UTOPIA1


UTOPIA

 

 

 

par Athena

 

 

 

 

SAISON 1 - EPISODE 1 : Le retour au pays du péché

 

 

E-mail : athena.dialogue@caramail.com

 

Date de création : décembre 2002

 

Nombre de pages : 37 - 119 Ko

 

RATING - (R) : Voilà Utopia. Pas convaincu ? Bah ! Voyons ! Regardez, si elle n'est pas magnifique ! On dirait un gros tas de détritus… Mais parfois, caché parmi les décombres d'une ville en ruine, on peut découvrir le plus beau des joyaux.

 

P.S : R = Romance

 

 

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Avertissements : Les personnages de cette histoire, s’ils font référence de par leurs ressemblances aux personnages de XWP m’appartiennent exclusivement. Seuls quelques lieux, faits, gestes et paroles ont été empruntés pour les besoins de la cause. Cette histoire a été écrite sans intention de violation du copyright. Tous les personnages, l'idée de l'histoire et l'histoire elle-même sont la propriété unique de l'auteur. Cette histoire ne peut pas être vendue ou utilisée de quelque façon que ce soit. Des copies de cette histoire peuvent être tirées pour l'usage privé seulement et doivent inclure toutes les notices d'avertissements et de copyright.

 

Violence et écart de langage : Les deux, vous êtes avertis.

 

Subtext : Beaucoup, mais subtext n’est pas tout à fait exact, ici il est plutôt approprié de dire maintext. De plus, mon histoire dépeint les pensées et les sentiments intimes de deux adultes de même sexe, rien de trop explicite cependant. Alors si vous êtes intolérant face à ce genre de comportement je vous suggère de quitter tout de suite la piste de danse.

Prologue : Cette histoire se veut la première d’une série. Du moins est-ce là l’ambition que je nourris. J’ai écrit cette histoire durant les vacances du solstice d’hiver, dans une cave froide, qui plus est, sur du papyrus jauni par le temps. Je vous souhaite donc une bonne lecture.

Remerciements : J’aimerais remercier; Tante Lala pour son aide vraiment très précieuse, et puisqu’elle se veut ma bêta-lectrice attitrée ! Un merci va également à Kaktus qui a corrigé de façon volontaire cette fanfic ! Merci beaucoup !

 

J'espère que vous aimerez. N'hésitez pas à envoyer des commentaires à : athena.dialogue@caramail.com

Athena

xxx

 

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Chapitre 1

 

2431 - Juste une façon de décrire la situation : un monde régenté par les oppresseurs où s'efforcent de survivre les opprimés. Un système malade à l'extrême pour un monde à l'agonie. La pollution, l'effet de serre, le réchauffement de la planète, les radiations solaires, les pesticides, la technologie en tout genre, les guerres et j'en passe n'ont fait que précipiter la terre dans un marasme, tel que quand l'heure du grand cataclysme a sonné le glas de notre perdition, celle-ci était déjà en piteux état. Sans compter la guerre des cents ans qui avait déjà passablement anéanti une grande partie de l'humanité voilà quelques siècles.

La seule véritable bonne chose qui avait résulté de cette guerre abominable était qu'aujourd'hui on ne trouvait que très rarement armes et munitions d'autrefois. En fait, c'est de cette façon que la guerre avait pris fin. Les armées avaient dû abandonner faute de munitions et surtout d'argent. Imaginez ! Des milliers d'armes toutes aussi destructrices les unes que les autres, mais plus de matières premières pour les utiliser.

Cela vous semble impossible ! Détrompez-vous ! Les guerres coûtent cher, surtout quand cela fait plus d'une centaine d'années qu'elles perdurent. À la fin, aucun des belligérants n'avait eu assez d'oseille pour se payer la main d'œuvre nécessaire à fabriquer leurs petits jouets mortels. C'est à ce moment là, que la grande révolte avait amorcé ses premiers soubresauts. Les civils affamés s'étaient soulevé contre ce régime martial despotique. Plus de salaires, plus de travailleurs, et de fil en aiguille cette révolution atteignit son apogée et par la suite, l'apothéose ultime.

Le grand cataclysme de l'an 2245 avait mit fin à toute cette hargne entre dirigeants et dirigés. Le ventre de la terre s'était ouvert en plusieurs endroits engloutissant maintes cités, créant de nouveaux océans et continents par la force des choses. Seules quelques mégalopoles, maintenant en ruines témoignent encore aujourd'hui de la férocité dont a fait preuve mère nature pour se venger de la bêtise humaine ainsi que de plusieurs millénaires de torture à son égard.

Les civilisations telles qu'on les avait connues disparurent pour la plupart, et presque deux siècles s'étaient maintenant écoulés, sans que les hommes n'en tirent une leçon valable.

Aujourd'hui nous avons fait un prodigieux bond dans le passé. Comme au temps des romains de naguère, nous vivons de façon rustique et rudimentaire. Plus d'électricité, plus d'essence, plus de technologies avancées, plus d’eau courante, du moins pas partout, plus rien que le strict nécessaire à la survie. Dans le fond ce n'est rien d'autre qu'un retour à la case départ. Bien sûr nous possédons la connaissance de nos ancêtres, mais comme tout est à reconstruire et qu'il nous faut d'abord et avant tout survivre, nous évoluons doucement. C'est le retour du grand balancier.

Ainsi, je vous présente ma ville : Utopia. Du mot utopie qui signifie, pays imaginaire où un gouvernement idéal règne sur un peuple heureux. Pathétique non ?!? Quoi qu'il en soit, Utopia est la capitale de l'Utopie. Une grande cité divisée en trois zones distinctes. Trois cités superposées l’une sur l’autre, car quand je dis 'zones distinctes' je veux dire totalement indépendante l’une de l’autre. Commençons par la haute cité ou High-Utopia, là où trône l'abondance sous toutes ses formes. Là où l'opulence fait foi de la tyrannie de tous les Crésus et parvenus des environs. Là où le luxe n'est qu'une vulgaire formalité.

Bien protégé par la muraille de pierre d'une hauteur d'un building de dix étages qui l'encercle, l'imposante bourgade en pierre monolithique émerge du sol comme un phénix surgissant des flammes des enfers. Surplombant la ville, elle obscurcit celle-ci de son ombre grandiloquente. Un seul point d'entrée à cette forteresse lourdement gardée par des hommes armés jusqu'aux dents, à qui il faut montrer pattes blanches pour éviter de se faire découper en morceaux. Un vrai château fort. Il est aussi difficile d'y entrer que de faire passer une souris par le chas d'une aiguille. Là où je passe mes jours en tant que scribe à retranscrire des œuvres littéraires extrêmement rares pour un riche excentrique.

Si je passe mes jours à gratouiller le papier si rare, le soir je dois rentrer chez moi dans la zone du milieu ou Mid-Utopia. Pas que ce soit le paradis, mais c'est viable. Si on sait se dépêtrer et rester prudent, on peut y mener une vie pas trop compliquée. Malgré les buildings en décrépitudes, les logements insalubres, et les bidons villes, certains quartiers se respectent encore. Là, si on se tient bien peinard et à l'écart des mauvaises fréquentations on peut avoir une espérance de vie de quarante-cinq ans avec de la chance. Ce qui est énorme en comparaison avec la dernière zone de la cité. Cette zone que l'on surnomme Tartare parce que située dans les anciens égouts et bouches de métros qui sillonnent la superficie de la ville. On est forcément obligé d'y descendre pour en apprécier les couleurs, en analogie avec l'irrévérencieux 'descendre en enfer' et en opposition avec le fameux 'monter au ciel'. Bref, c’est la synagogue de Satan comme certains se complaisent à l'appeler.

Je ne suis jamais allée là-dessous puisque je ne suis pas de nature suicidaire. J'ai toujours fait très attention de ne pas transgresser ses limites, et c'est pour cette raison que je ne peux pas vraiment vous décrire ce qui s'y passe. De toute façon, tout ce qui y entre n'en ressort pas toujours. C'est en quelque sorte la cité interdite.

Voilà Utopia. Pas convaincu ? Bah ! Voyons ! Regardez, si elle n'est pas magnifique ! On dirait un gros tas de détritus…

Mais parfois, caché parmi les décombres d'une ville en ruine, on peut découvrir le plus beau des joyaux. C'est ce qui était sur le point de se produire pour moi alors que ce soir là je rentrais chez moi en déambulant tranquillement. Bien que les rues étaient bondées de gens, et que la nuit tombait doucement, je m'attardais un instant devant un étal de tissus. Ce fut probablement ce qui me permit de la rencontrer, sûrement encore un de ces satanés tours du destin. C'est ainsi que je repris mon chemin le cœur léger parmi le tumulte de la foule, la fumée des kiosques de grillades ambulants et les cris des marchands de tout acabit qui vantaient leurs produits. J’étais loin de me douter que dans moins de cinq minutes ma vie allait changer de façon irréversible.

Devant moi surgit tout à coup la vision d'un monde meilleur. Une grande, très grande femme à la chevelure sombre et aux étincelants yeux bleus se détacha de la foule.

Je m'arrêtais aussitôt de respirer, question d'empêcher la buée blanche et opaque de s'échapper de ma bouche pour me bloquer la vue à chaque respiration et aussi pour la simple et bonne raison qu'elle était à couper le souffle et que je ne voulais rien rater de la chose qui se dirigeait droit sur moi. Je ne crois pas avoir recommencé à respirer avant un bon moment d'ailleurs.

Tout de même, cette magnifique créature allait croiser ma route dans peu de temps, et tout autour de moi sembla disparaître comme s'il n'y avait eu qu'elle et moi, et ce à un point tel que j'entendais presque le bruit de ses bottes marteler le sol pendant qu'elle se rapprochait. Le temps sembla se figer de façon surnaturelle quand elle arriva à ma hauteur, et que ses yeux bleus glaciers capturèrent les miens. Mes jambes et mes pieds stoppèrent leur progression, et je pris racine sur le béton craquelé. La multitude de voix qui montaient de la rue n'étaient plus maintenant pour moi qu'un gargouillis cacophonique, qui s'élevait telle une mélodie céleste qu'on aurait fait jouer au ralenti.

J'allais sûrement clamser d'un instant à l'autre, c'est pourquoi je me remis à respirer un peu.

Elle passa lentement sans jamais me quitter des yeux. Chaque détail de son visage resterait à jamais gravé dans ma mémoire comme si j'avais été marquée au fer rouge. J'avais cette vague impression de la connaître, de toujours l'avoir connue en fait. Comme si je venais de retrouver quelque chose que j'avais perdu et cherché pendant non pas une vie, mais cent !

C'en était fait de moi ! Même son parfum épicé, comme s'il avait été de connivence avec elle, vint effleurer mes narines. J'étais perdue !!! Et si je ne faisais rien dans les deux prochaines secondes, elle allait me filer entre les doigts tel un savon trop imprégné d'eau. Me retournant d'un coup, je la vis s'éloigner rapidement. Me frayant un chemin dans cette foule hostile, je parvins à la rattraper et saisis la ganse du sac à dos qu'elle transportait.

Elle se retourna si brusquement que je faillis perdre pieds. Ses yeux lancèrent un instant des éclairs dans ma direction avant de se radoucir un peu. Elle avait posé la main sur le manche d'un énorme poignard qu'elle cachait dans le revers de sa veste kaki. J'avalais difficilement ma salive, et compris que cette femme était passée à un cheveu de m'envoyer bouffer les pissenlits par la racine. Je remarquais aussi, pendant que je tentais de bafouiller quelques mots intelligibles, qu'elle me regardait droit dans les yeux. Je me dis qu'il valait mieux me calmer et lui dire quelque chose de sensé avant qu'elle ne me prenne pour une disjonctée de la société.

"On... On se connaît ?" Lui dis-je enfin en réussissant à aligner quelques mots. C'était une entrée en la matière qui manquait tout à fait d'originalité, mais il fallait bien commencer quelque part. Elle me fixa encore un moment avant de répondre. Y avait-il de la méfiance dans son regard ? Bien sûr que oui, à quoi m'étais-je attendu ? À ce qu'elle tombe raide morte à mes pieds foudroyée par ma divine beauté ? J'étais trop humble pour ça.

"Non, je ne crois pas." Finit-elle par répondre, ce qui me sortit de mes illustres pensées.

Sa voix était basse et rauque, et pendant que de grands frissons me parcouraient l'échine et que des papillons géants s'agitaient dans mon ventre, je fis quelques pénibles efforts afin de ne pas trop rougir en imaginant cette voix prononcer mon nom dans un tout autre contexte. J'avais devant les yeux, une vraie déesse, pour laquelle j'allais sans doutes souffrir mille morts, mais tant pis, autant mourir tout de suite, extasiée, que plus tard sans jamais avoir vu son visage.

"Tu es une Alien ?" Lui demandais-je sans formalité, quelle insolence de ma part... J'évitais de grimacer face à ma bévue. Voyant qu'elle plissait un peu les yeux, et qu’une drôle de lueur s'installait dans ceux-ci, je jugeais qu'il serait préférable d'employer un terme plus poli. Après tout, elle était peut-être susceptible pour ce que j'en savais… "Heu… Je veux dire… Étrangère."

La drôle de lueur disparut de son regard à mon grand soulagement, et elle parut se détendre. "Ouais." Me répondit-elle en faisant un geste vague vers l'énorme sac à dos qui dépassait au-dessus de ses épaules, pour montrer l'évidence de la chose.

