « Tu es chatouilleuse ? » demanda-t-elle soudain.

 

Kris se recula. « Euh non. »

 

« Bizarrement, je ne te crois pas, » annonça l’actrice en entrant le code de sa carte bancaire. Quelques secondes plus tard, elle s’était enregistrée. Tout un monde de pornos lesbiens s’offrait à elle. « Et que dois-je faire maintenant ? »

 

« Je suis sûre que tu trouveras de quoi t’occuper, » la taquina Kris en se déplaçant légèrement.

 

Julianne posa l’ordinateur sur le sol et se tourna vers son amie. « Comme quoi ? »

 

« Un truc à trois entre blondes à forte poitrine et dégoulinantes de sueur, » répondit l’artiste en riant.

 

« Je préfère les brunes, » contra Julianne avec un sourire. « Et comment connais-tu ces blondes ? Tu vas souvent sur ce genre de sites ? »

 

Kris hocha la tête avec un sérieux moqueur. « Ouaip. Je suis accro aux pornos. Tu as découvert mon vilain petit secret. » Elle éclata de rire. « La partie est terminée ? »

 

« Oui, je crois qu’on s’est suffisamment ridiculisées pour la journée, » répondit Julianne avant de fermer le plateau et de jeter les pièces dans la boîte. Elle arrangea le lit, s’allongea et leva les yeux vers l’artiste, assise en tailleur près d’elle. « Et maintenant ? »

 

« Je ne sais pas, » avoua Kris. « Je me suis bien amusée aujourd’hui. »

 

« Moi aussi, » répondit Julianne en espérant que Kris ne sous-entendait pas qu’elle devrait bientôt partir.

 

Kris la regarda, curieuse. « Hey, tu es chatouilleuse ? »

 

« Non, » Julianne mentit.

 

Un sourire malveillant s’installa sur les lèvres de l’artiste. « Oh, vraiment ? Tu es sûre ? »

 

« Souviens-toi que je suis plus grande et plus forte que toi, » l’avertit Julianne en se redressant. Il fallait qu’elle soit sur la défensive au cas où Kris tenterait quoi que ce soit.

 

« Plus grande peut-être, mais pas plus forte, » répliqua Kris.

 

« Je suis aussi la plus forte. »

 

« Prouve-le, » la défia l’artiste.

 

Julianne arqua un sourcil interrogateur. « Et comment veux-tu que je fasse ? » questionna-t-elle.

 

Kris parcourut la salle du regard, pensive. Puis elle s’illumina. « On va faire de la lutte. La première qui met l’autre à terre gagne. »

 

Elle veut me tuer ? se demanda Julianne. « D’accord, » elle accepta, parce qu’elle était masochiste. Une vilaine, vilaine masochiste. « Mais on le fait près du lit. Je ne veux pas te faire de mal quand je te battrai. »

 

Kris mit les yeux au ciel. « Tu es bien trop sûre de toi pour ton bien, » dit-elle en descendant du lit. « Je t’attends Sparky. »

 

« Pourquoi m’appelles-tu Sparky ? » Julianne demanda en quittant le lit à son tour.

 

Kris sourit. « C’est mignon. »

 

« Tu es tellement bizarre, » dit Julianne. « Alors, comment on s’y prend ? Je ne veux pas te blesser. »

 

« Je ne sais pas. Je n’ai encore jamais fait de lutte, » répondit Kris sur un ton léger. « Mais j’ai deux frères, alors je pense que j’ai l’avantage. »

 

Julianne rit. « Eh bien, c’est vrai. Je tenais ma sœur à distance avec des croix et de l’eau bénite. » Elle s’arrêta. « Ok, donc il suffit que je t’allonge sur le lit ? »

 

« Tu dois essayer, » corrigea l’artiste.

 

Julianne se gratta le menton, en pleine réflexion. Ok. Elle avança souplement et commença à chatouiller l’estomac de Kris. Comme prévu, Kris éclata de rire. L’actrice ignora ses supplications et déposa prudemment mais sûrement l’artiste sur le lit.

