La Maison de Lao (The House of Lao)
copyright Mai 2001
Traduction : Fryda (1er trimestre 2008)
Partie III
****************************************
Une heure plus tard, Gabrielle et moi sommes dans notre tente. Elle est plus petite que celle de Lao Ma, mais très riche en couleur et en texture. C’est un vrai souvenir de mon temps passé avec Borias, nous n’avions pas de maison, alors nous faisions de notre mieux sur la route. Qu’allions-nous faire de tout cet argent sinon vivre bien ? Tout est dans les tons orangés illuminé par la chandelle, depuis les hauts murs doux et arrondis de la tente, jusqu’au tas d’oreillers en soie multicolores que nous appelons ‘le lit’. Je regarde son dos, la façon dont la lumière de la chandelle joue sur ses muscles lorsqu’elle passe sa chemise par-dessus la tête, s’arrêtant soudain en laissant passer un grognement de douleur.
« Qu’y a-t-il ? » Je demande. Son dos est si beau. Ses bras. Ses cheveux.
« Rien, je dois m’être étiré quelque chose. C’est pas grand chose. »
« Laisse-moi voir », dis-je, en regardant sa peau. Un crucifix est tatoué juste sous son omoplate droite, des cicatrices dues à plus d’un coup de fouet. Alors que je m’approche à l’endroit où elle est assise sur les oreillers de notre lit, il me vient à l’esprit que c’est peut-être un piège ; qu’elle pourrait ne pas avoir mal du tout. Son corps, sexy, fort et si beau ; la blessure, juste un leurre pour m’attirer près d’elle. Je me mets à l’aise derrière elle et je verse de l’huile parfumée sur mes mains. Quand mes doigts touchent son dos nu, nous sursautons toutes les deux.
« Ça t’a fait mal ? » Je demande.
« Euh, oui », ment-elle. Ça n’a pas fait mal du tout. Je le sais. Je passe les mains le long de ses épaules et de son dos, en faisant pénétrer l’huile dans sa peau. Elle gémit et essaie de ne pas bouger sous mes mains là où je la touche. Les sons qu’elle émet m’excitent.
« Est-ce que ça va mieux ? » Je murmure dans son oreille après quelques temps.
« Oh oui », soupire-t-elle, « je veux dire, non, continue à me toucher. »
« A te masser ? »
« N’importe », murmure-t-elle, alors je laisse mes mains glisser le long de ses côtes jusqu’à ce qu’elles atteignent ses seins. Elle cambre le dos, pressant ses seins dans mes mains, ils trouvent leur place à la perfection. Elle grogne et murmure mon nom. « Combien de temps avant le lever du soleil ? »
« Des heures », je murmure, alors qu’elle se retourne et me regarde droit dans les yeux. Ses seins sont si beaux, avec la cicatrice juste au-dessus du cœur. « Embrasse-moi avant que je ne dise quelque chose de stupide. »
Gabrielle sourit, me poussant sur les coussins, avant de s'asseoir sur mon estomac. Je regarde les muscles de son abdomen bouger et soudain elle arrache ma chemise à deux mains. Je hoquette.
« Je te veux, Gabrielle. »
Elle fixe mes seins, aux restes de ma chemise noire à l’endroit où elle pend sur mes bras. Elle se penche et pose ses lèvres sur ma poitrine. Je gémis. Mon gémissement la fait sourire. Ce qui me fait sourire. Soudain, toutes les deux, nous n’arrivons plus à nous arrêter de sourire.
« Je pensais que la première fois pour une fille était sensée être un moment sérieux », dit-elle.
« Oh c’est tout à fait sérieux. Juste plaisant à plusieurs niveaux. »
Gabrielle me tient par les épaules et m’embrasse. Ce baiser est dénué d’amusement, aussi je le prends très sérieusement. Elle s’accroupit au-dessus de moi et presse mes seins contre les siens. Je gémis. Sa bouche sur la mienne, elle change de position pour s’allonger sur moi. Je vais à la rencontre de ses baisers, mes mains glissant sous son pantalon en cuir noir, massant ses fesses. Gabrielle grogne, explorant ma bouche avec sa langue. Son corps est bien plus musclé que le mien, je peux le sentir dans ses bras et même dans son estomac. Une femme aussi puissante est une chose excitante.
« Pantalon », murmure-t-elle. Il me faut un moment pour comprendre. Oui. Gabrielle se recule pour enlever son pantalon, en me fixant avec tant d’émotion que ça me fait littéralement mal au cœur. Je me souviens qu’elle n’a jamais fait ça avant.
« Tu es si belle, Gabrielle. »
« Tu dis ça sans arrêt. »
J’enlève mon pantalon, et les restes de ma chemise. Elle fixe mon corps, mon estomac, mes jambes, mes seins. Je peux voir qu’elle tremble alors qu’elle relève la tête pour me regarder dans les yeux.
« Si je suis belle, je ne pense pas qu’il y ait un mot pour ce que tu es, Xena », murmure-t-elle.
Nous nous regardons dans la lumière de la chandelle, Cette nuit pourrait durer une éternité pour ce qui me concerne. Je sais que ça n’est pas possible. Je sais que demain je pourrais être morte. C’est la vie.
« Où on en était ? » Je demande, sachant parfaitement où j’étais. J’étais sur le dos sous cette superbe gladiatrice blonde. Et soudain, me voici de nouveau en train de regarder ces yeux vert foncé. Elle les plisse en me regardant et se penche pour un autre baiser. Sa bouche sur la mienne, et son corps nu si près, m'entraînent si profondément dans l’excitation. Soudain je peux sentir son odeur et elle me submerge. Je tends la main et je l’attire vers moi, pressant ma cuisse entre les siennes. Gabrielle se presse contre moi, ses yeux s’ouvrent alors qu’elle gémit mon nom, puis se referment. Dieux, la façon dont je ressens son corps, sa peau sous mes mains, sa réponse, ma réponse, sa cuisse puissante qui presse en rythme entre mes jambes. Il pourra se produire n’importe quoi, mais ce moment est parfait.