Je profitais de l'occasion pour continuer. "Tu as un endroit où crécher ?" Dis-je alors en m'imaginant déjà ses vêtements aux côtés des miens dans les tiroirs déjà trop pleins de mes bureaux. Je pris, aussi, mentalement note de ne pas oublier de virer Kally la pétasse profiteuse qui vivait à mes crochets depuis quelques semaines et qui m'avait déjà rendu cocue une bonne douzaine de fois. Apparemment cette pouffiasse en avait après mes économies si durement gagnées, j'étais pour la balancer de toute façon, ce qui allait sûrement me coûter un max.

Kally était passée maître dans l'art d'arnaquer les âmes pures et chastes comme la mienne. Pour elle j'étais la victime parfaite, et si mon amie Effy n'avait pas eu l'infini bonté de me brosser le tableau à son sujet la semaine dernière, sans doutes Kally se serait-elle déjà tirer avec tout mon fric. Mais ça c'était une autre histoire… Où en étais-je déjà… Ah ! Oui, je voulais savoir si elle avait un endroit où dormir…

Elle hésita avant de répondre, ce qui me fit fixer le bout de mes bottes usées intensivement. Je me devais de ralentir un peu, après tout, c'était une inconnue, et peut-être que les sentiments que je nourrissais à son égard n'étaient pas réciproques. Puis vint sa voix.

"Oui, j'ai de la famille." Je ne sais pas si elle se rendit compte de ma déception, mais elle me gratifia d'un étrange sourire avant d'ouvrir à nouveau la bouche. "Mais je ne sais pas si je serai la bienvenue."

Cela ne me soulagea pas énormément, mais tout de même. "Tu sais, ce coin devient très dangereux une fois la nuit tombée. Surtout pour une femme seule." Il me fallait trouver un moyen de la retenir, et de plus je ne faisais qu'énoncer une vérité.

Encore une fois, je la vis sourire, mais cette fois il y avait quelque chose de paradoxal dans ce sourire. Et si je m'étais gouré ? Et si cette femme était en fait, une psychopathe en vadrouille. Une fêlée du cervelet… Je chassais derechef ces idées grotesques de ma tête.

"Et que proposes-tu ?" Me demanda t-elle en braquant sur moi ses prunelles azur.

Cette fois elle me prit de court. Je pus presque jurer qu'elle avait pris un malin plaisir à ouvrir une porte qui donnait directement sur l'enfer… Porte vers laquelle je me précipitais tête baissée sans même m'en rendre compte.

Toutes mes idées s'embrouillèrent dans ma tête devenue trop étroite, et j'eus l'impression que mes neurones s'agglutinaient les unes avec les autres pour former une sorte de gelée épaisse. Je n'étais quand même pas pour lui offrir d'emménager chez-moi après seulement trois minutes de fréquentation !

Ma bouche s'ouvrit et se referma plusieurs fois sans qu'aucune parole n'en sorte. Je devais avoir l'air d'un poisson en train de crever sur le bord d'une berge polluée. Je finis par reprendre contenance et me raclais la gorge avant de continuer. "Un verre au Délirium peut-être ? J'y allais justement." C'était un pieux mensonge, et elle ne manquerait pas de s'en rendre compte, puisque ce bar, je l'avais dépassé depuis un long moment déjà avant de la rencontrer. Je refoulais quelques jurons, et m'employai à composer un de mes plus irrésistibles sourires.

"C'est une bonne idée." Me répondit-elle en inclinant lentement la tête sur le côté.

Mes yeux durent s'illuminer de joie. Je venais de remporter la première manche, ce qui me valait encore un peu plus de temps avec elle. "Super ! C'est par-là." M'écriais-je ne portant plus à terre. Puis nous, nous mîmes en route.

 

 

 

Chapitre 2

 

Utopia. C'était une ville tout à fait glauque comme toutes les autres mégalopoles en ruines des continents de cette terre. Les gratte-ciel à moitié démolis qui pointaient comme de lugubres statues dans l'horizon, ne la faisaient paraître qu’encore plus maussade.

Dix ans que je n'y avais pas mis les pieds. Elle n'avait pas vraiment changé. J'étais arrivée tard dans l'après-midi et me promenais maintenant tranquillement dans la zone du milieu avant de descendre au Tartare. J'allais revoir ma mère après tant d'années. Un ami cher m'avait ouvert les yeux; je pouvais faire autre chose que terrifier l'humanité et verser des mers de sang. J'avais réellement l'intention de changer, de prendre un nouvel envol, et cela m'était impossible à faire avant de revoir ma mère et d'avoir obtenu d'elle un substantiel pardon, ou, à la rigueur, un semblant de réconciliation. De plus, elle me manquait.

J'aspirais à une nouvelle vie. J'allais enterrer mon noir passé et tenter de racheter et expier mes fautes. Comme je me dirigeais vers le cœur de la zone urbaine de Mid-Utopia et que le soir étendait rapidement ses ailes ténébreuses sur la ville en effervescence, je fis une rencontre qui allait à jamais, bouleverser, mon existence.

Partie d'Illusia, j'avais gagné Utopia par la voie maritime, le seul moyen d'atteindre cette île gigantesque de l'Utopie, cela m'avait coûté une petite fortune, du vrai vol selon moi. Jamais je n'aurais cru fouler le sol de cette cité à nouveau, mais peu importe j'y étais.

Ici personne ne semblait me reconnaître, du moins pour le moment. J'avais troqué mes légendaires vêtements de cuir noir pour des vêtements moins révélateurs de qui j'étais. S'il est vrai que la réputation précède toujours son porteur, mes vêtements traditionnels auraient eu tôt fait d'annoncer mon retour. Mais accoutrée comme je l'étais maintenant, je passais pour une simple citadine portant un gros sac à dos dans une ville bondée de gens, bref je passais totalement inaperçue. Une chose cependant, quand j'avais débarqué sur les docks quelques heures plus tôt, j'avais tout de suite pris note du gros navire où flottait l'étendard des Blue Ribbons. Ce qui voulait forcément dire que Trèkon était dans les parages.

Si Trèkon était dans le coin, cela impliquait nécessairement qu'il s'apprêtait à faire quelques viles actions. Mais quoi ? Je reviendrais faire mon enquête plus tard.

En cet instant, comme je vous le disais, je n'étais rien d'autre qu'une simple étrangère qui passait son chemin dans les rues de la cité. Une inconnue dont personne ne se souciait, et c'était absolument parfait. Cela faisait un bien énorme, de ne pas voir des visages livides me regarder comme si j'étais la mort personnifiée. Encore que, c'était temporaire, quelqu'un finirait bien par me reconnaître, je n'en doutais point, mais c'était bon de passé incognito.

J'étais de retour dans ma ville natale et j'étais à ressasser tous ces trucs avant de descendre au Tartare, quand je la vis.

Perdue dans la foule, une petite blonde rayonnant d'une énergie tout à fait singulière me regardait comme si elle venait d'avoir une illumination céleste. Un instant je crus qu'elle m'avait reconnue, mais l'instant d'après je me surpris à la dévisager en me disant que c'était autre chose qu'elle avait reconnu en moi.

Ses traits étaient aussi purs que le marbre, et ses yeux verts brillaient tels des émeraudes frappés par la lumière du soleil. Son joli nez et ses lèvres vermeilles eurent un effet dévastateur sur moi, si je m'approchais des eaux de son port, j'allais à coup sûr y sombrer. Passant près d'elle, je ne pus détacher mon regard du sien. C'était un peu comme un rêve où tout semble se dérouler trop lentement.

Je marchais encore en me demandant si c'était une hallucination, une chimère sortie tout droit des abysses de mon cerveau ou bien la réalité que je venais de croiser, lorsque quelque chose s'agrippa à mon sac à dos.. Pensant que j'avais affaire à un de ces sales voleurs de bas quartiers, je me retournais aussi vivement que les éclairs percent les cieux et portai la main à mon fidèle poignard, prête à trucider le malheureux.

La vision que j'eus d'elle me fit encore perdre tous mes moyens, mais je réussis tout de même à contenir la fureur qui m'avait assaillie une seconde auparavant. Cette fois je vis bien la peur dans ses prunelles vertes. Peut-être m'avait-elle reconnue en fin de compte.

Je décidais d'attendre pour en être bien certaine.

"On se connaît ?" Me demanda t-elle alors en retrouvant légèrement ses couleurs. Sa voix était comme une douce musique à mes oreilles et je me pris à l'imaginer en train de me susurrer de tendres paroles entre de doux draps de soie.. Elle me tentait comme les agneaux tentent le loup ! Une métaphore tout à fait de mise…

C'était peut-être un piège... Il me fallait tout de même rester un peu sur mes gardes.

Je pris bien mon temps pour l'observer. Malgré sa nervosité, je ne décelais rien qui puisse prouver qu'elle me cachait quoi que ce soit. Elle était l'incarnation même de la candeur. Tel une fleur d'un blanc immaculé dans un jardin de chardons, elle me fixait de ses yeux océans, attendant tranquillement que je lui offre une réponse. Mon cœur manqua quelques battements.

"Non, je ne crois pas." Lui répondis-je un peu rassurée.

"Tu es une Alien ?" Me demanda t-elle alors. Je plissais un peu les yeux. Personne ne m'avait jamais traitée d'Alien. Je compris de ce fait, qu'elle ne me connaissait pas du tout, car si tel avait été le cas, elle n'aurait jamais osé s'adresser à moi de la sorte. Mais tout de même, pour moi, traiter quelqu'un d'Alien revenait à le traiter de va-nu-pieds. Je trouvais cela quand même un peu insultant.

"Heu… Je veux dire… Étrangère…" Reprit-elle presque aussitôt. Voilà qui était beaucoup mieux, et je décidais de lui pardonner ce petit manque de considération. D'ailleurs cela me fit penser que je serais prête à lui pardonner plein d'autres petits écarts de ce genre… Je crois que je dus acquiescer car elle s'empressa de me demander si j'avais un endroit où loger. Cela prenait une tournure tout à fait intéressante, était-ce une proposition ou bien est-ce que je me faisais des idées ?

"Oui, j'ai de la famille. " Lançais-je pour lui affirmer une vérité qui n'en était pas vraiment une, puisque je ne savais pas encore si ma mère accepterait toujours d'être ma mère. Je pris note de sa réaction, et attendis un autre instant avant de lui avouer ce fait. "Mais je ne sais pas si je serai la bienvenue."

Ironiquement, cela parut la soulager quelque peu.

"Tu sais, ce coin devient vraiment dangereux une fois la nuit tombée, surtout pour une femme seule." Me dit-elle alors.

Je refoulais un éclat de rire, si elle savait… On me considérait comme l'un des êtres les plus dangereux de cette planète, et c'était le cas. De la voir, elle, une si jolie et inoffensive petite chose s’inquiéter de ma sécurité me toucha droit au cœur. Cette petite blonde commençait réellement à m'intriguer, et je reconnus instantanément cette chaleur familière qui commençait à embraser le sang qui parcourait mes veines. "Et que proposes-tu ?" Ce fut plus fort que moi.

Cela sembla la prendre de court, et j'eus l'impression d'assister à un rude débat intérieur. C'était une bonne chose, en fin de compte, puisque ça me donnait, l'occasion de la reluquer à loisir pendant qu'elle livrait bataille. Dieux qu'elle était belle…

"Un verre au Délirium peut-être ? J'y allais justement." Finit-elle par me dire. Puis elle me gratifia d'un superbe sourire.

Je venais de découvrir en ce sourire une arme destructrice qui faisait plus de ravage en moi, qu'une tornade de force cinq. J'entendis ma voix résonner en un écho. "C'est une bonne idée." Je lui avais répondu, un peu plus vite que je ne l'aurais souhaité.

Ses yeux s'illuminèrent de joie. Je n'avais rien vu de tel en ma présence depuis bien longtemps et me félicitai mentalement d'avoir si facilement accepté.

"Super ! C'est par-là."

Je compris tout de suite qu'elle m'avait un peu menti puisqu'elle revenait sur ses pas, mais qu’est ce que j’en avais à foutre, de toute façon elle m'avait vaincu.

 

 

Chapitre 3

 

 

Nous marchâmes jusqu'au Délirium sans dire un mot je crois. J'étais trop confuse et perturbée par la gamme de sentiments qui m'habitaient. J'étais aussi tendue que la corde d'un arc prête à décocher sa flèche, et cette nervosité était dûe au fait que j'avais cette constante impression que j'allais jouer aux dés avec ma destinée. Jouer le rôle du pion sur l’immense échiquier de la vie.

Je ne sais pas si j'étais la seule à percevoir ce courant qui émanait de nos deux personnes, et qui nous englobait comme une aura commune, mais tout du long de la route, pendant qu'elle marchait à mes côtés, nos âmes semblaient liées et nos deux corps ne semblaient en former qu’un seul. Je réalisais également que cette femme n'était pas très bavarde, ce qui était anodin puisque de mon côté je parlais pour deux. Du moins d'habitude. Pour le moment, pendant que nous parcourions les derniers mètres vers notre destination, nous, nous contentions de nous lancer de fréquents sourires muets.

Elle m'attirait à elle comme la lumière attire les insectes vers leur funeste destin, comme un enfant hypnotisé par une flamme, j'étais impuissante et je savais qu'elle m'avait conquise.