 

« Tricheuse ! » s’exclama Kris en se débattant pour échapper aux mains de Julianne.

 

L’actrice riait tandis qu’elle s’emparait des mains de Kris avec l’une des siennes et les plaquait derrière la tête de l’artiste. Julianne continua à chatouiller Kris de sa main libre. « Admets que je suis la plus forte, » ordonna-t-elle.

 

« Non ! » Kris refusa malgré son rire incontrôlable. « Tu triches ! » D’une manière ou d’une autre, elle parvint à libérer une de ses mains, et c’était tout l’avantage dont elle avait besoin. L’artiste se mit à chatouiller Julianne qui, distraite, oublia sa propre attaque. L’autre main de Kris fut libérée, et elle poussa l’actrice puis roula au-dessus d’elle. Elle rit et immobilisa les mains de Julianne avec les deux siennes. « Je gagne. »

 

Julianne riait, haletant pour reprendre son souffle, mais elle était toujours consciente que Kris était assise en travers de sa taille. « Tu gagnes, » admit-elle en souriant, tout en essayant de se concentrer sur autre chose que la proximité de Kris. Elle déglutit.

 

L’artiste la regardait, son rire s’atténuant en un gloussement. « Je ferais mieux de descendre de toi. »

 

« Toi, » annonça Julianne sans réfléchir.

 

« Pardon ? »

 

Tu es la dernière personne pour laquelle j’ai craqué. « Je ne sais pas, » répondit l’actrice gênée. « Je ne sais pas ce que je raconte. »

 

Kris sourit et relâcha les bras de Julianne. « Allons trouver de quoi manger. La perdante paye. »

 

« Logique, » Julianne accepta en remarquant que l’artiste était toujours au-dessus d’elle. Elle essaya de ne pas penser aux endroits où leurs corps se touchaient. Mais la bataille était perdue d’avance. Du baseball. De la neige. De l’eau glacée. Bill Clinton nu un jour d’hiver. Berk.

 

Kris sursauta brusquement, comme si elle réalisait tout juste qu’elle était restée là trop longtemps. « Désolée, » s’excusa-t-elle en rougissant.

 

Julianne remarqua un changement dans l’attitude de Kris et s’inquiéta de sa signification. Devinerait-elle mes sentiments ? Elle se redressa et essaya de déchiffrer l’attitude de l’artiste. « Désolée de quoi ? »

 

Kris ne répondit pas immédiatement. « De t’arracher à ta rêverie. »

 

« Eh bien, j’ai parfois besoin d’être ramenée sur terre, » répondit Julianne.

 

 

 

Des heures plus tard, Kris était étendue et regardait paresseusement son plafond. Des yeux, elle traçait des lignes suivant les étoiles phosphorescentes dans l’espoir d’y discerner une constellation accidentelle.

 

Pendant ce temps, une série de pensées diverses faisaient la course dans son cerveau. Elle en était malade. Elle aurait aimé trouver un moyen de les faire arrêter. Mais ses yeux continuaient de chercher de l’ordre dans le hasard.

 

La question sans réponse de Julianne la hantait. As-tu déjà rêvé… Oui, elle l’avait admis. Non, elle n’en dirait pas plus. Comment le pourrait-elle ? Comment pourrait-elle annoncer que Julianne était l’actrice principale; que tout au long de la journée elle n’avait cessé de repenser aux détails du rêve, partagée entre la honte et l’excitation.

 

Les yeux de l’artiste se fermèrent de leur propre chef, tandis qu’elle retombait dans le souvenir de ce rêve. La netteté de la scène lui assécha la bouche.

 

Kris se rappelait de bougies; des bougies blanches, lumineuses, entourant un grand lit. Tout le reste était sombre. On entendait une musique indéchiffrable, douce, venant d’un endroit éloigné et d’un autre plus proche. Kris ne parvenait pas à déterminer d’où provenait ce son. Peut-être que c’était son cœur qui chantait. Mais elle était seule. Non. Pas seule. Elle attendait.

 

Elle attendait.