Nous nous caressons partout. Ce que je ressens est merveilleux, explosif, doux, comme quand on mange quelque chose de si délicieux qu’on ne peut faire que murmurer « Mmmmmmm », encore et encore. Voilà ce que c’est que de faire l’amour avec Gabrielle. La chose la plus délicieuse.
« Gabrielle », j’écarte ma bouche de la sienne et je murmure à son oreille, « il y a des mots, des mots qu’il serait stupide de dire. »
« Oui », dit-elle, sa bouche suce fortement mon cou. Je grogne et me pousse contre elle.
« Je veux les dire », je murmure avec excitation, haletante, essayant de ne pas jouir tout de suite. Son corps est si bon. Je ne me lasserai jamais de la toucher. Elle est superbe.
« Oui », gémit-elle, en s’écartant pour me regarder, poussant encore plus rapidement contre ma cuisse, « dis-les ! »
« Je t’aime, Gabrielle… oooh ! » Et soudain, nous jouissons toutes les deux, fort et de manière incontrôlée. Gabrielle s’écarte de moi d’une petite distance, à l’endroit où se trouvent nos verres de vin. Elle boit, son dos face à moi.
« Gabrielle ? » Je demande, le cœur à la gorge. Comment quelque chose a-t-il pu tourner mal ? Est-ce que ce n’est pas la meilleure chose du monde qui vient juste d’arriver ? « Gabrielle ? » Elle ne répond pas. Je vais arranger les choses. « Tu pourrais me passer un verre de vin ? »
Gabrielle me verse un verre de vin et et met une chemise en soie autour de son corps. A quoi pense-t-elle ? Je peux prendre la mauvaise décision à un autre moment, mais visiblement, je suis très, très impliquée là. Qu’est-ce que Lao Ma a dit au sujet du Jeu des Questions ? Que la victoire était dans le jeu, dans le fait de dire la vérité.
« Savais-tu que la dernière fois que j’ai eu une relation physique, c’était il y a cinq ans ? Et tu veux deviner avec qui ? » Je demande, faisant semblant de ne pas être à moitié effrayée qu’elle me brise le cœur. « Ouais, Lao Ma. Quand je l’ai rencontrée, Borias était mon amant, mais après elle, il n’y avait plus de retour possible. Ni vers lui, ni vers personne. C’est difficile d’expliquer pourquoi elle et moi on s’est arrêtées de se partager de cette façon. Je présume que quand on le fait avec la bonne personne, il y a cette urgence que ce soit elle, que seul son corps, son cœur, son esprit puisse satisfaire ton désir. Ça a été la première personne pour laquelle j’ai ressenti cela, et après quelques années, ça s’est adouci, et c’est devenu autre chose. Mais Gabrielle, avec toi, je ressens cela, mais c’est plus puissant. C’est comme si tout l’amour que j’ai jamais ressenti était combiné et amplifié un millier de fois, et pourtant, c’est encore différent. » Je fais une pause. « Tu ne m’as pas entendue, n’est-ce pas, quand j’ai accidentellement utilisé le mot « amour » ? Je ne voudrais pas que tu te sentes… » Ma voix se brise et elle se retourne pour me regarder, souriant de son beau sourire, des larmes sur le visage. Et bien, je ne saurais pas vraiment quoi faire maintenant d’une femme avec des émotions moins intenses, non ?
« Je suis désolée, Xena. » Elle me regarde et commence à rire. « Je ne sais pas quoi dire. »
« Personne n’est parfait. Je suis sûre que je vais faire quelque chose de terrible bien assez tôt. On dit que je peux être scandaleusement manipulatrice. »
« Toi ? » Demande-t-elle en souriant.
« On va passer toute la journée à chevaucher demain. On a besoin de nos quatre heures. »
Je l’entoure de mes bras et j’essaie de m’endormir. Je viens juste de faire l’amour pour la première fois depuis des années, avec quelqu’un que je pourrais facilement aimer, qui pourrait m’aimer aussi en fait. En plus, on va à Rome affronter César ? C’est trop pour moi. Les scénarios affluent dans ma tête, ce qui pourrait arriver à Rome, à César, à moi, à Gabrielle. Je me rassure en me disant qu’il n’y a pas plus grande force de combat que nous quatre ; les capacités de Lao Ma dans la bataille sont au-delà de toute comparaison, vraiment. Mais si quelque chose tournait mal ? Si Gabrielle ne m’aimait pas vraiment ? Je me rappelle que j’ai le droit d’avoir une vie agréable. J’ai le droit aux bonnes choses. Malgré ça, je ne dors pas. Je complote et je planifie, j’imagine des batailles. Je sens les cheveux de Gabrielle et je me repasse en esprit tout ce que nous avons fait plus tôt. Chaque baiser, chaque toucher, je revis tout cela en esprit plusieurs fois. Et je me souviens de ce qui s’est passé après, qu’elle est toujours si sensible, qu’elle a beaucoup de travail à faire encore.
Gabrielle se réveille enfin, se retourne et me regarde. Un million de verts différents. Elle m’embrasse. Nous nous serrons plus fort, son corps nu dans mes bras est appétissant. Borias m’appelle à travers le mur de la tente. Je présume qu’on est encore une fois en retard.
Nous nous habillons rapidement, nous drapant de couches de coton noir et gris. Nous nous éclaboussons avec l’eau froide d’une jarre. Un autre jour sur la route. Je passe mes mains mouillées à travers mes longs cheveux noirs et je les secoue.
« S’il te plaît », me dit Gabrielle, en me faisant m’asseoir sur le bord d’un tronc. Elle commence lentement à me faire des tresses. Elle se tient si près de moi que je ne peux pas m’empêcher de tendre la main et de caresser sa jambe d’un air absent alors qu’elle tord des mèches de mes cheveux. Le simple contact de n’importe quelle partie de son corps sous ma main, quelles que soient les circonstances, est au-delà du désirable. « Quelle est la chose la plus importante que tu aies apprise de Lao Ma ? » Me demande-t-elle soudain.