C'est pour cette raison que parmi l'olla-podrida de sentiments que je ressentais pour elle, j'écartais ceux qui me dictaient de m'enfuir à toutes jambes. Comme je vous l'ai déjà dis, j'avais l'impression de l'avoir cherchée toute ma vie et d'avoir reconnu en elle la moitié de moi-même qui m'avait toujours manqué. Mais il me semblait aussi que je reconnaissais autre chose en elle. Une personne dont j'avais déjà fait la connaissance. Peut-être était-ce dans une autre vie ?

Sûrement l'avais-je déjà croisée quelque part ; ce qui me sembla tout à fait impossible étant donné la réaction dont j'avais été victime en la voyant un peu plus tôt. Non, probablement avais-je entendu parlé d'elle, mais je n'arrivais pas à trouver de quelle façon…

L'écriteau patiné par le temps du Délirium emplit ma vision, et elle ouvrit la porte pour me laisser passer devant elle ce qui mit fin à toutes mes tergiversations intrinsèques.

Une fois à l'intérieur, je choisis une petite table au centre de la pièce, mais apparemment elle n'approuva pas mon choix et nous guida plutôt vers une autre table tout près du mur au fond de la salle. Je pris note que de cette manière nous aurions une vue d'ensemble sur la place, et que de surcroît nous aurions le dos au mur. Pourquoi tant de précaution ? Je réalisais qu'elle avait méthodiquement et très délibérément choisi cette table et que ce n'était pas un hasard si elle avait préféré celle-ci à l'autre. Je décidais au même moment d'arrêter d'avoir de tels soupçons à son égard et de mettre plutôt mon énergie à mieux la connaître.

Le bar était à moitié plein, pour le moment du moins, mais je savais que d'ici une heure il serait plein à craquer. Les bougies qui saillaient un peu partout sur les tables étaient la seule source d'éclairage. Ses cheveux noirs scintillaient comme un ciel étoilé, sa peau renvoyait la lumière diaphane des chandelles et ses yeux avaient la couleur bleu-violet du crépuscule. Je remerciais les Dieux d'être déjà assise, et songeais ensuite que mourir ne serait pas trop cher payé pour conquérir une femme pareille ; enfin je m'avisais qu'il me fallait lui dire quelque chose. Mais quoi ? Les mots me manquaient.

La serveuse passa ce qui fit une ombre sur son visage. C'était comme si le ciel s'était couvert d'un coup. J'étais chavirée par sa beauté, je savais que sa grâce avait pénétré mon cœur comme une flèche empoisonnée et que cet amour coulerait dans mes veines comme un venin. Cette femme m'était aussi accessible que la lune, mais ça m'était totalement égale.

"Je ne crois pas m'être présentée." Lui dis-je en lui tendant la main. Je sentis sa main se glisser dans la mienne et la serrer doucement. Une poigne de fer dans un gant de velours. À ce contact je crus une fois de plus défaillir et luttai de toutes mes forces pour ne pas m'évanouir. En même temps j'eus ce franc pressentiment que si elle en avait envie, elle pourrait me broyer tous les os de la main. Mais elle n'en avait certes pas l'intention. Son contact était chaud, doux et familier, je ne voulais plus jamais qu'elle lâche cette main que je lui avais si subrepticement tendue. "Je me nomme Larielle, Larri pour les intimes." Dis-je enfin.

Elle inclina un peu la tête sur le côté en me souriant légèrement. "Enchantée Larielle."

Elle hésita un instant. "Je me nomme…" Elle hésita encore, comme si elle joutait intérieurement. "Zina." Finit-elle par lâcher en appuyant bien chaque syllabe. À ce moment elle se mit à me regarder intensément, comme si elle évaluait ma réaction. Son nom était-il supposé me dire quelque chose ? Peut-être…

Je me savais rouge comme une pivoine, et souriante comme une adolescente à son premier rendez-vous et cela, même si ça m'embêtait, sembla la ravir, et elle lâcha ma main. Ce fut comme si je mourais. Nous restâmes là, à nous dévisager comme des écolières. Par chance que la serveuse choisit ce moment pour venir prendre notre commande sinon je crois que nous y serions encore.

"Un pichet de votre meilleure bière." Demandais-je en comprenant que cela allait me coûter mon salaire d'une journée. Mais tant pis de toute façon j'étais plus riche que les riches, puisque c'est à ma table qu'elle était assise.

La serveuse disparut dans la pénombre et nous, nous regardâmes encore un moment en silence. Pourquoi étais-je si silencieuse moi qui d'habitude étais un vrai moulin à parole ? Elle m'intimidait, je crois. Je décidais enfin de me lancer quand elle ouvrit les valves.

"Tu viens souvent ici ?" Me demanda t-elle. Et je me mis sans tarder à lui raconter ma vie. Je ne crois pas avoir omis de détails. Et quand le deuxième pichet fut placé devant moi je compris qu'il serait bientôt temps de lui poser quelques questions à mon tour, histoire de faire bonne figure et de la connaître un peu mieux.

 

 

Chapitre 4

 

 

Aucun mot ne fut échangé pendant que nous progressions vers le Délirium. Elle me lançait fréquemment de petits sourires en coin auxquels je répondais de la même façon. Je savais depuis le début que ce n'était pas une bonne idée de la suivre, mais je ne pouvais me résoudre à lui fausser compagnie. Elle m'attirait comme le miel attire les abeilles et j'en étais consciente, ce qui était pire que tout.

Comme je l'avais anticipé, elle ne semblait pas me reconnaître, ce qui était une assez mauvaise chose puisque je savais qu'elle finirait par le faire et qu'à ce moment, elle prendrait, sans doutes, ses jambes à son cou. L'idée qu'elle le fasse et de ne plus jamais la revoir m'étais insupportable, mais c'est ce qui finirait par arriver et elle disparaîtrait avec la moitié de mon cœur. Au moins aurais-je le plaisir de la contempler un peu avant que l'inévitable ne se produise. C'est pour cette raison que je l'avais suivie.

Je pouvais distinguer un certain trouble en elle, mais ne pouvais dire exactement ce que c'était. Il me semblait que nous étions entourées d'une forte énergie commune qui m'empêchait d'avoir les idées claires. Une énergie qui me troublait apparemment autant qu'elle et qui était aussi puissante qu'une avalanche qui détruit tout sur son passage.

C'était assez bizarre comme sensation. Je n'avais jamais ressenti quelque chose d'aussi édifiant envers quelqu'un. De toute façon, avais-je déjà ressenti quelque chose ? Il me fallait mettre un terme à tout ça et vite mais j'en étais incapable. Elle m'avait vaincue et je le savais, ce qui m'irrita au plus haut point. Jamais personne ne m'avait vaincue. Elle me fascinait, me subjuguait, m'envoûtait. J’étais complètement à sa merci. Mais même si je devais en mourir, j'allais encore profiter de sa présence pour le temps que cela durerait. J'étais lâche. Pour la première fois de ma vie j'étais lâche.

Nous arrivâmes enfin devant une grosse porte sur laquelle était inscrit en lettres défraîchies le nom de notre destination. J'ouvris donc la porte pour la laisser passer devant. Le bar était mal éclairé et enfumé et elle nous guida vers une petite table au centre de la pièce. Cette table aurait été mon dernier choix. Être assise au milieu d'une salle remplie de gens et exposer mon dos tel une cible à tous les malfrats qui peuplaient cette terre, jamais… Les couteaux se perdaient facilement dans de tels endroits et je lui indiquais une petite table contre un des murs du fond. De cette manière j'aurais une vue d'ensemble sur le périmètre, et nous aurions le dos au mur ce qui retrancherait une voie d'accès. Il faudrait que je lui parle de ça.

Le moment que je redoutais le plus, arriva quand elle me tendit la main et se présenta dans les règles de l'art. "Je me nomme Larielle, Larri pour les intimes." Me dit-elle alors que je m'empressais de lui saisir la main. Sa peau était douce, souple et lisse. Ce contact alluma une flamme dans le creux de mon ventre et je sentis mon cœur battre plus fort dans ma poitrine. Si je devais mourir en fixant ses yeux vert-jade et son merveilleux sourire ça serait une mort idyllique. Je réalisais que cela allait peut-être se réaliser puisque je devais maintenant lui révéler mon nom.

L'heure de vérité avait sonné et j'hésitais. Devais-je lui dévoiler ma véritable identité et risquer de la perdre pour toujours, ce qui serait pire que la mort ou bien devais-je lui mentir, ce qui serait tout aussi pire. Finalement j'allais mourir d'une façon ou d'une autre alors aussi bien faire ça en lui disant la vérité. "Je me nomme…" J'hésitais encore un instant, en regardant son beau visage une dernière fois pour ne jamais l'oublier. "Zina."

Les minutes passèrent et à mon grand étonnement elle était toujours assise en face de moi, qui plus est, elle me souriait radieuse. J'étais abasourdie. Finalement, peut-être n'allais-je pas mourir aujourd'hui. J'avais un sursis pour le moment. D'un autre côté j'étais complètement à côté de mes pompes. Était-ce possible que ma réputation et mon nom ne soient jamais parvenus jusqu'à elle ? Ça serait réellement de la chance. Chance que je savais impossible. Je ne sais pas si j'étais heureuse ou malheureuse de ce fait. Je conclus donc que ce n'était pas impossible que cette fille n’ait jamais entendu parler de moi. Malheureusement, d'autres ne me feraient pas cette joie, j'étais prête à parier une fortune là dessus.

Si elle n'avait pas été très bavarde tout à l'heure, cela venait de changer radicalement. Elle me raconta sa vie et je dus plusieurs fois me ressaisir et rester sur mes gardes en prenant conscience de l'endroit où nous étions. Elle avait un don. Ses mots étaient gorgés de miel et je buvais littéralement tout ce qui sortait de sa bouche. J'aurais pu ainsi l'écouter toute une vie sans jamais cligner des yeux. Voilà qui était une façon vraiment agréable, selon moi, de rendre l'âme.

Je ne sais pas si elle savait qu'elle possédait ce don, mais l'écouter était comme être propulsé dans une autre dimension, comme regarder un merveilleux film. Le film de sa vie.

Jeune elle avait perdu ses parents et avait été recueillie par une femme qui lui avait appris à lire et écrire. Quand cette dernière était morte voilà cinq ans, elle avait dénichée une place de scribe en haute ville. Elle avait longtemps cherché l'amour et me parla même d'une certaine Kally Steau qui profitait, en ce moment même, de sa générosité. Cette prévaricatrice vivait à ses dépends comme les vautours, des vestiges de la vie humaine. J'ajoutais mentalement "Kally Steau" sur ma liste de personne à "rencontrer" et tentai de me convaincre que cette vague de colère qui avait surgi en moi était autre chose que de la jalousie.

La regarder me raconter sa vie, voir ses lèvres bouger, ses yeux briller, écouter ses paroles m'atteindre comme des flèches à bout portant, était comme le plus beau des rêves. Ce qui faisait changement des éternels cauchemars qui peuplaient mes nuits. Je dus me laisser prendre dans ses filets car je n'entendis, ni ne vis, l'homme qui s'approcha de nous.

"Tiens ! Tiens ! Si ce n'est pas Zina !" Dit-il en découvrant une rangée de dents noirâtres tout à fait écœurantes en interrompant le récit de Larielle.

Je levais les yeux un moment surprise de reconnaître cette voix. "Saletypéus !" Grognais-je entre mes dents, fort agacée de le voir là.

Saletypéus était un déchet de la pire espèce. Il était, marchand d'esclaves. Voyageant d'un pays à l'autre il kidnappait ou usurpait de très jeunes femmes qu'il revendait aux riches pour une poignée de dollars. Un abject personnage en fait. Je lui avais plusieurs fois fait perdre d'énormes sommes d'argents. Personne ne kidnappait personne sur mon territoire. Personne sinon moi. Saletypéus avait ignoré ce fait à quelques reprises ce qui revenait à me voler. Une chose intolérable. La dernière fois que je l'avais surpris à marauder sur mon continent, je l'avais traqué d'un bout à l'autre du pays, et quand je lui avais enfin mis la main dessus, je lui avais servi, devant ses hommes, une leçon des plus humiliantes. Je lui avais laissé la vie sauve pour qu'il serve d'exemple. En vie certes, mais trois doigts en moins, et une balafre sur toute la longueur du visage. J'aurais dû l'achever comme le porc qu'il était. S'il avait bénéficié de ma clémence cette fois là, cela serait différent cette fois ci. Il le savait et ce devait être pour cette raison qu'il pointait cette arme sur moi.

Il devait avoir payé ce petit joujou une fortune. Les revolvers étaient de nos jours des antiquités qui pouvaient vous exploser à la figure. Mais cela ne semblait pas le déranger outre mesure. J'allais bien m'amuser.

Il était là, debout devant notre table, à se délecter de sa victoire prématurée. Larielle, je le remarquais, avait pris une teinte livide et tremblait de tous ses membres. Le rideau allait tomber finalement.

Je braquais lentement mes yeux sur lui, et sentis également la colère m'envahir du crâne aux orteils. Il trépigna un peu sous mon regard assassin mais se reprit en regardant l'objet qu'il avait dans la main. Il ne doutait pas un instant qu'il allait mettre fin à mes jours. J'avais de petites nouvelles pour lui. J'allais l'écraser sous ma botte comme le cancrelat qu'il était.