 

Et soudain elle n’était plus seule. Julianne était là et la regardait de ses yeux bleus curieux. Elle semblait lui poser une question silencieuse. Et Kris ne savait pas si elle en connaissait la réponse.

 

Tout changea. Les bougies avaient disparu. La pénombre avait laissé place à la lumière de la lune qui enveloppait les mèches étincelantes de Julianne. Kris était ensorcelée. Elle voulait peindre cette scène. Mais les doigts de l’actrice sur ses lèvres lui firent oublier ses intentions.

 

Julianne parlait, mais Kris ne l’entendait pas. Elle était trop obnubilée par le mouvement des lèvres de l’autre femme. Pressées l’une contre l’autre puis séparées, murmurant des questions qui se trouvèrent confrontées à la toile de la mémoire de Kris.

 

Kris était parvenue à remarquer que lit était doux. Mais la peau de Julianne était plus douce encore lorsque l’artiste passa ses doigts sur le bras de l’actrice. Elle retira rapidement sa main, incertaine de ses actions, ses intentions.

 

C’est alors qu’elle vit de plus près les lèvres de l’actrice, qui s’approchaient avec une infinie lenteur, interminable et emplie de doutes. Mais Kris ne s’éloignait pas, ne pouvait s’éloigner. Puis l’espace les séparant disparut et elle sursauta lorsqu’elle sentit de douces lèvres effleurer brièvement les siennes.

 

Kris ouvrit les yeux, son cœur battant à tout rompre. Elle ne voulait plus penser à ce rêve, mais elle ne parvenait à s’en empêcher. C’était gravé dans son esprit; aussi vif que n’importe lequel de ses souvenirs.

 

Les étoiles à son plafond s’effacèrent jusqu’à disparaître. Ses pensées dérivèrent.

 

Elle aurait pu s’écarter pendant ce moment d’attente, de demande. Elle aurait pu allumer la lumière et briser la magie.

 

Mais les lèvres de Julianne étaient si attirantes. Et lorsqu’elles se posèrent à nouveau sur les siennes, elle se laissa aller. Elle oublia ses inquiétudes et ses doutes. À cet instant, elle s’abandonna au goût sucré de la vérité. Elle retourna le baiser avec passion, à la recherche de quelque chose dont elle ne pensait pas avoir besoin.

 

Puis le monde disparut lentement dans les ténèbres.

 

Kris ouvrit les yeux et alluma la lumière.

 

 

 

« Kris ? » William parut alarmé en trouvant sa demi-sœur à la porte de son appartement. « Il est arrivé quelque chose ? »

 

L’artiste le dépassa et entra dans l’appartement, confuse et troublée. Il y avait de la nervosité dans sa voix lorsqu’elle parla. « Je panique, » annonça-t-elle tandis que Mark sortait de la chambre. Il jeta un regard interrogateur à William, qui haussa les épaules.

 

Elle ne remarqua pas l’échange et continua. « En venant ici je me suis arrêtée au confessionnal de l’Église et puis je me suis dit ‘qu’est-ce que je fais là ?’ Je veux dire qu’on ne confesse pas ce genre de choses à un prêtre, pas vrai ? Il faut d’abord soi-même le reconnaître. Mais quand on le reconnaît, ça devient réel. C’est un fait. Tu ne peux pas revenir en arrière une fois que c’est annoncé au monde. » Elle se mit à faire les cent pas.

 

William et Mark l’observèrent en silence un moment. William prit enfin la parole. « Euh, Kris, » commença-t-il doucement, sa voix pâteuse de sommeil. « De quoi tu parles ? »

 

Kris s’arrêta assez longtemps pour regarder son audience. Elle soupira et s’assit sur le canapé. « J’ai ces pensées à propos de quelqu’un. » Elle s’arrêta, gênée et se sentant bête. Le fait qu’elle était assise ici lui paraissait irréel; une scène qu’elle imaginait; un scénario à base de ‘et si’ qui existerait et disparaîtrait dans son esprit, la laissant à l’abri de toute conséquence.