« Au début, quand nous nous sommes rencontrées pour la première fois et que j'étais extrêmement résistante à ses enseignements, Lao Ma m’a dit un tas de choses que je n’ai comprises que bien plus tard. 'Conquérir les autres, c'est avoir du pouvoir. Se conquérir, c'est connaître la voie.' Je m’en souviens parce qu'à cette époque j’étais attirée par les mots « pouvoir » et « conquérir ». C’était un moment que Lao Ma avait créé pour moi, un tournant dans ma vie lié à un choix. Je l’ai déçue. J’aurais dû être capable de mettre l’idée de sauver mon âme au-dessus de celle de satisfaire mon désir de vengeance, et je ne l’ai pas été. Au lieu de faire sa fierté, j’ai fichu méchamment ses plans en l’air, et elle a fini par nous jeter sur les routes. Comme Borias te l’a dit, Ming Tsu était mort et son fils déclara la guerre à Lao Ma. Borias et moi, on était dans une taverne quand on a entendu la nouvelle, en train de lécher nos blessures, et de comploter pour nous venger. Je ne pense pas m’être sentie plus mal dans toute ma vie qu’à ce moment-là, et je me haïssais pour être dans cet état de faiblesse. Je la respectais tant et je l’avais laissé tomber. Mais elle était folle, non ? Je ne sais pas pourquoi j'ai dit les mots suivants si fort. Je ne peux pas imaginer ce qui serait arrivé à ma vie si je ne les avais pas dits, combien d’années encore j’aurais voyagé de par le monde à faire le mal. J'ai dit, « On devrait l’aider ». Borias a acquiesçé de la tête et dit, « Ce serait la chose la plus honorable à faire. » Et j'ai dit, « Alors faisons-là », et nous l'avons fait. »
« Alors tu t’es conquise toi-même », dit Gabrielle en finissant la première tresse avant de la poser doucement sur mon épaule. Elle me contourne et commence une tresse de l’autre côté de ma tête. J’aime ce que je ressens.
« Ouais, et au fur et à mesure que le temps passait, je l’ai fait de plus en plus. Elle m’a aidée à me rendre compte que ma colère contre César était de mon fait, pas du sien, qu’au lieu de me concentrer sur lui pour que ça fasse moins mal en quelque sorte, je devais me concentrer sur moi-même. C’est la leçon la plus difficile à apprendre mais elle est d’une grande aide tous les jours. »
« Tu te souviens toujours ? »
« Non. Souvent, j’oublie d’essayer de me contrôler. Souvent j’oublie de ne pas blâmer les autres. J’essaie d’accepter mes échecs quand ils arrivent. »
Gabrielle est maintenant derrière moi, assise sur le lit, et elle tient les deux tresses derrière ma tête. « Je n’ai rien pour les attacher. »
De l’autre côté de la pièce, il y a de fines cordelettes de cuir. Je les trouve avec mon esprit et je les soulève doucement. « Prête ? » Je lui demande, en faisant signe vers le cuir alors qu’il flotte dans la pièce vers nous.
« C’est stupéfiant, Xena. Tu peux le faire tout le temps ? » Demande-t-elle en attrapant le cuir avant d’en attacher un petit bout dans mes cheveux. Elle m’aide à me relever.
« Nan. C’est difficile. Mais je t’apprendrai si tu le veux. »
« Je veux apprendre », dit-elle, en se mettant sur la pointe des pieds pour m’embrasser sur les lèvres. Je lui rends le baiser avec passion et on entend la voix de Borias depuis l’extérieur de la tente qui nous appelle pour le petit déjeuner.
*********************************
Au petit déjeuner dans la tente de Lao Ma, la situation est moins tendue qu’elle pourrait l’être. Lao Ma n’est peut-être pas parfaite, mais elle a parcouru un long chemin dans la capacité à contrôler ses émotions. Parfois je me demande si c’est une bonne chose, mais qui suis-je pour remettre la maîtresse en question ? Borias me lance quelques regards qui montrent clairement qu’il soupçonne que quelque chose s’est produit entre Gabrielle et moi la nuit dernière. Je lui souris simplement. Je ne suis pas surprise qu’il puisse le voir, parce j’ai l’impression de pétiller à cause de ça. C’est notre dernier repas en tant que nous-mêmes ; avant de lever le camp, nous nous transformons en troupe de guerre de Borias. Maintenant il va chevaucher en tête, et toutes les femmes du groupe chevaucheront à l’arrière, sans armes et gardées, habillées toutes de la même façon de longues robes blanches, avec des capuches, des capes et des voiles. Les soldats portent des uniformes marron assortis et nous nous mettons en route.
Nous avançons rapidement, au nord de la route habituelle. Nous ne nous arrêtons ni pour manger ni pour parler de toute la journée, nous nous contentons de chevaucher. Ce soir, Borias dort dans la tente du chef et Lao Ma dort avec nous, ainsi que les trois servantes qui jouent les esclaves tout comme nous. Borias nous rejoint pour le dîner et fait les remarques attendues et pas drôles sur combien il a toujours voulu un harem. Il est si bête que Lao Ma rit pour la première fois depuis qu’elle a entendu dire que ses filles étaient en danger. C’est un son merveilleux.
Un éclaireur entre dans la tente et fait son rapport à Lao Ma, disant qu’il a trouvé quelque chose dans une ville proche. Il lui tend un grand morceau de papier. Elle sourit à sa vue et le retourne pour nous le montrer. « Plutôt ressemblant », dit-elle en blaguant, et ça l’est. Gabrielle rougit à la vue de sa propre affiche de recherche, et elle la prend quand Lao Ma la lui tend. Elle lit tout haut. « On recherche, esclave échappée d’une arène romaine, sexe féminin… tueuse extrêmement dangereuse… faible capacité intellectuelle… c'est effrayant. »
« C’est vraiment bien vu, en fait », dis-je, parce que ça l’est, mais je la fais rire et c’est ce qui compte.