Il sourit ce qui me dégoûta un peu plus que je ne l’étais déjà. "Qu'est ce que tu veux ?" Lui lançais-je pour gagner un peu de temps.

"Tu le sais très bien sale garce." C'est alors qu'il sembla remarquer la présence de Larielle pour la première fois. Une lueur s'alluma dans ses yeux, bien sûr, je compris instantanément qu'il évaluait la rondelette somme qu'il pourrait tirer d'une aussi jolie prise.

"D'abord je te bute, puis, je m'amuse avec ta copine avant de me faire une montagne de fric avec elle. C'est un bon plan hein ?"

Cela confirma que j'avais lu dans ses pensées, ce qui n'était pas vraiment un exploit en soi, et vis Larielle se raidir puis devenir encore plus pâle.

Le voir ainsi reluquer ma nymphe acheva derechef de me mettre en rogne et je profitais de son erreur pour lui décocher un solide coup de pied au poignet qui envoya l'arme choir à quelques mètres derrière lui. Il dut comprendre que le vent venait de tourner en ma faveur, et il blêmit d'un coup. J'en profitais encore pour me lever et dégainer mon gros couteau à double tranchant. Posant la pointe de celui-ci sur sa gorge, j'empoignais le col de sa veste et approcha mon visage à deux centimètres du sien, histoire de lui cracher ma hargne au visage.

"J'ai horreur de me faire déranger, comment veux-tu mourir. La gorge tranchée ? Le cœur transpercé ? Le ventre ouvert ? Choisis, je te laisse deux secondes après je décide pour toi."

Il trembla sous la force de mes doigts qui enserraient le col de sa veste puante. Au même moment j'entendis une détonation. Levant la main j'attrapais le projectile, une balle d'argent, qui m'était destinée. Saletypéus n'était pas venu seul apparemment, je lâchais un juron silencieux.

Dans mon poing la balle était brûlante comme un tison chauffé à blanc. Pour l'attraper j'avais du lâcher ma prise sur Saletypéus. J'avais maintenant un choix à faire. Choix qui s'imposa de lui-même.

D'un élan je bondis vers son complice en me propulsant comme un félin dans les airs. Retombant derrière le pleutre je lui tranchais la gorge aussi sec. Il tomba comme une poupée de chiffon sur le sol à mes pieds. Du bout de ma botte je fis sauter le pistolet dans les airs et il atterrit non fortuitement dans ma main. J'avais maintenant un couteau tranchant et sanguinolent dans une main, et un revolver chargé à bloc dans l'autre ce qui faisait de moi ce que j'avais toujours été, une femme mortellement redoutable et totalement invulnérable.

Saletypéus saisit la dernière chance qu'il lui restait et attrapa Larielle par derrière en appuyant sur sa gorge une longue lame ébréchée. Doucement je déposais le revolver et le couteau sur la table devant moi. "Lâche-la." Lui commandais-je. Ce qu'il ne fit certes pas.

"Que viens-tu faire ici Zina ?" Me lança t-il.

"Je descends au Tartare voir ma mère."

Même si Larielle était plus pâle que la mort, elle pâlit un peu plus. "Le Tartare ?!?!" Balbutia t-elle soudainement plus effrayée par cette déclaration que je venais de faire que par le couteau qui était appuyé sur sa jolie petite gorge.

"Ta gueule la greluche !" Hurla Saletypéus en appuyant encore un peu plus sur son couteau.

"Lâche-la." Ordonnais-je encore. "Lâche-la ou je te tue !" J'allais le tuer de toute façon.

Il se mit à rire. J'attrapais le revolver à la vitesse de la lumière et appuyai sur la gâchette. La balle se logea droit entre ses deux yeux et il cessa de rire comme il s'effondrait inerte pendant qu'une grande mare de sang lui maquillait le visage.

Je vis plusieurs hommes se déplacer vers moi et m'encercler. C'était encore plus amusant que je ne l'avais espérée. Quelques minutes plus tard j'en avais terminé avec eux. Je pris alors mon sac, lançai un clin d'œil à Larielle, ma jolie nymphe aux cheveux couleur de miel, et pris congé d'elle. Je ne la reverrais plus jamais et cela me brisa le cœur, mais c'était mieux ainsi. Pour elle, et pour moi.

 

 

Chapitre 5

 

 

Elle buvait littéralement toutes les paroles qui s'échappaient de ma bouche et si par moment elle semblait se débattre pour échapper à l'emprise de mes mots, elle y replongeait aussitôt. Je savais que j'avais un don et si la vie n'était pas ce qu'elle était aujourd'hui, je serais sans doute écrivain ou un truc du genre.

C'était comme si je lui avais lancé un sort et pour le moment mon récit de vie se perdait dans ses magnifiques yeux lapis-lazuli. Soudain une ombre se dessina à nos côtés et je fus malencontreusement interrompue.

Un grand homme se tenait là, la menaçant avec une arme. Cela m'aurait consolée que ce soit une arme blanche, mais ce n'était pas le cas. Dans la main du malotru se trouvait un énorme revolver pointé sur sa tête prêt à mettre fin à ses jours.

Elle sembla plus irritée qu'apeurée ce qui me troubla. Pendant que je réalisais le pétrin dans lequel elle était, je me mis à trembler d'effroi. Ses yeux se détachèrent des miens et elle regarda vers l'affreux truand. Que lui voulait-il ? Pourquoi la menaçait-il ainsi ? Et pire que tout, pourquoi semblait-elle le regarder, non pas avec les yeux d'un ennemi qui jauge les forces de son adversaire, mais avec ceux du bourreau qui prend ses mesures ? L'homme posa alors son regard haineux sur moi semblant se rendre compte de ma présence pour la première fois. Je savais que le marchandage de femmes existait, mais jamais je n'avais été l'objet convoité. Il lui dit qu'il allait lui régler son compte, s'amuser ensuite avec moi avant de faire du fric avec ma vente. Je me réjouis de valoir, selon lui une petite fortune. Je regardais vers elle et vis son visage. Ses yeux avaient maintenant une teinte plus sombre, et une lueur meurtrière y dansait. Ce qui me fit encore plus peur que l'homme qui nous menaçait. C'est alors qu'elle lui décocha un fulgurant coup de pied qui l'atteignit directement au poignet et le désarma vite fait. Cela m'impressionna grandement et j'exhalais un peu soulagée.

Dans un état quasi léthargique, je la regardais se redresser lentement. Comme elle était délicieuse ! Dans une formidable maîtrise d'elle-même, elle se redressa à sa pleine hauteur. Son corps athlétique miroita sous la lumière des bougies. Ses yeux avaient la couleur des profondeurs océanes, et son sourire dévoila une rangée de dents d'un blanc immaculé. Ses cheveux couleur corbeau lui descendaient jusqu'au bas des reins. Jamais je n'avais ressenti une telle terreur. Mon cœur battait à tout rompre, j'arrivais à peine à respirer. Horrifiée et fascinée à la fois, je m'abîmais dans la contemplation de la sinistre beauté de cette créature. Elle allait le tuer, et elle y prenait un malin plaisir. Ses yeux lançaient des éclairs et sur son visage se dessinait un sourire de contentement dément. Elle venait de se transformer sous mes yeux admiratifs en monstre cruellement dangereux assoiffé de sang. Elle avait dégainé son gros couteau de chasse et semblait jouer avec sa proie. Elle était incroyablement magnifique. L'impétuosité incarnée. Dans sa main, sa lame était devenue plus qu'un instrument de mort, une extension de sa rage d'une existence passée à tuer.

"J'ai horreur de me faire déranger, comment veux-tu mourir. La gorge tranchée ? Le cœur transpercé ? Le ventre ouvert ? Choisis, je te laisse deux secondes après je décide pour toi." Lui dit-elle sarcastique.

Oh ! Malheur ! Ça allait barder… Je trouvais cette rhétorique tout à fait charmante. Peut-être un peu agressive me direz-vous, mais très appropriée. Mon contentement ne fut que très temporaire et j'entendis une détonation. Une fraction de seconde s'écoula et sous mes yeux ébahis, elle attrapa à main nue la balle qui lui était destinée. Elle venait de réaliser un exploit là ?!?! C'était surnaturel ! Comment avait-elle pu arriver à faire une telle chose ? Seule une personne pouvait faire ce genre de truc. Oui, une seule personne, ça me revenait maintenant… Une horreur indescriptible s'empara de moi en réalisant qui elle était vraiment… Je ne l'avais jamais vue en chair et en os, mais j'en avais souvent entendu parler. J'aurais dû me rendre compte de ça au moment ou elle m'avait dévoilé son nom, mais le brouillard dans lequel je me trouvais à ce moment là avait dû empêcher que cette information se rende jusqu'à mon cerveau. C'était incroyable… Mais tout aussi inimaginable que cela pouvait paraître, c'était bien elle. L'impitoyable et légendaire Zina… La femme de qui j'étais éperdument tombée amoureuse ! Elle n'était peut-être pas aussi impitoyable que ça puisqu'elle avait daigné me parler ! Comment avais-je pu être aussi bête !

Malgré cette découverte, mon amour pour elle n'en diminua pas moins, au contraire. Je m'enflammais comme de la paille trop sèche. D'un autre côté, un profond découragement m'envahit. Cette femme était réellement hors de portée. Tant pis, il était trop tard et j'allais tout faire pour l'atteindre. Oui, tout. Car malgré tout ce que j'avais entendu à son sujet, j'avais découvert une faille en elle, et si les gens pensaient qu'elle avait un cœur de pierre, une âme ténébreuse, et un caractère à faire pâlir tous les démons de l'enfer, j'avais vu cette lumière aux fonds de ses yeux. Elle ne pouvait pas être aussi méchante et despote que les gens le prétendaient. Si c'était le cas, alors ma mission de vie serait de changer cela. J'étais le David qui allait se dresser devant le Goliath qu’elle était, un euphémisme tout à fait approprié me semblait-il.

Je la vis bondir derrière l'homme qui venait de lui tirer dessus. Elle lui trancha la gorge sans jamais cesser de sourire. Je dus me rendre à l'évidence, il y avait tout de même une part de vérité dans tout ce que j'avais entendu à son sujet. Évidemment Saletypéus avait profité de cette occasion pour me prendre en otage. Je ne me serais pas laissé faire aussi facilement en temps normal, mais comme j'étais trop abasourdie par ma récente découverte et trop subjuguée par le spectacle qu'elle offrait, je restais plantée là, pétrifiée.

Ce n'est que quand elle déclara à Saletypéus qu'elle descendait au Tartare que je sortis de ma torpeur. Le démon qui se nourrit de nos fautes et péchés me poussa à ouvrir la bouche. "Le Tartare !?!" M'entendis-je dire comme si cela était la pire des choses, et ça l'était. Elle n'entendit pas ou si c'était le cas, elle ne tint pas compte de mon commentaire. Au lieu de cela, elle attrapa le revolver et appuya sur la gâchette sans broncher, la balle vint se loger à deux pouces de mon oreille, entre les deux yeux de mon geôlier qui s'effondra à mes pieds. Je serais sourde d'une oreille pour quelques jours, mais elle venait de nous sauver la vie.

Elle jeta un coup d'œil aux alentours. Quelque chose avait bougé dans l'ombre. Soudain trois silhouettes bondirent devant elle. Son expression dénuée de vie fit place à une férocité de fauve aux abois. Elle chargea à mains nues et se rua sur les complices de Saletypéus comme une panthère toutes griffes dehors, animée du seul désir de tuer. Elle cassa, cogna, fendit, lacéra ses ennemis, sans pouvoir devant une femme devenue folle de rage que rien n'arrêtait. Ils voyaient leur mort se refléter dans ses yeux, et leurs armes ne purent rien contre elle. En moins de deux elle en avait terminé. Je la vis venir vers moi. Je sentis les battements de mon cœur remonter jusqu'à mon cou. Elle ramassa son sac, me fit un clin d'œil sexy et disparut dans la pénombre.

J'aurais voulu la suivre, lui crier d'attendre, mais j'étais pétrifiée sur place. Quand je sortis enfin de mon abrutissement, je me précipitais dehors, et scrutais la foule. Elle s'était envolée. Je restais un long moment à contempler les gens sur le trottoir en pestant contre moi-même. Il ne me restait qu'une seule solution si je voulais la revoir. La suivre au Tartare.

 

 

Chapitre 6

 

 

Ça avait été une erreur, je le savais bien. Comment avais-je pu être aussi sotte ! J'avais été faible. Je mis d'abord ça sur le compte du voyage. Mais je réalisais très rapidement que j'avais tout faux. C'étais moi, et seulement moi la responsable.

Même si j'avais décidé de vouer le reste de mon existence à racheter mon noir passé, je savais maintenant que toute ma vie je resterais une cible. M'acoquiner avec cette irrésistible petite blonde ne ferait que la précipiter, elle, vers une mort certaine, et prématurée. Et cela je ne pourrais jamais l'accepter.

Il me fallait l'oublier.

Oublier son beau visage, oublier ses cheveux d'airain, oublier ses yeux verts comme les doux printemps, oublier sa bouche qui évoquait des fruits mûrs, oublier sa douce voix qui mettait un baume sur mes plaies et m'envoûtait comme un merveilleux rêve, oublier jusqu'à son nom. Larielle.