 

Mais elle savait que ce n’était pas une pensée passagère. Elle était au bord du précipice et s’apprêtait à y plonger. « Une femme, » murmura-t-elle en baissant les yeux.

 

Mark et William échangèrent un nouveau regard. « Je vais faire du café, » Mark annonça pour avoir une raison de s’éloigner. « Beaucoup de café, » il marmonna dans sa barbe.

 

William se rapprocha et s’empara d’une chaise. Il s’y assit avec un soupir. « Alors, quel genre de pensées ? » demanda-t-il.

 

Kris leva les yeux. « Ne me fais pas entrer dans les détails s’il te plaît. C’est déjà assez embarrassant comme ça. » Elle passa une main dans ses cheveux ébouriffés, remarquant pour la première fois qu’elle était toujours en pyjama. « J’ai rêvé qu’on s’embrassait. »

 

« J’ai rêvé que j’embrassais Cathy Evans du boulot, » annonça Mark. « Un rêve ne veut rien dire. » Il s’arrêta avec une grimace. « J’espère. Mon Dieu, et si j’étais hétéro ? »

 

William observa Kris avec inquiétude. « C’était seulement un rêve ? » il demanda.

 

« Oui, » répondit-elle. Puis elle secoua la tête. « Non. Il y a autre chose. » Elle se mordilla la lèvre inférieure. « Elle m’embrouille. Chaque fois que je la vois… Je veux… »

 

« Coucher avec elle encore et encore, » Mark proposa.

 

Kris redressa immédiatement la tête et rougit violemment.

 

« Mark, » le prévint William.

 

« N’essaie pas de me retenir» répliqua son petit ami en attrapant une autre chaise. Il l’approcha de Kris. Il repoussa quelques mèches blondes de ses yeux et se pencha. « Bon, ton frère est nul pour ce genre de choses. Alors je vais prendre le relais. Parle moi de cette fille. Elle est mignonne ? »

 

Kris sourit légèrement en imaginant quelqu’un décrivant Julianne comme ‘mignonne’. Elle réfléchit à sa prochaine phrase. « Elle est magnifique, » fut tout ce qu’elle put trouver. Des images et des photos qu’elle avait aperçues sur internet lui traversèrent l’esprit. Elle baissa instantanément les yeux de peur que ses pensées y transparaissent.

 

« Comment s’appelle-t-elle ? »

 

Kris estima combien elle pouvait en dire. « Julianne, » répondit-elle. Elle soupira. « Mais elle a un rencard Vendredi. Et je devrais être contente pour elle, parce que c’est une amie, mais je ne veux pas qu’elle sorte avec Naomi. »

 

« Oh, alors elle est gay ? » Mark demanda.

 

« Ouais, » Kris confirma. « Mais je ne l’intéresse sûrement pas. Enfin elle est… » Elle se mordit la langue pour ne pas en dire plus. Expliquer son coup de cœur pour Julianne Franqui ne serait pas facile. « Et je ne suis pas encore sûre de mes sentiments. Je ne sais même pas pourquoi je suis ici. Je n’arrivais simplement pas à dormir. Et je ne pouvais rien dire à Leigh. Elle paniquerait. »

 

« Tu es toujours la bienvenue ici, » lui annonça William.

 

Mark confirma de la tête. « Tout ira bien. Tu seras fixée un jour. Laisse toi simplement guider par les évènements. »

 

Que je me laisse guider. Bien sûr. Quelque chose fit irruption des sombres recoins de son esprit. « Anthony, » dit-elle, choquée d’avoir temporairement tout oublié de lui. « Je dois passer le week-end avec lui. »

 

« Eh bien, c’est pas mal, » dit Mark, pensif. « Il t’aidera peut-être à comprendre certaines choses. Je veux dire que si tu tiens vraiment à lui, alors peut-être que ce que tu ressens pour Julianne est un béguin passager. »

 

Oui, passager. L’adjectif plaisait à Kris. « Peut-être, » concéda-t-elle, rassurée de savoir que ses sentiments pourraient être temporaires.

 

Pourraient être.

 

 

***