« Je suis le chef de guerre Niklio. J’ai vu l’affiche de recherche et j’ai gardé l’image de la belle gladiatrice blonde à l’esprit toute la journée », dit Borias, « je ne pense qu'à elle, aussi au moment où je la vois, fouillant pour trouver de la nourriture derrière une taverne, je sais que c’est elle. »
« Fouillant pour de la nourriture ? » Demande Gabrielle. « Ça ne pourrait pas être plus héroïque ? »
« Non », dit-il en souriant. « Alors je l’ai capturée et comme je n’avais rien d’autre de prévu, je me suis dirigé vers Rome pour la récompense. »
« Ça me va », dis-je, me forçant à ne pas caresser Gabrielle. Chaque partie de son corps me donne envie de la toucher, pour une raison ou une autre.
Après le dîner, nous nous préparons tous pour aller au lit. Je suis allongée près de Gabrielle et aussitôt que les lumières s’éteignent, je l’attire dans mes bras. La tenir simplement silencieusement dans le noir dans une pièce pleine de gens… c’est un tel sentiment de paix. Quand je me réveille le matin dans la même position, je me rends compte que dans mes bras, elle n’a pas de cauchemars.
« Bonjour Xena », murmure Lao Ma.
J’ouvre les yeux pour la voir allongée sur un coussin, à me fixer.
« Bonjour. »
« C’est mignon tout plein », dit-elle en souriant à la jeune fille endormie dans mes bras.
« Tu es la seule qui peux s’en tirer après avoir dit ça, Lao Ma », je réplique. « J’ai encore trop dormi ? »
« Il est encore tôt. »
« Je pourrais aller chasser. On aurait bien besoin de viande fraîche. »
« Certainement. »
« Si je me souviens bien, tu ne manges pas de viande. Et pourtant récemment, j’aurais juré… »
« Je n’en mange pas. Il est possible d’aimer quelqu’un sans qu’un aspect sexuel soit impliqué, tu sais. »
« Vraiment ? » Je demande, avec une incrédulité amusée dans la voix.
« Oui, vraiment. Je ne peux pas expliquer ce que je ressens pour lui, Xena, comment cela s’est amplifié au fil du temps. Il serait facile de dire qu’il est mon âme-sœur, sauf que je ne suis pas sûre de croire en ce concept. »
« Je présume que c’est parce que j’imagine mal quelqu’un ne pas vouloir de sexe avec Borias », dis-je en blaguant. Elle rit avec moi.
« Bizarre, n’est-ce pas ? » Demande-t-elle comme si elle le pensait vraiment.
« On n’a pas besoin de nos permissions respectives, » dis-je.
« Je sais. »
Gabrielle commence à se réveiller, mettant fin bien à propos à cette conversation inconfortable. Une autre journée sur la route nous attend.
************************************
Et c’est ainsi que j’emmène Gabrielle pour sa première partie de chasse. La matinée est froide, aussi nous nous emmitouflons dans des couches de vêtements, arcs et flèches sur notre dos. Nous allons silencieusement vers le nord, dans l'unique but de trouver des cerfs. Elle est douée pour bouger furtivement, aucun brin d’herbe ne se brise sous ses pas. Après une heure de mouvements vers le nord, je sens quelque chose devant nous. Je montre le point de mon index avant de le poser sur mes lèvres. Gabrielle hoche la tête. Tandis que nous continuons à avancer avec encore plus de précautions, elle prend l’arc sur son dos, et je saisis l’odeur de notre proie sur la brise. Elle est humaine. Je secoue la tête en direction de l’arc et elle le replace, en me lançant un regard interrogateur. Je lui fais signe de se rapprocher de moi, ce qu’elle fait. Je lui murmure à l’oreille : « Un humain. » Il me faut beaucoup de volonté pour ne pas l’embrasser, mais il faut qu’on se concentre. Qui peut bien se trouver par ici au milieu de rien, par Hadès ? Gabrielle me suit de près et nous arrivons finalement à un endroit assez loin mais d’où nous pouvons les voir. Bien que je connaisse l’acuité de ma vision, je ne peux pas croire ce que je vois. Des soldats romains. Des soldats romains à un jour de marche de la Chine ! Gabrielle écarquille les yeux et je lui plaque ma main sur la bouche. Elle hoche la tête. Nous les observons. Ils sont trois, visiblement des éclaireurs et on dirait bien qu’ils sont en reconnaissance, et s'arrêtent pile à l’endroit où nous nous cachons. Il faut qu’on les suive, qu’on voit ce qui peut bien se passer. Nous approchons d’un campement ; je peux sentir l’odeur de nombreuses personnes. Les soldats continuent à avancer et nous avons la chance qu’une petite colline se trouve sur la gauche. Nous y grimpons et mon intuition s’avère correcte : nous pouvons voir tout le campement de là, et Gabrielle met la main sur sa bouche. Il doit y avoir cinq cents hommes au moins.
« C’est pas bon », dis-je dans un murmure.
« C’est un piège », murmure-t-elle en retour.
« Oui. Il faut que je descende pour écouter ce qui se dit et toi, tu restes ici. »
« Compris. »
Je commence à m’éloigner et elle m’attrape en fronçant les sourcils.
« Désolée », dis-je et je l’attire vers moi pour un baiser passionné. J’y mets beaucoup de feu, pour la laisser volontairement décontenancée et distraite et pouvoir m'éloigner rapidement.