Comme une mission que l'on accepte en n'étant pas convaincu de la mener à bien, je pris la ferme résolution, de ne jamais la revoir.

Je marchais pendant un moment sans trop tenir compte de l'endroit où me menaient mes pas, et je tentais péniblement de chasser les traits de son visage de ma mémoire. Une pensée harassante me vint. Kally.

Si je pouvais faire une dernière chose pour Larielle, ça serait celle-là.

Était-ce de la jalousie ? Sûrement un peu pour ne pas me mentir à moi-même. J'allais la débarrasser de ce cancer. La débarrasser de cette sale mégère qui profitait d'elle et l'humiliait jour après jour. Elle ne la respectait pas, j'allais au moins inculquer à cette garce de première, la loi de la décence, ma loi.

Peut-être était-ce une lubie, mais je me devais de faire cela pour elle. Je savais que ce genre de limace vous collait à la peau comme une teigne et qu'il lui serait impossible de se défaire de cette immonde vermine comme on se débarrasse d'une vieille paire de chaussettes. Non, pour se départir d'une sangsue, le meilleur remède était de brûler la bestiole. J'allais donner à cette Kally Steau, un peu de ce feu qui brûlait en moi comme les forges de l'enfer.

Je rebroussais donc chemin, et revint vers le Délirium dans l'espoir qu'elle y serait toujours.

Mon plan était simple, j'allais la suivre jusque chez elle et attendre ma proie. Mon soulagement fut extatique quand je la vis sur le trottoir. Elle semblait abattue, triste et tout à fait confuse. Voilà donc ce que j'avais réussit à engendrer en l'espace de quelques heures. Elle avait l'air d'une loque humaine. Une loque à qui on avait tout enlevé, même le goût de vivre. J'étais totalement impuissante, retourner vers elle et abdiquer à son désarroi la précipiterait dans mon abîme, un abîme sans fond qui ne ferait que lui octroyer la mort en bout de course.

Tout cela me conforta dans la résolution que j'avais pris, c'est à dire ne plus jamais la revoir. J'attendis donc qu'elle se mette en route, contente d'être là pour la suivre.

L'idée de la suivre, avait été la meilleure des idées que j'avais eue depuis longtemps. En chemin j'avais dû trancher au moins deux gorges, assommer quelques vauriens, et mettre K.O. quelques sombres personnages qui s'étaient mis à la suivre.

Elle s'arrêta enfin devant un gros immeuble de briques grises élimées par les ans et fouilla dans ses poches pour en ressortir un trousseau de clés.

C'était donc là qu'elle habitait. Pas mal. J'attendis qu'elle entre, et un moment plus tard de la lumière apparut à une des fenêtres. Elle devait avoir allumé quelques bougies. J'aurais donné mon âme pour être à ses côtés. Mais elle était pour moi le fruit défendu.

Je traversais donc la rue et me dirigeai vers le petit parc avoisinant. Posant mon sac à dos, je m'assis tranquillement au pied d'un gros chêne malade.

Deux bonnes heures passèrent avant que je ne voie arriver une grande blonde. Un pressentiment m'assaillit et j'eus la ferme conviction que c'était ma future victime. Elle était accompagnée d'un grand jeune homme qui lui prit la main et la tira dans ma direction, c'est à dire le parc. Ça allait être un vrai jeu d'enfant. Je décidais de ne pas bouger tout de suite, et de laisser le gibier venir se prendre lui-même dans le piège que j'étais.

"John Doe, coquin va… T'en as pas assez eu ?" Dit-elle d'un air aguicheur en se frôlant langoureusement sur lui. Cela me fit tiquer et me mit encore plus de mauvaise humeur.

"Non, mon lapin. Juste un p'tit coup allé ! Cette conne de Larielle ne t'attend sûrement plus de toute façon."

"Non, cette conne de Larielle ne m'attend pas comme tu dis, mais je pense qu'elle commence à avoir des doutes. Et puisque je tiens à son oseille et à tout le confort de son logement, sans oublier qu'elle me nourrit bien, il n'est pas question que je la largue."

C'était une vraie garce, pire que tout ce que j'avais pensé en résumé, en plus de tout le reste, cette peste était à voile et à vapeur. Je décidais de me lever et marchai tranquillement dans leur direction.

Ils ne remarquèrent pas tout de suite ma présence, et j'eus droit à encore quelques sordides confidences.

"Tu vas lui souffler son blé ?" Demanda le jeune homme en riant.

"Bien sûr ! Je vais me gêner, pffffff ! Qu'est ce que tu crois ! Elle est aussi sotte qu'une bourrique. Je l'ai entortillée autour de mon petit doigt, et bientôt, je l'aurai complètement lavée. Elle est si bonne… Elle se retrouvera à la rue sans jamais savoir ce qui l'a frappé. Il me faut juste rester encore un moment, histoire de savoir où elle planque son pognon. Ensuite, je la mets à la rue."

C'en était trop, j'allais la dépeigner un peu. Je savais qu'il existait des larves dans son genre, mais elle devait être la reine du troupeau. Une bonimenteuse qui se sert de ses charmes et de ses larmes de faussaire pour attendrir sa victime. Puisque Larielle semblait être généreuse, charitable et un peu naïve, elle devait être une bonne poire. Kally était un vrai rapace. Larielle était beaucoup trop tolérante. La tolérance n'était pas une de mes meilleures qualités.

Je me raclais la gorge pour leur faire comprendre qu'ils n'étaient plus seuls.

Tous deux plissèrent les yeux et se retournèrent vers moi comme si j'avais été la pluie qui venait gâcher la parade. Ils me dévisagèrent un instant souhaitant que je disparaisse comme un petit nuage gris qui venait d'interrompre un magnifique bain de soleil. Oui, un nuage, mais un nuage infiniment dangereux qui nourrissait une tornade ravageuse en son sein.

"Qu'est ce que tu veux sale mendiante ?" Lança Kally de sa voix nasillarde. "Je n'ai pas d'argent, et même si j'en avais, je ne t'en donnerais pas."

L'homme se contenta d'éclater de rire. Je lui décochais un de mes meilleurs coups de poings, ce qui lui refit une dentition. Comme c'était chouette… Il virevolta dans les airs tel une plume, avant de s'écraser comme une enclume sur le sol un peu plus loin. Il était maintenant inconscient… ou mort...

Ne restait plus que cette idiote et moi. Un éclair passa dans ses yeux et elle sembla un moment fouiller dans les méandres de son petit cerveau. Ses yeux s'agrandirent tout d'un coup. "Tu ne serais pas Zina par hasard ?" Lança t-elle d'une voix chevrotante pendant qu'elle perdait toutes ses couleurs.

"Bingo !" Lui répondis-je en souriant à belles dents.

Elle n'était peut-être pas aussi stupide en fin de compte puisqu'elle avait eu le bon sens de me reconnaître. Bah ! C'était chose facile, vu ma taille, mes longs cheveux noires, et mes yeux bleu ciel. Justement mes yeux. S'ils avaient pu décocher des flèches, elle serait en ce moment, aussi troué qu'une passoire. Je la vis tourner de l'œil. Je l'attrapais par les épaules, il n'était pas question qu'elle s'évanouisse. Cela me fit un plaisir énorme de la secouer comme un vieux prunier pour la ressaisir. Elle finit par reprendre un peu ses couleurs et me regarda avec des yeux de biche pris au piège.

"Ne me tue pas… De… Demande… Demande-moi tout ce que tu veux…" Dit-elle en tremblant.

"Tout ce que je veux ? " Je fis semblant de réfléchir un instant. "Tout ce que je veux hein… Je veux que tu entres dans ce building, que tu montes à son appartement, fasses tes malles, et ramènes tes fesses ici. Tu as quinze minutes. Si tu mets plus de temps, je monte te chercher moi-même, et ça tu ne veux pas que ça se produise crois-moi."

"Quoi ?" S'indigna t-elle.

"Tu as un problème avec tes oreilles ? Je peux sûrement arranger ça…" Lui lançais-je de mon registre le plus bas, là où ma voix était plus sentie qu'entendue. Je sortis mon couteau passai tranquillement mon pouce sur le fil de la lame.

"Non… Non… Mes oreilles sont parfaites." Dit-elle en les protégeant de ses mains.

"Vas-y j'attends."

"Quoi ? Tout de suite !"

"Bien sûr qu'est ce que tu crois. C'est une super nuit pour un bain de sang, ne trouves-tu pas ?" Elle perdit à nouveau ses couleurs. "Allez dépêche-toi avant que je ne change d'idée et décide de te refaire une beauté."

Je la vis détaler comme un lapin. C'était très utile d'avoir une réputation qui vous précédait en fin de compte. Cela évitait de se perdre en longues explications, chose que je détestais magistralement.

 

 

Chapitre 7

 

 

Je m'étais presque assoupie quand Kally entra en trombe. Ça tombait bien, j'avais justement à lui parler.

"Kally." Commençais-je pendant qu'elle se retournait d'un coup vers moi. Elle avait une drôle de tronche, mais ce n'était pas le temps de lui poser des questions et je décidais d'en finir au plus vite. "Ce que j'ai à te dire n'est pas facile, mais je ne t'aime plus et je veux que tu sortes de ma vie."

"Parfait." Me répondit-elle en se dirigeant vers le placard pour en sortir sa valise. Elle la remplit en un temps record ce qui était vraiment suspect. Elle était sur le pas de la porte quand elle me jeta un dernier regard. "Adieu." Dit-elle en refermant la porte derrière elle. Je me dépêchais d'aller voir si mon fric était toujours dans mon appartement. Rien ne manquait.

J'étais complètement dans le cirage et restais de longues minutes à regarder la porte derrière laquelle elle venait de prendre congé. C'était absolument délirant. Elle n'avait même pas discuté, pas même une objection. J'étais totalement ahurie, il y avait vipère sous roche. Je m'étais attendu à ce qu'elle me supplie à genoux, à ce qu'elle pleure toutes les larmes de son corps comme la dernière fois. Pas qu'elle m'aimait, ça je le savais, mais qu'elle renonce aussi facilement à mon argent, mon logement, ma nourriture et tout ce qu'elle me soutirait jour après jour, ça c’était vraiment surprenant. Elle devait s'être trouvée un coup plus fumant que moi. J'haussais les épaules et retournais mes pensées à celle qui avait fait chavirer mon cœur et qui ne me quitterait plus jamais... Zina.

***

Je vis revenir Kally qui transportait difficilement une grosse valise rouge. Bonne fille pensais-je en mon for intérieur. Elle avait fait vite et vint à moi en me regardant tout à fait livide.

"Maintenant, je te laisse vivre, mais si jamais je te revois à moins de vingt mètres d'elle, je tranche ta jolie petite gorge."

"Sache qu'elle m'a virée !"

Sur ces paroles elle se retourna et partit sans même s'occuper du connard qui était toujours dans les vapes… ou mort…

Je pouvais à présent descendre en enfer, puisque j'avais la conscience tranquille. Personne ne lui porterait préjudice. J'y avais veillé.

Mais avant d'aller voir ma mère, je décidais d'abord d'aller rendre une petite visite à Trèkon. Car il nourrissait sans aucun doute l'ambition de marcher sur Mid-Utopia, et puisqu'elle y habitait, j'allais m'arranger pour qu'il aille voir ailleurs.

 

 

Chapitre 8

 

 

La nuit passa lentement sans que je puisse trouver le sommeil. J'eus beau tout essayer rien n'y fit, je ne parvenais pas à la chasser de ma tête. Quand les premières lueurs grisâtres du jour pointèrent leur nez à ma fenêtre ma décision était prise ! J'allais descendre au Tartare et la retrouver. Elle ne pouvait pas être aussi corrompue que le prétendaient les mauvaises langues. J'avais vu cette lumière au fond de ses yeux, et ne pouvais me résoudre à continuer ma route sans elle. J'allais la suivre au bout du monde s'il le fallait.

Fouillant dans le placard je trouvais mon vieux sac à bandoulière et le remplis avec quelques vêtements. Je chaussais mes bottes de marche, attrapais du pain, des fruits, du fromage et une gourde d'eau. Je pris ensuite la grande enveloppe entre les planches de mon vieux bureau et l'ouvris. Elle contenait toutes mes économies, soit environ cinq cents dollars. Une vraie fortune de nos jours étant donnée que je me logeais pour dix dollars par mois. Parlant de ça, je descendis au rez-de-chaussée et cognai à la porte de Mia, la vieille femme sympathique qui s'occupait de percevoir l'argent des loyers. Elle ouvrit la porte encore tout ensommeillée.

"Bonjour Mia. Je viens régler mon dernier mois." Lui dis-je de but en blanc.

"Ton dernier mois ?" Me dit-elle passablement surprise en plissant les yeux.

Un peu plus je lui avouais que je venais de sauter les plombs, lui dire aussi que j'étais tombé follement amoureuse d'une sanguinaire machine de guerre légendaire, en plus de lui dire que je m'apprêtais à la suivre au Tartare. Mais je lui dis simplement de se trouver un autre locataire parce que je ne reviendrais plus. De toute façon, j'allais très certainement terminer égorgée dans le fond d'un caniveau poisseux avant d'avoir pu la retrouver, mais cela m'était égal. J'allais tenter ma chance. Mia me dit de faire attention à moi, avant de me servir une chaleureuse accolade et de me laisser pantelante sur le palier de sa porte.