Les buissons à l’extérieur du camp romain sentent l’urine. Visiblement je suis entrée dans la zone qu’ils utilisent comme toilettes. C’est bien ma chance. Je m’accroupis dans les buissons un moment et je regarde les soldats romains en train d’uriner. Ce n’est pas beau à voir. Juste au moment où je vais avancer au bord du campement, j’entends le bruit de l’urine qui frappe la pierre à ma droite. Je me retourne et je regarde ; une armure dorée, le pénis, le visage : c’est Jules César en personne ! Et il a un air épouvantable, plus vieux qu’il ne devrait et un peu bouffi, et pourtant indubitablement lui-même. Ma main s’avance vers la poignée de mon épée et s’arrête avant de la dégainer. Ce n’est pas le plan, Xena, ce n’est pas le plan. Je pourrais juste lui couper le pénis. Je n’aurais pas besoin de le tuer. Mais j’en ai envie. Personne ne le saurait. Jamais. Je pourrais prendre mon épée et lui planter dans le cœur. Je pourrais lui réciter les noms de tous mes proches qui ont souffert à cause de lui tandis que je ressortirais l’épée et que je le regarderais tomber au sol. Des images flottent dans mon esprit ; de moi en train de regarder son visage depuis la croix quand il a ordonné qu’on me brise les jambes. Il perpétue l’esclavage, il menace la Chine. Il mérite de mourir.
Mais Lao Ma serait tellement déçue par mon action. Même si elle ne le savait pas, moi je le saurais, et je ne serais pas capable de me regarder dans le miroir. Il finit sa petite affaire et je me replie, je retourne rapidement auprès de Gabrielle, et nous courons vers le campement.
« Qu’est-ce que tu as vu ? » Demande-t-elle, à bout de souffle, quand nous nous arrêtons pour boire une gorgée.
« César. »
« César ? » Dit-elle dans un hoquet. « Et cinq cents hommes. Alors l’enlèvement était un piège, un complot pour nous entraîner hors de la Chine. »
« Ouais. J’imagine qu’il n’a pas K’ao Hsin et Pao Ssu, mais nous ne pouvons pas en être sûres. Viens. »
De retour au camp, nous entrons dans la tente de Borias, où lui et Lao Ma sont engagés dans une discussion intense.
« Lao Ma », dis-je, alors qu’elle lève les yeux vers moi, surprise. « J’ai des nouvelles étonnantes. A quelques heures au nord, nous avons repéré César et cinq cents soldats romains. »
« Quoi ? » Demande Borias, choqué, en commençant à se mettre debout. Lao Ma pose la main sur son bras, et il se rassied.
« Je présume que tu es sûre que c’était César, Xena », demande Lao Ma.
« J’étais tapie dans les buissons à le regarder uriner. »
« Merveilleux », dit Borias. « Merci pour l’image. »
« Le conseil est préparé à cette éventualité », dit Lao Ma en nous versant du vin. Elle parle à une servante, lui demande d’expliquer la situation aux gardes du périmètre et d’envoyer des messages aux éclaireurs. Nous sommes assis sur des coussins en velours rouge, Borias jette des coups d’œil sans arrêt à Lao Ma. Je veux lui dire qu’elle va bien, qu’elle est dangereusement résistante, mais nous devons nous concentrer.
« D’accord, alors nous avons beaucoup d’options », dis-je. « D’abord nous pourrions juste l’attaquer. Depuis l’ouest pendant qu’il se prépare à combattre dans l’est. »
« Il a cinq cents hommes et nous vingt », dit Gabrielle. Elle s’adapte visiblement à toute cette stratégie.
« Mais Lao Ma est un de nos hommes », dis-je en guise d’explication. Je laisse Gabrielle imaginer ce que ça peut signifier ; si elle peut attraper un verre sans le toucher…
« S’il arrive en Chine, ils seront prêts et pourront aisément le vaincre », dit Lao ma.
« On pourrait arriver derrière lui pendant qu’ils font ça », dis-je. « Le piéger entre les deux armées. On pourrait avoir des renforts ici dans deux jours, les retrouver un peu plus loin sur la route… César ne saurait même pas ce qui l’a frappé. »
« Ou bien nous pourrions rentrer directement et mener la guerre de là », dit Lao Ma.
« J’aurais pu tuer César dans son campement, mais je ne l’ai pas fait », dis-je.
« Vraiment ? » Demande Borias.
« Vraiment. Mais je pense que nous devrions le tuer maintenant. » Je suis furieuse. Je le voudrais mort. Toutes ces choses qu’il a faites aux gens que j’aime.
« Nous devons savoir s’il a mes filles. »
« Je doute qu’il les ait, mais oui », dis-je. L’expression sur le visage de Lao Ma me dit qu’elle pense comme moi.
Gabrielle s’éclaircit la gorge. « Dans tous ces plans il y a un bain de sang terrible et la mort de soldats des deux côtés. Si nous continuons avec le plan d’origine, personne ne devra mourir. Sauf César peut-être. »
Borias réfléchit et dit. « Voici l’histoire que je vais raconter à César. Dites-moi ce que vous en pensez. J’ai vu l’affiche de recherche et je me suis retrouvé devant l’esclave. Je l’ai capturée et je l’ai soumise. Mes éclaireurs sont tombés sur le campement de César. Je me suis dit que c’était pratique de ne pas avoir à aller jusqu’à Rome pour récupérer la récompense pour la gladiatrice. J’explique à César que mon goût pour les esclaves de sexe féminin m’entraîne toujours vers l’Orient. Je le questionne sans merci et nous finissons par savoir s’il a ou non K’ao Hsin et Pao Ssu. S’il les a, on les récupère. Sinon, on le fait partir, quelque soit la façon dont il le fait. »
« C’est un bon plan », dit Lao Ma d’un ton décidé. Elle choisit toujours le plan avec le moins de pertes possible. C’est une des nombreuses choses que j’aime chez elle.
Deux heures plus tard, nous sommes sur la route. Borias a un air incroyable, élégant et royal comme toujours, mais avec l’étincelle supplémentaire d’un bon rôle à jouer. Je garde la tête baissée, tout comme Lao Ma et les trois autres servantes. Je suis la seule qui ne vient pas de Chine mais avec du maquillage je peux faire illusion. Dix soldats chevauchent avec nous, l’un d’eux tire Gabrielle attachée à une corde par des liens épais sur ses poignets. Elle porte des haillons et marche à pieds nus. Elle est supposée être une prisonnière dangereuse mais j’aimerais tellement qu’elle chevauche avec moi sur Désir, son dos contre mon estomac. Je n’aime pas savoir qu’elle est si près de César.
Je me dis combien ce plan est fou, alors que nous arrivons enfin au campement romain. L’après-midi est gris, alors toutes les couleurs ressortent sur le ciel terne ; des tentes et des bannières, des drapeaux et des soldats aussi loin que l’œil peut voir. Nous chevauchons hardiment dans le campement, sachant qu’ils nous ont vus et ne nous attaqueront pas tant qu’ils ne connaissent pas nos intentions. Un groupe de soldats arrive à cheval vers nous et nous demande la raison de notre présence. Ils semblent particulièrement interloqués de voir des visiteurs.
« Je suis Niklio. Je souhaite une audience avec le grand César », dit Borias. « J’ai quelque chose qu’il cherche, je crois. »
Nos soldats tirent Gabrielle vers l’avant de notre groupe, et Borias la désigne avec un grand geste. Il n’y a pas de risque de confondre cette femme avec une autre, c’est bien celle de l’affiche. Elle fixe le sol d’un air renfrogné. Les soldats romains disent à Borias de les suivre, et de laisser ses propres soldats. Nous suivons. Nos soldats se replient dans les bois et se dirigent vers l’endroit où nous les reverrons plus tard.
Arrivés à la tente de César, nous attendons dehors tandis que Borias est annoncé. Il entre en tirant Gabrielle derrière lui. Nous autres, les cinq esclaves, nous suivons d’un air modeste et nous replions dans un coin de la tente, loin du trône de César. La tente est grande et sobre. Quelques coffres contiennent des pièces et des vêtements qui en débordent, des râteliers d’armes, quelques tables et chaises, une paillasse. Je suis la seule à pouvoir sentir que Lao Ma construit un dôme d’énergie protecteur autour de la tente. Personne ne peut entrer ou sortir tant que l’énergie fait barrage. Il y a deux gardes au garde-à-vous derrière le trône de César, et deux autres à l’extérieur, à l’entrée. La tension de l’inaction me tue déjà. Maintenant que je suis en sécurité dans l’ombre, je peux observer César.
Engoncé dans son armure dorée et du plus pur cuir corinthien, assis sur un trône plutôt simple, voici mon ex-amant, l’Empereur de Rome. Maintenant que j’ai tout loisir de l’examiner, je me rends compte que son visage a été déformé par la colère et la déception. Sa vie ne s’est pas déroulée comme il le voulait ; il est désespérément insatisfait. Je suis contente. Et je suis contente que sa laideur intérieure se montre aussi sur son visage maintenant.
« Alors, Niklio », dit César de cette voix trompeusement douce et manipulatrice qu’il utilise quand il marchande. « Je vois que tu as trouvé ma petite fleur. » Il ne peut pas cacher l’excitation dans ses yeux à la vue de Gabrielle. Son expression est avide, obsédée. Son sourire me révolte. Je peux sentir le corps de Gabrielle rétrécir sous son regard. Je veux bondir à travers la pièce et planter ma dague dans sa poitrine. Je veux le faire payer pour tout.
« Oui, Empereur », dit lentement Borias. « Je l’ai trouvée en Chine, pathétiquement à la recherche de nourriture dans les ordures, derrière une taverne miteuse. J’avais vu l’affiche et j’ai immédiatement su qui elle était. »
« Bien entendu », dit César. « Qui pourrait oublier quelqu’un comme elle ? » Son regard examine le corps de Gabrielle et je sens la révulsion hérisser les poils sur ma peau. César ne semble pas sentir la tension dans la pièce ; je ne comprends pas comment il a pu vivre aussi longtemps.
« Oui, elle est impressionnante, assurément, et étonnamment forte, pour une femme. Très difficile à contrôler. Je préfère mes femmes… dociles », explique Borias. Oh ce qu’il est bon ! Je me trémousse vraiment à l’idée de ce que ce Niklio ferait à ses esclaves. César nous regarde, blotties dans un coin. Nous ne sommes rien pour lui. Il ne se donne même pas la peine de concentrer son regard sur nous.
« Je peux voir ça », dit-il, froid et narquois. « Mais celle-ci était entraînée pour combattre, pas pour baiser. Bien que parfois je me demande si ça n’a pas été une énorme erreur. »
César tend la main pour la toucher, et Gabrielle fait un pas en arrière. Il fronce les sourcils. Lao Ma plante ses ongles dans mon bras qui glisse vers la dague. Je l’ai cachée dans ma botte. Je contrôle à la fois mon sifflement de douleur et mon désir de goûter du sang romain. Pour le moment. Gabrielle se tient maintenant derrière Borias et fixe le sol avec colère, avec quasiment la même attitude que celle qu’elle avait la première fois que je l’ai vue. Sauf qu’elle est plus belle maintenant. Si je peux me contrôler et jouer cette scène avec justesse, j’aurai la chance d’être avec elle.
« Bien », dit Borias en prenant une gorgée dans le gobelet de vin qui lui est offert. « A chacun son dû, comme je dis toujours. Et comme je te rends ce qui t’appartient, en échange de ta généreuse récompense », il s’interrompt et César hoche brièvement la tête. « Je me demande si peut-être, tu n’aurais pas quelque chose qui pourrait, disons, être un peu plus à mon goût ? Pour rendre le marché plus agréable, peut-être ? »
« Tu n’es pas en position de marchander, Niklio », dit César, avec le son affreux d’une menace dans la voix. Il est devenu si répugnant que je ne peux pas supporter de le regarder.