J'étais complètement tarée, mais totalement heureuse…

 

 

Chapitre 9

 

 

Arrivée sur les docks je me dirigeais directement vers le navire de Trèkon. Évidemment il était bien gardé, mais je m'infiltrais tout de même à l'intérieur en catimini. Il me fut ensuite facile de retrouver sa luxueuse cabine, et j'y entrais sans faire de bruit. Penché sur une table de teck, il étudiait une carte d'Utopia. Il ne s'aperçut donc pas de ma présence.

"Hello Trèkon." Lui dis-je doucement. Cela le fit sursauter, et il se retourna en souriant sachant à qui appartenait la voix qui venait de surgir de nulle part.

"Zina." Dit-il très lentement. "Tu es ravissante." Me lança t-il en guise de salutation. Il souriait d'un air ravi. Bien sûr, il avait toujours eu un petit faible pour moi.

"Toi aussi…" Rétorquais-je de la même façon en m'avançant vers lui. "À part cette vilaine cicatrice…" Ajoutais-je en lui effleurant doucement la joue du revers de mon index. Évidemment celle-ci avait quelque chose à voir avec moi et mon art.

"Ça a été très gentil de ta part de me laisser un petit souvenir pour me rappeler de toi." Il avait de la répartie ce Trèkon, je l'aimais bien tout de même. Dans le fond, il n'était pas totalement irrécupérable. S'il avait pu être moins orgueilleux. Sur ce, il saisit ma main qui traînassait toujours contre son visage et la tira un peu brusquement.

"Très dangereux de me brutaliser, Trèkon." Dis-je entre mes dents. J'étais tout de même Zina, et lui très con de tenter le diable.

"Cela n'arriverait pas si tu étais un peu plus coopérative." Me lança t-il en déposant doucement un chaud baiser sur le dos de ma main. Ce qu'il pouvait être assommant parfois. Il me sourit à belles dents avant de redevenir sérieux. "Qu'est ce que tu fais ici ? Si tu es venue pour me tuer---"

"Tu serais déjà mort. Non, je viens pour te demander une faveur." Osais-je l'interrompre avec une certaine insolence avant qu'il n'allonge les sempiternelles menaces.

 

"Qu'est ce que tu veux ?" Me dit-il en se retournant un peu froissé de s'être fait damer le pion.

"J'ai vu tes hommes se promener un peu partout dans Mid-Utopia ce soir." Ce qui était la vérité, et elle ne m'avait pas échappé.

"J'ai entendu dire que tu avais eu une petite altercation." Me répondit-il. Je m'interrogeais quelques instants, car je n'étais pas certaine de laquelle des altercations il voulait parler. Il était évident qu’il voulait changer de sujet, mais je ne lui donnerais pas cette satisfaction, ni aucune autre.

"Je veux que tu épargnes Mid-Utopia." Je me retournais pour qu'il ne puisse pas voir mes yeux, je ne voulais surtout pas qu'il voit la lueur qui y dansait pendant que le visage de Larielle se formait dans ma tête.

"Tu t'inquiètes de ces citadins ? Je peux peut-être épargner Mid-Utopia, si…"

"Si quoi ?" Dis-je un peu irritée ayant une bonne idée de ce qu'il allait dire.

"Si tu te joins à moi. Nous ferions une équipe du tonnerre toi et moi." Il remettait ça. Il avait toujours voulu que je me joigne à lui. Si j'avais voulu cela, je l'aurais fait il y a longtemps, ce qu'il ne sait pas, c'est que j'aurais fait de lui mon pantin, mon petit animal de compagnie, mon guignol. Jamais je n'aurais supporté de partager quoi que ce soit avec lui, ni avec personne d'ailleurs.

"Je ne peux pas faire ça, Trèkon." Finis-je par dire.

"Et pourquoi pas ?"

"Je rentre chez-moi. Au Tartare." Il vint vers moi et me prit par les épaules pour que je me retourne vers lui.

"J'ai toujours rêvé être avec toi, en amour comme à la guerre. Tu ne me donneras jamais la satisfaction d'un l'un ou de l'autre, n'est ce pas ? N'est ce pas ??? Je vais épargner Mid-Utopia… En souvenir du bon vieux temps…"

"Merci."

"Qu'espères-tu trouver au Tartare ? Le pardon ? J'ai déjà essayé de retourner à la maison un jour. Mon père m'a presque battu à mort avec un pied de biche. Tu auras droit au même traitement, je te le garantis." Une fois de plus il avait repris ce ton ironique dont il usait avec moi et qui me faisait tant enrager.

"Au revoir Trèkon."

Sur ce je pris congé de lui sans fla-fla.

Quelques heures plus tard, j'arrivais aux limites de la zone du milieu, juste au seuil des portes du Tartare. Une bouche de métro s'ouvrait dans les entrailles de la terre, et je restais un moment sur place à regarder ce trou noir par lequel j'entrerais dans mon ancien monde. Là je savais qu'on me reconnaîtrait, puisque tous les mécréants ambitieux du coin y tenaient quartiers.

Mon apparition serait pour certains, une menace ouverte, ce qui entraînerait sûrement quelques rixes sur mon chemin, mais tant pis. Je voulais revoir ma mère qui tenait une auberge célèbre. Probablement ne serait-elle pas enchantée de me revoir, mais comme je vous l’ai dit, je ne pouvais repartir sans avoir d'abord fait la paix avec elle. Ça serait mon premier pas vers la rédemption, ma rédemption. J'allais enterrer la sanguinaire meurtrière que j'étais. Pour faire quoi, je n’en étais pas encore certaine, mais j’allais bien trouver.

Je descendis donc doucement les escaliers, la tête haute et les sens en alertes. J'avais à peine parcouru trois pas dans le long tunnel illuminé par des torchères qu'un homme m'accosta.

"Salut ma jolie !" Me lança t-il impunément. Son sourire disparut aussitôt qu'il me reconnut. "Zina !" Cracha t-il entre ses dents. "Ça fait si longtemps que j'attends de te faire la peau, de t’arracher le cœur et de boire ton sang. " S'écria t-il en sortant un gros gourdin clouté de sa longue veste crasseuse.

Évidemment, je le reconnus aussi. C'était Cyclope, l'homme dont j'avais fait sauter un des globes oculaires avec un tisonnier chauffé à blanc. Me plaçant de son côté borgne, je lui servis un rude coup de pied dans les parties. Il lâcha son gourdin et se plia en deux en portant les mains à ses bijoux de famille. Il me fit presque pitié.

"Alors Cyclope ! Que deviens-tu ?" Lui demandais-je curieuse de connaître la réponse.

"Par ta faute j'en suis réduit à mendier !" Réussit-il à hoqueter.

"Tu devrais essayer de te trouver un travail honnête, un grand gaillard comme toi ! Tu pourrais facilement devenir garde du corps. Bien des gens auraient besoin d'un homme robuste comme toi !"

"Avec un œil en moins ??? Pouahhhh ! Laisse-moi rire !" Justement il rit en dévoilant une rangée de dents jaunes.

"Alors tu n'as qu'à continuer à mendier fainéant."

Je pris congé de lui. J'avais des choses plus importantes à faire que de discuter de son avenir. Je parcourus encore quelques kilomètres souterrains dans la foule, sous les regards et les murmures des Tartariens qui me reconnaissaient. J'arrivais bientôt près de l'auberge de ma mère. L'Auberge de la Dernière Chance.

Quelque chose clochait. J’aperçus un groupe d'hommes arborant les couleurs des Blue Ribbons. J'aurais dû être plus précise quand j'avais demandé à Trèkon d'épargner Mid-Utopia et lui préciser de faire la même chose avec le Tartare, apparemment il m'avait un peu dupée. C'était mauvais signe, ils se dirigeaient directement vers l'Auberge, quel heureux hasard. J'anticipais le pire et pris un détour par un conduit voisin. De cette façon, j'allais leur barrer la route et s'ils cherchaient des ennuis ils en trouveraient à la pointe de mon couteau.

Je sortis rapidement du petit conduit adjacent à l'Auberge et attendis qu'ils arrivent à ma hauteur. Ne semblant pas me reconnaître tout de suite, ils s'arrêtèrent en me reluquant.

"L'Auberge peut attendre. Pourquoi ne pas s'occuper de celle-là auparavant !" Ricana l'homme qui semblait être le chef de la bande.

Le mot Auberge m'affirma qu'ils comptaient parachever une mission qui la concernait et je ne pris même pas le temps de répliquer quelque chose. Je trucidais quelques dizaines de ces poltrons et pendant que le reste prenait la poudre d'escampette, je retins leur chef. Il allait être le porteur d'un message. Un rire s'échappa malgré moi de ma gorge, cette petite confrontation m'avait fait grand bien. Un instant l'homme pencha la tête sur le côté.

"Tu ne serais pas Zina par hasard ?" Murmura t-il faiblement.

"Tu es très perspicace." Rétorquais-je de mon registre le plus bas.

Je découpais son ruban bleu avec la pointe de mon couteau. "Retourne à ton maître sale bâtard, et dis-lui que quand je parlais de Mid-Utopia, je voulais aussi dire le Tartare. Dis-lui aussi de se tenir bien loin de cette Auberge s'il tient à la vie. Compris ?"

Il se contenta d'hocher la tête, et je le laissais filer.

Me retournant, je fixais un moment l'écriteau usé de l'Auberge. Je pris une grande inspiration et pris mon courage à deux mains. J'allais enfin revoir ma mère.

Quand mes yeux se furent habitués à la pénombre je remarquais que l'Auberge était pleine à craquer. Cherchant ma mère du regard je ne la vis pas tout de suite. L'endroit était fidèle à mes souvenirs et rien ne semblait avoir changé pendant mes dix années d'absence. Ma mère sortit sur l'entrefaite des cuisines, les mains chargées de plats fumants. Dieux que ça sentait bon. Quand elle me vit, elle laissa tomber son chargement qui s'écrasa avec fracas sur le sol. Sa surprise était totale.

"Maman." Lui dis-je heureuse de revoir son beau visage.

Elle marcha droit sur moi et empoigna mon gros poignard pour me menacer. Ce n'était pas ce que j'espérais comme accueil, mais maintenant que j'y repensais j'aurais du savoir qu'elle allait réagir de la sorte. Cela me brisa le cœur. À quoi m'étais-je attendu ?

Peut-être avais-je fait une erreur en revenant ici. Maintenant que j'y songeais, cela ne me semblait plus une si bonne idée. J'eus envie de repasser cette porte et de reprendre ma vie d'avant. De redevenir cette froide guerrière qui avait régné sur la plus grande partie d'Illusia, de me faire Reine, Conquérante et Ultime Souveraine une bonne fois pour toutes de ce pays que j'avais presque conquis durant mes dix années de sauvage barbarie. Mais je n'en fis rien et elle acheva de réduire mon cœur en miettes.

"Les armes ne sont pas les bienvenues dans mon Auberge. Et toi non plus !" Cracha t-elle entre ses dents en plantant mon énorme couteau dans le bois tendre d'une table. Le manche de mon poignard trembla sous l'impact. "Qu'est ce que tu fais ici ?"

"Maman, écoute, Trèkon se prépare à marcher sur le Tartare." Lui répondis-je doucement.

"Et tu veux emprunter quelques hommes pour monter une armée, pas vrai ?" Répondit-elle sarcastique.

"Je peux vous aider à organiser une défense." J'étais sincère, et j'espérais qu'ils me croient, car je connaissais Trèkon, et il les écraserait comme des moucherons.

"Laisse tomber Zina."

"Je connais Trèkon, je sais comment il pense, je connais ses faiblesses et ses méthodes, si nous agissons rapidement, nous pourrons l'arrêter." J'étais désespérée, ils devaient m'écouter.

"Tu nous prends pour des idiots ? Nous, nous rappelons tous de ce qui est arrivé la dernière fois que tu as parlé comme ça !" Elle remuait le scalpel dans la plaie comme une foutue chirurgienne. Elle venait de clouer mon clou.

Les clients présents s'étaient levés debout et me dévisageaient avec haine. Je reconnus plusieurs visages et me souvins douloureusement que j'avais entraîné avec moi leur progéniture. "Nous ne te laisserons pas prendre nos fils." Entendis-je. Puis encore. "Pas une deuxième fois, Oh ! Non !"

Tout ça allait mal finir.

"Vous êtes tous en danger." Dis-je stoïquement. Je n'allais quand même pas les supplier à genoux.

"Même si cela était vrai, nous aimons mieux mourir qu'accepter ton aide." Dit ma mère. Côté orgueil j'avais de qui tenir.

Partout dans la taverne des murmures outrés s'élevèrent. Ils n'allaient pas m'écouter.

"Va-t’en Zina. Ce n'est plus ta ville. Nous ne sommes plus tes gens. Je ne suis plus ta mère."

C'en était trop, et je sortis de l'Auberge comme une flèche.

 

 

Chapitre 10

 

 

À peine venais-je de pénétrer au Tartare qu'un homme de haute stature m'apostropha. Je remarquais qu'il était borgne. Il me quémanda quelques pièces que je lui remis avec empressement.

"Je cherche Zina, l'avez-vous vue passer par hasard ?" Lui demandais-je poliment.

Ses yeux se rétrécirent à deux fentes et il sortit un gros gourdin clouté de son froc crasseux.

"Zina cette salope. Tu es une amie de cette garce qui m'a valu le surnom de Cyclope ! Je vais me faire un plaisir de réduire ta petite tête en bouillie pour les chats."

"Qui a dit qu’elle était mon amie ? Si elle t'a privée d’un œil, moi, elle m'a rendu sourde d'une oreille…" Je devais réfléchir et vite. "Si je la traque c'est pour la… culbuter… Heu… la buter !!!" Repris-je un peu empêtrée dans mes mots.

Le colosse éclata de rire. "Une petite chose comme toi ! Hahaha ! Elle est bien bonne !!! Toi tu vas la buter ???" Il riait aux larmes ce qui était assez blessant.

"Bien sûr !" M'écriais-je. "Penses-y ! Une petite chose comme moi n'aura aucune difficulté à s'approcher d'elle et trancher la gorge de cette démone !"

Il cessa de rire et réfléchit. "Ce n'est pas bête." Finit-il par admettre. "Si tu veux bien me rapporter son cœur, je te serai redevable."

"Son cœur ? Non, son cœur, je me le garde. Pourquoi pas ses jambes ? Elle en a de superbes il me semble."

"Ça c'est vrai, va pour les jambes... Alors tu la trouveras certainement à l'Auberge de la Dernière Chance que tient sa mère." Et il m'indiqua la route à suivre.

J'arrivais à la dite Auberge environ une heure plus tard, son nom s’appliquait tout à fait à ma situation, car c’était là ma Dernière Chance... En cours de route j'avais dû user d'au moins une dizaine de ruses pour rester en vie. J'étais vraiment heureuse que ce soit le jour car à la nuit tombée, je n'y serais sans doute pas parvenue. Même si c’était en quelque sorte toujours la nuit au Tartare.

Ainsi la mère de Zina tenait une Auberge au Tartare. Je vis des hommes affalés ça et là sur la vieille rame de métro, sans doutes était-ce l'œuvre de ma future copine. Si futur il y avait. J'avais survécu jusqu'à présent, mais je n'étais pas certaine qu'elle serait très heureuse de me voir ici. Soit elle me tuerait de ses propres mains et cela m'éviterait bien des problèmes à venir, soit elle me renverrai directement d'où je venais, ce qui était hors de question. Au mieux elle serait aux anges de me revoir ce que je doutais fort. J'allais devoir la convaincre.

 

 

Chapitre 11

 

 

Après avoir erré quelques heures, je revins vers l'Auberge car je voulais récupérer mon poignard. Les cadavres des hommes de mains de Trèkon gisaient toujours sur la vieille rame de métro, ils avaient eu ce qu’ils méritaient.

Heureusement, l’Auberge était vide et j'allais reprendre mon gros coutelas qui était toujours planté dans la massive table.

Quand j'eus récupéré celui-ci, ma mère sortit comme par hasard de la cuisine et me vit. J'étais pour ressortir sans rien dire, mais je décidais de quand même réitérer mes avertissements. "Si vous ne voulez pas monter une défense, alors il vous faut partir d'ici." Je connaissais suffisamment Trèkon pour savoir qu'il allait attaquer.

"Tu as fais tout ce chemin pour me dire cela ?"

"Non, ce n'était pas la seule raison."

"Quelle autre raison pourrais-tu avoir ?"

"Je voulais revenir à la maison. Je pensais que cette fois je pourrais me racheter et bien faire les choses." J'espérais que cette confession allait être suffisante.

"Je ne pense pas qu'il y ait quelque chose qui puisse racheter la honte et la peine que tu as apportées sur notre cité." Elle remettait ça, mais je ne pouvais m'empêcher de lui donner mentalement raison.

"Probablement pas, mais je vais passer le reste de ma vie à essayer." J'essayais désespérément de lui faire voir que j'avais de nobles intentions.

"Oh ! Zina ! J'aimerais pouvoir te croire."

À ce moment un groupe de citoyen entra en trombe dans l'Auberge. Je remarquais qu'ils tenaient des pierres et autres objets, mais j'attendis.

"La voilà !" Dit un des hommes. "Nous savons ce que tu as en tête Zina, nous ne te laisserons pas t'en tirer cette fois."

"De quoi parlez-vous ?" Dit ma mère dubitative.

"Son armée brûle des maisons à l'ouest."

"C'est un mensonge. C'est l'armée de Trèkon." Dis-je en me retournant vers ma mère. Elle haussa les sourcils et une lueur triste dansa dans ses yeux, elle ne me croyait pas, c'était évident.

"Alors pourquoi portent-ils ton étendard, et clament-ils ton nom ?" Dit encore l'homme.

Ce saligaud de Trèkon faisait tout pour mettre ses petites manigances sur mon dos. J’aillais lui arracher la tête.

"Faites ce que vous voulez d'elle." Dit alors ma mère en tournant les talons et en repartant en direction des cuisines. J'étais au désespoir. Non seulement elle ne me croyait pas, mais elle m'abandonnait. Une grande tristesse s'empara de moi, puis cette tristesse se transforma en frustration, et cette frustration se mua en colère rageuse. Ça m'était maintenant égal qu'ils me lapident sur place.

"Qu'est ce que vous attendez ? Prenez votre revanche… Tout ce que vous avez entendu à mon sujet est vrai… Je suis coupable de tous les maux de cette foutue planète…" Comme ils ne bougeaient pas, je rajoutais. "Quoi ? Une femme seule est trop pour vous ? Laissez-moi vous aidez." Je pris mon couteau et le plantai comme ma mère l’avait fait avant moi dans la table. "Une femme seule et non armée…"

Une jeune femme me lança une grosse pierre, et bientôt les autres en firent de même, ils allaient finalement me lapider sur place. J'allais les laisser faire. Peut-être…

C'est alors que je la vis transpercer la foule et venir se mettre devant moi. Larielle cette petite blonde m'avait suivie jusqu'ici. J'étais trop estomaquée pour dire quoi que ce soit.

"Attendez ! Attendez !" S'écria t-elle. Toute la salle se tut devant tant de ferveur. "Vous ne me connaissez pas, je suis nouvelle en ville." Elle s'était mise entre moi et mes assaillants sans même hésiter. "Mais je peux vous assurer que Zina est une nouvelle femme." Comment pouvait-elle savoir ? Elle me connaissait à peine. J'étais curieuse d'entendre la suite, puisqu'elle voulait jouer à l'avocat du diable aussi bien la laisser faire. Qu'est ce que j'avais à perdre ? "Ce n'est plus la Zina que vous avez connue, elle a changé. Je l'ai vu accomplir des actes héroïques au nom du bien." Dit-elle ensuite.

De la foule présente monta quelques rires. "Si tu n'es pas suicidaire, je te conseille de t'enlever de là. Elle a entraîné Trèkon au Tartare, et maintenant, ils vont tous deux nous anéantir et nous réduire à l’esclavage." Dit un des hommes. Toujours le même en fait. Il devait m'en vouloir plus que les autres.

"Trèkon ? Ah ! Oui ! C'est un terrible personnage, je comprends votre inquiétude. Mais laissez-moi vous expliquer quelque chose." J'avais hâte d'entendre cette explication.

"Ne gaspille pas ta salive. Nous ne lui ferons jamais plus confiance. J'ai enterré deux fils à cause d'elle. Maintenant pousse-toi de là." Voilà pourquoi il m'en voulait à mort. C'était justifiable.

"Non, attendez ! Admettons que vous ayez raison, et que Trèkon soit son ami. Disons même qu'elle est son amante. Qu'accomplirez-vous ? Vous croyez que Trèkon est dangereux ? Que croyez-vous qui se passera quand il apprendra que vous avez lapidé sa nana ? Cela me donne la pétoche juste d'y penser."

Je bouillais littéralement, Trèkon et moi amants ??? Elle poussait un peu trop là ! Cela me mit littéralement en rogne. J'aurais du savoir qu'elle chercherait à me retrouver. J'aurais du anticiper tout ça. Mais ce qui me mettait encore plus en colère, c'est qu'elle se fasse ma protectrice et qu'elle veuille se faire lyncher avec moi. Sa place n'était pas ici. Une gentille fille comme elle n'avait rien à faire ici et encore moins avec moi. J'allais être sa planche de salut, et je crois qu'elle n'avait aucune idée dans quoi elle venait de mettre les pieds. J'allais la renvoyer vite fait d'où elle venait, jamais je n'aurais sa mort sur la conscience. Jamais.

Elle dut remarquer cette petite lueur menaçante dans mes yeux car elle me sourit d'un air de défi. C'en était trop, certes elle était plus que brave et cela m'avait épaté, mais personne ne m'avais jamais défiée de la sorte. Elle me sourit encore de cette façon, cette fille était totalement inconsciente.

"Très bien, alors toi et Zina partez d'ici sur-le-champ." Dit alors l'homme.

Elle avait réussi à les convaincre de ne pas me lapider. C'était toujours ça de gagné. Je dois avouer que cela me fit sourire. Même si je n'allais pas le lui admettre, elle était vraiment douée. Cela me réconcilia tout de même un peu avec elle.

"Pas de problème." Répondit-elle en prenant mon sac et mon poignard et en me les balançant sans ménagement dans le ventre. C'était une vraie petite peste.

Aussitôt sortie de l'auberge, elle se mit à me suivre comme un chiot. J'étais encore un peu en colère contre elle et m’employai donc à la distancer.

"Hey ! Zina !" Me lança t-elle en tirant sur ma manche pour stopper mes pas. Elle reprit un peu son souffle pendant que mes yeux lui lançaient des menaces non voilées.

"Quoi ?" Dis-je enfin.

"Pourrais-tu ralentir un peu ?"

"Et pourquoi ferais-je cela ?"

"Attends, Tu ne vas tout de même pas me laisser ici ? J'ai fais tout ce chemin pour venir te rejoindre."

"Ça c'est ton problème." Dis-je en m'efforçant d'être aussi froide que la mort pour la dissuader. Même si au fond de moi, j'avais très envie qu'elle me suive.

"Hey ! Je viens juste de te sauver la vie !"

Cela me désarma totalement, à dire vrai, c’était peut-être ce qu’elle venait d’accomplir. Je ne pouvais, en effet, pas la laisser là toute seule. D'un geste de la main je lui fis signe de me suivre. Elle sourit d'un air tout à fait craquant. Et nous reprîmes la route.

"Où allons-nous ?" Demanda t-elle joyeusement.

"Voir mon frère." Répondis-je sombrement.

 

 

Chapitre 12

 

Une fois au cimetière, je lui demandais d'attendre de l'autre côté des grilles, et me dirigeais vers la pierre tombale de mon frère. Posant un genou en terre je regardais les fleurs fanées qui étaient déposées devant la pierre. Lentement je désherbais les alentours. "Tu n'as jamais été très porté sur le ménage. Depuis que tu es parti, j'ai un peu perdu la tête. Maintenant je l'ai retrouvée. Je pensais pouvoir repartir à zéro. Mais, non, ils ne me font pas confiance… même pas maman. Je ne peux pas lui en vouloir. Elle ne peut voir dans mon cœur. Mais il me faut croire que toi tu le peux, j'aimerais tellement que tu sois ici. C’est vraiment très difficile d'être seule."

"Tu n'es plus seule." Dit Larielle qui se tenait debout derrière moi. Elle m'avait encore suivie. Mais sa déclaration était une bénédiction.

***

Pendant ce temps.

Les citoyens s'étaient regroupé à l'Auberge, et avait demandé audience à Trèkon. Bien sûr ils croyaient pouvoir acheter la paix.

"Qui est le chef ?" Demanda Trèkon d’un ton condescendant. Un homme s'avança un peu et inclina la tête. "Votre émissaire m'a dit que vous vouliez m'offrir un marché. J'ai trouvé cela très à propos, c'est pourquoi je suis ici. Qu'avez-vous en tête ?"

"Uh, nous, ah, avons pris la liberté d'entasser nos biens de valeurs dans des caisses. Il y a vraiment tout ce qui peut se monnayer. Nous avons aussi entassé de la nourriture. Nous espérons que vous allez prendre le tout et nous laisser tranquille."

"Pourquoi voudrais-je faire cela ?" Répondit-il d'un ton arrogant.

"Hé bien, nous pensions que c'était ce que vous vouliez. Cela est beaucoup mieux qu'une bande de citadins morts." L'homme était mort de trouille. Maintenant qu'il avait Trèkon devant lui, ses genoux ne cessaient de claquer ensemble, et il comprenait qu'il avait eu tort de vouloir prendre un arrangement avec lui.

"Peut-être, mais ce n'est pas aussi amusant. Toutefois, peut-être y a t-il un marché à conclure. Vous avez quelque chose que je veux… Zina." Finit-il par dire avec rage.

"Zina ?! Mais elle n'est pas ici."

"Où est-elle ?" Cette fois Trèkon agrippa l'homme par sa tunique et le souleva sans ménagement. Il le frappa avec force.

"Ooouff… Je ne sais pas !"

"Laissez-moi vous montrer ce qui arrive à ceux qui ne coopèrent pas." Il commença à le battre comme plâtre.

"S'il vous plaît, ne me tuez pas !" Le supplia l'homme.