« Je t’assure que je ne demande pas plus que mon dû. Bien sûr, tu te rends bien compte que peu de gens auraient pu capturer ta petite fleur. Et si ça n’avait pas été moi, j’ai du mal à imaginer qui, vu qu'elle a dû être entraînée par les meilleurs guerriers de Rome. » Borias est incroyable. Je ne l’ai jamais vu perdre une négociation. Charmant et puissant.
César lui concède le point.
« Mais encore, je ne demande pas grand-chose, je demande peut-être quelque chose de différent », dit Borias, d’une façon si subtilement suggestive qu’elle ne peut pas être mal interprétée. Soudain tous les regards sont sur César, jugeant de ses réactions.
« Ah », dit celui-ci en buvant. « Je comprends. J’ai bien peur de ne pas pouvoir t’aider. Je suis en route vers la Chine, pas de retour. »
« Tu en es sûr ? » Demande Borias. « Sûr que tu n’as pas de filles de Chine du tout ? Je te donnerai ta fleur gratuitement si tu avais ne serait-ce qu'une seule délicate beauté pour ma collection. »
J’ai peur que Borias ne soit allé trop loin. César est un salopard égoïste, mais il n’est pas stupide. Ma main touche rapidement la poignée de ma dague et je bouge pour me préparer à attaquer.
« Si seulement c’était le cas », dit César en riant à sa propre blague. « Mais hélas, je manque de filles. »
Un moment de silence total s'ensuit. Je le crois. Lao Ma s’avance et enlève son habit d’esclave pour exposer ses robes royales rouges, dorées et de pourpre. Elle a l’air féroce et redoutable dans sa manière retenue. L’Impératrice de Chine dans toute sa splendeur.
« Alors tu n’as pas mes filles finalement, César ? » Demande-t-elle calmement.
« Lao Ma… comment oses-tu… » Bafouille César en luttant pour se redresser sur son trône. « Comment as-tu pu… »
« Ça n’a pas d’importance », dit-elle. « Tu es vraiment un homme indigne d’utiliser mon amour pour mes enfants de cette façon. Comment as-tu pu imaginer prendre la Maison de Lao aussi facilement ? »
Je le regarde depuis l’ombre et je peux voir qu’il ne réalise pas qu’il a vraiment perdu. J’ai presque pitié de lui. Je sais que je vais savourer ce qui va arriver plus que je ne le devrais.
« Je suis Rome », dit-il comme si c’était évident. « La plus grande puissance du monde. La Chine est un endroit simple et paisible gouverné par une femme ! Il m’a fallu tout ce temps pour la conquérir parce qu’il y a une telle distance à parcourir. Mais maintenant je suis ici. Je vais être assez gentil pour t’offrir la chance de te rendre et nous épargner toutes ces victimes qui seraient mieux utilisées comme soldats sur un autre front, pour Rome. »
Lao Ma le regarde et rit légèrement. « Tu es un fou, César », dit-elle. « Sur tellement de niveaux que je ne peux même pas commencer à te l’expliquer. »
« J’aimerais insister sur son manque de respect pour les femmes », dis-je en m’avançant près d’elle, mon déguisement laissé dans l’ombre. Je le regarde et j’essaie de faire passer au moins un dixième de ma haine dans mes yeux. Pendant qu’il me fixe, terrifié, Borias retire les liens de Gabrielle.
« Xena ! » Dit César dans un souffle. « Espèce de chienne ! »
« Si tu insistes pour menacer la Chine », je regarde Lao Ma pour avoir sa permission et elle hoche la tête. « Alors la guerre est déclarée. »
César dégaine son épée et m’attaque, ses gardes foncent sur Borias et Gabrielle. Lao Ma recule pour protéger ses loyales servantes.
« Gardes ! » Crie César, tandis que nos lames se fracassent et que je pousse son trône du pied pour l'envoyer de l’autre côté de la tente. Tandis qu’il est distrait, j’échange ma dague pour une épée et je lance mon cri de bataille en avançant à nouveau sur lui. Au bord de ma vision, je peux saisir mes compagnons qui se débrouillent, tandis que je me concentre sur l’épée de César. Il est pathétique, déjà désespéré, s’armant d’une seconde épée, comme si ça allait l’aider. « Gardes ! » Crie-t-il à nouveau, en se repliant à une longueur de table de moi. En arrière-plan des sons qui me parviennent, le bruit de chaises brisées et de jurons étouffés. Et celui des gardes dehors, qui essayent d’entrer, sans comprendre pourquoi le matériau souple est devenu impénétrable.
« Il n’y aura pas de gardes », dis-je. « Espèce de salopard trouillard. Tu aurais vraiment dû apprendre à combattre ! »
Et ça suffit pour qu’il se jette sur moi. Il m’attaque en donnant de grands coups avec les deux épées, une telle expression de rage dans ses yeux.
« Je te méprise Xena ! » Hurle-t-il en plongeant une épée vers mon abdomen. Je l’évite et je donne un coup de pied rude dans sa main, envoyant l’épée au sol. Il fait passer l’autre de sa main gauche à la droite, bloquant mes coups aussi bien qu’il peut tout en reculant rapidement sur les morceaux de meubles brisés. Je prends un instant pour observer Gabrielle ; elle se débrouille facilement, à mains nues contre le garde armé. Je la regarde tandis qu’elle manipule son bras droit, le forçant à trancher sa propre gorge, avant de sauter hors du chemin quand il tombe. Elle n’est même pas essoufflée quand elle se retourne pour voir si je vais bien. Je lui fais un signe de tête et je continue à combattre César. Il est dans un coin et j’entends une bagarre puis le bruit de Borias qui tue l’autre garde quelque part derrière moi.
Jules César se tient devant moi, telle une créature hideuse. Je suis étonnée de l’avoir jamais aimé, que quelqu’un l’ait jamais aimé.
« Ta mort sera un cadeau au monde », lui dis-je, ma voix à peine un murmure grondant.