"Oh ! Dans quelques minutes, tu me supplieras de le faire, espèce de sale men---"

"Il ne ment pas… Re-bonjour Trèkon." J'avais entendu la dernière partie de la conversation de l'autre côté de la porte. Trèkon était allé trop loin cette fois, et j'allais lui faire regretter cette petite erreur.

"Zina… comment s'est passé ton retour à la maison ? T'ont-ils fait une petite fête ?"

"Qu'est ce que tu veux ?"

"Je te veux… D'une façon… Ou d'une autre. Nous pourrions conquérir le monde ensemble. Tu dois maintenant savoir que tu ne pourras jamais te défaire de ton passé, Zina. Célèbre ton côté sombre. Ne le fuis pas. Joins-toi à moi."

"Tu as dit d'une manière ou d'une autre… Alors c'est de l'autre." Il eut l’air vraiment déçu, ce qui m’amusa.

"Choisis tes armes." Me lança t-il tout à fait frustré.

"Non, tu choisis tes armes, je choisis les règles." Non, mais franchement, pensait-il qu’il allait me donner un ordre. De plus, j’aimais bien avoir le dernier mot.

"Épées."

"Sur le bar, le premier qui touche terre meurt." J’étais assez contente de mon choix. Je savais que Trèkon était un bon combattant, mais il ne m’arrivait pas à la cheville. Ça allait quand même être intéressant.

Trèkon se retourna pour s'adresser à ses hommes. "Tuez le premier qui pose le pied par terre. Personne ne sort tant que nous n'avons pas terminé." Ses hommes encochèrent des flèches sur leurs arcs.

Je pris une des vieilles épées suspendues à un des murs de briques, ce qui lui en laissait également une. Je soupesais bien la grande arme. Je m'étais souvent entraînée avec cette épée étant jeune. Ce n'était pas la mienne, mais celle-ci allait faire l'affaire.

Je sautais sur le bar tel un chat en mettant un peu plus d’emphase que d’ordinaire histoire d’impressionner non seulement le public, mais aussi ma jeune amie blonde. Quant à me donner en spectacle aussi bien leur en donner pour la monnaie de leur pièce. Ils allaient me voir dans toute ma splendeur. Trèkon sauta un peu plus lourdement à l'autre bout du bar, et notre danse mortelle débuta. Parade après parade nos armes s'entrechoquèrent. Coteau dans une main, épée dans l'autre, chacun de nous parait les coups de l'autre dans un bruit métallique assourdissant.

Ce devait être tout un spectacle puisque du coin de l'œil, je vis ma jeune amie me regarder la bouche et les yeux grands ouverts. Dieux qu'elle était appétissante. J'aurais pu venir à bout de Trèkon plus rapidement, mais je laissais durer le plaisir et cela me faisait grand bien que de laisser sortir la pression, j'adorais me battre, là-dessus, il avait raison. Jamais je ne pourrais m'arrêter. J'y allais encore de quelques mouvements complexes pour finir d'épater la galerie et fis un croche pied perfide à ma proie qui tomba à la renverse sur le sol. Il était vaincu. Je sautais à pieds joins sur la poitrine de mon adversaire, de cette manière je n'avais pas encore touché terre et c'était une façon supplémentaire de démontré ma suprématie. Déposant la pointe de mon épée sur sa trachée, je lui décochais un de mes plus étincelants sourires.

"Je n'ai toujours pas touché le sol, Trèkon… mais toi oui." Comme ses hommes hésitaient à lui tirer dessus je soupirais. "On dirait que je vais être obligée de t'achever moi-même. À moins que tu ne sois maintenant prêt à conclure un marché." Il hocha la tête légèrement. "Si je te laisse vivre, toi et ton armée allez reprendre la mer et fichez le camp avant la tombée du jour. Jure-le sur la tête d'Arès." Je savais qu’il vouait un culte sans borne à ce Dieu de l’antiquité. Ceux-ci revenaient justement à la mode ces derniers temps.

"Je le jure sur la tête d'Arès, Dieu de la Guerre, nous serons partis avant la tombé de la nuit."

"Alors va." Il me sourit avec courtoisie. Je savais qu'il tiendrait parole, c'était comme ça avec lui. Il n'était pas totalement pourri.

Un de ses hommes voulut me poignarder dans le dos, et j'entendis Larielle crier mon nom. Mais Trèkon fut plus rapide que moi et projeta une dague dans la gorge de son homme de main qui s'écroula raide mort sur le sol.

"Un marché est un marché." Dit-il en me souriant encore. Puis il disparut avec ses hommes. Je le regardais partir en me disant que c’était un bien drôle de garnement. Il avait en quelque sorte l’étoffe des chevaliers. Je ne pouvais donc pas me résoudre à le détester complètement. Je me surpris même à le respecter un peu. Puis vint une voix qui me sortit de mes pensées.

"Tu peux prendre les caisses de marchandises, bien sûr." Me lança l’homme à qui j’avais sauvé la vie.

"Je ne veux rien." Répondis-je froidement.

Tout le monde prit congé excepté moi et Larielle.

Je me retournais alors vers ma mère qui vint vers moi les bras grands ouverts. Elle me serra contre elle avec force.

"Maman, pardonnes-moi." Dis-je tout à fait au bord des larmes.

"Je te pardonne mon bébé. Je te pardonne. Je suis tellement contente de voir que tu as retrouvé la raison. Et encore plus heureuse de t'avoir ici à nouveau." Je restais un instant dans ses bras.

"Tu sais que je ne peux pas rester longtemps." Malheureusement rester ici ne ferait qu’attirer les problèmes vers les gens du Tartare. Il me fallait repartir, je n’avais pas le choix.

Larielle me regardait avec admiration et je lui souris.

"Tu vas tout de même rester pour la nuit ?"

"Juste cette nuit." J'avais décidé que cela vaudrait mieux.

"Alors tu peux prendre la grande chambre."

"D'accord, merci maman."

"Je vais nous concocter un bon repas. Va prendre un bain." Elle partit en direction de la cuisine et se retourna une dernière fois. "Ton amie est aussi la bienvenue."

Mon amie ? Je n'avais pas d'amie ! Ah ! Bien sûr, elle voulait parler de Larielle. Je l'avais presque oubliée. Malheur ! Que la foudre s'abatte sur moi ! Puisque je n'étais pas pour la laisser repartir seule dans cette jungle, j'allais la garder au moins jusqu'à demain.

"Viens suis-moi." Lui dis-je un peu plus froidement que j'aurais dû le faire. Elle me suivit sans dire un mot jusque dans la grande chambre où étaient disposé deux lits, mon ancien lit, et l'ancien lit de Lycéus. Je déposais mon sac et lui indiqua qu'elle pouvait prendre l'autre.

"Pourquoi m'as-tu suivie ?" Demandais-je en fouillant mon sac. Je lui tournais le dos de peur de trahir mes sentiments.

"Parce que tu es mon amie." Me répondit-elle tout à fait sincèrement.

Qu’est ce que c’était que toutes ces histoires d’amitiés, les seules amies que j’avais étaient mes armes.

"Je n'ai pas d'amie." Lui dis-je sans la ménager. Peut-être qu’en fin de compte, je voulais la mettre à l’épreuve, dans le fond, je ne pouvais pas me mentir à moi-même, j’étais au comble du bonheur. "Tu sais que demain je te renvois chez-toi." J’essayais même de me convaincre que c’est ce que j’allais faire…

"Tu sais que je n'y retournerai pas."

Vraiment têtue cette donzelle me dis-je. J'ouvris la bouche dans l'intention de lui donner une raison de vouloir rentrer chez elle, mais elle dût anticiper la chose et me coupa la parole.

"Tu as beau dire, ma place est à tes côtés. Je veux voyager avec toi, partir à l'aventure, écrire des histoires. Je ne suis pas comme les autres, c'est tellement difficile d'être différente."

Puisque c'était ce qu'elle souhaitait, il en serait ainsi, elle finirait bien par se lasser de moi et rentrer au bercail. En attendant, je me fis la promesse de ne jamais abuser d'elle. Je ne la toucherais pas. Je ne la méritais pas. Ce n'était mon rôle que d'entacher ses belles ailes blanches avec mes noirs desseins. Je me levais et la regardai longuement.

"Tu sais, que partout où je vais aller ça va être le chaos, j’ai beaucoup d’ennemis, et je ne crois pas que ça sera une partie de plaisir. "

"Je sais. "

"Alors pourquoi veux-tu me suivre et te précipiter tête baissée vers le marasme que va être ma vie ? "

"Parce que c’est ce que font les amies. Elles s’épaulent et se soutiennent mutuellement quand le bateau tangue et que les vents sont mauvais."

"Je vais prendre un bain... Mon amie." Et je pris congé d'elle.

 

 

Chapitre 13

 

 

Quand j'ouvris la porte j'eus vite fait de me rendre compte que je tombais à point. Je n'hésitais pas une seconde et allai me placer devant elle. S'ils avaient l'intention de la lapider, ils devraient en faire autant avec moi. Il me fallut encore me servir de ma meilleure arme, c'est à dire mes rhétoriques étoffées, et ma verve incontestée. Repensant à tout ce qui s'était passé depuis les dernières vingt-quatre heures, j'eus la ferme impression que la rupture subite et sans éclats de Kally avait quelque chose à voir avec ma grande fauve d’amie. Ma plaidoirie sembla un peu calmer les ardeurs de son public en furie. Cette fois je n'avais pas eu à inventer quoi que ce soit, je n'avais eu qu'à laisser parler mon cœur. J'avais fini par assommer mon audience avec mon intempestive logique, quand ils nous firent clairement comprendre que l’on devait quitter les lieux sur-le-champ. Je ne me fis pas prier.

Une fois dehors je remarquais qu’elle semblait distante, bien en fait, elle tentait de me semer. Cela ne me découragea pas, et je l’attrapais par la manche pour lui faire comprendre qu’elle ne pouvait pas m’abandonner toute seule dans cet enfer. J’en profitais pour lui décocher un ravissant sourire et lui faire les yeux doux. Mais je savais que cela était inutile puisque de toute façon mes paroles allaient la convaincre. Elle finit par abdiquer. Et elle me dit que nous allions rendre visite à son frère. Elle avait cependant oublié de me dire que celui-ci habitait le cimetière. Je restais donc là un moment à l’attendre, mais ma curiosité l’emporta sur mon bon sens, et je la suivis à pas de loups.

Quand je la vis mettre un genou en terre et s’appuyer contre la pierre à l’épitaphe de son frère, cela me chamboula et mes yeux se remplirent de larmes. C’était tout à fait renversant. Mais moins encore que la prière qu’elle lui adressa. Elle n’était plus seule, j’étais là, et je lui fis savoir.

Je la convainquis par la suite de retourner à l’auberge pour parler une fois de plus à sa mère. J’avais l’intention de faire front commun avec elle. Si elle ne croyait pas Zina, elle allait me croire. Mais en arrivant devant l’Auberge, nous entendîmes la voix de Trèkon filtrer à travers la porte. Non surprise, elle ouvrit la porte ce qui mit tout de suite fin à ce que Trèkon faisait, c’est à dire tabasser un pauvre citoyen.

J'assistais à l'échange et au combat qui s'en suivit. Jamais je n'avais vu une telle chose. Zina était vraiment épatante, elle m’éblouissait littéralement, et j’en eus plusieurs fois le souffle coupé. Penser que j’avais touché le cœur de cette femme me remplit d’une frénésie sans borne. Si je devais affronter vents et marées pour elle je le ferais. En fait, je réitérais mentalement à plusieurs reprises mon vœu de lui dédier ma vie. Bien sûr, elle en termina avec Trèkon de façon assez spectaculaire. Cette femme était tout à fait majestueuse et elle le vira avec éloquence.

J'assistais également aux retrouvailles avec sa mère, et me surpris à verser quelques larmes.

Cette nuit là après avoir mangé et bu, à écouter Sirène la mère de Zina, ressasser de fabuleux souvenirs d'enfances. Nous montâmes nous coucher. J'aurais bien aimé qu'elle m'invite à partager sa couche, mais elle n'en fit rien. Je la respectais davantage pour cela. Je ne savais pas trop quels étaient ses sentiments à mon égard. Mais je ne voulais pas précipiter les choses. Pour le moment, l'important était que j'étais avec elle et qu'elle semblait avoir cédé face à mon entêtement à la suivre. Je fermais les yeux repue de cette longue journée, non sans lui avoir auparavant jeté un dernier coup d'œil. Elle était magnifique. Pourquoi était-elle si rétive à me laisser entrer dans sa vie ? Nous allions bien voir. J'avais hâte de savoir de quoi demain serait fait, mais j'avais surtout hâte de la contempler à nouveau, de plonger à corps perdu mon regard dans ses prunelles azur, de percer à jour cette femme si énigmatique, si forte, si puissante, même si je savais qu'elle avait maintenant un point faible. Moi.

Je l'aimais et allais destiner chaque jour de ma vie à lui faire découvrir qui j'étais et tout ce que je pouvais lui offrir. Mon amour pour elle était sans limite. Je finirais bien par apprivoiser la bête farouche et sauvage qu'elle était.

 

 

Fin…

 

 

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Saison 1 - Episode 1 : Le retour au pays du péché.

Saison 1 - Episode 2 : Bolides de guerre

Saison 1 - Episode 3 : Les Vendeurs de rêve

 

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