« Tu ne feras jamais rien de bon », crache-t-il en plongeant vers moi. Je le désarme aisément et je m’arrête, je le fixe, mon épée tirée en arrière pour le coup mortel. Le salopard m’a brisé le cœur et a tué M’lila, il a fait des choses terribles à ma Gabrielle. Je peux déjà sentir son sang.
« Non ! » Dit Borias.
« Quoi ’Non’, par Hadès ? » Je hurle à la limite de perdre le contrôle de moi-même, je m’essuie le front et repousse mes cheveux. « Il n’a pas les fillettes. Qu’est-ce que tu veux faire ? Le laisser partir ? » Je demande avec mépris, presque hystérique. « C’est César, tu l’as oublié ? » Je tourne à demi la tête vers Lao Ma quand je prononce ces mots, et César saisit l’occasion de ma distraction pour plonger vers mon bras qui tient l’épée. Je réagis sans regarder, et juste au moment où mon épée va lui percer la poitrine, quelque chose me percute sur le côté. Tandis que je m'écroule sur le sol, je vois que c’est Gabrielle qui tombe sur moi, et Borias qui plonge son épée dans l’estomac de César.
« Si quelqu’un pose la question », dit-il en poussant la lame plus profondément. « Tu as été tué par Borias. »
Je tiens Gabrielle contre moi tandis que le corps pathétique de César s’affaisse au sol. Nous regardons tous l’homme le plus puissant du monde connu prendre son dernier souffle.
« Ce n’est pas comme ça… que ça devait finir », murmure César et il meurt.
Gabrielle hoquette. Elle tremble. « Merci », murmure-t-elle.
« Tout le plaisir est pour moi », dit Borias. « Maintenant on rentre à la maison ? »
« Oui », dit Lao Ma. « On rentre à la maison. »
Gabrielle et moi nous mettons debout. Nous nous tenons tous là à fixer le cadavre pendant un instant.
« Tu as toujours décidé que tu le tuerais, n’est-ce pas ? » Je demande à Borias.
« Oui », dit-il. « Pour moi c’était moins personnel. C’est mieux pour mon karma. » Il sourit et tend le bras pour Lao Ma qui pose délicatement sa main dessus.
« Et ? » Je demande.
« Et j’ai adoré ça », dit-il avec un sourire espiègle sur les lèvres.
Tandis que nous quittons la tente, le bouclier bouge avec nous, invisible et très puissant. Il y a des centaines de soldats dehors, et ils foncent sur nous, leurs armes sorties, mais sont arrêtés brutalement par... absolument rien, apparemment. Nous filons vers nos chevaux et le bouclier d'énergie nous suit, les flèches et les lances rebondissant dessus avec facilité. Les soldats hurlent et frappent dessus, certains sont entrés dans la tente maintenant et savent que César est mort. Il y a quelques instants de confusion. Nous enfourchons nos montures et tandis que nous nous éloignons dans un nuage de poussière, le bouclier s'efface. Nous nous arrêtons après quelques heures pour retrouver le reste de notre troupe et nous nous regroupons. Je sens que nous n'avons pas été suivis, aussi nous nous dirigeons vers la Chine, laissant quelques éclaireurs qui s'assureront que les Romains ne cherchent pas à répliquer. Sans chef, il est douteux qu'ils retournent même à Rome, encore moins qu'ils se soucient de courir après les ennemis de César.
Nous campons ce soir dans l'enceinte de la Grande Muraille. Nous sommes tous quatre vêtus comme à l'habitude, à dîner et à boire du vin dans la tente de Lao Ma, à nous raconter de vieilles histoires de guerre et à écouter la célébration tapageuse des soldats dans le campement. Même les serviteurs sont saouls ce soir.
« A un travail bien fait, à tous », dit Lao Ma et nous levons nos verres et portons un toast. Nous buvons et rions, blaguant sur la grande impression que nous nous faisons de nous-mêmes.
« Tu vas rester avec nous, Gabrielle? » Demande Borias, tandis que les rires se calment.
« J'aimerais, j'aimerais bien mais je ne suis pas sûre de savoir ce que j'ai vraiment à offrir », dit-elle.
« Elle doute de ses talents ! » Dit Borias en riant, avant d'avaler son vin d'une traite et de tendre son gobelet pour une autre tournée. Je le remplis et il continue. « Je vais commencer par dire ce qui est évident. Tu es une guerrière courageuse et astucieuse, et une combattante créative et expérimentée. »
Gabrielle rougit et regarde ses mains; elle sait que ce qu'il dit est vrai.
« Tu es une fine stratège », dit Lao Ma sérieusement. « Tu as une bonne compréhension de la nature humaine, et tu es la seule personne à part moi qui ait jamais gagné au Jeu des Questions. »
Gabrielle regarde Lao Ma avec admiration, jaugeant parfaitement la portée du compliment qu'elle vient d'entendre. Puis elle me regarde. Je rougis.
« Ce qu'ils ne disent pas, c'est qu'ils aiment bien que tu me gardes loin des ennuis », dis-je en blaguant. Je soutiens son regard, je lui prends la main et je dis. « Je suis trop partiale pour répondre pour la Chine, alors je répondrai pour moi. Tu me rends si heureuse, Gabrielle, et je pense que tu es merveilleuse de bien trop de façons pour les nommer toutes. Si tu partais, je chevaucherais jusqu'aux confins du monde pour être avec toi de nouveau. »
L'expression de Gabrielle tandis qu'elle m'écoute vaut chaque moment vécu. Et j'ai beaucoup vécu pour en arriver là. Elle dit : « Si ça peut au moins éviter un tel périple à Désir, je resterai. »
Borias lui sourit et nous levons nos verres. Lao Ma se met à rire, se penche en avant pour poser un baiser sur la joue de Gabrielle et dit :
« Bienvenue dans la Maison de Lao. »
FIN
Fini de traduire en mars 2008 par Fryda
****
Comments (0)
You don't have permission to comment on this page.